Contes et Nouvelles – Tome I

L’APÔTRE JEAN ET LE BRIGAND

[Note – Récits populaires. 1885.]

 

Après la mort de Jésus-Christ, les Disciplesse dispersèrent dans divers pays, annonçant sa doctrine par leursactes et par leur parole. Celui que le Christ aimait, Jean,évangélisait les riches cités commerçantes de la Grèce.

Un jour, en prêchant dans une ville, ilremarqua dans la foule un jeune homme qui l’écoutait et ne lequittait pas des yeux. Son discours fini, Jean l’appela etlongtemps lui parla. Il comprit que le jeune homme, bien qu’il fûtpréparé, de toute son âme, de toute son âme ardente, à accepter ladoctrine du Seigneur, n’avait point en lui de foi fermementassurée.

« Il a besoin, pensa Jean, d’un ami sûret d’un conseiller, sinon, s’écartant du droit chemin, il suivrales méchants. »

Avant de partir pour poursuivre en d’autreslieux ses prédications, l’apôtre conduisit l’adolescent à l’évêqueauquel il dit :

– Je m’en vais. Toi, veille sur lui,affermis sa foi en Jésus et garde-le de tout ce qui est mal.

L’évêque s’y engagea ; il prit le jeunehomme dans sa demeure, l’instruisit et le baptisa. Son catéchumèneune fois baptisé, l’évêque cessa de s’occuper de lui comme ill’avait fait jusqu’alors. Il pensait : du fait de son baptêmemême, le voilà sauvé de tout ce qui est mal.

Mais voici que le jeune homme se lia avec deméchants compagnons ; il se mit à boire avec eux et à menerune vie de débauche. De temps en temps, sans doute, une sorte derepentir s’emparait de lui, mais il ne trouvait point en lui unefoi suffisante pour renoncer à sa vie mauvaise.

Il lui fallait de l’argent pour ses plaisirs.Il s’en procura par toute espèce de rapines ; puis, quittantla ville, il s’en alla vivre de brigandage.

Bien vite, son audace le fit connaître et desbrigands le choisirent pour leur chef.

Un jour que l’apôtre rentrait après avoirévangélisé, il arriva chez l’évêque et lui demanda :

– Où est donc le trésor que tu avais prisen charge ? L’évêque ne comprit pas tout de suite ce que luidemandait l’apôtre. Il crut que Jean l’interrogeait sur les donsdes fidèles en faveur des malades et des pauvres.

– Ce n’est point d’argent que je teparle, dit Jean, mais bien de l’âme de ton frère. J’ai laissé cheztoi un jeune homme : où est-il ?

– Il est mort, répondit l’évêque avecdouleur.

– Quand est-il mort ? Et de quellemort ? demanda l’apôtre.

– Dans l’aveuglement de son cœur, il estdevenu un malfaiteur, un pillard, un assassin.

L’apôtre ne s’attendait point à pareillenouvelle ; attristé jusqu’aux larmes, il dit :

– Malheur sur lui, et malheur sur noustous. Il faut que tu n’aies point été pour lui un ami fidèle, unconseiller, car il ne t’aurait point quitté : je connais sonâme jeune et fervente. Mais toi, qu’as-tu fait pour lesauver ?

L’évêque gardait le silence.

Alors Jean dit à ceux qui étaientlà :

– Amenez-moi sur l’heure un cheval ;montrez-moi le chemin qui conduit aux montagnes.

Les gens entreprirent de ledissuader :

– Ne pars pas, les brigands ne laissentpasser là-bas ni piéton, ni cavalier. Ne cours pas à ta perte,maître !

Mais Jean ne voulait pas les entendre. Il pritun cheval et se mit en route. Quelques-uns qui eurent honte delaisser aller seul le vieillard s’offrirent pour l’accompagner.

Ils partirent ; ils entrèrent dans unbois ; ils gravirent la montagne ; la montée était raideet difficile pour les chevaux.

Ils chevauchaient ainsi depuis longtemps,quand ils virent devant eux quelques brigands.

Effrayés, les hommes de la suite s’enfuirent.Jean, lui, mit pied à terre, et marcha vers les brigands. Ceux-cis’emparèrent de lui ; ils étaient confondus de voir qu’il nese défendait pas et ne demandait pas merci.

– Conduisez-moi à votre chef, ditJean.

