Jean Diable – Tome II

VI – Mivart hôtel.

Une heure après, Gregory Temple était plongéjusqu’au cou dans un bain et donnait ordre au valet de l’hôtelqu’il habitait dans Leicester square de faire passer à la vapeur lelinge et les vêtements dont il s’était servi depuis deux jours. Ily avait là-dedans des souvenirs du Sharper’s et des parfumsempruntés au domicile du gentleman Ned. M. Temple gardait cesterribles effluves tout au fond de ses fosses nasales. Il eût vouluse retourner comme un gant pour baigner à grande eau l’intérieur deson corps. Le mieux, en ces cas-là, est de se faire transpirerviolemment par un moyen gymnastique ou autre ; mais rien n’yfait, en définitive, et à cela, comme aux grandes douleurs, il n’ya qu’un remède : le temps. L’odeur de la jolie Molly et dugentleman Ned est en effet pour le moins aussi tenace qu’elle estpénétrante. Une société de pharmaciens, d’artistes et de savantsferait sa fortune à inventer une essence pour la toilette quijouirait de propriétés pareillement obstinées. Mais le mal seulsemble être durable en ce bas monde, et les plus gracieux arcanesdeviennent souillures en quelques minutes au contact des plus beauxcorps.

Dieu a fait l’air pur ; le diable aobtenu la permission d’attacher à chaque vice un miasme : cesont les deux extrêmes. Entre Dieu et le diable, les dames ontglissé l’eau de Cologne, ce parfum-légion qui porte mille noms etqui pue toujours. Pardon du mot, pardon à genoux, mais le verbesentir mauvais ne me paraît ni assez français ni assezfort pour rendre la torture infligée aux narines par toutes lesbonnes odeurs de ces dames. Le divin Platon était bien jeune,puisqu’en proscrivant les poëtes, il n’a pas songé auxparfumeurs !

Gregory Temple, en sortant du bain, se fitbrosser à grande eau comme une serviette à la lessive ; on luicoupa les cheveux, on lui rasa la barbe, ses ongles furent passés àla pierre ponce et ses dents au corail. Cela suffisait pour lestiers, mais, pour lui-même, c’était peu. Quand une émanationpestilentielle est entrée en nous, elle s’accroche à nos muqueusesavec un entêtement qui tient du prodige. Le sentiment d’horreurpeut persister une semaine et se renouveler à chacune desaspirations pulmonaires qui sont la vie même. On emporte le malavec soi comme l’atra cura d’Horace ; vous avez beaufuir, l’aiguillon est dans votre chair, le poison voyage avecvous.

Gregory Temple ne se plaignait pas. Le soldatvainqueur eut-il jamais l’idée de maudire sa blessure ?Gregory Temple était vainqueur encore une fois, après avoir subi unsi humiliant échec dans la matinée, et, selon la pente de sanature, il triomphait en lui-même hautement et sans réserves. Iltombait vite, mais il se relevait de même. Il ne faut jamaisdédaigner les adversaires qui sont faits ainsi. Là était la forcede l’hydre qui vivait toujours en rime de ses sept têtes. L’Olympeeut besoin d’Hercule pour vaincre ce reptile. Aussitôt qu’il étaitrelevé, M. Temple recouvrait tout de suite ses plus hautsesprits, comme disent les Anglais ; il remontait d’un élan ausommet de sa confiance en lui-même, et ne se souvenait de sadéfaite que pour aspirer plus passionnément au triomphedéfinitif.

Il avait conquis son arme. Son carnet, quiétait près de lui, avait déjà ses notes rapidement crayonnées. Ilallait courir à une bataille nouvelle dont son infatigable besoinde travailler établissait d’avance le plan.

Ses calculs, nous l’avons laissé voir, avaientchangé complètement de but. Nous l’avons vu autrefois enfermé dansson fantastique laboratoire et poursuivant, avec un acharnementd’alchimiste, la solution du problème qui le fuyait. Le problèmeétait résolu pleinement désormais ; le calculateur avaitdégagé l’inconnue de son équation ; sa méthode algébriqued’abord fourvoyée s’était trouvée juste, en définitive ; ilsavait. Il pouvait se dire à lui-même et crier aux autres :Voici un homme qui est l’assassin de Constance Bartolozzi.

Il avait donc marché en définitive, marchétrès-vite et très loin.

Mais celui qu’il poursuivait avait couru.

La distance entre eux deux restait la même sielle n’avait pas grandi.

À l’exemple de ces assiégés indomptables quiélèvent de nouveaux remparts derrière leurs murailles démolies, lacitadelle, assaillie par Gregory Temple, restait intacte. L’ennemiavait abandonné ses ouvrages extérieurs, il est vrai, mais il étaitdebout, solide et sans blessures, derrière les glacis d’unenouvelle forteresse.

Et de là il avait attaqué à son tour, et deson premier coup il avait rempli de deuil la maison de sonadversaire.

