La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 10Le détective Bob Weld

Depuisplus de trois mois, Olivier Coronal avait quitté ses amis, lesGolbert.

Il avait été averti, par une lettre, de leurarrivée en France, et de leur réinstallation dans la villa deMeudon.

L’inventeur avait répondu en racontant sonarrivée à Chicago, et son entrée en fonctions chez M. S.Strauss, un ingénieur américain qui s’occupait spécialement de lafabrication de machines électriques, de dynamos, d’accumulateurs etd’appareils télégraphiques.

Pour le moment, Olivier était assez satisfaitde sa situation. Fort bien rétribué, libre lorsqu’il le voulait, ilavait le loisir de continuer ses recherches personnelles.

M. Strauss lui avait assigné commelogement, un petit pavillon attenant aux usines, et dans lequelLéon s’était installé avec son maître.

Le Bellevillois, d’ordinaire si gai, semontrait renfrogné depuis quelque temps.

Chicago lui déplaisait fort.

D’après les conversations de Ned et deM. Golbert, il avait appris quel William Boltyn yrésidait.

C’en était assez pour que la ville luiinspirât une répulsion invincible.

– Avec ça, faisait-il, nous sommes venusnous fourrer, ici juste dans la gueule du loup !

Mais il se gardait bien de faire cesréflexions devant son maître.

Celui-ci, du reste, semblait totalementignorer l’existence du père d’Aurora.

La question était trop délicate, remuait tropde ressentiments, trop de souvenirs mauvais.

Personne n’osait l’aborder, dire le premiermot.

Juste en face de l’usine de M. Straussétait une pension de famille, genre d’établissement qui pullule auxÉtats-Unis, et qui répond bien aux exigences de la viesuperficielle et hâtive des Yankees.

En sous-louant la moitié de leur logement, ouseulement une chambre à des hôtes de passage, beaucoup de ménagesaméricains recouvrent ainsi la presque totalité de leur loyer.

En même temps, le locataire, selon le prixqu’il y met, a droit au home, c’est-à-dire aux repas encommun, à la jouissance du salon, orné de l’inévitable piano.

La pension de famille dont nous parlons, etqu’un vaste écriteau en anglais, en allemand et en françaisrecommandait au public, était tenue par une petite dame vieille,sèche et ridée, les yeux cachés derrière des lunettes, veuve d’unancien commandant de la milice, et répondant au nom de mistressRobertson.

Toute la journée, elle trônait dans un vastefauteuil, en une pièce du rez-de-chaussée, à côté d’une grandetable recouverte d’un tapis vert et parsemée de journaux et demagazines. Des chaises et des rocking-chairs, complétaientl’ameublement.

Les murs s’enorgueillissaient de lithographiesdu plus mauvais goût, des portraits des présidents successifs del’Union.

Cela servait à la fois de salon, et de sallede lecture et de conversation.

Le jour même où Olivier Coronal arrivait àChicago, un nouveau pensionnaire était venu s’installer dans lamaison de mistress Robertson.

Vêtu d’un complet de drap à carreaux gris,coiffé d’un feutre de même couleur, l’appareil photographique enbandoulière, le nouveau venu réalisait le véritable type dutouriste anglais.

Il s’était fait inscrire sous le nom de JohnBrown, un nom à coucher dehors eût dit Léon ; et, depuis sonarrivée, avait passé presque toutes les journées dans sa chambre,dont les fenêtres donnaient sur la rue.

– Singulier touriste qui ne visite rien,avait pensé la vieille dame.

Mais le nouveau client n’avait pas précisémentl’air affable.

Par deux fois, mistress Robertson avait essayéd’engager la conversation avec lui, et en avait été pour sesfrais.

Elle se l’était tenu pour dit.

Tous les deux jours, régulièrement, leprétendu John Brown sortait de son pas flegmatique, et s’en allaitpar la ville.

L’honorable gentleman ne tenait sans doute pasà être suivi.

