La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 19Un assassinat de Hattison

Grâce àsa connaissance parfaite de l’anglais, à son séjour de plus d’uneannée au milieu des Américains, Olivier Coronal, grâce au faux nomet au déguisement qu’il avait pris, put se mettre au travail sanséveiller aucun soupçon.

Nous l’avons vu, quittant Léon Goupit blessé,et prenant le Pacific Railway pour se rendre à Ottega.

Il avait effectué à pied les cent vingt millesqui séparaient cette dernière ville de Mercury’s Park.

Il avait changé son costume de gentlemancontre des vêtements d’ouvrier, et s’était bravement mis en route,le sac au dos et le bâton à la main.

Sa volonté le soutenait.

Le principal était de se faire passer pour unvagabond, un sans-travail, et de se faire embaucher dans lesusines.

Qu’y ferait-il ?

Comment pourrait-il se rendre utile à l’Europemenacée ?

Olivier Coronal n’en savait rien au juste.

Il emportait, dans un sac de cuir, une petitelampe électrique, des souliers et des gants de gutta-percha, ainsiqu’un trousseau de fausses clefs, prévoyant bien que Hattison avaitpris ses précautions, que, s’il y avait des secrets à Mercury’sPark, ils étaient soigneusement gardés. Dès le début de son séjourà Mercury’s Park, Olivier put s’en convaincre.

Dans la première enceinte où il travaillait,les logements faisaient vis-à-vis aux ateliers.

On lui avait attribué une chambre, et – sansdoute pour mieux le surveiller – juste en face la cabine dugardien.

Tout marchait mathématiquement dans lacité.

À six heures du matin, les ouvriers étaientréveillés.

Une demi-heure après, ils prenaient le premierrepas, composé de jambon, d’œufs, de beurre et de thé.

À sept heures, ils devaient être autravail.

Lorsque sonnait midi, la cloche les rappelaitau réfectoire.

À quatre heures de l’après-midi, la journée detravail était finie.

Ils pouvaient se rendre au bar ou à labibliothèque.

Hattison estimait, en effet, que demander à unouvrier plus de huit heures de travail soutenu n’était paspratique, qu’en dix ou douze heures, il n’en faisait pas davantageet le faisait plus mal.

L’expérience a maintes fois démontrél’exactitude de ce raisonnement, qui paraît paradoxal à premièrevue.

Tout de suite, Olivier s’était rendu comptequ’une surveillance active s’exerçait autour de lui.

Parmi les électriciens ses collègues,plusieurs avaient essayé de le faire parler.

Trop sur ses gardes pour se laisser prendre àce piège grossier, le jeune homme joua merveilleusement son rôled’ouvrier yankee.

Rien dans ses paroles, dans ses gestes, netrahit ses préoccupations.

Même lorsque, pour la première fois, il setrouva en présence d’Hattison, il sut conserver un visageimpassible, refréner son indignation et sa tristesse.

Chaque matin, l’ingénieur visitait lesusines.

Toujours sanglé dans son éternelle redingote,trottinant en lançant de tous côtés des regards inquisiteurs, ilinterrogeait les contremaîtres et les ouvriers à l’improviste.

Rien n’échappait à son coup d’œil.

C’était un terrible maître, qui voulait serendre compte de tout ; et, lorsqu’une explication luiparaissait suspecte, son regard incisif et froid fouaillait lesgens jusqu’au fond de l’âme.

Les premiers jours, il ne parut pas faireattention au nouveau venu.

– C’est le vagabond que vous avezembauché ? se contenta-t-il de demander à Richardson, sonhomme de confiance, qui l’accompagnait toujours dans ses tournéesd’inspection.

Quelques jours après, il interrogea lui-mêmeOlivier qui, dans l’atelier des moteurs électriques, n’avait pas eude peine à se faire remarquer par son intelligence.

Le jeune homme n’avait laissé paraître de sesconnaissances que juste ce qu’il fallait, que ce qui pouvait êtreraisonnable chez un ouvrier instruit.

Il avait eu l’air d’apprendre des choses qu’ilsavait depuis longtemps.

– C’est vous Jonathan Mills ? luidemanda Hattison, en fixant sur lui un regard perçant.

Puis, sans attendre sa réponse.

– Vous travaillez bien. Continuez.

Si perspicace à l’ordinaire, Hattison s’ytrompa lui-même, crut avoir affaire à quelque jeune ouvrier biendoué.

Il donna des instructions pour qu’ons’intéressât à lui, qu’on lui facilitât les moyens de compléter sesconnaissances techniques.

Olivier Coronal s’y prêta très volontiers.

Chaque soir, il se rendit à labibliothèque.

Le jeune homme s’était rendu compte qu’enversles ouvriers la discipline était trop sévère pour qu’il pût mettreses projets à exécution.

Parqués dans leur enceinte, ils n’en pouvaientsortir que le dimanche, et quelques heures seulement.

Il lui fallait donc à tout prix monter engrade, devenir au moins contremaître, pour être un peu plus librede ses mouvements.

Rien qu’à voir la disposition générale desusines, le jeune Français avait tout de suite deviné la penséesecrète du directeur.