M. Temple savait : sa certitudeétait mathématique ; mais il était seul à savoir et il n’étaitpas juge. Le problème posé maintenant était de faire entrer saconviction en ceux qui avaient mission de juger.

Or, c’était là que son adversaire, quelque nomqu’on lui donne ici désormais, Tom Brown ou le comte Henri deBelcamp, James Davy ou Jean Diable, c’était là que son adversairel’avait devancé, coupant le terrain de tranchées et d’obstacles,multipliant ses défenses avec cette activité infatigable, aveccette intelligence supérieure qui force presque toujours lavictoire.

Dès l’abord, il s’était introduit auprès deM. Temple sans défiance, et c’était entre les murs mêmes dubureau de police de Scotland-Yard qu’il avait préparé à loisir sespremières machines de guerre. Aujourd’hui même, M. Temple enavait eu une éclatante et toute nouvelle preuve. James Davy étaitresté seul dans son bureau, après son départ, le soir où il avaitdonné sa démission d’intendant supérieur, et deux dossiers avaientdisparu : le dossier Brown, le dossier O’Brien.

Et maintenant que M. Temple avait une clépour expliquer les énigmes du passé, il retrouvait partout ce mêmeagent mystérieux de ses erreurs, de son malheur. C’était James Davyqui, tout en feignant de protéger Richard Thompson, ce doux etloyal enfant, avait dirigé vers lui les soupçons. James Davy avaitété le témoin du mariage secret. Qui sait s’il n’avait pas été lepremier auteur de ce roman ? Comme on sème l’amour, il vient.Suzanne et Thompson, ignorant la vie tous les deux, avaient dûcéder à quelque influence étrangère. Ni l’un ni l’autre n’auraitosé de lui-même commettre un acte si grave.

Chose plus caractéristique encore, Suzanne,enfant gâté, n’avait point de raison sérieuse pour craindre sonpère ; Richard, traité toujours en favori, se trouvait dans lemême cas.

Pourquoi n’étaient-ils pas venus tous les deuxen se tenant par la main, et pourquoi n’avaient-ils pas dit :Père, nous nous aimons, faites notre bonheur.

Gregory Temple n’eût point répondu par unrefus. Sur l’honneur ! il en était sûr.

Une fois, il est vrai, une parole imprudenteet orgueilleuse lui était échappée. Il avait dit, en parlant de lafille d’un lord en train de jouer ce vaudeville si commun enAngleterre :

« On n’épouse pas le fils d’unecomédienne ! » Mais cela eût-il suffi si quelque méchanteinterprétation n’eut grossi l’importance de cetteboutade ?

Or, il n’y avait pas à chercherl’interprète : James Davy était là quand la parole avait étéprononcée.

Faire de Richard le gendre de Gregory Temple,puis lancer Gregory Temple sur les traces de Richard faussementaccusé de meurtre, telles étaient les prémisses de ce syllogisme enaction, taillé depuis à mille facettes, que Jean Diable opposait àson adversaire.

Car l’ancien intendant de police, détectifpuissant, éprouvé, sûr de lui-même, devait trouver des traces, mêmedans une fausse voie. Jean Diable se chargerait du reste d’enparsemer le sol. L’ancien intendant de police devait marcher enavant toujours, comme c’était son génie, rassembler un arsenal depreuves, dépenser les trésors de son habileté à rendre ces preuvesvraisemblables, et fonder enfin les bases d’une de ces belles etdifficiles instructions qui avaient rendu son nom célèbre.

Pour peu qu’il eût le temps de polir l’œuvre,son gendre était perdu !

Et la perte de Richard Thompson, c’était lesalut de Jean Diable.

Jusqu’ici, le calcul de Jean Diable étaitjuste exactement et terriblement. L’œuvre de Gregory Temple,accomplie avec conscience, avec passion aussi, avait une tellesolidité que Gregory Temple lui-même ne pouvait plus la détruire.L’histoire des erreurs judiciaires est un livre effrayant et long.Les sociétés, pour le besoin d’une défense légitime, dressentcertains hommes à une certaine gymnastique intellectuelle dont lebut est de faire d’eux, précisément les limiers qu’il faut pourchasser au malfaiteur. L’homme, on doit bien l’avouer, n’a pas lessûrs instincts de l’animal. Le chien court au loup : quand ilne trouve pas le loup, jamais il n’étrangle le mouton errant sousprétexte que ce mouton, ressemble à un loup. L’homme, qui aau-dessus du chien la raison et la manie, prend son loup où il letrouve ; et quand ce loup est un lapin, ma foi ! qu’yfaire ?

Errare humanum est ! s’écrie ledésolant axiome des philosophes. Et il fallait un loup.

Le vrai loup, cependant, est au bois, où ilcontinue tranquillement son commerce.

Gregory Temple avait fait un loup. Ce loupétait un chef-d’œuvre, d’autant mieux que Jean Diable y avait misla main. Gregory Temple avait beau crier désormais : Ce loupest une brebis, on lui riait au nez. Son œuvre était plus forte quelui, et Pygmalion succombait étouffé sous Galatée.