Pendant plus d’une heure, il sautait de car encar, parcourant la ville en tous sens, et il semblait prendrebeaucoup de plaisir à ces exercices hygiéniques.

Puis il se retrouvait toujours devant la portedu consulat britannique, montait, faisait passer sa carte, etrestait de longues heures à causer, à remuer des papiers, à prendreconnaissance de volumineuses lettres cachetées de rouge, et portantcette suscription :

LONDON – FOREIGN OFFICE – LONDON

Monsieur Bob Weld,

Consulat britannique,

Chicago

Ce jour-là, Bob Weld, le pseudo-touriste,venait de lire avec un plaisir évident son courrier secret duForeign Office.

Selon son geste familier, il se frottait lesmains, tandis que ses yeux, étrangement mobiles d’expression,pétillaient de satisfaction.

En face de lui, le consul anglais, un grandvieillard sec, l’avait laissé lire sans l’interrompre.

C’est que Bob Weld, détective de premièreclasse, était un véritable personnage.

– Enfin ! s’écria-t-il, voilà ce quej’appelle des ordres précis. Je commençais à désespérer.

Puis, au consul :

– J’ai mission de m’entendre avec vous ausujet de cet ingénieur français et du jeune homme qui l’accompagne,dont j’ai signalé la présence au gouvernement. Sans nul doute, cesont des espions.

– Vous croyez ? fit le consul.

– J’en suis sûr. J’habite en face d’euxdepuis qu’ils sont ici, et j’ai surveillé tous leurs mouvements.L’ingénieur Olivier Coronal est l’ami intime du savant Golbert,l’inventeur bien connu de la locomotive sous-marine et de NedHattison, fils de l’illustre Hattison.

En lui-même, il pensa : « Celui qui,sans me connaître, m’a employé pendant un mois comme ouvrierélectricien à ce laboratoire de guerre dont il croit que tout lemonde ignore l’existence. »

Mais le détective se garda bien de parler auconsul du secret qu’il avait surpris.

C’était une affaire particulière qui neregardait que lui, et le Foreign Office dont il suivait, à lalettre, les instructions détaillées.

Doué d’une perspicacité, d’un flairmerveilleux, d’une grande intelligence et d’un esprit fertile, enmême temps que d’une patience d’Oriental, sachant se faufilerpartout, surprendre les conversations, changer de costume et dephysionomie, parlant couramment sept ou huit langues, Bob Weldétait un des meilleurs agents politiques du cabinet de Londres.

Amené, par un véritable hasard, à découvrirMercury’s Park, à pouvoir donner à ses chefs des indicationsprécises sur ce qui s’y passait, il était devenu riche, par laseule divulgation de ce secret ignoré de toutes les nationseuropéennes.

Sa découverte avait été pour lui de l’or enbarres.

Ses appointements avaient été doublés ;et une note particulière du ministre l’avait chargé de suivrel’affaire pas à pas, l’assurant qu’on saurait reconnaître sesservices d’une façon encore plus généreuse.

C’est ce qui avait motivé son voyage en Europeà bord du London, où il fit connaissance de NedHattison.

Lorsqu’il avait constaté que le jeune homme,encore au service de son père, s’informait de toutes les inventionsmilitaires nouvelles, et surtout de la torpille terrestre, il enavait averti Olivier Coronal.

Mais ses plans avaient été déjoués.

Les deux hommes étaient devenus amis, en mêmetemps que Ned rompait violemment avec son père, et qu’il épousaitLucienne Golbert.

– Plus rien à faire de ce côté, s’étaitdit le détective.

L’espionnage d’Hattison père n’avait pas donnéde meilleurs résultats.

L’arrivée, à New York, des inventeurs, avaitrendu de l’espoir au policier.

Pour le moment, depuis trois mois qu’ilsétaient seuls à Chicago, Bob Weld était bien convaincu qu’OlivierCoronal et Léon Goupit espionnaient pour le compte du gouvernementfrançais.