Tandis que la première enceinte avait à peuprès libre communication avec le dehors, les poternes de la secondene s’ouvraient qu’à de rares intervalles, pour livrer passage auxtrains du chemin de fer à voie étroite qui y transportait lespièces brutes venant de la fonderie ou de la forge, et dontpersonne ne connaissait la destination.

Quant à la troisième, Hattison seul ypénétrait avec son nègre Joë.

À vingt mètres en avant des murailles, unepalissade portait de place en place le traditionnel avis :« Ne vous aventurez pas dans les endroitsdangereux. »

Le danger, personne ne l’ignorait, c’était leblocus électrique.

Que d’empire sur lui-même il fallait à OlivierCoronal pour dissimuler sa curiosité, sa colère, lorsque, sepromenant le dimanche, après les offices, il apercevait de loin lelaboratoire d’Hattison au-dessus duquel veillait un fanalélectrique.

« C’est là, se disait-il, qu’il me fautpénétrer ; c’est là qu’est renfermé le secret de ce complot,de tous les terribles engins qu’a dû créer Hattison. Pour qu’il aitpris tant de précautions, il faut un motif bienpuissant. »

Le désespoir montait au cœur du jeune homme.Le sentiment de son impuissance l’exaspérait. La nuit le surprenaitsouvent dans sa rêverie. Le paysage alors devenait féerique. Lamasse sombre des bâtiments, tachetée de mille feux électriques,s’étendait jusqu’à l’horizon.

Et là-bas, c’étaient les derniers contrefortsdes montagnes Rocheuses, sombrant, eux aussi, dans l’ombre, tandisqu’à l’opposite, la déclivité du sol faisait deviner lePacifique.

La cloche tintait. Il fallait rentrer dansl’enceinte.

Olivier Coronal faisait appel à toute sonénergie.

Un secret espoir le réconfortait.

Un soir, comme il allait quitter son travail,le jeune Français fut pris à part par le contremaîtreRichardson.

– L’ingénieur Hattison veut vous parler,dit-il. Suivez-moi.

Olivier obéit, non sans trouble.

Il appréhendait qu’on l’eût reconnu, devinéplutôt.

Ses craintes furent vite dissipées.

– Je suis content de vous, lui ditl’ingénieur. Vous passerez demain dans la seconde enceinte. Jedouble vos appointements.

Le faux Jonathan Mills remercia.

Mais Hattison lui avait déjà tourné lestalons.

Ce changement parut de bon augure au jeuneFrançais.

Il allait être plus indépendant, moinssurveillé.

Le lendemain, il débutait dans ses nouvellesfonctions.

La deuxième enceinte franchie, on se trouvaitau milieu de tourelles d’acier garnies de canons, d’amoncellementsd’obus encore vides, de torpilles attendant leur charged’explosifs.

« Toute cette mitraille fondra dansquelque temps sur l’Europe, sur la France, pensa Olivier. Il mefaut pourtant travailler à la réalisation de cette œuvremaudite. »

Il n’y avait pas, en effet, d’autre solution.Il lui fallait se résigner, attendre le moment propice, continuerla lutte sourde qu’il avait engagée.

Son nouveau poste lui laissait plus de loisirset, chose précieuse, il était libre, sa journée de travailterminée, de sortir de l’enceinte.

Déjà, le jeune homme avait fait son plan,calculé les chances de réussite.

Comme il l’avait prévu, le costume engutta-percha, la lanterne sourde et les fausses clefs qu’il avaitlaissées dans son sac de cuir lui seraient utiles.

Le premier obstacle à vaincre, c’était leblocus électrique, dont Hattison avait entouré la troisièmeenceinte, et ce n’était pas le moindre.

« Il me faudra réussir du premier coup,et disparaître. La vengeance de Hattison serait terrible, se disaitCoronal. »

À quelques jours de là, l’ingénieur lui donnala mesure de sa cruauté.

Le spectacle qu’il eut sous les yeux étaitbien fait pour légitimer ses craintes.

Hattison dirigeait lui-même une expérience.Debout, à coté du mécanicien chargé de faire mouvoir lemarteau-pilon, il commandait la manœuvre.

Il s’agissait d’éprouver la résistance depièces d’acier que des chariots amenaient l’une après l’autre sousl’énorme masse.

Lorsque tout fut fini, l’ingénieur ordonna àl’un des ouvriers de monter sur la plate-forme du marteau-pilonpour la nettoyer.

L’ouvrier obéit.

Saisissant alors lui-même la poignée motrice,Hattison la tourna froidement.

On n’entendit, dans l’atelier, qu’un même crid’horreur.

Le bloc d’acier s’était abattu sur lemalheureux ouvrier, qui reparut presque aussitôt, écrasé, aplati,n’ayant plus forme humaine.

Après avoir lancé un regard terrible sur lesouvriers épouvantés, Hattison s’était retiré sans mot dire.

La victime était très mal notée dans lesateliers. L’ingénieur l’avait, paraît-il, surpris, cherchant àpénétrer dans la troisième enceinte.

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