Pendant toute la première phase de la lutte,où il allait perdant sa réputation, sa raison et sa vie, pièce àpièce en quelque sorte, et comme les malades du jeu perdent leurhonneur avec leur argent, c’était l’inconnu qui s’était dressédevant lui. Maintenant le fantôme avait pris corps, et, au momentoù Gregory triomphant s’élançait pour le saisir, le fantôme armé detoutes pièces l’avait arrêté d’un défi et d’une menace : défisérieux : menace redoutable, que Gregory Temple retrouvaitdésormais partout et toujours autour de lui. La seconde phase de lalutte était bien plus terrible que la première. Celui qui fuyaitjadis frappait maintenant. Du fond de sa prison, il étreignait sonennemi d’un bras surnaturel ; il l’attaquait à la tête et aucœur ; l’écrasait sous la raillerie méprisante, ill’ensevelissait dans le deuil.

Il se chargeait, par une expérienceimplacable, de démontrer à l’inventeur la véritable portée de saméthode ; il se chargeait d’enseigner au dialecticien lapuissance de son propre argument ; il disait à Archimède,enfant : Voilà ce qu’est ton levier !

Et l’inventeur éperdu voyait sa pensée dansles profondeurs nouvelles ouvertes sur ses pas. Figurez-vous lemoine de Fribourg au lendemain du jour où le hasard fit détonerentre ses mains un peu de soufre et de salpêtre.

Figurez-vous Berthold Schwartz en face d’unemine chargée de dix mille kilogrammes de poudre et qui fend unemontagne en éclatant ! Figurez-vous Salomon de Caus quittantla bouilloire qui vient de lui dire à l’oreille le premier secretde la vapeur, et voyant passer tout à coup sur le viaduc sonore cedémon aux entrailles de feu, qui change aujourd’hui la face dumonde et entraîne des milliers d’hommes dans sa fuite rapide commeun tourbillon !

Gregory Temple n’avait fait qu’entrevoirl’impossible. Jean Diable, son élève, avait reçu de lui le principeet en tirait les conséquences.

Cette forteresse où Jean Diable s’enfermaits’appelait l’Impossible. Il était là-dedans, comme l’Arioste placel’enchanteur Atlant, dans son château magique dont les muraillesétaient d’acier poli.

Mais, dans la réalité comme dans ces contes defées, il y a un mot toujours pour détruire les plus fortsenchantements. L’impossible aussi a sa clef, parce que, Jean Diablenous l’a dit lui-même, l’impossible humain ne peut jamais être quel’invraisemblable, poussé à une certaine puissance.

Il est un ordre d’idées dans lequel nousaurions pu trouver des trésors de comparaisons. Les peaux rouges del’Amérique du Nord ont une façon de faire la guerre qui ressembleexactement au duel engagé entre Gregory Temple et Jean Diable. Ilsne s’attaquent jamais de front, et leur suprême habileté estprodiguée toujours dans le seul but d’arriver à une surprise. Laguerre est pour eux la chasse à l’homme.

Supposez cependant le plus habile d’entre euxun de ceux que l’inimitable pinceau de Fenimore Cooper a faitvivre : quelle que soit son adresse et quelle que soit sasubtilité, il laissera toujours une dernière trace, car poureffacer l’empreinte d’un pas il faut avoir fait un autre pas.

Le mot qui détruit l’enchantement, c’est cettedernière trace ; la clef de l’impossible, c’est cette suprêmeempreinte que rien ne peut effacer.

Jean Diable n’avait pu échapper à cette loi.Sa dernière empreinte, c’est-à-dire son dernier crime, à l’aideduquel il avait effacé peut-être tous ses autres crimes, devaitexister quelque part. Gregory Temple avait tenu aujourd’hui sur sesgenoux la géante Molly, pour savoir où chercher cette dernièreempreinte.

Déjà, bien des fois, M. Temple avaitainsi ouvert la main avidement, croyant saisir une arme. JeanDiable, comme quelques grands peintres, traitait en effet certainsdétails avec une incroyable négligence. Nous citerons par exemplece qui se rapporte à l’enfant de Suzanne et à Pierre Louchet. Mais,pour ce cas comme pour d’autres, la négligence de Jean Diable avaitsa raison d’être. Il marchait très-vite vers son but final, trèsvite et très-droit, Malgré la multiplicité de ses détoursapparents. Chaque pas fait, nous le verrons bien, était uneposition prise. Personne n’avait le secret de son travail, et sesconquêtes n’étaient pas toujours apparentes. Loin de là, quelques –unes pouvaient ressembler à des pertes ou à des échecs ; maisc’étaient des conquêtes.

Or, la position prise reléguait dans l’inutiletoutes les préparations que la conquête avait nécessitées. Leniveau changeait. Il n’était plus permis d’attaquer d’en bas cettenouvelle plate-forme. Jean Diable, on peut le dire en touterigueur, mesurait la solidité de chaque ressort à la durée de sonutilité.

L’enfant de Suzanne, et par conséquent tout cequi se rapportait à ce levier devait cesser de jouer un rôleaussitôt après la double arrestation au château de Belcamp. C’étaitcombiné ainsi ; jean Diable n’avait plus à s’occuper de cela.Il laissait derrière lui une jeune mère heureuse, et gardait, pourexpliquer au besoin sa conduite, ce fait que le secret de Suzannene lui appartenait point. La femme de Thompson conservaitvolontairement son nom de miss Temple ; miss Temple ne pouvaitpubliquement reconnaître son enfant. Que reprocher à celui qui rendun service à une femme ?

Ainsi du reste. Dans son système, tout lienqui ne servait plus pouvait rompre ou lâcher, mais toute attachesérieuse était un câble.

Aujourd’hui cependant M. Temple avait unearme, une vraie arme. Pourquoi ? parce qu’un fait imprévus’était jeté à la traverse des combinaisons de Jean Diable. Le soirde la représentation de Joconde, à l’Opéra-Comique, legentleman Ned s’était glissé dans la calèche stationnant rueSaint-Lazare, et le gentleman Ned avait une femme.

Telle barre de fer qui porterait une maisoncontient une paille et rompt sous le poids d’un enfant.

M. Temple avait une arme. Les naturesspéculatives restent jeunes en dépit de l’âge, parce que en ellesl’âge n’éteint pas la passion. En sortant de son bain, l’ancienintendant de police se sentait fort comme aux meilleurs jours de sagloire. Il ceignait ses reins pour la bataille, et son exaltationlui montrait déjà le triomphe. Vers cinq heures du soir, il se fithabiller avec beaucoup de soin, et monta dans une voiture qui leconduisit à l’hôtel Mivart.

La célébrité de l’hôtel Mivart à Londresdépasse de beaucoup celle de l’hôtel Meurice à Paris. Ce sont leshôtes qui font la gloire de ces maisons, et toute l’Europe illustrea passé à l’hôtel Mivart. Ce magnifique caravansérail qu’on a bâtichez nous depuis peu, en face du Louvre, mériterait de gagner lapremière place entre toutes les hôtelleries de l’univers, s’il nepassait déjà, pour avoir une clientelle un peu mêlée. Les roisn’aiment pas à prendre, même pour un jour, un palais dont lescombles ont tant de petites chambres à louer.

À l’hôtel Mivart, M. Temple demanda lecomte Frédéric Boehm.

On lui fit monter un escalier latéral dont lesmarches, le mur et la rampe étaient habillés de tapis turcs,suivant le luxe anglais. Sur le carré, vêtu comme l’escalier, unvalet au pas silencieux, vêtu de noir bien mieux qu’un ministre,lui demanda son nom discrètement, et l’introduisit dans uneantichambre vaste, doublée de moquette dans toute son étendue.

M. Temple donna sa carte. L’instantd’après, un abbé autrichien, avec sa grande redingote et ses bottesde gendarme, vint le recevoir à la porte du salon.

Le salon, autre boîte doublée de laine sombre,et triste à navrer le cœur, contenait quatre personnages assis àgrande distance les uns des autres, autour de la grille où brûlaitun feu de houille. C’étaient, outre le prêtre, docteur enthéologie, un docteur en médecine et un docteur en droit. On payedes primes aux gens qui ne sont pas docteurs en Allemagne.

Le médecin s’appelait docteur Weber ; lelégiste, docteur Spiegel ; le prêtre, docteur Arnheim. Ilsdirigeaient, le premier la santé, le second les affaires, letroisième la conscience du jeune comte Frédéric Boehm, qui n’étaitpas moins docteur qu’eux, ayant soutenu trois thèses à l’universitéde Prague.

Le docteur Weber, le docteur Spiegel et ledocteur Arnheim avaient en effet l’air de trois docteursparfaitement respectables. C’étaient trois honnêtes figuresallemandes, paisibles et un peu massives, qui gardaient entre ellesje ne sais quelle couleur de parenté. Leurs trois perruques étaientblondes, leurs six joues avaient un ton clair et blafard, leursdouze paupières possédaient la même tendance à se rapprocherpériodiquement, battant le rappel de la somnolence.

En entrant dans cette vaste pièce, GregoryTemple cessa de sentir l’arrière-goût du tabac de la jolie Molly,parce que les pipes des trois docteurs et celle du jeune comtemettaient dans l’atmosphère un pur et véhément parfum de tabaclevantin, excellent pour les amateurs.

Les docteurs avaient des pipes deporcelaine ; le jeune comte se servait d’une admirable pipeturque à tuyau d’ambre. C’était le feu éternel de Vesta : celane s’éteignait jamais.

Le comte Frédéric Boehm était un très-grandjeune homme, d’apparence maladive, et beau comme une femmeremarquablement belle. Ses magnifiques cheveux noirs, soyeux etlourds s’échappaient en boucles nombreuses de sa toque illyrienneen velours brodé d’or. Il portait une robe de chambre de veloursaussi, en forme de dalmatique, relevée aux hanches par une torsadede soie où couraient de minces fils d’or. Sous sa robe de chambre,il était botté et éperonné.

