La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 11Olivier Coronal et miss Aurora Boltyn

M. S. Strauss, le propriétaire des plusimportantes usines d’appareils électriques et téléphoniques desÉtats-Unis, était un grand vieillard de mine hautaine, de mœurssévères, dont la prestance majestueuse commandait le respect.

Fils d’un planteur assassiné pendant la guerrede Sécession, entre les États du Nord et ceux du Sud, sauvélui-même par miracle, il avait été recueilli par un ami de son pèrequi lui avait fait faire ses études à West Point.

Possesseur, maintenant, d’une immense fortune,honorablement acquise, c’était un type assez curieux de Yankee queM. S. Strauss.

Dans son caractère, comme dans ses opinions,il n’avait que très peu de défauts ordinaires aux Américains.

D’une grande science, en tout ce qui touchait,de loin ou de près, à la fabrication des machines électriques, iln’avait ni l’esprit exclusif et guindé de ses compatriotes, ni leurmépris pour les hommes et les choses de la vieille Europe.

Il estimait, au contraire, beaucoup, lesinventeurs de l’Ancien Monde, toujours prêt à les soutenirlorsqu’on les attaquait devant lui.

Et, plus d’une fois, il lui était arrivé des’intéresser à des jeunes gens, de les faire venir, de lesinstaller chez lui, et d’entreprendre, à ses frais, les expériencesque nécessitaient leurs découvertes.

Ceci explique les offres généreuses qu’avaitfaites le directeur des usines Strauss à Olivier Coronal, dont ilconnaissait le nom et la réputation européenne.

Le jeune ingénieur avait été bien accueilli,et, tout de suite, mis à son aise par le vieillard qui ne lui avaitposé aucune condition.

Il l’avait installé dans un pavillon attenantaux fabriques, lui avait indiqué ce qu’il attendait de lui, et,très discrètement, l’avait laissé libre d’agir à sa guise.

Il s’agissait d’un nouvel appareil detélégraphe sans fil, par lequel l’ingénieur Strauss rêvait deremplacer le système en vigueur.

Théoriquement, l’invention était exacte.

Mais elle ne donnait de résultats pratiquesque sur une faible distance : quelques kilomètres à peine.

Il s’agissait de la rendre applicable sur desparcours illimités ; et les difficultés étaientconsidérables.

Olivier Coronal s’était aussitôt mis autravail.

L’invention l’intéressait puissamment.

Le labeur acharné auquel il s’astreignait, sacontinuelle tension cérébrale, lui faisaient oublier les soucis,les craintes, chaque jour plus forts, que lui causait sa torpilleterrestre, menaçant de devenir, entre les mains du gouvernementfrançais un instrument de guerre et de carnage au lieu d’une armede paix et de civilisation.

Le principe du télégraphe sans fil repose surla découverte du physicien Henri Hertz, de Bonn, qui a établi que,de même que la lumière, l’électricité se propage dans l’espace pardes ondulations ayant la même vitesse, environ 300 000 kilomètrespar seconde.

L’appareil en lui-même se compose, au départ,d’un transmetteur ou radiateur, et d’un récepteur à l’arrivée,ainsi que d’une bobine d’induction émettant des étincellesélectriques.

De la longueur de l’étincelle, dépend ladistance parcourue par les ondes.

On n’était encore arrivé qu’à des étincellesde cinquante centimètres permettant d’expédier des dépêches à 15kilomètres.

Mais, tout faisait prévoir qu’on obtiendraitdes résultats concluants qui permettraient de remplacer, ou plutôtde supprimer partout les lignes télégraphiques ordinaires.

En plus des économies, puisqu’il supprime toutle matériel de poteaux et de fils, le nouveau système assure lesecret absolu des correspondances, puisqu’il faut que letransmetteur et le récepteur soient accordés d’avance.

On n’aurait jamais à craindre les accidents,assez fréquents, ni les interruptions des lignes ordinaires.

Les intempéries, la neige, la pluie, lesorages seraient sans effet sur les communications.

La besogne avançait à souhait depuis troismois qu’Olivier était l’employé, ou plutôt l’ami de l’ingénieurStrauss.

Le vieillard se montrait particulièrementaffable envers lui.