C’était donc sur eux qu’il avait concentrétoute son attention, soupçonnant bien que si le hasard le servait(et il était bien décidé à lui prêter main-forte), il arriveraitcertainement à trouver la solution du problème qui le hantaitdepuis longtemps.

Et il se frottait les mains dans le cabinet duconsul anglais. C’est qu’en réponse à un très long rapport, ilvenait de recevoir pleins pouvoirs pour mener à bien sa missionsecrète, en même temps qu’une bonne provision de livressterling.

L’Angleterre, en effet, ne pouvait pas sedésintéresser de cette affaire.

C’eût été manquer à la politique, touted’astuce et de fourberie, qu’elle a toujours suivie.

En Extrême-Orient, en Égypte, au Soudan, rienne l’a rebutée dans sa tactique, dans son incessant accaparementdes territoires les plus riches.

Toujours prête à planter partout son drapeau,les territoires mal défendus semblent lui appartenir de droit.

La politique coloniale est son fort.

Dans cette Afrique merveilleuse et, quoi qu’onen dise presque inconnue, où des territoires plus grands que laFrance se jouent comme sur des coups de dés, diplomatiquement, sansque personne, autre qu’un ministre, en sache rien, elle a tentéd’unir, par le Haut-Nil, à ses possessions du Cap, l’Égypte, qu’aumépris de ses serments elle s’entête à occuper.

Mais là, comme ailleurs, la France lui barrela route, se pose en obstacle devant son envahissante ambition.

C’était donc, sans doute, une grande joie pourle Foreign Office, dont les protestations d’amitié à notre égardn’ont jamais convaincu personne, que cette occasion unique decontrecarrer, d’espionner eux-mêmes, les deux espions qu’on croyaitqu’étaient Olivier Coronal et Léon Goupit.

Bob Weld, à l’idée de cette bonne aubaine, sefrottait joyeusement les mains.

Avec ses précautions ordinaires pour dépisterquiconque pourrait le suivre, le détective réintégra son logementde la pension Robertson.

La chose lui paraissait bien claire.

Ignorant que jamais Ned n’avait confié àpersonne le vrai secret du formidable arsenal enfoui dans lesmontagnes Rocheuses, il raisonnait logiquement en pensant que sesdeux voisins de l’usine Strauss devaient le connaître aussi,puisque, pendant plus d’un an, ils avaient été les amis du jeuneingénieur et avaient même conservé des relations avec lui.

« Donc, se disait-il, ils ont entreprisla même tâche que moi, et même doivent être plus avancés que je nele suis, puisque Ned Hattison, passé à l’ennemi, c’est-à-dire,séparé de son père, n’a pas dû manquer de leur faciliter labesogne. »

Partie sur ces données, son imagination nes’arrêtait plus.

Il ruminait des plans, sans s’arrêter àaucun.

« C’est égal, pensait-il, quel bon tourje vais jouer au gouvernement français. Il ne se doute pas que sesespions sont espionnés eux-mêmes, et de magistralefaçon. »

Après d’incessantes combinaisons, Bob Weldavait arrêté un plan.

Plutôt ami que serviteur d’Olivier Coronal,Léon Goupit n’était guère chargé de besogne.

S’ennuyant à mourir, dans ce paysage decheminées et de hangars qu’était l’usine Strauss, il la délaissaitfort souvent pour aller, suivant une habitude de gavroche parisien,flâner le long des rues et des avenues, examiner les boutiques, etdévisager, sans le moindre respect, les honorables gentlemen.

Dans cette ville monstrueuse qu’est Chicago,tête de ligne de cinquante-deux chemins de fer, où une populationénorme s’affaire, se presse, se bouscule, pour ne pas perdre uneminute de ce temps qui est de l’or, le Bellevillois gouailleur, lesmains dans les poches, l’éternelle cigarette aux lèvres, n’avaitcertainement pas son pareil.

Là, le flâneur, à moins que ce ne soit unEuropéen, est une monstruosité.

Caché derrière ses persiennes, le locataire dela pension Robertson avait étudié les habitudes insoucieuses deLéon.