Si le caractère se peut juger d’après laphysionomie, Frédéric Boehm devait être brave comme un lion ettimide plus qu’un enfant. Il y avait je ne sais quelles harmoniessérieuses, tristes même, dans les courbes de son front noble etlargement ombragé. Son regard tendre nageait sous la ligne délicatede ses sourcils ; et la couleur féminine était surtout dansl’étrange mélancolie de son sourire.

Il se leva ainsi que tout son monde afin derecevoir M. Temple, et fit quelques pas vers lui pour lesaluer cordialement mais gravement.

– Je vous remercie d’être venu, monsieur,lui dit-il.

– Comte, répondit l’ancien intendant depolice, si vous n’étiez pas venu me trouver en Angleterre, j’auraisfait le voyage d’Allemagne.

– Pour me voir, monsieur ? demandale comte Frédéric Boehm qui baissa les yeux.

– Pour vous voir, comte… J’ai besoin devous plus encore que vous ne pouvez avoir besoin de moi.

Les trois docteurs étaient debout. Ilsgardaient le silence. M. Temple n’avait besoin que d’uncoup-d’œil pour juger un homme : c’était rigoureusement sonmétier. Il resta en face de ces trois hommes comme s’il eût tournétrois pages d’un livre écrit en langue inconnue.

Frédéric Boehm roula lui-même un fauteuil etle désigna d’un geste courtois à l’ancien intendant de police.

– Comte, lui dit M. Temple, il fautque nous soyons seuls.

Les docteurs choisirent précisément cetinstant pour s’asseoir tous les trois à la fois, et leurs troislongues pipes, lancèrent de nouveau des nuages de fumée.

– Je suis l’intendant de Son Excellence,dit Spiegel.

– Je suis son médecin, reprit Weber.

– Je suis son confesseur, ajoutaArnheim.

Et tous trois en chœur.

– Le jour, nous ne quittons jamais SonExcellence ; la nuit, nous dormons dans sa chambre, autour deson lit.

Gregory Temple repoussa le siège qui lui étaitprésenté.

– Comte, dit-il, notre entrevue a prisfin avant de commencer.

Une nuance rosée vint sous la pâleur deFrédéric Boehm. Il ne tourna point les yeux vers les troisdocteurs, qui semblaient parfaitement décidés à conserver leurposte.

– Quel droit ont sur vous ces gentlemen,demanda franchement M. Temple.

Le jeune comte hésita et répondit :

– Ce sont mes amis.

– N’y a-t-il que cela ?

– Je suis mineur, ajouta Frédéric enbaissant la voix, et j’ai dépensé un million de florins depuisquatre mois.

– Sont-ils vos tuteurs ?

– Non, murmura le jeune comte.

– Nous sommes mieux que cela, dit enfinle docteur Spiegel sans tourner la tête.

Et les deux autres répétèrent avec unecertaine emphase :

– Nous sommes mieux que cela.

Ils étaient assis face au foyer tous lestrois. Le regard aigu de l’ancien intendant de police interrogealeurs profils perdus.

Frédéric Boehm prononça d’un ton si bas qu’oneut peine à l’entendre :

– J’ai l’honneur d’être le parent et lepupille de Sa Majesté Impériale et Royale François-Josephd’Autriche, et l’archiduchesse Marie-Louise, femme de Bonaparte,est ma marraine.

– Excellence, dit sévèrement le docteurSpiegel, vous touchez à un secret d’État !

Arnheim et Weber se tournèrent de son côtécomme des automates.

– Avez-vous la volonté d’agir librement,jeune homme ? demanda M. Temple, la tête haute, enpromenant son œil résolu sur les trois docteurs.

Mes amis, murmura Frédéric Boehm, dont lestempes pâles avaient de la sueur, je vous donne ma parole d’honneurqu’il ne sera question entre M. Temple et moi ni del’impératrice Marie-Louise, ni de son fils, le petit duc deReischtadt… Je vous prie de vous retirer.

– Et si les gentlemen désirent rester,ajouta l’ancien intendant de police, j’ai en bas ma voiture. EnAngleterre où nous sommes, les médecins tâtent le pouls, lesavocats plaident et les prêtres officient ; c’est tout, quandmême ils tiendraient une autre mission du fait de Sa MajestéImpériale et Royale, qui n’est maîtresse que chez elle !

Les trois docteurs se levèrent sans témoignerla moindre irritation. L’orateur de ce triumvirat était Spiegel. Ilvint jusqu’au comte Boehm et le salua respectueusement endisant :

– Excellence, nous avons fait notredevoir, nous ferons notre rapport.

C’était une simple affirmation dépourvue detoute menace. Les deux autres s’inclinèrent et ils s’en allèrenttous les trois avec leurs pipes. Dès qu’ils furent partis,M. Temple prit la main du jeune comte et lui dit :

– Je sais votre histoire aussi bien,peut-être mieux que vous-même ; je vous plains de tout moncœur et je suis prêt à vous servir.

La timidité de Frédéric Boehm sembla sechanger en étonnement. Ses grands yeux languissants se fixèrent surson interlocuteur, puis ses paupières battirent comme si une larmeeût été derrière ses cils.

– Vous savez mon histoire !…répéta-t-il. Je ne l’ai dite à personne, monsieur.

– Ces trois espions…

– Je ne puis souffrir, interrompîtFrédéric avec vivacité, que vous parliez ainsi des trois hommes quiont été les amis dévoués de mon père. Ils essaient de me soustraireau sort de mes deux frères aînés ; ils seront vaincus, parceque rien ne résiste à la destinée, mais ce sont de loyaux et dignesserviteurs.

– Comte, vous n’avez que vingtans !… murmura Temple, qui ne put réprimer un sourire desupériorité.

– C’est jeune, il est vrai, pour mourir,répliqua le jeune homme ; mais j’ai déjà beaucoupsouffert.

Il y avait une gravité si fière dans sonaccent, et un si haut rayon d’intelligence s’était allumé tout àcoup dans sa prunelle, que la réplique s’arrêta sur les lèvres deM. Temple.

– Je me suis trop avancé, dit-il après unsilence ; au-delà de ce que je sais il y a peut-être d’autresmalheurs.

– Que savez-vous !… ou plutôtpermettez-moi cette formule, monsieur, car les choses qui sepassent chez vous revêtent parfois de trompeuses apparences quecroyez-vous savoir ?

– Comte, s’écria l’ancien intendantstupéfait, à vous entendre, je doute de moi-même !… J’aibesoin de vous demander tout de suite si vous ne venez point àLondres pour apprendre la vérité sur le meurtre du général MauriceO’Brien, votre cousin par alliance.

– Et ami du major général Boehm, monpère… Si fait, monsieur.

– J’ignorais ce dernier détail, prononçaM. Temple avec une certaine amertume. Je vais vous dire ce queje sais, ou ce que je crois savoir, pour employer votre propreexpression. Le général Maurice O’Brien fut assassiné dans la nuitqui précéda le jour fixé pour son mariage avec une dame française,dont il avait eu un fils. Il me serait impossible de vous fixeraujourd’hui les dates précises, parce que les pièces relatives àcette affaire ont été soustraites au bureau de police deScotland-Yard…

– Ah !… dit le jeune homme dontl’œil s’anima ; sous-traites !

Le feu qui brilla un instant sous sa paupièrene parla point à la perspicacité, d’ordinaire si subtile, del’ancien intendant. Était-ce surprise, peine ou plaisir ?…

– L’assassin du général O’Brien, continuaM. Temple, était, selon ma conviction personnelle, un célèbrebandit anglais, Tom Brown, surnommé Jean Diable, qui étaitprécisément alors en Autriche sous le nom de George Palmer, avec samère, Hélène Brown. J’aurais pu donner en ce temps aux tribunaux dePrague tous les moyens de condamner cet audacieux malfaiteur. Maisdeux jeunes gens appartenant à l’une des plus nobles familles del’Allemagne étaient compromis.

L’affaire fut étouffée systématiquement. Cecirentre-t-il dans l’ordre des faits qui vous sont connus, monsieurle comte ?

– De pareilles calomnies ont étérépandues contre les comtes Albert et Reynier Boehm, mes bien-aimésfrères, répondit Frédéric avec une froideur glaciale. Je nel’ignore point : veuillez poursuivre.

– À vos ordres… Le comte Albert eut, lepremier, l’administration de l’immense fortune de votre famille,augmentée des biens de Maurice O’Brien, qui, permettez-moi de vousle dire, ne vous appartiennent à aucun titre, puisque le généralavait une fille, née dans le mariage…

La main de Frédéric Boehm se leva, puisretomba. Il était si pâle que M. Temple s’interrompit pour luidemander :

– Comte, vous trouvez-vous mal ? etfaut-il appeler votre médecin ?

Au lieu de répondre le jeune homme appuya satête entre ses deux mains.

– Je parlerai après vous, murmura-t-ilavec effort ; c’est pour la fille du général O’Brien que jesuis venu à Londres…

Je vous prie de continuer, monsieur.

– Le comte Albert dut se croire quitteenvers l’assassin, – vous comprenez que je suis toujours maversion, et bien heureux serais-je de la voir rectifiée, – quand ileut payé la somme convenue, deux cent mille florins d’Autriche,selon un témoin en face duquel je vous mettrai à Paris… Le comteAlbert, en effet, ne fut point inquiété pendant plusieurs années.L’assassin était entre les mains de la justice anglaise, à laNouvelle-Galles du Sud. Il s’évada, il revint en Europe ; lecomte Albert eut alors à subir de considérables exigences. Le jouroù il essaya de s’y soustraire, une insulte publique lui futadressée au théâtre de Vienne. Un duel s’ensuivit, et le comteReynier devint administrateur des biens de Boehm à la place de sonfrère mort… Est-ce cela ?…

– Non, monsieur, répondit Frédéric, maiscela y ressemble… je vous écoute.

