La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 20La troisième enceinte de Mercury’s Park

Loin dediminuer la volonté d’Olivier Coronal, le spectacle de cetassassinat ne fit que l’exaspérer davantage, la rendre plusinébranlable.

Sa haine à l’égard d’Hattison augmentait dejour en jour, à mesure qu’autour de lui le jeune Français voyaits’avancer les travaux, s’augmenter le stock des canons à dynamite,des mitrailleuses automobiles, s’amonceler sous les hangars lesobus et les torpilles.

Il assista même aux essais d’uncanon-aérostat.

Dans les laboratoires de chimie, dans l’usineaux ballons dirigeables, la même activité régnait. Un ballon ànacelle explosible devait être lancé dans quelques jours.

« Et Skytown que je ne connais pas !se disait Olivier lorsqu’il voyait Hattison prendre place dans letrain de glissement qui y conduisait. »

L’impatience minait le jeune homme, enfiévraitson regard.

Bien souvent, il avait prémédité d’assassinerle père de Ned.

« Non, ce serait inutile,réfléchissait-il ensuite. William Boltyn et ses associés n’encontinueraient pas moins leur œuvre, et je perdrais tout espoir deme rendre utile, en même temps que tout le bénéfice de l’esclavageque je subis ici depuis bientôt un mois. »

Plus acharné au travail que jamais, Hattisonrestait plusieurs jours de suite enfermé dans son laboratoire.

Tout d’un coup, il cessa d’y allerrégulièrement, n’y fit plus que de courtes visites.

Ce fut une indication pour Olivier.

« Le moment est venu d’agir, se dit-il.Évidemment, Hattison a trouvé ce qu’il cherchait. À moi maintenantd’arriver derrière lui, et de sauver l’Europe de ses griffesd’acier. »

Comment pénétrer dans la troisièmeenceinte ?

L’entreprise était téméraire, hérissée dedifficultés. Mais le faux Jonathan Mills ne manquait pas d’énergie,ni d’imagination.

Son plan était arrêté depuis longtemps.

Il se mit à l’exécuter avec un sang-froidmathématique.

Tout d’abord il lui fallait savoir d’oùpartait le blocus électrique, ce premier obstacle à vaincre.

Ses fonctions de contremaître l’appelantsouvent d’une enceinte à l’autre, Olivier profita du peu de libertédont il jouissait.

Un soir, il épia Hattison, comme celui-ci serendait à son laboratoire en compagnie de son nègre muet Joë, unesinistre brute que ses cheveux blancs et ses gros yeux fixesrendaient hideux à voir.

Olivier avait déjà remarqué, mais sans yattacher d’importance, qu’au lieu d’aller directement à la poternede la troisième enceinte, l’inventeur, pour y arriver, faisait undétour et longeait la palissade établie en avant des murailles.

La question était de savoir comment Hattisons’y prenait pour pénétrer à l’intérieur, pour interrompre le blocusélectrique.

Rasant silencieusement les bâtiments,profitant des pans d’ombre Olivier Coronal suivait de loin les deuxhommes.

Dans sa poche, sa main étreignait un revolverde fort calibre.

Il les vit ouvrir une petite porte dissimuléedans la palissade, et la refermer sur eux. Y pénétrer à leur suite,il n’y fallait pas songer.

Étouffant le bruit de ses pas, le jeune hommese rapprocha.

À travers les interstices des planches, il putvoir le nègre se baisser, déplacer quelques pavés et mettre au jourune plaque circulaire de fonte semblable à celles qui protègentdans les villes l’accès des égouts ; puis, au moyen d’unanneau, la soulever.

À ce moment, l’émotion d’Olivier était à soncomble. Il manqua de tomber, et heurta du front la palissade.Heureusement, le bruit que faisait Joë ne permit pas à Hattisond’entendre le choc.

Le jeune Français avait eu quelques secondesd’angoisse. La sueur mouillait son front.

Il vit encore les deux hommes descendre par latrappe. Le bras vigoureux du nègre ramena la plaque de fonte à saplace.

Olivier entendit des pas qui s’enfonçaientsous le sol.

Il s’éloigna vivement, craignant d’êtresurpris.

Cette nuit-là, il ne dormit guère. Il étaittrop agité, trop ému de ce qu’il lui avait été donnéd’apercevoir.

Ce dont il était certain, c’est que, pour serendre à son laboratoire Hattison passait en dessous des muraillesde la troisième enceinte.

Le lendemain était un dimanche. Olivierrésolut d’en profiter.

Ce jour-là, pas plus que ses ouvriers, ledirecteur de Mercury’s Park ne travaillait.

Il ne risquerait pas d’être surprisimmédiatement, si toutefois il avait le bonheur de réussir àpénétrer dans le laboratoire.

Dès l’aurore, il fit ses préparatifs.

Il emporta ses chaussons et ses gants degutta-percha. Au milieu des dangers inconnus et des piègesélectriques qu’il fallait affronter, ces isolateurs lui étaientindispensables.

Il pensait que Hattison avait dû accumuler lesobstacles et les engins de défense. Sournoisement les déchargesélectriques devaient guetter, happer au passage, foudroyerl’imprudent.

Avec son trousseau de fausses clefs, salanterne sourde, il fit un petit paquet.

Il pensait avoir besoin de rester plusieursheures dans le laboratoire.

Il lui fallait le temps de se rendre compte dela nature des engins enfouis là par Hattison.

Qu’importait qu’on remarquât son absence auxusines ! Olivier comptait bien n’y jamais revenir, s’échapperau plus vite ; et, les documents en main, avertir legouvernement français du péril transatlantique.

La journée lui parut interminable. Le tempsétait couvert. La nuit s’annonçait opaque, sans étoiles.

Dans la fraîcheur du soir, quelques ingénieurscausaient entre eux.

– Nous allons bientôt avoir une visite,disait l’un. Voici la fin du mois. Ils sont même en retard.

– Ah ! oui, la délégation mensuelle.Quels sont les trois qui viendront, cette fois ?

– Moi, je parie pour le grand blond à nezd’oiseau de proie, fit son voisin.

– Fred Wikilson, le président de laSociété des aciéries américaines ?

– Peut-être bien.

– Et moi pour le gros lourdaud barbu,s’écria un autre ingénieur.

– Philipps Adam, le marchand de forêts,reprit le même qui avait déjà nommé Fred Wikilson.

– Je ne sais pas son nom.

– All right ! Je tiens,moi, pour celui dont la figure ressemble à une tomate tropmûre.

– Sips-Rothson ?

– Oui, Sips-Rothson, le distillateur quifabrique à lui seul plus de la moitié du gin que l’on boit chaqueannée dans l’Union.

– By God ! Vous êtes bienrenseigné, remarquèrent ensemble les parieurs.

Et, comme n’ayant sans doute rien de mieux àfaire, ses collègues continuaient très gravement leurs paris.

– Vous faites une besogne inutile.Personne ne gagnera.

– Pourquoi ?

– Expliquez-vous ! cria-t-on enchœur.

– Je ne devrais pas vous le dire, repritl’ingénieur qui avait l’air si bien renseigné. Il paraît que, cettefois, Hattison les a tous convoqués. De grandes expériences doiventavoir lieu dans la troisième enceinte.

Les dollars des parieurs rentrèrent dans leurspoches.

– Ah ! fit-on. Et quandcela ?

– Vous m’en demandez trop, par exemple.Un de ces jours. Ils viendront avec le train de William Boltyn.

Olivier Coronal en savait assez.

Il prit congé de ses collègues, et regagna sachambre.

– Je ne me suis pas trompé, pensait-il.Hattison vient de terminer son œuvre.

Il n’alluma pas sa lampe. Assis dans l’ombre,par la fenêtre entrouverte, il contempla Mercury’s Park, effrayantdans les ténèbres.

Olivier se croyait plongé dans un de ces rêvesoù des monstres terrifiants vous guettent avec leurs gros yeuxronds et phosphorescents.

C’était bien un monstre, en effet, que lacolossale cité d’acier assoupie dans l’ombre, qui se réveilleraitdemain avec les sifflements de ses innombrables machines, leronflement de ses dynamos et de ses générateurs.

Tachetée de mille feux violets, le jeune hommela reconstituait pièce à pièce ; et lorsque ses yeuxs’arrêtaient sur la troisième enceinte, il se sentait pris d’untremblement nerveux.

Neuf heures seulement venaient de sonner.

Il n’était point encore temps. Il fallaitattendre que tout le monde fût endormi, que les gardiens eussentfait leur dernière ronde.

Au moment d’affronter la mort, le souvenir demiss Aurora lui revenait avec persistance, et son cœur se mettait àbattre.

Olivier sentait se déchirer quelque chose enlui, à l’idée que jamais il ne la reverrait, si troublante avec sesgrands yeux d’émeraude, ses lourdes tresses blondes, toute sabeauté, sauvage un peu, ses lèvres comme saignantes dans lablancheur liliale de son teint.

Il se rappelait leur dernière rencontre, cebal où il l’avait tenue dans ses bras, grisée, et l’éclair humidede son regard, et le frémissement de sa jeune poitrine de viergeorgueilleuse, vaincue par l’amour.

Le jeune homme souffrait atrocement.

Que venait faire en lui ce souvenir, au momentoù il ne s’agissait plus que du salut de la patrie et del’humanité.

Allait-il défaillir au momentsuprême ?

Allait-il abandonner la lutte ?

– Non, s’écria-t-il avec violence. Je nedois pas me souvenir.

Et, profitant de son exaltation,fiévreusement, Olivier Coronal prit à la main sa lanterne sourde,mit le paquet qu’il avait préparé sous son bras, et se glissaau-dehors.

Il emportait avec lui toute sa fortune, ce quilui restait des dix mille dollars gagnés à Chicago chez l’ingénieurStrauss.

La fraîcheur de la nuit le calma un peu. D’unpas ferme, évitant toutefois le plus qu’il le pouvait lesprojections lumineuses des phares, il se dirigea vers le cottaged’Hattison. Il importait tout d’abord de savoir si le directeur desusines était bien chez lui.

Après un trajet de quelques minutes, tremblanttoujours d’être arrêté par une main, un piège invisibles, Olivieraperçut les vitres de la maisonnette, derrière lesquelles tremblaitune lumière.

Il rebroussa chemin, et cette fois se dirigeavers la troisième enceinte.

Pas un astre ne brillait dans le firmament.Olivier ne voyait pas à deux mètres devant lui ; et pourtantil n’osait allumer sa lanterne sourde.

Pendant plus d’un quart d’heure, il marchasans s’arrêter, dans la ville endormie, sans perdre de vue le fanalqui, là-bas, brillait au-dessus du laboratoire.

Parfois, croyant entendre marcher derrièrelui, il s’arrêtait, blotti dans un angle de muraille, prêt à tirerde sa poche le poignard effilé qu’il tenait tout ouvert dans samain. Rassuré par le silence absolu, il reprenait sa marche.

Il atteignit enfin les palissades ; etpeu après, la petite porte secrète.

Elle n’opposa pas beaucoup de résistance auxcrochets.

Même, lorsque Olivier l’eut refermée, il nerestait aucune trace d’effraction.

Il n’eut pas non plus de peine à trouverl’entrée du passage souterrain.

La plaque de fonte était à nu.

Mais, pour la soulever, il lui fallut fairedes efforts surhumains.

Dans la nuit, le bruit qu’il faisait serépercutait en échos.

Au-dessus des bâtiments des usines et destourelles, projetant leur ombre en longs pans striés de lumièreélectrique, les poteaux télégraphiques prenaient des alluressinistres de gibet.

Les tempes de l’audacieux Français battaient.Ses nerfs tendus donnaient à son visage une expression fiévreuse etbouleversée.

Seulement alors il se décida à allumer salanterne pour pénétrer dans le souterrain. Il la posa sur lapremière marche de l’escalier de fer qui s’enfonçait sous lesmurailles de l’enceinte.

Puis, par-dessus ses mains, il mit les gantsde gutta-percha, chaussa les bottes de même substance, s’engagea àmi-corps dans la trappe, et se mit en devoir de replacer la plaquede fonte.

Elle lui échappa, et retomba avec un bruitformidable, ébranlant les marches de l’escalier.

« Ce bruit insolite ne va-t-il pas donnerl’éveil ? se demandait-il avec angoisse. »

Pendant plus d’un quart d’heure, l’oreillecollée à la trappe, il attendit. Mais, aucun pas ne se faisaitentendre.

Résolument, Olivier Coronal s’engagea dans lepassage souterrain.

L’escalier n’avait qu’une vingtaine demarches. Une voûte humide le continuait.

Les souliers de gutta-percha amortissaient lebruit des pas du jeune homme. Il glissait plutôt qu’il ne marchait,évitant soigneusement de toucher les murailles, dans lesquellespouvaient être dissimulés des appareils avertisseurs, ou depuissants courants électriques.

La lanterne sourde ne laissait passer qu’unmince fil de lumière.

Silencieux, à cause de ses chaussonsisolateurs, Olivier se donnait à lui-même l’impression d’un fantômerôdant dans on ne savait quelles catacombes.

La voûte souterraine allait en serétrécissant.

Une porte massive finit par arrêter le jeunehomme dans sa marche.

Il l’examina. Aucune trace de gondsn’apparaissait non plus que de serrures. Elle semblait devoirglisser dans des rainures verticales.

D’une poussée, il eut vite reconnu que jamaisil ne parviendrait à vaincre cet obstacle. Soudain, un cadran luiapparut dans un angle de la muraille.

« À quoi peut-il bien servir, se dit-il,sinon à ouvrir cette porte ? »

Sans ordre apparent, les lettres de l’alphabetétaient disposées autour du cercle d’émail, au centre duquel unpivot faisait mouvoir deux aiguilles.

La difficulté n’était pas vaincue. Loin de là.Sans doute, pour faire jouer le mécanisme, il fallait reproduire unnom secret avec les caractères du cadran, en amenant les aiguillesl’une après l’autre sur les lettres qui le composaient.

Olivier connaissait bien ce genre d’appareils.Il en avait souvent fabriqué de semblables.

« Je puis passer des journées entières,se disait-il, avant de trouver le mot qui ouvrira la porte… Etpuis, ce n’est peut-être qu’un piège… Hattison est assez ingénieuxpour avoir fait communiquer ces aiguilles avec des accumulateursélectriques. »

La lanterne posée sur le sol, ilréfléchissait.

– Qu’importe ? finit-il pars’écrier. J’irai jusqu’au bout. Je tenterai ce dernier effort.

Les aiguilles tournaient toujours. Il ensaisit une, et lui fit accomplir la moitié de sa révolution.

– Qui sait ? C’est peut-être lepropre nom d’Hattison ! fit-il. Essayons.

Il fut vite détrompé.

– Boltyn, alors ? s’écria-t-il, prisd’une sorte de rage.

Même insuccès. Il commençait à désespérer,lorsque, tout à coup, une idée de génie traversa son cerveau. Surle cadran, une des aiguille marquait : A, l’autre :U…

– Aurora !…

Ce nom s’échappa de ses lèvres dans une sortede divination.

Fiévreusement, il manœuvra les aiguilles…Successivement il les fit glisser aux lettres : R. O. R. Sesdoigts tremblaient d’émotion. Au moment précis où l’A finals’indiqua sur le cadran, un déclenchement se produisit. La portemassive glissa dans ses rainures. L’entrée de la troisième enceinteétait libre !

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