Les brigands menèrent le vieillard à leurcamp. Le chef, voyant rentrer ses camarades, sortit à leurrencontre.

À peine eut-il vu l’homme qu’on amenaitligoté, qu’il reconnut Jean.

Il blêmit, il trembla et s’enfuit.

Les brigands surpris lâchèrent Jean qui,appelant leur chef, cria :

– Arrête-toi, mon fils,écoute-moi !

Mais lui ne se retournait pas et pénétraittoujours plus avant dans la forêt. Les brigands s’écartèrent deJean, le laissant aller.

Ils n’arrivaient point à comprendre comment cefaible vieillard, sans armes, pouvait causer à leur chef pareileffroi.

Jean suivait le brigand.

Le vieil apôtre était si recru, après salongue route, que c’est à peine s’il pouvait marcher, et le jeunehomme ne s’arrêtait pas.

Les jambes de l’apôtre fléchissaient sous luitant étaient grandes son émotion et sa fatigue. Il s’arrêta ;faisant appel à ce qui lui restait de forces, d’une voix tremblanteet, pour la dernière fois, il cria au brigand :

– Aie pitié de moi, mon fils, je ne puiste suivre plus loin, mais toi, viens à moi ; pourquoi mecrains-tu, pourquoi as-tu cessé de croire en moi ? C’est moi,Jean. Souviens-toi : quels étaient autrefois ton amour et tonobéissance !

Le brigand s’arrêta et se retourna, fit face àJean et l’attendit.

Jean marchait vers lui, traînant les pieds àgrand-peine. Le brigand était là debout à l’attendre, les yeuxfixés à terre. Voici Jean arrivé, près du brigand toujours debout,la tête basse.

Sans prononcer une parole, l’apôtre lui mit lamain sur l’épaule ; le brigand trembla, laissa tomber son armeet, sanglotant, embrassa le maître, en se cachant la tête dans sapoitrine.

– Je suis venu vers toi, mon fils, luidit Jean, à voix basse. Suis-moi, allons à la ville retrouver nosfrères.

Le brigand répondit :

– Je n’irai pas, laisse-moi ; jesuis un homme perdu. Je suis maudit de Dieu et de mes semblables.Je n’ai point où aller. Continuer à vivre comme j’ai vécu, je ne lepuis. Je n’ai plus qu’à me tuer.

– Mon fils, ne fais pas cela ; neparle point ainsi. Si nous vivons dans un corps de chair, c’est queDieu l’a voulu ; détruire notre chair, c’est aller contre lavolonté de Dieu, c’est tenter Dieu. Voyons, ce brigand dont je t’airaconté l’histoire, ce brigand qui s’est repenti sur la croix, tut’en souviens ? c’est à la dernière heure de sa vie qu’iltrouva le bonheur suprême.

– Les hommes ne me pardonnerontpas ; ils ne croiront pas à mon repentir et ils nem’accueilleront pas parmi eux.

– Ne crains rien, mon fils, les hommespardonneront si Dieu a pardonné. Je les supplierai de ne point tefaire de mal ; tu commenceras une vie nouvelle, d’honnêteté etde travail, et à force d’amour pour eux tu rachèteras les crimes deton passé. N’hésite pas, décide-toi sur l’heure !

C’est ainsi que Jean exhortait sondisciple ; le brigand crut à ses paroles et son cœur futtouché. Il s’écria :

– Partons, Maître. Avec toi, le châtimentle plus terrible ne me fait pas peur. Mène-moi où tu veux. Apaisemon âme tourmentée !

Le vieillard fatigué s’appuya sur le bras dubrigand et tous deux retournèrent au camp. Le chef prit congé deses compagnons. Il leur raconta son histoire, leur dit qui étaitJean et chercha à les persuader de quitter eux aussi une vie debrigandage.

Une fois à la ville, Jean conduisit le brigandà l’église. Il le plaça à côté de lui et dit :

– Frères ! voici celui que vouscroyiez perdu. Réjouissez-vous ! Notre frère est revenu auprèsde nous.

Et Jean se mit à prier la Communautéd’accueillir parmi eux celui qui s’était repenti. Il termina sondiscours par ces mots de la Parabole dite par le Sauveur :

« Amenez le veau gras ettuez-le ; faisons un festin de réjouissance : car monfils que voici était mort et il est revenu à la vie ; il étaitperdu et il est retrouvé. »

(Luc, XV, 23-24.)

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