– Même histoire pour le comte Reynier,sauf qu’un coup de poignard remplaça le coup d’épée. Vous avezsuccédé au comte Reynier, vous avez, comme lui et comme votre frèreaîné, cédé largement à de certaines exigences ; comme eux vousvous êtes lassé : vous avez peur d’être assassiné commeeux.

– Jamais peur, monsieur, prononçalentement le jeune homme, dont un intrépide sourire éclaira levisage ; mais, pour moi, il faut que l’assassin se hâte :sans cela on verra, pour la première fois depuis bien longtemps, uncomte Boehm mourir dans son lit.

Il passa le revers de sa main sur son front etsembla un instant se recueillir. Puis regardant l’ancien intendantde police en face.

– Cet entretien doit être confidentieldes deux côtés, monsieur, dit-il. De ce que vous m’apprenez jen’userai que selon votre volonté ; puis-je compter sur la mêmediscrétion de votre part ?

– Je suis un homme privé maintenant,reprit M. Temple. Je puis m’engager à garder un secret.

– Je prends cela comme une promesse,monsieur, et je vous parle à cœur ouvert… Le général O’Brien estmort assassiné, c’est ma foi vrai, bien que les médecins aientdéclaré la mort naturelle. Mes deux frères sont morts assassinés…C’est la terrible guerre que se livrent en Allemagne deux sectes defrancs-juges, dont l’une croit soutenir les rois, dont l’autrepense servir les peuples… Les rosen-kreuz ont tué O’Brien, leurimplacable ennemi, cela, au nom des peuples… au nom des rois, lesporte-glaives ont tué les deux comtes Boehm, qui conspiraientcontre la Sainte-Alliance.

– Conspiraient-ils ? murmuraM. Temple, et cette inquisition des tribunaux secretsexiste-t-elle ? Ma vie est déjà bien longue ; j’en aidépensé plus de moitié à surprendre le secret des choses et deshommes. J’ai vu de ces associations mystérieuses jurer sur lepoison ou sur le poignard, et, presque toujours, profitant du bruitde leur serment, un vrai malfaiteur est venu derrière elles,servant sa propre cupidité ou sa propre vengeance. Nous ne sommesplus au temps des francs-juges, mais le crime, qui est éternel,profite de ces comédies… Avez-vous ouï parler du meurtre deConstance Bartolozzi ?

– J’ai assisté à sa condamnation,monsieur, répondit Frédéric Boehm avec calme.

M. Temple recula comme s’il eût reçu uncoup en plein visage. Puis ses deux mains frémissantes touchèrentson front, avec ce geste qui trahit la raison chancelante.

– Y avait-il donc un homme,balbutia-t-il, qui portait le nom de prince AlexisOrloff ?

– Moi-même, monsieur, répliqua le jeunecomte, lors de mon premier voyage à Londres.

– Et ce voyage eut lieu à quelleépoque ? s’écria M. Temple d’une voix étranglée quifaisait un étrange contraste avec le sang-froid de soninterlocuteur.

Celui-ci répondit :

– Aux mois de janvier et février de laprécédente année. Gregory Temple se tut anéanti.

Ses calculs, son système, sa science, lapassion de sa vie entière ! tout était-il néant ? Et n’yavait-il qu’une vérité : la folie qui tournait autour de soncerveau ?

– Mes nobles frères conspiraient, repritFrédéric Boehm de sa voix tranquille et grave. Les porte-glaivesexistent et leur serment n’est point un jeu. Les francs-juges sontde tous les temps. L’empereur d’Autriche a pleuré à la mortd’Albert Boehm, qu’il aimait d’une affection toutepaternelle ; à la mort du comte Reynier, son filleul, il fitle voyage de Bude, où le crime avait eu lieu, et présida de sapersonne la table royale de Hongrie. La présence du souverain nefit jaillir aucune lueur de cette nuit… Au contraire de vous,monsieur, je suis tout jeune et j’ai peu vu. Je parle de ce quej’ai vu : notre Allemagne. Dans cette lutte ténébreuse etsuprême, les rois ne sont pas plus les maîtres de ceux quicombattent pour eux que les peuples ne dirigent leurs propreschampions. C’est une bataille à mort entre deux géants, qu’ilsaient nom Principes, Intérêts ou Haines. Vous parliez du temps etdes choses qu’il tue. Il y a une chose morte, c’est l’obéissance.Rien ne sépare plus le vizir du tribun, et Séide est un Gracque quisert le roi son maître à la manière dont les fils de Cornélieservaient le peuple, leur esclave. Je ne suis pas venu vers vous,M. Temple, pour savoir ce qui s’est passé à Prague pourMaurice O’Brien, à Vienne pour Albert Boehm, à Pesth pour le comteReynier. Ma lettre était un prétexte… Je n’ai besoin derenseignements ni sur le solicitor Vood, à qui mes frères ontcompté des millions, ni sur la maison Balcomb et Cie,qui va étonner deux fois le monde : avec la vapeur et quelquechose de plus grand encore. Vous avez une réputationeuropéenne ; à votre nom est attaché le mot détectif,qui veut dire découvreur. J’ai perdu un trésor sansprix ; pour le retrouver je donnerais la dernière goutte de cesang qui va manquer à mes veines. Je suis le plus riche de toutel’Allemagne, après le prince de Lichtenstein, qui a un revenu de 20millions de florins. Vous avez des passions et des devoirs qui vousont fait pauvre sans que votre passion soit assouvie ni votredevoir accompli ; je viens vous acheter votre aide.

