La Conspiration des milliardaires – Tome III – Le Régiment des hypnotiseurs

Chapitre 22Divorce et départ

Labrouille entre Olivier et Aurora durait toujours, sournoisemententretenue par les insinuations de William Boltyn, tout heureuxd’avoir reconquis sa fille.

Cependant la jeune femme, quoique troporgueilleuse pour faire les premiers pas, demeurait mortellementtriste.

Elle souffrait beaucoup dans son affectionpour Olivier.

Malgré toutes les distractions que son pèrecherchait à lui procurer, elle était retombée dans cet état despleen dont elle avait tant souffert quelque temps avant sonmariage.

Olivier, bien que vivement blessé par ledépart de sa femme, avait supporté mieux qu’elle ce choc moral. Ilavait trouvé un remède dans un travail acharné.

Outre le perfectionnement des appareils detélégraphie à distance dont il s’occupait toujours, il s’adonnaitmaintenant, lui aussi, à l’étude des sciences psychiques.

– Pourquoi, se disait-il, n’essaierais-jepas de défricher ce coin dédaigné du domaine de lascience ?

Il avait écrit, pour exposer ses projets etraconter les derniers événements qui s’étaient produits, une longuelettre à l’inventeur du chemin de fer subatlantique, le vénérableArsène Golbert.

Au fond, il s’ennuyait beaucoup.

Ses amis de France lui manquaient.

L’Amérique et les mœurs américaines luiétaient devenues absolument odieuses.

De plus, il éprouvait un agacement biencompréhensible du voisinage d’Aurora.

Chaque jour il était exposé à la rencontrer, àcroiser son autocar, à voir s’arrêter sur lui son regard chargé dehaine.

La jeune femme, qui souffrait encore plus quelui de cette situation, se décida à tenter une démarche.

Elle fit mander, chez son père, l’ingénieurStrauss, et le pria de négocier sa réconciliation avec Olivier.

Le vieux savant, qui aimait le jeune hommepresque comme un fils, accepta cette mission avec joie.

Olivier demanda vingt-quatre heures pourréfléchir.

Au bout de ce temps, il fit parvenir à Aurora,par l’ingénieur Strauss, la lettre suivante :

Madame,

Je vous ai aimée et je vous aime encoresincèrement. J’avais fondé loyalement sur notre union tout monespoir de bonheur pour l’avenir, et je vous dois les seules heuresde tendresse, les seules joies d’amour que j’aie jamaisgoûtées.

Pourquoi faut-il que des questions derace, de fortune, d’éducation, élèvent entre nous des barrièresinfranchissables ! Vous êtes riche et je suis pauvre. Vousêtes fastueuse et je suis simple. Vous êtes américaine et je suiseuropéen. Autant d’abîmes entre nous.

Après la scène qui a eu lieu entre nous,après les reproches et les paroles sanglantes que vous m’avezdites, je suis d’avis – quoiqu’il m’en coûte de prendre unepareille décision – que toute nouvelle tentative de vie communeentre nous est impossible.

Il vaut mieux nous séparer. L’un près del’autre, nous souffrirons mutuellement, sans pouvoir arriver jamaisà nous entendre.

Malgré toute votre bonne volonté, malgrétoute la mienne, il y a des mots que nous n’oublierons pas. Et jesens que je n’arriverai jamais à modifier votre caractère.

Une autre raison, plus grave que toutesles autres, m’empêche d’entrer en arrangement, me force de fuirtoute conciliation. Vous êtes dominée par l’influence de votre pèrede telle façon que je trouve toujours son image ou ses idées entrenous deux.

Voilà la grande raison de notreséparation.

Je vais sans doute regagner la France. Cesera avec l’impérissable regret de vous avoir aimée sans avoirréussi à me faire assez aimer de vous pour obtenir votre entièreconfiance, le total abandon de vos préjugés de race etd’éducation.

Permettez-moi de vous le rappeler, jen’oublierai jamais que je vous dois la vie et je vous en garde uneprofonde reconnaissance. Vous n’avez eu que le tort de m’en faireressouvenir un peu trop cruellement.

Soyez heureuse. Refaites-vous un intérieurplus conforme à vos goûts, à vos aspirations. Vous me saurez gréplus tard de n’avoir pas profité de vos avances, de vous avoirrendu votre entière liberté. Je ne veux garder pour moi qu’unsouvenir et l’impossibilité d’être heureux désormais.

Aurora fondit en larmes lorsqu’elle eut prisconnaissance de cette lettre. Pendant plusieurs heures, elle restaplongée dans une affliction sincère.

Son cœur saignait.

Elle sentait que quelque chose d’irréparablevenait de s’accomplir. L’avenir lui apparaissait sous les funèbrescouleurs du spleen et de la mélancolie.

Elle connaissait assez Olivier pour savoirqu’il ne reviendrait pas sur sa décision. Tout bas, elle sereprochait sa dureté et son manque de délicatesse.

Elle repoussa violemment son père quis’empressait pour la consoler.

– Laissez-moi, fit-elle. Si je souffre,c’est bien de votre faute. Je n’ai pas su résister à votreinfluence, repousser vos conseils. C’est pour cela qu’Olivier nem’aime plus.

Son désespoir, ses crises de nerfs, où elle setordait les mains, où ses yeux prenaient tout à coup une fixitéétrange, épouvantaient William Boltyn.

Le milliardaire, lorsqu’il voyait souffrir safille, eût donné tout ce qu’il possédait pour l’arracher à sadouleur et pour la voir sourire.

– Mais, dis-moi ce que tu veux. Quefaut-il que je fasse ? finit-il par lui dire avec un accent detendresse poignante qu’on n’eût pas soupçonnée chez cet homme duret égoïste… Va le retrouver ! Laisse-moi seul !… Toutplutôt que de te voir souffrir de la sorte.

– Non, mon père, fit Aurora. Même dansces conditions il ne voudrait pas de moi. Il est trop orgueilleuxpour revenir sur ses paroles.

Le regard de la jeune femme était devenu toutà coup dur et volontaire.

Encore humides de pleurs, ses prunellesprenaient un éclat dur, son visage une expression farouche etpresque sauvage.

– Croit-il donc que je vais m’humilier denouveau ? s’écria-t-elle. Il demande la rançon de sa victoire.Eh bien, il ne l’aura pas. Moi aussi je suis orgueilleuse. J’enmourrai peut-être, mais je ne céderai pas.

Malgré les conseils de l’ingénieur Strauss,profondément affligé du peu de succès qu’avait eu son intervention,Aurora remplit les formalités du divorce, formalités qui sontextrêmement simples en Amérique.

Du moment où les conjoints sont d’accord pourse séparer, le magistrat les désunit le plus rapidement du monde,avec la même désinvolture qu’il avait apportée à les unir.

Olivier n’avait pas attendu cet événement pourpréparer son départ.

Confiant ses intérêts à un sollicitordont l’ingénieur Strauss lui promit de surveiller les agissements,il avait renvoyé à Aurora tout ce qui lui appartenait.

Ce ne fut pas sans chagrin qu’il quitta sonami Strauss, en lui promettant de venir le revoir avant qu’uneannée se fût écoulée.

Ce dernier eut autant de peine que lui decette séparation.

Il avait pour le jeune ingénieur autantd’amitié que d’estime.

Il voulut l’accompagner jusqu’à la gare, et neput dissimuler son émotion, lorsque Olivier eut pris place dans lewagon-salon qui l’emportait à New York.

Chose étrange, mais explicable, lorsque lalocomotive eut sifflé et que le train s’ébranla, Olivier eut lesentiment d’un immense soulagement. Il lui sembla qu’on retirait dedessus ses épaules un manteau de plomb.

Il en avait donc fini avec l’Amérique et lesAméricains ; il était donc enfin en route pour l’Europe.

Il éprouvait une grande joie à la pensée delaisser derrière lui tous ces gens de chiffre et d’or.

Il connaissait en partie leurs projets ;il allait pouvoir maintenant lutter avec eux sans contrainte.

Jamais il ne s’était senti plus lucide, plusintelligent et mieux armé pour le combat.

Il avait la sensation d’un véritablerajeunissement de tout son être lorsqu’il débarqua à New York. Ilse sentait des envies de faire des farces aux graves businessmenqui passaient au petit trot dans la crotte des rues. Il auraitvoulu décorer leurs dos d’inscriptions ridicules tracées d’une mainlégère.

Il fit des visites, lut des journaux, écrivitdes lettres, le tout avec un contentement intérieur qu’il avaitrarement goûté.

Il prit place sur le paquebot avec la mêmeallégresse, liant conversation sur le pont avec tous lescompatriotes qu’il apercevait, au risque de se faire passer pour unbavard ou un homme mal éduqué.

De même que Léon, il vit disparaître les côtesde l’Amérique avec un inexprimable sentiment de satisfaction.

Il revenait en Europe !…

 

À quelques jours de là, un cortège degentlemen, mis avec une élégance un peu prétentieuse, comme le fontles Yankees lorsqu’ils veulent afficher leur bien-être et leurrespectabilité, quittait le palais de Harry Madge, et prenait placedans un vaste omnibus qui se dirigeait vers Chicago.

William Boltyn et sa fille n’eussent certespas reconnu, dans ces gentlemen corrects et guindés, les médiums,dont l’accoutrement bizarre et les figures étranges avaient excitéleurs railleries quelques mois auparavant.

Aurora et son père, du reste, n’étaient pas làpour assister au départ des hypnotiseurs.

La jeune femme s’ennuyait mortellement.

Des idées de suicide la hantaient. Pour ladistraire, pour essayer de lui faire oublier son chagrin, Boltynl’avait décidée à voyager.

Ils étaient partis tous deux à bord de leuryacht ; et lorsque l’omnibus passa devant l’hôtel Boltyn,Harry Madge ne put s’empêcher de remarquer l’air de tristesse etd’abandon de la vaste et luxueuse demeure dont toutes les fenêtresétaient closes.

L’omnibus traversa Chicago, et ne fit haltequ’à la gare de l’« Atlantic Railway ».

Un train spécial attendait leshypnotiseurs.

Ils étaient là une cinquantaine de médiums,tous yankees, choisis parmi les plus intelligents et les mieuxdoués.

Les deux frères Altidor étaient parvenus à desrésultats vraiment étonnants.

Nulle part ailleurs on n’eût trouvé un pareilbataillon de liseurs de pensée.

Harry Madge, il est vrai, n’avait épargné niles dollars ni les promesses. La Société des milliardaires pouvaitcompter sur le dévouement et l’activité de ses agents secrets.

Pour mieux donner le change sur le véritablebut du voyage, le spirite avait imaginé de les faire passer pourles membres d’une société artistique allant faire une tournée enEurope.

Sous le couvert de ce titre, ils passeraientinaperçus.

D’un commun accord, les milliardaires avaientdécidé que les hypnotiseurs choisiraient tout d’abord la Francecomme premier théâtre de leurs opérations.

Ils exerceraient leurs facultés de lecture àdistance sur les arsenaux, les forts, les ministères, et lesateliers, surprendraient le secret des inventions nouvelles ;en un mot réuniraient tous les renseignements nécessaires sur lesressources du pays en cas de guerre.

Quelques mois plus tard, le Collège dessciences psychiques serait en état de fournir un nouveau contingentde médiums qu’on dirigerait sur l’Allemagne, l’Angleterre, laRussie et les autres États européens.

Ce n’était là que la première partie duprogramme que s’étaient tracé les milliardaires.

Ils voulaient, avant d’entamer la lutte,connaître la force des adversaires.

Immobile sur le quai de la gare, les brascroisés sur sa poitrine, Harry Madge avait en face de lui les deuxfrères yankees Smith et Jonas Altidor.

Les regards de ces trois hommes secroisaient.

Le vieux spirite, bien qu’il ne prononçât pasune parole, donnait ses dernières instructions aux directeurs de lapetite caravane.

Ils communiquaient entre eux télépathiquement,et leur allure, comme extasiée, ne laissait pas que d’intriguerfortement les employés de la gare qui passaient à côté d’eux,roulant des chariots chargés de bagages.

Un énigmatique sourire éclairait le visage dumilliardaire spirite, et ses yeux, effrayants de fixité,s’animaient de lueurs étranges.

Il semblait savourer d’avance la joie duprochain triomphe.

Quelques minutes après, le train s’ébranladans la direction de New York.

Le régiment des hypnotiseurs allait fondre surl’Europe sans défense.

La lutte allait s’engager de nouveau entre lesdeux continents.

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