La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 6Une explosion sous-marine

Pour nepas leur créer d’inutiles sujets d’alarmes, Olivier Coronal, lelendemain matin, ne parla pas à ses amis de l’extinction subite desphares.

Il se borna, dès sa visite matinale, auxchantiers, à s’enquérir du motif auprès de l’électricien.

Celui-ci était depuis peu de temps au servicedes ingénieurs.

C’était un grand gaillard roux, se disantFrançais, et qui avait expliqué son accent yankee en disant qu’ilavait quitté la France dès sa jeunesse.

Dans toute autre circonstance, on eut regardéà deux fois avant de l’embaucher ; mais le jour où il s’étaitprésenté, la première des grèves venait de se déclarer àl’improviste.

Il fallait absolument quelqu’un.

On l’avait pris.

Et comme, depuis, il avait très bien fait sonservice, on l’avait gardé.

– Oh ! oui, répondit-il à laquestion d’Olivier, figurez-vous ! Une avarie dans le tiroirde la machine. J’ai été obligé de le démonter. Cela m’a demandéprès d’une heure. Mais ce n’est rien.

L’explication était très plausible.

Les soldats, les policemen étaient à leurposte.

Rien ne paraissait anormal.

Olivier ne pensa plus à l’incident.

De bonne heure, Ned et M. Golbert lerejoignirent aux chantiers.

La journée devait être décisive.

Les trois hommes étaient légèrement émus.

Il s’agissait, tout d’abord, d’amener à saplace le train sous-marin dont l’énorme coque d’acier chromé, hautede plus de dix mètres et longue environ d’une centaine,resplendissait au soleil matinal.

La côte, en cet endroit, était granitique etdentelée de petites anses.

Pour aller trouver la profondeur voulue, oùcommençait la voie sous-marine, on avait établi un large ponton debois et de béton s’avançant dans la mer selon un plan incliné.

Plus tard, on installerait un embarcadèredéfinitif d’après une disposition trouvée par Ned, et quipermettrait d’embarquer les marchandises aussi facilement qu’avecles paquebots ordinaires.

À l’extérieur du train sous-marin, rienn’apparaissait plus, qu’un taillemer en forme d’éperon, et deuxénormes vitres concaves derrière lesquelles devaient s’allumer depuissants fanaux. Latéralement, quelques sas à air comprimépermettaient de sortir pour placer des torpilles, au cas où quelqueobstacle barrerait la voie.

La forme générale du train était celle d’uncylindre aplati à la base, et se terminant en pointe à chaqueextrémité.

Avec la lame effilée de l’avant, on eut dit ungigantesque narval.

Pendant que, sous les ordres de Ned, uneéquipe d’ouvriers et plusieurs locomotives engageaient le train surle ponton, M. Golbert et Olivier Coronal suivaient l’opérationd’un œil attentif.

Il fallait agir avec précaution.

Mais Ned était expert en ces sortes detravaux.

Le colosse d’acier fut fixé aux câblesmétalliques de deux puissantes grues électriques, qui devaient leretenir dans sa descente sur le plan incliné, et le hisser auretour.

On établit une passerelle aboutissant à unsabord, ménagé dans le flanc de la locomotive, qui permettaitd’embarquer.

Le temps était superbe ; la mer calme etbrillante comme un miroir.

Tout le monde était joyeux.

Les ouvriers des chantiers avaient disposé destables et des chaises en plein air.

Lorsque les expériences seraient finies, lesingénieurs devaient offrir un lunch à tout le personnel.

Une heure plus tard, les dynamos, qui devaientfournir la force motrice, ronflaient.

Le cadran des accumulateurs indiquait unepression suffisante.

Les trois hommes prirent place dans letrain.

La passerelle fut retirée.

Sur le ponton de bois, Léon Goupit etM. Michon poussaient des vivats enthousiastes.

Malgré leur insistance, les ingénieursn’avaient pas voulu les autoriser à prendre part aux essais.

Ned avait même fait tout son possible pourempêcher M. Golbert de s’embarquer.

– Olivier et moi, avait-il dit, suffironsbien à cette simple expérience. Nous sommes jeunes. S’il y aquelque danger, c’est à nous qu’il convient d’affronter.

– Comment, du danger, s’était écrié levieux savant. Mais il n’y en a aucun. Je suis sûr de malocomotive ; et je tiens à constater par moi-même comment elleva se comporter.

Et il n’avait pas voulu en démordre.

Maintenant Ned avait refermé le sabordétanche.

Il alla rejoindre les deux hommes dans lachambre des dynamos, au centre du train.

L’aménagement intérieur n’était pas encoreterminé.

Les cabines des passagers n’étaient pas encoreconstruites.

Mais la place ne manquait pas.

Du reste, ce n’était qu’un premier modèle.

On ferait beaucoup plus complet par lasuite.

Sous la lumière un peu diffuse que jetaientles hublots de cristal lenticulaire, Ned, Olivier etM. Golbert se regardèrent une seconde, émus par la solennitédu moment.

– Eh bien, s’écria Olivier pour dissiperla gêne commune, ça manque encore un peu de confortable,d’élégance ; mais vous verrez qu’on ne pourra pas désirermieux, lorsque les cabines seront installées.

De chaque côté du train, les énormes rouesdisparaissaient.

Au-dessous, l’eau verte de l’Océandéferlait.

Mais on n’entendait plus que le ronflement desdynamos.

– Sommes-nous prêts ? demanda levieux savant.

– Oui, répondit Ned après avoir consultéle manomètre électrique. Je vais allumer les réflecteurs.

Il fit tourner, sur son pivot, l’aiguillemobile d’un cadran.

Aussitôt, le train sous-marin fut entouréd’une auréole de lumière aveuglante.

À travers les hublots de cristal, les jetsélectriques frappaient la mer, mettaient à la crête des flots destaches comme phosphorescentes et s’enfonçaient dans sesprofondeurs.

C’était le signal convenu pour ladescente.

Aussitôt, les énormes câbles métalliquesglissèrent silencieusement.

L’eau se rapprocha. Bientôt elle se refermasur le gigantesque poisson d’acier dans lequel trois hommesallaient s’élancer à la conquête de l’Atlantique.

Le long du plan incliné, la descentes’effectuait avec lenteur.

Les réflecteurs illuminaient les eaux dans unrayon de plus de cinquante mètres.

D’une teinte bleutée, semé çà et là decoquillages qui avaient survécu aux ravages de la dynamite, le fondde l’Océan apparut.

Presque aussitôt un faible choc se fitsentir.

Les grappins des câbles électriques sedécrochèrent.

La locomotive reposait maintenant sur lesrails d’acier chromé, et d’une largeur de trente centimètres.

Debout devant les appareils enregistreurs,Ned, très calme, surveillait les appareils producteurs de la forcemotrice.

Il avait maîtrisé ses préoccupations secrètespour se consacrer tout entier à l’expérience.

L’ingénieur impassible, le savant audacieuxqu’il était, reparaissaient dès qu’il se trouvait aux prises avecune difficulté.

Un calme presque effrayant régnait à cesprofondeurs.

À droite, à gauche, inondés de lumière, desmassifs de corail détachaient leurs fines dentelles sur l’horizonglauque où la lumière électrique se perdait en un halofluorescent.

À l’avant les rails fuyaient, dans uneperspective colorée de teintes smaragdines.

Dans l’immense cylindre encore dénudé qu’étaitle train sous-marin, les moindres bruits résonnaient, serépercutaient en échos.

On voyait, dès maintenant, quelles seraientles dispositions intérieures. Il y aurait deux étages, en plus dela cale aux marchandises.

Pour cette simple expérience, on n’avait pasinstallé la chambre de purification de l’air, ni lesventilateurs.

Les plusieurs centaines de mètres cubes d’airatmosphérique étaient plus que suffisants pour une immersion nedevant guère se prolonger au-delà d’une heure.

Il s’agissait d’essayer les moteurs, des’assurer de leurs bonnes dispositions.

La voie construite, n’ayant encore qu’unkilomètre de longueur, il ne fallait pas non plus songer à fairedes constatations de vitesse.

Cela viendrait plus tard, dès qu’on serait sûrde la justesse des premiers travaux.

Assis devant le cadran des accumulateurs, Nedannonça que tout était prêt, qu’on pouvait se mettre en marche.

– En avant ! s’écria-t-il, parhabitude professionnelle.

– En avant ! répétèrentM. Golbert et Olivier Coronal. Le courant, établi avecprécaution et à faible intensité, ils se sentirent avancerdoucement.

Le paysage se déplaça.

Tout le monde gardait un profond silence.

On n’entendait que le sourd grondement desdynamos.

Éclairée par les puissants faisceaux delumière qui s’échappaient des réflecteurs, la masse des eaux, çà etlà tachée d’amas gélatineux, offrait aux regards le mystère d’unevie inconnue, d’une fourmilière d’infiniment petits.

À deux cents mètres de profondeur, c’était, aufond, le même spectacle que sur la terre ferme ou que dans lessolitudes aériennes.

Le sol vaseux, sur lequel courait le trainsubatlantique, était d’une couleur uniformément grise. La marchelente du train permettait aux voyageurs d’observer cette vase avecbeaucoup d’attention.

Elle semblait en quelque sorte composée d’unesubstance vivante, gélatineuse, indéfinie plutôt, contractile, aumilieu de laquelle on distinguait des corpuscules assez semblablesà des lentilles. Cette vase tremblotait sur le sol comme unegelée.

– Vous voyez devant vous, dit OlivierCoronal, le fameux Bathybius Hœckelei, d’Huxley. D’aprèsce grand savant, ce serait notre ancêtre. Il est cependantaujourd’hui démontré que ce n’est pas un être vivant, mais unprécipité gélatineux, de nature essentiellement minérale, queproduit l’alcool concentré dans l’eau de mer.

Ses compagnons sourirent.

Le train continuait sa marche en avant,silencieusement.

De temps en temps, des éponges calcaires, desencrines aux corolles gracieuses se balançant au haut d’une tigemenue, de monstrueux oursins recouverts de robustes épines, desholoturies constellées de pustules et de venules multicoloresapparaissaient, glissant sur la vase molle. Des crustacés auxformes étranges, au squelette hérissé de crocs et de dards, auxpattes démesurément allongées, fuyaient dans toutes les directions,éblouis par la lumière aveuglante des fanaux du subatlantique.

Des méduses agitaient deux ombelles dans l’eaucalme donnant asile, dans leurs tentacules, à des myriades depetits poissons.

Des squales énormes, aux yeux glauques ouphosphorescents, passaient dans les rayons lumineux des fanaux,poursuivant leur proie, bâillant de toute leur gueule armée d’unetriple rangée de dents.

Au pied de rochers énormes, transportés dansces lieux par les icebergs venus du pôle, des poulpes hideux, decouleur violette ou rose tendre, agitaient, en tous sens, leurstentacules gros comme la cuisse d’un homme.

Puis encore, c’étaient des crabes énormes, descrevettes gigantesques, des homards géants, aux carapacesmulticolores.

Ned et Olivier admiraient de tous leurs yeuxce spectacle merveilleux. Ils semblaient avoir oublié, l’un etl’autre, et la marche du train, et les précautions qu’ils devaientprendre.

Seul M. Golbert, debout derrière Ned, necédait pas à l’enthousiasme de ses compagnons.

Bien que, jusqu’ici, l’expérience eût marchérégulièrement, il ne laissait pas d’être inquiet.

Il quittait à peine des yeux les appareilsenregistreurs de la vitesse, et ceux qui indiquaient la constancedu débit électrique.

Par l’un des hublots, il observaitattentivement la route que suivait la locomotive sous-marine, prêtà donner le signal de l’arrêt si quelque événement imprévu, quelqueobstacle mettait en danger la sécurité du subatlantique et de sespassagers.

À l’extrémité de la sphère éclairée, il venaitde remarquer une épave presque indistincte qui semblait serapprocher de la voie.

Le train avançait toujours.

La douceur du roulement étaitincomparable.

Aucun cahot ne se faisait sentir.

L’épave se rapprochait.

Touchant le sol d’une de ses extrémités, elleatteignait les rails.

Ned, absorbé, ne voyait rien, non plusqu’Olivier Coronal accoudé sur une barre d’appui protégeant ladynamo.

Le vieux savant allait ouvrir la bouche pourla leur signaler.

Mais les paroles s’arrêtèrent dans sagorge.

Avant même qu’il eût eu le temps de faire unmouvement pour se retenir, il fut précipité à la renverse, les deuxbras battant l’air.

Sa tête alla butter contre les marches en ferd’un escalier.

Olivier Coronal, arraché de son appui, étaittombé, lui aussi.

Ned, seulement, avait pu se retenir. D’ungeste, il avait arrêté le courant.

Une force inconnue venait de soulever l’avantde la locomotive à plus de trois mètres de hauteur.

Lourdement elle retomba sur les rails.

Les parois avaient été ébranlées par laviolence du choc beaucoup moindre cependant que s’il eût eu lieu àl’air libre.

Malgré les phares électriques, au-dehors,l’obscurité était intense.

Des remous boueux fouettaient les hublots.

La locomotive semblait maintenant environnéed’horreur et d’inconnu.

Sans s’occuper d’autre chose pour le moment,Ned, revenu le premier de sa terreur, s’était précipité versl’endroit où gisait M. Golbert.

Le père de Lucienne, d’une pâleur spectrale,paraissait inanimé.

Les marches de l’escalier lui avaient fait uneblessure d’où le sang coulait, inondant le cou et le visage.

– Vite, de l’eau et mon nécessaire depharmacie ! s’écria le jeune homme sans perdre sonsang-froid.

Olivier s’empressa, et revint, apportant unpetit coffret d’acajou.

M. Golbert n’avait pas bougé.

Ses lèvres exsangues n’avaient pas proféré unson.

– Il n’est pas mort, fit Ned qui venaitde constater les faibles battements du cœur. Mais la blessure meparaît sérieuse.

Et, sans perdre une minute, il mit à nu laplaie, en coupant les cheveux, la lava à l’eau fraîche, et appliquadessus un bandage imbibé d’une solution antiseptique.

Olivier, de son côté, essayait de fairereprendre connaissance au blessé.

Au bout de quelques minutes, M. Golbertouvrit enfin les yeux ; mais son regard effaré disaitclairement qu’il ne se rendait aucun compte de sa situation.

Il essaya d’articuler quelques mots :

– Épave… Une épave…

Mais cet effort parut l’avoir affaibli aupoint qu’on craignait de le voir perdre de nouveauconnaissance.

Ned lui fit signe de ne pas bouger, ni dechercher à comprendre.

Aidé d’Olivier Coronal, il l’étendit, de sonmieux, sur un lit improvisé de bâches et de chiffons.

Alors, seulement, les deux hommes commencèrentà se rendre compte de ce qui s’était produit.

Plus d’un quart d’heure s’était passé depuisqu’on avait ressenti la terrible secousse.

Un coup d’œil suffit à Ned pour constater que,dans le train, aucune avarie ne s’était produite.

Les dynamos ronflaient toujours.

Les accumulateurs accusaient une fortepression.

Les réflecteurs électriques fonctionnaientencore.

Au-dehors, les eaux de l’Océan – tout àl’heure noirâtres et fangeuses, étaient redevenues presquelimpides.

Mais la voie ferrée sous-marine n’existaitplus.

Les rails, tordus comme de simples fils defer, avaient été arrachés, projetés à droite et à gauche.

Quelques traverses encore s’en allaient à ladérive. C’était un véritable miracle que la locomotive elle-mêmen’eut pas été réduite en miettes par ce cataclysme qu’on devinaitformidable.

À dix mètres en avant de l’endroit où elles’était arrêtée, où son avant avait été soulevé comme un simplebouchon, les rails étaient rompus.

Les yeux dilatés, les lèvres frémissantes, Nedcontemplait l’évidente, l’horrible catastrophe.

Il cherchait à comprendre.

Soudain il pâlit.

– C’est impossible !… murmura-t-il.Et cependant !

Il s’arrêta à temps, ne voulant pas livrer sapensée et faire part à ses amis de l’horrible supposition quivenait de traverser son esprit.

À quelques mètres du sous-marin, dans lalumière crue des réflecteurs, des lambeaux de fils électriques,brisés, hachés, voguaient çà et là.

Et le cœur du jeune homme battait à se rompredans sa poitrine haletante.

Il comprenait tout : on avait placé destorpilles sous la voie ! Les fils conducteurs qu’il apercevaitétaient la flagrante dénonciation de la tentative criminelle.

En même temps que ses poings se serraient, unerancœur lui montait aux lèvres.

– Qui donc était-ce ? Sinon sonpère ? Sinon William Boltyn ?

Et les paroles, comme égarées, du blessé, luirevenaient significatives.

– Une épave !… Oui, ce ne pouvaitêtre que cela. Une épave avait heurté les détonateurs.

Le hasard avait fait que l’explosion s’étaitproduite quelques secondes avant le moment choisi.

Et c’était à cela seulement que les ingénieursdevaient de n’avoir pas été broyés entre les parois d’acier de leurtrain, et déchiquetés comme l’étaient ces rails de trentecentimètres de largeur.

Tout au moins, y avait-il une victime :M. Golbert. Ned et Olivier revinrent près de lui.

Son visage était toujours d’une pâleur livide,ses mains glacées.

Mais un souffle égal soulevait sapoitrine.

Il n’y avait rien à faire pour le moment qu’àregagner la terre ferme, où des soins plus sérieux pourraient luiêtre prodigués, si toutefois les moteurs ne refusaient pas leservice.

Être prisonniers de l’Océan, dans cette coqued’acier, au milieu de ces solitudes désolées !

Ned ne manquait pas de bravoure ; mais entournant la poignée motrice, il sentit une sueur froide luimouiller les tempes.

Quant à Olivier Coronal, sombre comme jamaisle jeune homme ne se rappelait l’avoir vu, il n’avait fait aucunequestion.

Détachés du spectacle de la catastrophe, sesregards hautains disaient tout son mépris d’un tel attentat.

Il y eut un soupir de soulagement lorsque,sollicitées, les roues démarrèrent lentement à reculons.

On allait pouvoir regagner le rivage, l’airlibre.

C’était la vie sauve pour ces hommes quivenaient de voir la mort en face.

Et tandis que lentement, soulevée par lescâbles métalliques, la locomotive traversait dans son mouvementascensionnel la masse glauque des eaux, Ned et Olivier, enfermésdans un mutisme farouche, songeaient, en contemplant le pâle visagedu blessé retombé dans sa torpeur.

– Il ne faut rien dire pour le moment decette catastrophe, fit enfin Ned, du moins aux ouvriers. Nousexpliquerons par une chute la blessure de M. Golbert.

– Oui, cela vaut mieux. Hélas ! plusencore que sa blessure, l’anéantissement de ses projets vadésespérer notre cher maître.

Le jeune homme ne répondit que par un geste,autant de tristesse que de révolte.

Il sentait bien, en effet, que c’était laruine de tous leurs rêves. La force mauvaise qui les poursuivaitdepuis leur arrivée en Amérique triomphait d’eux par cet attentat,par cette explosion combinée à l’avance et dont un hasardmiraculeux les avait seul préservés.

Que de choses s’étaient passées en moins d’uneheure !

Ils étaient partis joyeux, confiants eneux-mêmes et dans l’avenir, pour effectuer ces expériences quidevaient imprimer un nouvel essor aux travaux.

Maintenant deux hommes mornes auprès d’unblessé, sentaient passer sur leur tête un vent de fatalité.

Tous les travaux étaient détruits.

Reconstruiraient-ils jamais la voiesous-marine ?

En débarquant, Ned et Olivier ne trouvèrentplus, sur la côte que Léon Goupit.

M. Michon avait été appelé en hâte à sabanque, pour des affaires très graves, expliqua leBellevillois.

Les deux ingénieurs, encore tremblantsd’émotion, lui racontèrent succinctement l’explosion et la blessurede M. Golbert toujours étendu sur un lit improvisé.

– Pauv’M. Golbert ! s’écriaLéon qui sentit des larmes mouiller ses yeux. Si c’est pasmalheureux ! Un homme qu’est si bon ! Faut pas l’laissercomme ça.

Et tous trois transportèrent le vieillard dansun cab.

M. Golbert était toujours assoupi, levisage décoloré. Un bandage teinté de sang lui entourait latête.

Tandis que Ned courait chercher un médecin,Olivier et le Bellevillois donnaient l’ordre au cocher de gagner lecottage, où Lucienne, ne se doutant de rien, attendait lesinventeurs pour le repas.

Elle avait vu venir de loin son père blessé,étendu dans la voiture.

Ce fut une scène déchirante que le retour duvieillard presque sans vie, dans cette maison dont il était l’âme,où tout le monde le chérissait.

– Ce n’est rien, ma chérie,tranquillise-toi, expliqua Ned qui arrivait avec le docteur.

Lucienne était forte. C’était une natured’élite chez qui la volonté commandait aux nerfs.

Elle s’était mise tout de suite à ladisposition du praticien, courageuse dans sa douleur, se raidissantpour ne pas éclater en sanglots.

La blessure du savant n’offrait réellementaucune gravité.

– À condition toutefois, fit le docteur,que le malade n’ait aucune préoccupation, qu’on éloigne de lui toutbruit, toute contrariété, qui pourraient amener une fièvrecérébrale. Huit jours de repos absolu, et il n’y paraîtra plus.

Ces paroles remontèrent le courage de Ned etde sa femme, qui jusque-là avaient suivi anxieusement tous lesgestes du médecin, redoutant un arrêt désespéré.

La réaction s’était produite.

M. Golbert dormait maintenant.

Ses lèvres, son visage s’étaient légèrementrecolorés.

À côté de Lucienne, qui s’était de suiteinstallée au chevet de son père, Ned et Olivier, immobiles etmuets, sentaient monter en eux la tristesse des défaites.

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