M. Temple mettait tous ses efforts àécouter, mais le sens précis des paroles prononcées lui échappait,parce qu’une idée bizarre et soudaine avait traversé son esprit,portant au comble la confusion de son cerveau. Jean Diable étaitlà-dedans ! Que ce fût le cri de sa manie qui voyait partoutJean Diable désormais, ou que ce fût la voix de la vérité même, cecri, cette voix, évoquaient un fantôme. Pourquoi ne dominait-il pascet enfant de vingt ans qui avait besoin de lui ? D’où venaitencore ce mirage qui, déjà une fois, avait trompé sa vue ?Allait-il croire au prince Alexis Orloff, maintenant que cepersonnage était là sous ses yeux, disant : « Mevoici. » Était-ce là l’homme qui avait laissé à la gorge deConstance Bartolozzi cette meurtrissure homicide ?

Il regardait le jeune comte Boehm avec desyeux effrayés et troublés, parce que la pensée du surnaturel quiavait essayé plusieurs fois de naître en lui frappait à coupsredoublés au seuil de sa cervelle. Il était homme de calculs ;il avait passé sa vie à vanter la rigueur de son positivisme, maisces fanatiques de la déduction, ces algébristes du chiffre moral,ces Barème, qui vont additionnant et pondérant les colonnes desprobabilités, sont précisément toujours près du rêve. Leurinstrument possède une puissance réelle, puisqu’ils arrivent à desprodiges ; mais dérangez seulement l’aiguille, au point dedépart, de l’épaisseur d’un cheveu, et vous les verrez atteindrefatalement aux erreurs les plus fantastiques.

Gregory Temple regardait le jeune comte Boehm,parce qu’il se demandait s’il n’y avait pas là quelque diaboliqueillusion. Où pouvait s’arrêter l’audace de Jean Diable ? oùson pouvoir ? Depuis trois mois, lui, M. Temple, nemarchait-il pas environné d’impossibilités et desorcelleries ?

N’était-il pas le jouet d’un prestidigitateurprodigieux dont l’habileté trompait non-seulement son intelligence,mais encore ses sens ?

Il regardait Frédéric Boehm parce qu’il sedisait : C’est peut-être Jean Diable !

Mais ces longs cheveux noirs soyeux, etbouclant leurs gracieux anneaux sur un front de femme ! maisces grands yeux languissants, et cette pâleur, si belle, mais sifatale, que nul artifice ne saurait produire !

Non, celui-là n’était pas James Davy, et lesverrous de la prison de Versailles se fermaient sur Henri deBelcamp.

Mais il y avait un être inféodé à Jean Diableet qui était en quelque sorte sa seconde incarnation, celle que lalégende lui donnait pour maîtresse : la belle Irlandaise.

La soie brillante de ces cheveux noirs, lescourbes féminines de ce front… Il y a des déguisements qui tiennentdu miracle…

Gregory Temple regardait. Ce ne pouvait pasplus être Sarah O’Neil que Jean Diable lui-même. Cette taille hauteet amaigrie par la souffrance n’appartenait pas à une femme.C’était bien un jeune homme de vingt ans, possédant cette beautéidéale que certaines âmes romanesques bercent dans leurssonges.

– J’attends votre réponse, monsieur, ditle comte Frédéric Boehm de ce ton froid et doux qui ne l’avait pasquitté un seul instant depuis le commencement de l’entrevue.

– Comment se peut-il faire, réponditl’ancien intendant, perdu dans ses doutes et ses soupçons, que voussoyez venu me révéler le secret des chevaliers de la Délivrance… àmoi !

– Vous n’avez plus votre charge,monsieur, et le dernier chevalier de la Délivrance qui soit enAngleterre, à l’heure où nous sommes, c’est moi.

– Dois-je comprendre, prononçaM. Temple à voix basse, que j’ai devant les yeux le meurtrierde madame Bartolozzi !

Le jeune comte eut un sourire mélancolique etfier.

– Je suis gentilhomme, monsieur,répliqua-t-il avec un singulier accent de tristesse, je suischrétien, et les médecins disent que je n’atteindrai pas mavingt-deuxième année… J’ai empêché parfois le sang de couler, maisje ne l’ai jamais répandu.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer