La Conspiration des milliardaires – Tome III – Le Régiment des hypnotiseurs

Chapitre 11Le chef de gare philosophe

Enquittant sa maisonnette de Skytown, Léon Goupit s’était enfoncédans les bois dans la direction du nord.

Il avait bien pensé tout d’abord à gagnerOttega, mais il avait vite rejeté cette idée.

« C’est pas la peine de m’exposer à mefaire mettre la main dessus par un détective, s’était-il dit. J’aide bonnes jambes. Il est beaucoup plus prudent de faire le chemin àpied. »

Pour plus de sûreté, il ne prit point lagrande route, celle que suivaient les voitures publiques.

Connaissant admirablement les environs deSkytown qu’il avait maintes fois parcourus le fusil en bandoulière,Léon suivit des sentiers qui serpentaient à travers lesfourrés.

– Tiens ! s’écria-t-il tout à coup,mais si j’allais rechercher mon rifle et mon carnier que j’aidéposés au pied des sapins pour monter dans le dirigeable ! Jeserais bien bête de les abandonner, d’autant plus qu’ils pourrontme servir à l’occasion.

Il eut vite fait de s’orienter, de retrouverla trace de ses pas sur la neige.

En moins d’une heure il gagna la clairièredans laquelle l’aérostat lui était apparu.

Malgré ses préoccupations, le souvenir de sonascension le fit sourire.

– C’est égal, fit-il, celui qui m’auraitdit que tant d’événements se passeraient, quand la curiosité m’afait grimper dans l’Hattison !… Ce que c’est tout demême que le hasard !

Et Léon, s’arrêtant quelques minutes, se prità réfléchir.

Les catastrophes s’étaient succédé avec unetelle rapidité, un tel enchaînement quasi miraculeux, que le jeunehomme n’avait pas encore eu le temps de se reprendre, d’examiner saconscience.

Lorsqu’il avait entendu le corps de Hattisonrebondir de roc en roc, un soupir de soulagement avait gonflé sapoitrine, une immense satisfaction s’était emparée de lui.

Lorsqu’il avait vu l’incendie s’allumer auxquatre coins de Skytown, les cheminées s’écrouler avec fracas, lesapprovisionnements de dynamite faire explosion avec un bruit detonnerre, il n’avait pu maîtriser sa satisfaction. Malheureusementl’acte qu’il avait accompli avait causé, indirectement, il estvrai, la mort d’un grand nombre d’hommes.

D’une nature honnête et loyale, Léon souffraità l’idée qu’il était maintenant un meurtrier.

La joie qu’il avait de voir détruire la villeinfernale des milliardaires eût été plus complète si sa consciencene lui avait pas reproché la mort des travailleurs des usines.

« Pourtant, comment fallait-ilfaire ? se disait-il. Pouvais-je laisser Hattison entasser lesengins de destruction à Skytown ? Mais dans quelques années,dans quelques mois peut-être, c’eût été l’Europe tout entière qu’onaurait égorgée ! Mieux vaut encore que quelques personnesaient péri, plutôt que les millions d’hommes dont le sang auraitcoulé dans les tueries prochaines. Et je puis me dire que j’ai faitquelque chose pour le salut de l’humanité, puisque je l’aidébarrassée d’un Hattison !

« Ah ! oui, la science, continuaitLéon, elle est bonne ou mauvaise, utile ou néfaste, selon les mainsqui l’emploient ! Mon ancien maître, Olivier Coronal, c’est unsavant lui aussi, mais il n’a pour but que de rendre les hommesplus heureux. S’il fait des découvertes, s’il réalise desinventions, c’est parce qu’il a l’espoir que le bonheur universels’augmentera d’autant.

« Tandis que cet Hattison, qui n’a jamaisrêvé que de meurtres et de carnages, dont toute l’intelligences’est concentrée vers un seul but de destruction, n’est, malgrétoute sa science, qu’un de ces génies malfaisants dont l’humanitén’a que faire. Je n’ai pas à me reprocher de l’avoirtué. »

Léon Goupit s’exaltait lui-même.

Son imagination s’échauffait.

Il se morigéna d’oublier par trop lesnécessités de l’heure présente.

Son rifle, son carnier étaient toujours à lamême place, au pied d’un sapin.

Tout autour de l’arbre, la neige avait étépiétinée.

De nombreux os jonchaient le sol.

Léon s’expliqua ce qui s’était produit.

Des loups, ou peut-être tout simplement desrenards, étaient venus dévorer le gibier qu’il avait abandonné.

– Oh ! fit-il en voyant que sacartouchière était intacte ; cela m’est égal, j’ai de quoituer d’autres pièces.

Il se chargea du carnier, dans lequel il plaçales provisions qu’il avait prises en partant.

Son plaid en bandoulière, son rifle surl’épaule, il reprit hâtivement sa marche.

Le paysage du sous-bois était imposant.

Chargés de neige, les chênes gigantesques, lessapins altiers, les bouleaux sanguinolents avaient un aspectféerique avec les mille scintillantes stalactites qui pendaient àleurs branches.

Le sol disparaissait sous un blanc tapis deneige.

Seulement, çà et là, quelques souches,quelques racines émergeaient.

Entre les arbres qu’elles festonnaient, leslianes, avec leur enchevêtrement compliqué, donnaient l’illusion deportraits fantastiques.

Le silence était profond.

Léon n’entendait d’autre bruit que celui de laneige durcie craquant sous ses pas, ou bien, dans le lointain, lescris rauquement modulés de corbeaux se répondant à tour derôle.

Léon marcha toute la journée du lendemain.

Il lui tardait d’être loin de Skytown.

Pourtant, il ne pouvait s’avancer qu’aveclenteur.

Le soir venu, il n’avait encore rencontrépersonne.

Dans une clairière qu’il choisit abritée duvent, il s’arrêta un peu avant la nuit, gratta la neige sur unespace de plusieurs pieds carrés, et alluma tout d’abord un feu debranches sèches.

Le combustible ne manquait pas.

Il en réunit plusieurs brassées, pour n’avoirpas à se déranger, amoncela le plus qu’il put de feuilles mortes,et tous ces préparatifs terminés, se mit en devoir de souper. Sonfeu pétillait.

Très expérimenté dans les choses de la vieerrante, Léon l’avait établi sur deux grosses pierres qu’il avaittrouvées près de là.

Il ne craignait pas de l’alimenterlargement.

En plus de la chaleur qu’il lui procureraitpendant son sommeil, le foyer incandescent éloignerait les bêtesfauves qui pullulent dans la forêt.

Son repas de viande froide terminé, Léonl’arrosa d’une gorgée de vieux whisky, dont il avait pris laprécaution d’emporter une fiole.

Il chargea son brasier de toute la provisionde bois qu’il avait ramassée, s’enroula dans son plaid et, lespieds au feu, s’endormit bientôt profondément.

Le lendemain, le froid vif du matin vintréveiller Léon, et le rendre brusquement au sentiment de sasituation.

Son feu était presque éteint, ses provisionsseraient terminées le soir ; il n’avait donc qu’une chose àfaire, c’était de continuer à marcher, le plus vite possible.

En évitant les gros villages et les routesfréquentées, il avait calculé qu’il lui faudrait au moins quatrejours avant d’atteindre une station de chemin de fer.

Une fois en wagon, il pourrait à peu près seconsidérer comme sauvé.

Les Yankees, en voyage, sont peu curieux. Ils’installerait dans quelque coin, et passerait certainementinaperçu.

D’ailleurs, Léon avait abandonné son projetprimitif, et avait résolu d’éviter New York, ville trop surveillée,et où les voyageurs en partance pour l’Europe, par les grandspaquebots, sont soigneusement examinés.

Il jugeait plus prudent de se rendre au Canadapar le chemin de fer, ou même par le bateau, en suivant la régiondes Grands Lacs.

Du Canada, où sa connaissance du français luiserait d’un grand secours, il lui serait facile de s’embarquer pourLe Havre, avant que les soupçons ne fussent portés sur lui.

Quant à Betty, qui devait l’attendre à NewYork, il s’arrangerait pour la faire prévenir par quelqu’un desnombreux amis qu’il avait laissés dans cette ville, lors de sonpremier séjour.

Il écrirait, par exemple, à la brave dame chezqui il avait pris pension avec l’ingénieur Golbert et sa famille,et chez laquelle il avait recommandé à Betty de descendre.

En somme, Léon était assez rassuré surl’avenir.

Sa conduite à Skytown était difficile àincriminer, puisque personne ne l’avait vu que Joë, qui étaitmort.

Il s’était dit qu’il pourrait toujours excusersa fuite inopinée en prétextant la ruine des usines, la mort ou ledépart des ouvriers, l’anéantissement de son commerce.

Léon se dirigeait, sans trop de peine, àtravers d’épais massifs de cèdres, de mélèzes et de cyprès, parmilesquels il eût été impossible à un civilisé de reconnaître saroute.

C’est que Léon avait appris, dans ses chasses,l’art des coureurs des bois et des Peaux-Rouges pour s’orienter, enpleine forêt, à l’aide d’indices presque imperceptibles.

Il distinguait de loin les essences d’arbres,saules, trembles, ou osiers des prairies, qui indiquent levoisinage d’une source.

Le vent et le soleil lui donnaient ladirection générale ; et il était sûr, à quelques kilomètresprès, de ne pas s’écarter de sa route.

L’après-midi de ce jour-là, Léon tua, dans unsapin, un couple d’écureuils gris.

Ces animaux, presque exclusivement nourris denoisettes, de graines et de fruits sauvages sont d’une chairdélicieuse et parfumée.

C’est un gibier de haut goût.

Léon les fit cuire à la flamme d’un feu debroussailles et s’en régala.

Vers le soir, il arriva proche d’une de cesscieries que l’on rencontre dans toutes les forêts américaines.

Celle-là était peu considérable. Une dizained’hommes, presque tous allemands ou belges d’origine, l’avaientconstruite d’une façon tout à fait sommaire, à cheval sur le coursd’une petite rivière.

Léon souhaita le bonsoir à celui quiparaissait être le patron de l’établissement, et lui demanda lapermission de coucher dans un de ses hangars.

– Mais volontiers, fit l’homme avec ungros rire. Et vous mangerez la soupe avec nous, savez-vous.

– Vous, s’écria Léon, vous êtesbelge !

L’homme, un grand blond aux yeux de faïence,au sourire enfantin, paraissait tout ébahi de la perspicacité deLéon.

– Mais ce n’est pas malin, réponditcelui-ci à son interrogation muette. C’est comme si vous vous étiezaperçu que j’étais français. Rien n’est si facile à voir. Votre« Savez-vous » m’a tout de suite révélé votrenationalité.

La soirée se passa, dans la grande cuisine dela scierie, à boire de la bière à la santé de l’Europe absente.

Un grand feu de copeaux dont la flamme viveilluminait la pièce, les bons visages naïfs et les pipes enporcelaine de ses compagnons rappelaient à Léon les soirées de samaisonnette de Skytown ; et il était véritablementheureux.

Le lendemain matin, après avoir serré la mainde ces amis qu’il ne devait sans doute jamais revoir, il partit,s’étant fait indiquer la route qu’il avait à suivre ce jour-là.

Le paysage était devenu plus âpre.

À la forêt d’arbres géants, aussi mystérieusequ’une cathédrale gothique, avaient succédé des collinespierreuses, couronnées de lambrusques et d’autres arbustesépineux.

Ce matin-là, Léon eut la chance de tirer unsuperbe dindon sauvage, qu’il offrit le soir à des fermiers chezqui il coucha.

Léon avait tout à fait pris son parti de sonvoyage à travers les solitudes.

Sans l’inquiétude où il se trouvait au sujetde sa femme, il aurait presque oublié sa situation critique et ledanger, peut-être imminent, qu’il courait, d’être pendu haut etcourt.

Il s’enivrait de grand air.

La beauté des sites, le parfum puissant desherbes et des buissons le pénétraient d’un sentiment nouveau.

Il admirait naïvement, en homme qui s’enaperçoit pour la première fois, toutes les magnificences de lanature.

« C’est tout de même épatant ! sedisait-il. Je n’aurais pas ma femme et mes bons amis de Paris,m’sieur Olivier, ma pauv’ maman, mam’ Lucienne, Tom Punch et lesautres, que je deviendrais un vieux coureur des bois comme leBas-de-Cuir ou l’Œil-de-Faucon !… Sans compter que çaépaterait rudement les amis de Belleville ! Ça serait pluschic un peu que leurs sociétés de gymnastique. »

Comme on le voit, le jeune homme, avec sonétourderie naïve et son tempérament jovial, ne ressemblait que fortpeu au sombre criminel traqué par la police de tout un continent,que dépeignaient les journaux de l’Union.

Plusieurs jours se passèrent ainsi.

Chassant, marchant, couchant, suivantl’occasion, en plein bois ou dans quelque métairie, Léon continuaitsa route dans la plus parfaite allégresse. Il parvint enfin prèsd’une ligne de chemin de fer.

Après avoir suivi quelque temps les rails quis’allongeaient à travers la plaine, sans être protégés par aucunebarrière, par aucun treillage, il arriva près d’une chétivebâtisse, construite entièrement en bois et qui était une gare, peuimportante à en juger par son apparence et où les grands rapides nedevaient guère s’arrêter.

« Voilà une bicoque, pensa-t-il, qui nedoit sans doute servir qu’à embarquer du bois de construction oudes sacs de minerai. Ce doit être une gare de marchandises. Je vaistoujours me renseigner auprès de l’employé. »

Ce fonctionnaire, qui devait certainementposséder toutes les vertus d’un ermite, car le bourg le plus procheétait à dix milles de là, était un petit vieillard replet, auxfavoris poivre et sel, à l’œil malicieux et qui passait la plusgrande partie de son temps à la chasse.

La gare, dont il était le principal etl’unique employé, avait été construite autrefois à l’occasion del’abattage d’une forêt.

Elle ne servait plus que rarementmaintenant ; et le bonhomme pouvait se vanter de posséder unedes rares sinécures que l’on trouve en Amérique.

Il en était intérieurement fier ; et cen’est pas sans une certaine dose de raillerie qu’il répondit auxdemandes de Léon.

– Non, mon garçon. Il ne passera pas detrain aujourd’hui, ou plutôt il en passera, beaucoup même. Mais ilsne s’arrêteront pas.

– Et demain ? dit Léon.

– Demain non plus.

– Et après-demain ?

– Pas davantage.

Et le bonhomme se mit à rire.

– Vous m’avez l’air d’un joyeuxcompagnon, fit Léon sans se mettre en colère. Vous m’étonnez, maparole. Je croyais qu’il n’y avait qu’en Europe où l’on payât lesgens pour ne rien faire.

– Voyez, voyez, il faut croire que vousvous êtes trompé.

– Mais, à part ça, fit Léon, est-ce queje ne pourrais pas, avec un peu de protection, savoir de vous àquelle distance se trouve la gare la plus proche.

– C’est bien facile, mon garçon. Vousn’avez qu’à suivre les rails pendant une quinzaine de milles. Voustrouverez la station et vous pourrez prendre le train pour telledestination qu’il vous plaira.

– J’pense bien.

Après une demi-heure de bavardage, Léon quittale vieux chef de gare honoraire auquel il avait offert un verre dugin de son carnier.

– Vous devez vous trouver bien isolé ici,demanda Léon.

– Isolé, oui, répondit le chef de gare.Mais je ne suis pas supprimé totalement de la vie pour cela. Jereçois des journaux…

– Mais par quel moyen ?

– Un chauffeur, qui passe sur la lignetous les jours, me les jette en passant. C’est un de mes vieux amiset son service est plus régulier que celui d’un facteur.

– C’est une consolation, en effet, ditLéon en contemplant la pile de journaux qui s’étalait sur un boutde table.

Il en prit un.

C’était un des derniers numéros du ChicagoLife.

– Emportez-le, si ça vous amuse, dit lechef de gare. Je l’ai lu.

– Ce n’est pas de refus, répondit Léonqui mit le journal dans sa poche.

Il salua le chef de gare et partit.

À quelque distance de là, le jeune homme eutla curiosité de regarder les nouvelles.

Il demeura stupide d’étonnement.

À la première page s’étalait son portrait lereprésentant tel qu’il était deux ou trois ans auparavant, lacasquette sur l’oreille, la cravate nouée en ficelle, la cigaretteau coin de la bouche.

« Ah ! ça, se dit-il, je crois qu’ilne fait pas bon pour moi m’attarder dans les villes. Ils ont toutdécouvert. On a dû me voir faire mon coup à Skytown ; et àl’heure qu’il est, les milliardaires ont mis ma tête à prix. Mais,par exemple, du diable s’ils me rattrapent ! C’est moi quivais éviter toute espèce de ville ou de village. Comme on dit, unhomme averti en vaut deux. Dussé-je mettre trois mois pour aller auCanada, désormais, je ne quitte plus les bois. Je me terre dans lefeuillage et bien malin qui m’attrapera ! »

Au lieu de continuer à suivre la ligne duchemin de fer, Léon obliqua brusquement dans la direction de laforêt et ne tarda pas à disparaître aux regards du vieux chef degare qui, du seuil de sa bicoque, avait suivi tout ce manège avecsurprise.

– Bah ! fit le sceptiquefonctionnaire, voilà encore une espèce de coureur de bois qui nesait pas ce qu’il veut. Combien y a-t-il de gens dans le même casdans cette vallée de misère !

Et il rentra philosophiquement dansl’intérieur de la maison, pour s’y livrer à la confection decartouches de gros plomb, car il comptait aller chasser le renardle lendemain, de grand matin.

Une heure s’était à peine écoulée depuis ledépart de Léon, lorsqu’un personnage en haillons, qui paraissaitessoufflé par une longue course pénétra comme un forcené dans lamaisonnette de la station.

L’employé, toujours occupé à son travail decartoucherie, fut quelque peu alarmé des manières brusques dunouvel arrivant.

Mais il devait être habitué, dans ce désert, àtoute espèce d’incursions car il ne s’en émut pasextraordinairement.

– Au large ! fit-il en présentant lecanon de son revolver à la hauteur du visage de l’intrus.

– Mais je n’ai pas de mauvaisesintentions, fit l’autre, en se reculant précipitamment. Je vais àla recherche d’un criminel.

– Vous êtes bien mal mis pour unconstable, dit le chef de gare sans abaisser le canon de son arme.D’ailleurs, il n’y a pas de criminel ici. Il n’y a même jamais devoyageurs.

– Il ne s’agit pas de cela, ditl’étranger impatienté. Vous ne savez pas qu’on a tué l’illustreinventeur Hattison, qu’on a fait sauter son usine ! Il y amême une prime de dix mille dollars pour qui livrera lecoupable.

– Ce que vous dites est fort possible.Mais cela peut aussi ne pas être vrai. Et, d’ailleurs, cela ne meregarde pas. Je ne vous connais nullement ; et je n’admets pasqu’on pénètre ainsi chez un honnête citoyen de l’Union.

– Je viens au fait, s’écria soninterlocuteur qui bouillait d’impatience. Vous avez de la méfiancecontre moi parce que je suis mal mis et que je suis entrébrusquement. Je suis entré brusquement parce que je suis pressé. Jesuis mal mis parce que j’ai revêtu un déguisement pour surprendremon homme. Comprenez-vous ?

– Oui, dit le chef de gare, en continuantà le tenir en joue.

– Tenez, reprit l’étranger qui n’étaitautre que Borton, serez-vous convaincu quand je vous aurai montréma carte de rédacteur au Chicago Life, quand je vous auraifait voir plus de dollars qu’on n’en pourrait, sans doute, voler,en trente ans, dans une cahute comme la vôtre ! D’ailleurs, jene veux rien autre chose de vous que de savoir si un inconnu, quisemblait poursuivi, n’est pas venu prendre le train à cettegare.

– Oh ! pour cela non. Vous pouvezêtre entièrement rassuré. Depuis plus de deux ans, personne n’apris le train ici.

– Personne n’est venu depuis cematin ?

– Si. Il est venu une sorte de coureurdes bois ou de chasseur qui, il y a plus d’une heure, m’a demandéle chemin d’ici la plus proche station.

– Il n’y a pas de doute, s’écria Borton,c’est lui ! Mais comment est-il ?

– Petit, barbu, blond, le nez en l’air,le rifle sur l’épaule, et le carnier et le plaid enbandoulière.

– C’est bien lui. Il y a des jours que jesuis sur sa piste, que je le file de forêt en forêt, de scierie enscierie, de ferme en ferme. Cette fois, il m’échappera pas. Maisquelle direction a-t-il prise ?

– Il a remonté la voie dans la directionde l’est.

– Mais alors, je n’ai pas un moment àperdre. Pourvu qu’il n’ait pas le temps de gagner la station et deprendre le train.

– Vous ne me laissez pas parler, hommeimpatient. J’ai dit qu’il avait remonté la voie dans la directionde l’est. C’est ce qu’il a fait pendant quelque temps.

– Et alors ?

– Alors, après avoir lu un numéro duChicago Life, que je lui ai donné, il est partibrusquement dans la direction des bois.

– Parbleu ! Mais c’est clair !Le gaillard a vu sa photographie dans le journal. Il juge prudentd’éviter les endroits habités.

Et, sans avoir attendu la réponse du chef degare qui, non sans avoir haussé les épaules, s’était remis à sontravail, Thomas Borton fila comme un trait dans la direction qu’onvenait de lui indiquer.

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