« C’est pour mieux donner le change,paraît-il ; mais ce n’est pas moi qu’on abuse, mon petitbonhomme. Nous verrons bien s’il n’y a pas moyen de lierconversation avec toi. »

Le détective ne craignait pas d’êtrereconnu.

Il avait à sa disposition une ample collectionde déguisements.

Un matin donc, endossant, à la place de soncomplet de touriste, une imposante redingote, la figure ornée derespectables favoris poivre et sel, coiffé d’un haut-de-forme,pimpant, souriant, la canne à pomme d’or à la main, Bob Weld avaitemboîté le pas au Bellevillois qui, sans se douter de rien, s’enallait comme à l’ordinaire, visiter la ville, en même temps quequelques bars qu’il honorait de sa clientèle.

Ce n’était pas que le Bellevillois fût univrogne.

Loin de là. Mais, absorbé par ses travaux,Olivier Coronal n’avait guère le temps de s’occuper de lui ;et, dame, une fois sa besogne faite, Léon ne résistait jamais auplaisir de se donner de l’air, comme il disait élégamment, pouraller retrouver quelques Français, entre autres un ancien camelotparisien, qui, pendant plus de dix ans, avait débité ses bonimentssur le boulevard des Italiens, et s’était échoué là, on ne saitcomment.

Un ancien avoué, qui avait exercé plus decinquante professions, depuis qu’il avait quitté la basoche, pourrouler sa bosse dans les quatre parties du monde, faisait le tiersà la manille, où, du reste, il gagnait presque toujours.

Entre ces deux hommes, le Bellevillois pouvaitparler un peu de Paris, de Belleville où s’était passée sonenfance, de Montmartre où, en compagnie du majordome Tom Punch, ilavait fait de si bonnes parties.

Cela le distrayait de l’existence monotonequ’il menait depuis que M. Golbert, Ned et sa femme étaientrepartis pour la France.

Il avait besoin de toute sa philosophieinsouciante, de toute sa verve railleuse, pour ne pas mourird’ennui.

Tout en cheminant derrière le Bellevillois,qui s’était déjà arrêté plusieurs fois pour gratifier d’uneépithète irrespectueuse autant que parisienne des gentlemenengoncés dans leurs faux cols, et raides comme des pantins, BobWeld attendait l’occasion de l’aborder.

Elle ne tarda pas à se présenter.

Au coin d’une rue, une tranchée avait étéouverte dans la chaussée, et, naturellement aucune corde, aucunepalissade n’en protégeait l’abord.

Un cycliste venait d’y tomber avec samachine.

Mais personne, autre que Léon, parmi lespassants, n’avait porté attention à cet accident.

Contusionné aux mains et au visage, lecycliste s’était relevé fort paisiblement, et était allé chercherun policeman pour lui faire constater les avaries de la bête auxfines pattes d’acier.

On n’en mettrait pas davantage, à l’avenir,des barrières aux tranchées.

Mais la compagnie, poursuivie, paierait uneindemnité.

Et tout le monde serait content.

C’est au moment où Léon contemplait cespectacle, que le détective du Foreign Office l’aborda, luidemandant son chemin.

– Est-ce que je sais moi, répondit leBellevillois. Si vous vous figurez que je connais cette sale ville,vous vous fourrez l’doigt dans l’œil jusqu’au coude. T’nez, v’là unbonhomme qui vous indiquera ça, fit-il en désignant un agent depolice, impassible sous son casque de cuir bouilli.

Cet arrangement ne faisait pas l’affaire deBob Weld qui s’empressa d’ajouter, en français, cettefois :

– Pardonnez-moi ; mais j’aurais dûvous parler en français, car il me semble que vous êtes deFrance ?… Parisien, peut-être même, par-dessus lemarché ?

Du coup, Léon s’était radouci.

– Bien sûr, que j’le suis, parisien, etde Belleville encore. À preuve que ma mère, à l’heure qu’il est,vend d’la fruiterie dans le faubourg du Temple.

C’était l’ordinaire profession de foi de Léon,lorsqu’on semblait mettre en doute son origine.

Le plus difficile était fait.

Avec son expérience des hommes, le policieravait vu tout de suite le faible de son interlocuteur.

Très adroitement, il continua la conversationsur Paris, montrant tout de suite qu’il le connaissait fort bien,proclamant sa beauté, ses agréments.

Tout de suite il mit Léon à son aise, enemployant lui-même, avec facilité, le vocabulaire spécial auxfaubourgs de la grande cité.

Bref, au bout d’un petit quart d’heure, larondeur amicale de ce gentleman à favoris, qui s’était donné commeun riche anglais voyageant pour son plaisir, avait tout à faitséduit le Bellevillois.

Il abandonna sans regrets, ce jour-là, sonhabituelle partie de manille, et se laissa, sans trop dedifficultés, séduire par la tentation d’un déjeuner, offert debonne grâce – « pour parler de Paris », avait dit BobWeld.

Au dessert, les vins généreux aidant, Léon etBob Weld étaient devenus d’excellents amis.

Sans en avoir l’air, le détective se fitrenseigner sur beaucoup de choses.

Mais il n’entrait pas dans son plan de fairedes questions maladroites qui auraient donné l’éveil à Léon.

Tout en parlant de ceci et de cela, de Paris,de New York, de la France, de l’Amérique, le Bellevillois,facilement enthousiaste, s’était écrié :

– Ben, c’que vous en avez d’la veine,vous, d’pouvoir aller, comme ça, ou qu’ça vous dit, dans les paysoù il y a des sauvages, et d’faire le tour du monde comme si qu’moij’f’rais l’tour de c’te sale ville de Chicago, ousqu’on s’ennuie,ma parole, que c’est rien de l’dire !

À cette seule pensée, Léon esquissait unformidable bâillement.

« Toi, je te tiens, se dit intérieurementle gentleman aux favoris. Ah ! tu t’ennuies ! Eh bien, jevais te proposer des distractions. »

Puis, tout haut, et d’un airdétaché :

– Ah ! vous aimez voyager ?interrogea-t-il.

– C’t’idée ! si j’aime àvoyager ! Seulement, y a pas moyen. J’crois pas qu’on r’tournede sitôt à Paris.

– Tenez, écoutez-moi, fit Bob Weld avecune bonhomie merveilleusement jouée, je vous assure que votreesprit, et vos manières me plaisent beaucoup. J’ai, du reste,toujours aimé les Parisiens. Puis, il y a des moments où jem’ennuie moi-même énormément. J’aurais besoin de quelqu’un pourm’accompagner dans mes voyages, prendre soin de mes affaires. Unhomme de confiance, pour tout dire. Si vous voulez, je vous offrecette place.

– Moi ! s’écria le Bellevilloisstupéfait. Ah ! ben, non. J’peux pas. J’ai mon maître, m’sieurOlivier. Y faut que j’reste ici.

– C’est dommage, se borna-t-il àdire ; car vous me plaisez beaucoup. Et puis, je ne regardepas à l’argent. Je vous aurais donné cent dollars par mois, en plusde votre entretien et de votre nourriture, bien entendu.

Et, voyant que Léon semblait influencé.

– Enfin, je ne pars que dans huit jours,ajouta-t-il. Vous réfléchirez, et vous me rendrez réponse.

Sur cette promesse, les deux hommes seséparèrent, après avoir échangé un cordial shake-hand.

Le gentleman aux favoris poivre et sel étaitcontent de sa journée.

– Tout va bien, murmura-t-il ens’acheminant vers le consulat britannique. En voilà un qui aimevoyager. Eh ! que diable ! il faut le satisfaire,d’autant plus que je ne perdrai certes pas mon temps, tout enfaisant plaisir à ce brave garçon. Sous ses allures insouciantes,il ne réussit pas à cacher le rôle qu’il est venu jouer ici, encompagnie d’Olivier Coronal.

Pour Bob Weld, il n’y avait pas de doutepossible : les deux hommes étaient des espions qui, sur lesindications de Ned Hattison, préparaient une vaste campagne pour lecompte du gouvernement français, relativement à Mercury’s Park.

Quel était le but de cette campagnemystérieuse ?

L’avenir le lui apprendrait.

Le plan du détective était bien arrêté.

Il avait, fort adroitement, insinué que sonprochain voyage aurait pour but les montagnes Rocheuses.

C’est bien ce qui décidera Léon Goupit à mesuivre, pensait-il. Il croira trouver des renseignements dans cetterégion.

Bob Weld allait tâcher de capter la confiancedu Bellevillois, de pénétrer dans ses secrets.

S’il le fallait, il userait de tous lesmoyens, même de la violence, pour connaître les pièces et lesdossiers cachés qu’il supposait être en sa possession.

Et tandis qu’il s’abandonnait à cette agréablepensée, l’agent du Foreign Office serrait involontairement lespoings, en même temps qu’un sourire cruel se jouait aux commissuresde ses lèvres pincées.

Pendant quatre jours, Léon ne parla pas à sonmaître de la soirée passée avec l’Anglais, ni des propositions quilui avaient été faites.

Au fond, il grillait d’envie de partir avec levieux gentleman.

Il avait beau se sermonner, se dire qu’OlivierCoronal avait toujours été bon pour lui, qu’il ne serait pas biende l’abandonner ainsi.

Son désir d’aventures l’emportait.

Le cinquième jour, il n’y tint plus.

C’est qu’aussi l’offre lui paraissait bienséduisante.

« Pour sûr, se disait-il, qu’on nerencontre pas toujours des English comme ça, qui vousproposent, de but en blanc, cent dollars par mois rien que pour lesaider à ne pas s’ennuyer. »

Et très simplement, il conta la chose à sonmaître.

– Mais y a encore rien d’fait, fit-il, siça vous ennuie. J’ai rendez-vous dans trois jours avec mon bonhommepour lui donner réponse.

Olivier Coronal prit la chose en riant.

– Je comprends très bien que tu t’ennuiesici, presque toujours seul, puisque mes travaux me prennent toutmon temps. Aussi, je ne veux pas m’opposer à ton départ. Maisj’espère bien que notre séparation ne sera pas définitive. Sais-tude quel côté t’emmène cet Anglais ?

– Oui, fit Léon. Du côté des montagnesRocheuses. Paraît qu’il a envie de visiter c’pays-là.

– Ah ! en tout cas, tu saurastoujours me retrouver ici. Je ne compte pas quitter Chicago avantplusieurs années. Puis, il faudra m’écrire, et surtout, si tu veuxme faire plaisir et conserver mon amitié, ne jamais parler àpersonne de ce que tu as pu voir ou entendre ici et chez nos amisles Golbert.

– Oh ! n’ayez pas peur, fit leBellevillois, je me couperais plutôt la langue.

L’ingénieur sourit.

– Oui, je sais que tu es un brave garçon,et je n’ai pas de craintes à ce sujet.

Les trois jours qui suivirent semblèrentinterminables à Léon.

Pourtant, comme tout arrive ici-bas, l’heuresonna de son rendez-vous avec son nouveau maître.

Bob Weld fut exact.

Il ne parut pas surpris de voir Léon accepterses offres.

En lui-même, il exultait.

Le lendemain, tous deux prenaient le trainjusqu’à Salt Lake City, capitale des mormons.

De là, ils gagneraient, à petites journées,sans se presser, les montagnes Rocheuses.

Le détective, qui jouait à merveille son rôlede touriste anglais, avait manifesté le désir de visiter ce pays endétail.

Si Léon avait pu lire dans la pensée de soncompagnon, et déchiffrer l’énigme de son regard perçant, il eût vuque ses véritables préoccupations n’avaient rien à voir avec labeauté des paysages.

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