Il venait souvent le surprendre dans son petitpavillon, et causer, pendant de longues heures, de l’Europe, dessavants français, de M. Golbert, pour lequel il professaitbeaucoup d’estime.

Dès le premier jour, le vieil ingénieur avaitdécouvert quelle âme d’élite, quelle intelligence éclairéepossédait Olivier.

Il lui avait accordé toute sa confiance.

L’ingénieur Strauss n’était pas l’esclave dece que les Américains dénomment l’entente pratique de la vie, etqui n’est, en réalité, qu’un manque de générosité dans les idées.Le souci de la réclame et des bénéfices ne l’absorbait pasentièrement. Son cerveau était ouvert aux idées neuves, et iln’entrait aucun parti pris dans ses jugements.

Son estime pour le travailleur acharnéqu’était le jeune homme n’avait fait que s’accroître devant lesrésultats obtenus en si peu de temps.

– Vous ne prenez pas assez dedistractions, que diable ! lui avait-il dit un jour. Mon cherCoronal, vous tomberez malade de surmenage, si vous ne sortezjamais. Et j’en serais désolé.

De fait, Olivier Coronal menait un peu une vied’ermite.

Confiné dans son labeur, il ne s’occupait derien autre chose.

Soit dans son pavillon, devant sa tableencombrée de plans ; soit dans les usines, vêtu d’une blouseblanche, la lime ou le marteau en main, il travaillait sansrelâche, autant parce qu’il s’intéressait à son œuvre, que pour nepas se laisser gagner par les soucis et le souvenir du passé.

Quelques rares fois, il était allé par laville, pour ses affaires.

Mais il évitait ces sorties.

Chicago lui donnait le spleen, avec sesavenues monotones bordées de sombres et laides bâtisses, sa foulerenfrognée, comme sans âme et sans sentiment.

Et puis, c’étaient de pénibles souvenirsqu’évoquait en lui Chicago.

Se savoir le voisin de William Boltyn, luiétait insupportable après ce drame où, avec ses amis Ned Hattisonet Golbert, il avait failli laisser sa vie, après avoir vu détruiretous les travaux de la locomotive sous-marine.

Un jour, par hasard, il était passé dans laSeptième Avenue, en face de l’hôtel du milliardaire, et son fronts’était assombri à voir la trop luxueuse demeure de cet homme qui,il en avait la certitude, avait été leur mauvais génie, avaitcombiné leur ruine avec une inlassable haine. Depuis ce jour, iln’était plus guère sorti de son pavillon.

Surtout, que depuis que Léon Goupit l’avaitquitté, il passait des journées entières dans la solitude.

L’ingénieur Strauss s’était bien aperçu desallures taciturnes de son jeune ami.

Malgré les protestations du jeune homme, illui avait fait promettre de l’accompagner quelquefois dans lessalons de la haute société de Chicago.

– C’est entendu, n’est-ce pas ? Nousn’en parlerons plus. Et puis, vous n’y perdrez rien. Ces soiréesvous fourniront, au moins, un amusant sujet d’observations.

Et, quelques jours après, il vint prendreOlivier pour assister à une fête que donnait le grand banquierWorms.

– Vous savez que vous êtes connu, moncher. N’en déplaise à votre modestie. Vous allez voir quelsuccès !

En se laissant entraîner par l’affableingénieur, Olivier ne se doutait certes pas de la rencontre qu’ilallait faire, ce soir-là.

Dans un vaste hall, brillamment illuminé ettransformé en jardin grâce à des massifs de lauriers-roses, decactus, d’orchidées et de chrysanthèmes, des tables chargées demets rares, et de flacons précieux attendaient les convives dusouper.

Mais, les salons étaient encore pleins.

Pour divertir ses invités, le banquier avaitfait dresser, dans une grande pièce circulaire, une petite scènesur des tréteaux.

Il s’était assuré, en payant fort cher, lacollaboration d’une célèbre actrice parisienne qui faisait, en cemoment, une tournée en Amérique.

Et, c’était le great event(l’événement capital) de la soirée, le sujet des causeries detoutes les jeunes misses, aussi bien que de tous les gentlemen qui,pour un soir, avaient délaissé les affaires, pour répondre àl’invitation du banquier.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer