La Conspiration des milliardaires – Tome III – Le Régiment des hypnotiseurs

Chapitre 13Nouveaux projets de William Boltyn

WilliamBoltyn n’avait jamais déployé autant d’activité. Même aux époquesles plus troublées de sa vie aventureuse, dans les momentscritiques où il avait vu sa fortune chavirer et la chance luitourner le dos, où il avait dû vaincre des difficultés quiparaissaient insurmontables, jamais le milliardaire n’avait étéaussi totalement absorbé.

En son palais de la Septième Avenue deChicago, il s’enfermait des journées entières dans son cabinet detravail ; et le majordome Stephen avait l’ordre formel de nerecevoir personne, de ne déranger son maître sous aucunprétexte.

Lorsque Boltyn sortait, c’était pour se rendreen autocar à ses usines de conserves, grandes à elles seules commeune ville et qui occupaient tout un quartier, à l’ouest deChicago.

Là seulement, au milieu de l’immense usine oùdes milliers d’ouvriers travaillaient nuit et jour à transformer enconserves et en salaisons les troupeaux entiers de bœufs et deporcs que des trains amenaient sans relâche des pâturages du FarWest, en écoutant le bourdonnement des innombrables machines, lesifflement des convois qui traversaient les cours, les appels desbouchers, William Boltyn se déridait un peu, abandonnant pourquelques instants son masque impassible et sombre.

Son orgueil exultait. Le sentiment qu’il avaitde sa puissance s’augmentait encore lorsqu’il parcourait sesusines.

Il s’abandonnait à contempler le spectacle desvastes bâtiments qui s’étendaient à perte de vue, pleins de rumeursactives.

Il se plaisait à interroger les ouvriers etles contremaîtres, à indiquer d’incessants perfectionnements aumatériel des abattoirs.

C’était sa ville, à lui.

Il l’avait fondée, en était le maître.

Elle était à ses yeux le signe matériel de sacolossale fortune, le symbole de la force qu’il détenait ; etchaque fois que, sa visite terminée, le milliardaire regagnait soncabinet de travail, il sentait une vigueur nouvelle monter en lui,en même temps que se fortifiaient son ambition et sa haine.

– Ah ! s’écriait-il en se remettantau travail, les Européens ne connaissent pas encore la mesure de mavolonté. Ils ont cru m’échapper en assassinant l’ingénieurHattison, en faisant détruire Skytown par leurs espions ; maisle coup n’a pas porté, continuait-il avec une intonationdédaigneuse. Ils ne sont pas de force à lutter contremoi !

William Boltyn avait déjà dressé les plansd’une ville plus formidable encore que Skytown.

Cette fois il prendrait ses précautions.

Il projetait de la construire dans un îlotabsolument désert dont il avait déjà proposé l’achat augouvernement américain.

L’îlot en question n’avait que deux ou troismilles de circonférence.

Il serait facile à fortifier.

« Et je défie bien qui que ce soit d’ypénétrer, se disait Boltyn. Les engins qu’on y fabriquera, lesinventions qui s’y élaboreront seront bien en sûreté. Si nousavions pris ces précautions lorsque nous avons bâti Skytown, cemaudit Français n’aurait pu accomplir son acte criminel. Hattisonserait encore vivant. »

Tout en parlant, le milliardaire prit sur satable de travail une photographie qu’il regarda attentivement.C’était celle de Léon Goupit.

– C’est bien la physionomie d’unFrançais, murmura-t-il au bout d’un instant. Comme j’avais raisonde haïr les hommes du Vieux Monde ! C’est un Européen qui m’avolé ma fille. C’est un Européen qui a tué Hattison et incendiéSkytown ! Mais celui-ci ne m’échappera pas, je le jure !…Aurora ne l’arrachera pas à ma vengeance, comme elle l’a fait pourcet Olivier Coronal dont je suis obligé de supporter la présence etl’allure méprisante et vaine.

Le milliardaire se leva pour serrer laphotographie dans un cartonnier.

– Nous verrons quelle figure le gaillardfera au bout d’une corde, fit-il avec un éclat de rire sinistre. Àmoins qu’il ne s’envole comme un oiseau, le bandit ne tardera pas àêtre arrêté.

Il venait à peine de se rasseoir que Stephense présenta, et tendit à son maître une carte de visite.

– Bien ! Fais entrer, grommelaBoltyn.

M. Horst, le directeur du ChicagoLife, pénétra dans le cabinet de travail.

William Boltyn le reçut très froidement.

Il était mécontent de la campagned’informations qu’avait menée le Chicago Life au sujet dela catastrophe de Skytown.

– Que désirez-vous encore ?s’écria-t-il.

– Mais, répondit M. Horst ens’inclinant, non sans une certaine raillerie, je viens, comme ladernière fois, pour vous rendre un service.

Le visage de Boltyn se rembrunit.

– Qu’est-ce à dire ? fit-il. Vousserait-il tombé de nouveau entre les mains des plans de l’ingénieurHattison ?

– Non. Et malheureusement. Maispermettez-moi une question à mon tour. Les trois détectives quevous avez mis en marche vous ont-ils livré le coupable ?

– Pas encore ; mais cela ne sauraittarder. Sa photographie est partout, dans toutes les gares, danstoutes les public-houses.

– Je sais tout cela, interrompitM. Horst. Je sais aussi que vos détectives sont des nigauds.Vous avez dépensé des dollars bien inutilement. Que ne vousêtes-vous fié à moi ? Vous auriez, à l’heure qu’il est, lacertitude que Léon Goupit est arrêté.

– Il est arrêté ! s’exclama lemilliardaire. Mais qu’en savez-vous ?

– Il ne tient qu’à vous d’être fixé surce point, répondit le directeur dont le calme imperturbableachevait d’exaspérer Boltyn.

– Je crois que vous vous jouez demoi !…

– Oh ! pas le moins du monde. Jesuis toujours sérieux en affaires. Vous-même, au lieu de vousemporter, seriez beaucoup plus sage de m’aider à conclure celle-ci…Voici les faits. Le reporter que, de mon côté, j’ai chargé d’uneenquête à Skytown, a réussi à retrouver les traces de Léon Goupit.Il l’a filé pendant plusieurs jours ; et je viens de recevoirde lui un télégramme m’apprenant qu’il est parvenu à murerl’incendiaire dans une caverne pendant son sommeil. L’arrestationest donc maintenant un fait accompli. Maintenant, comme je vous ledisais tout à l’heure, il ne tient qu’à vous d’être tout à faitrenseigné, et, par mon intermédiaire, d’entrer promptement enpossession de la personne de l’assassin. Mon reporter attend mesordres pour agir, c’est-à-dire pour amener le prisonnier à Chicagodans le plus bref délai, ou bien… pour lui rendre la liberté.

– Lui rendre la liberté ! Mais vousn’y pensez pas, s’écria Boltyn qui s’était levé d’un bond.

– Cependant, repartit fort tranquillementM. Horst, c’est ce que je ferai si vous ne consentez pas àm’indemniser des frais que m’a causés le voyage de mon reporter àSkytown.

– Que ne le disiez-vous alors !Combien vous faut-il ?

– Cent mille dollars.

Malgré l’énormité de la somme, le milliardairene protesta pas.

Il eût donné le double, le triple plutôt quede renoncer à sa vengeance.

Il ouvrit son coffre-fort, prit une liasse debank-notes, et les tendit au directeur.

– Non pas, fit celui-ci qui avait suivide l’œil tous les mouvements de Boltyn. Votre parole me suffit. Ilsera temps, lorsque je vous aurai livré le prisonnier.

Et sans rien ajouter, le directeur duChicago Life sortit du cabinet de travail.

Retombé dans son fauteuil, Boltyn eut uneminute d’hésitation. Les allures de M. Horst lui semblaientbizarres.

– Bah ! finit-il par dire, attendonsles événements.

Et il se remit à son travail.

Ce n’était pas tout que d’avoir conçu le pland’un nouveau laboratoire de guerre, d’une ville qui dépasseraitSkytown par la perfection de l’agencement.

Il fallait un homme pour la construire, pourla gouverner.

Hattison n’était plus là ; et saufquelques-unes dont Boltyn avait recueilli les plans – les hommes defer, entre autres –, toutes ses inventions semblaient avoir étéanéanties avec lui.

William Boltyn se demandait vainement à quelhomme, à quel savant il pourrait confier la direction de sagigantesque entreprise.

Il prit à côté de lui un volumineux annuairedes sciences et de l’industrie, et se mit à feuilleter la tablealphabétique qui réunissait les noms de tous les inventeurs,ingénieurs et savants de l’Union.

Deux heures après, il n’avait pas encoreinterrompu cette besogne.

Son irritation semblait croître à mesure qu’ilavançait dans sa lecture.

Il finit par refermer violemment le livre.

C’était au moins la vingtième fois qu’il selivrait à cet examen. Chaque fois, c’était pour lui l’occasiond’une indescriptible fureur.

– Ah ! les bandits savaient bien cequ’ils faisaient en assassinant Hattison, s’écria-t-il. Il étaitl’âme de Skytown. Son merveilleux génie organisateur nous était unsûr garant de victoire. Où retrouver une pareille intelligence auservice d’une volonté aussi tenace ? Il incarnait bien notrehaine commune de l’Europe. Avec lui nous eussions réalisé nosprojets. L’Europe aurait été vaincue, le génie américain se seraitaffirmé. Notre commerce, notre industrie seraient devenus lespremiers du monde, c’eût été pour nous la domination universelle etindiscutée.

Involontairement, la pensée de Boltyn allaitvers Ned Hattison.

– N’est-ce pas lui, se disait-il, quiaurait dû continuer l’œuvre de son père ? N’est-ce pas lui quidevrait recueillir son héritage de gloire, et prendre à présent ladirection de notre entreprise ? Mais non, il semble que cesoit une fatalité. Ce faux Yankee est passé à l’ennemi, il s’estfait européen.

La voix du milliardaire se faisait sourde.

La tête dans les mains, il s’abîmait dans sesréflexions.

– Mais quoi, fit-il tout à coup en seredressant dans une attitude de lutte, vais-je me laisser abattrepar la moindre difficulté ! Ne suis-je plus William Boltyn,l’empereur des dollars ! N’ai-je plus mes milliards, pourm’alarmer de telle façon !

Les poings serrés, comme s’il allait bondirsur un ennemi, son corps trapu ramassé tout entier, le milliardaireétait vraiment terrible d’expression volontaire et haineuse.Brusquement, il appuya sur un bouton électrique.

Le majordome accourut.

– Mets-toi là, Stephen, ordonna-t-il endésignant une table sur laquelle se trouvait une machine àécrire.

Quelques minutes après, sur les indications deson maître, Stephen avait rédigé des lettres de convocation queBoltyn envoya, séance tenante, à chacun des membres de la sociétédes milliardaires.

Il les convoquait tous, pour le lendemain,dans le grand salon de son hôtel.

Lorsque tout fut fini, le majordome seretira.

Boltyn était énervé. Les tempes lui battaient.Il ouvrit la fenêtre de son cabinet de travail qui donnait sur laSeptième Avenue, et il sortit prendre l’air sur le balcon.

Un petit hôtel, de deux étages seulement, bâtiavec élégance, mais sans le luxe criard ni les couleurs voyantesqui déparent ordinairement les constructions américaines, faisaitface au palais de William Boltyn.

Un jardin couvert, sorte de serre, dans lequelon apercevait des massifs de fleurs et de verdure, entourait lepavillon, qu’on eût pris plutôt pour la demeure de quelquetranquille famille européenne, que pour celle de la fille d’unmilliardaire yankee.

C’était là en effet qu’habitaient OlivierCoronal et sa jeune femme.

Accoudé à la balustrade du balcon, lemilliardaire regardait la demeure de sa fille.

De ses fenêtres, il voyait quelquefois lajeune femme se promener dans la serre et dans le cabinet de travailde son mari, lisant les journaux ou travaillant à quelque ouvragede broderie – comme une petite bourgeoise – pendant qu’Olivier,penché sur ses plans, s’absorbait dans ses recherchesscientifiques.

Jamais William Boltyn n’avait pu se résoudre àappeler sa fille Mme Coronal. Elle était toujourspour lui miss Aurora.

Ce mariage qu’il avait dû subir, sous peine devoir la jeune fille se séparer de lui, ne lui avait jamais parudurable.

Déjà, il avait deviné qu’entre les deux époux,l’entente n’était pas toujours parfaite.

Aurora se plaignait souvent de la manière devoir d’Olivier, et du dédain qu’il montrait pour les mœurs et lesidées américaines.

Il entrait bien dans le plan de Boltynd’encourager, de susciter même l’éclosion de nouveaux éléments dediscorde. C’est ce à quoi il réfléchissait tout en cherchant, maisinutilement, la silhouette d’Aurora dans le jardin couvert du petithôtel.

Mais la pensée de William Boltyn revenait sanscesse à l’entrevue qu’il venait d’avoir avec le directeur duChicago Life.

« S’est-il joué de moi ?… LéonGoupit est-il vraiment arrêté ? se demandait-il. Il a dûparler sérieusement ce M. Horst, sans cela il aurait empochétout de suite les cent mille dollars. Enfin, je ne saispas… »

Et puis, le lendemain, les milliardaires sescollègues se trouveraient tous réunis dans le grand salon del’hôtel.

Boltyn enrageait de n’avoir pas trouvé l’hommequ’il lui fallait pour succéder à Hattison, de n’avoir que desplans à soumettre à ses associés, sans personne pour lesréaliser.

Aucun des ingénieurs et des savants, sur lesnoms desquels son attention s’était un moment arrêtée, neremplissait entièrement les conditions indispensables. Aucunsurtout n’offrait assez de garanties de discrétion et n’étaitsusceptible de se consacrer exclusivement à l’entreprise, d’yapporter tout son temps, toute son énergie.

Ce n’étaient, pour la plupart, que des chefsd’exploitation n’ayant à peu près jamais rien découvert et quiavaient trouvé un facile moyen de s’enrichir en lançant de nouveauxproduits, en attachant leurs noms à des appareils dont ils avaientacheté les brevets en Europe.

Ce n’étaient que des utilisateurs, desquels onne pouvait attendre rien d’intéressant ni de personnel. Nul d’entreeux ne possédait le génie de nouveaux principes, qui crée et quigénéralise sa création.

Ils ne feraient que perfectionner les moyensde destruction existant déjà et ce n’était pas ce que voulaitWilliam Boltyn.

Il lui fallait un organisateur de premièreforce, en même temps qu’un chercheur infatigable, qu’un inventeuraudacieux qui ne s’embarrassât d’aucun obstacle.

Tout à coup, Boltyn aperçut Olivier Coronaldans la Septième Avenue.

L’inventeur marchait lentement, en lisant unjournal.

Il se dirigeait vers sa demeure, revenant desusines Strauss où, malgré son mariage avec Aurora, il continuaittoujours à travailler.

Voulant à tout prix garder son indépendance,Olivier vivait très modestement.

Les trois cents dollars mensuels qu’il gagnaitlui suffisaient amplement ; et jamais il n’avait voulu rienaccepter d’Aurora, en dehors du don qu’elle lui avait faitd’elle-même et de l’amour qu’elle lui portait.

Il la laissait, du reste, absolument libre dese livrer à ses prodigalités, à sa manie de s’entourer d’objetscoûteux et de n’estimer les choses que d’après le nombre de dollarsqu’elles représentaient.

Depuis longtemps, il avait renoncé à laconvaincre, à lui faire considérer sa vie sous un autre aspect.

La froideur des deux époux à l’égard l’un del’autre augmentait de jour en jour.

Ils le sentaient bien, mais ne pouvaientapporter à cette situation aucun remède.

Il y avait dans leurs caractères trop dedifférences. Leur manière de voir, leurs aspirations étaient tropdissemblables pour qu’ils pussent s’accorder.

Depuis une semaine surtout, c’est-à-diredepuis qu’Olivier avait appris la catastrophe de Skytown et le rôleque semblait y avoir joué Léon Goupit, leurs relations quotidiennesétaient devenues beaucoup plus difficiles.

Ils se parlaient à peine et de chosesindifférentes.

Chacun d’eux avait ses préoccupationspersonnelles.

Ils jugeaient inutile de se mettre dans le casd’avoir à se dire des choses désagréables.

Olivier surtout répugnait à cela. Il gardaitpour lui seul ses ennuis, chaque jour plus cuisants.

Lorsqu’il avait vu le Chicago Lifepublier le portrait de Léon Goupit et mettre pour ainsi dire satête à prix, Olivier n’avait pu dissimuler sa colère et sonchagrin.

Cette chasse à l’homme lui avait soulevé lecœur de dégoût.

Pourtant, il ne pouvait rien faire en faveurde son ancien domestique. Il ignorait même où il se trouvait ;et ce n’était pas là sa moindre contrariété.

Était-il même bien certain que Léon fûtl’auteur de la catastrophe de Skytown ?

Par moments, Olivier Coronal en doutait.

En tout cas, il craignait que le jeune hommepayât de sa vie son acte généreux.

Il s’attendait à apprendre, d’un moment àl’autre, la nouvelle de son arrestation.

De son côté, dévouée aux idées américainescomme elle l’était, Aurora, dans cette circonstance, était tout àfait disposée à prendre le parti de son père et de la société desmilliardaires.

Tout en ignorant que Léon Goupit eût étéautrefois au service de son mari, elle souhaitait, dans son forintérieur, que son père triomphât du malfaiteur – c’est ainsiqu’elle aussi l’appelait – qui avait détruit Skytown.

Rentré dans son cabinet de travail, WilliamBoltyn ne parvint pas à retrouver son calme.

Le fait seul d’avoir aperçu Olivier Coronaldans la Septième Avenue avait fourni un nouvel élément à safureur.

« Faut-il que cet homme soit stupide, sedisait-il. Il a en main tout ce qu’il faut pour se créer unesituation merveilleuse. Il est mon gendre, à moi qui possède desmilliards, qui me suis mis à la tête de la plus gigantesqueentreprise qu’un homme ait jamais conçue ; et il ne sait pasen profiter. Il s’entête dans ses idées ridicules d’Européen, alorsqu’il aurait pu devenir mon associé, m’aider dans mes travaux,couvrir son nom de gloire et participer aux bénéfices quirécompenseront mes efforts. Mais non, cet homme semble vouloir menarguer, et m’écraser de sa suprématie.

« J’admets qu’il soit un savant depremière force, continua le milliardaire, tout en semblant suivreune idée. L’ingénieur Strauss se connaît en hommes et n’eût pasintéressé Coronal à ses affaires, comme il vient de le fairedernièrement, s’il n’avait découvert en lui un talent supérieur.Et, justement, il n’en est que plus à craindre. Sa présence à côtéde moi, l’influence qu’il exerce sur Aurora sont un véritabledanger. Je suis obligé de me méfier de ma propre fille, de ne plusrien lui dire de ce qui concerne mes affaires, de peur qu’un jourCoronal ne retourne en Europe et n’entame la lutte avec nous en seservant de tous les secrets qu’il aura réussi àdécouvrir. »

Pour William Boltyn, la conduite d’OlivierCoronal ne pouvait s’expliquer autrement.

Totalement ignorant de l’amour, n’ayant jamaiséprouvé aucun sentiment désintéressé, William Boltyn jugeait lesautres hommes d’après lui-même.

Irrité, comme il l’était en ce moment, de nepouvoir trouver un successeur à l’ingénieur Hattison, Boltyn envint même à penser que l’attitude d’Olivier Coronal pouvait bienn’être qu’une ruse, un stratagème pour dissimuler sa penséevéritable et pour donner plus de prix à sa conversion, en un mot,que l’adhésion de son gendre aux projets des milliardaires n’étaitqu’une question de dollars.

Cette conclusion à laquelle Boltyn arriva,insensiblement, le satisfit, d’autant plus qu’elle avait le méritede changer totalement pour lui la face des choses.

S’il ne se trompait pas dans ses calculs, si,comme il le croyait, Olivier Coronal ne manœuvrait que dans le butde faire acheter très cher son concours, Boltyn se disait que lesuccès de son entreprise était enfin assuré et que le mariage de safille, considéré jusque-là comme une mésalliance, devenait unévénement heureux.

En y réfléchissant bien, le milliardaire sedit qu’en effet Coronal possédait toutes les qualités d’undirecteur de laboratoire de guerre.

Il avait déjà donné, dans maintescirconstances, la mesure de ses capacités. N’avait-il pas inventéla torpille terrestre ? Et l’ingénieur Strauss ne disait-ilpas de lui qu’il était appelé à de grandes destinées ?

Certes, il serait un allié puissant, autantqu’en ce moment il était un adversaire redoutable.

Tout serait donc pour le mieux.

Avec sa brusquerie de décision habituelle,Boltyn résolut d’en avoir le cœur net sur-le-champ.

Il prit son chapeau et sa canne et sortit.

En apercevant son père qui traversait lejardin couvert, Aurora ne put retenir un cri de surprise.

Il était tout à fait en dehors des habitudesde William Boltyn de se déranger pour venir chez sa fille, mêmequand il savait la trouver seule.

Depuis plus d’un mois, en effet, pareillevisite ne s’était produite.

La jeune femme courut au-devant de sonpère.

– Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle enl’embrassant. Un nouvel accident est-il survenu dans tesentreprises ?

– Mais pas le moins du monde, repartitBoltyn ironiquement, à moins que tu n’appelles un malheur le faitque je vienne te visiter.

Pendant plus d’une demi-heure, ilss’entretinrent dans le petit salon d’Aurora.

Quoique meublée avec une grande sûreté degoût, cette pièce ne plaisait pas beaucoup à la jeune femme. Ellela trouvait trop terne, disait-elle, trop dépourvued’originalité.

Boltyn, que toutes ces choses laissaient bienindifférent, fut de l’avis de sa fille.

– Ton mari n’est-il donc pas là ?finit-il par demander, après qu’ils eurent épuisé tous les sujetsde conversation. Il me semble pourtant l’avoir vu rentrer.

– Tu ne t’étais pas trompé. Il travaille,à ce que je crois.

– Veux-tu m’annoncer auprès delui ?

Aurora regarda son père avec étonnement.

– Tu désires le voir ?demanda-t-elle.

– Mais oui. Qu’y a-t-il d’étonnant àcela ?

– Oh ! rien du tout, répliquaAurora. Mais tiens, le voici justement.

Olivier Coronal, en effet, sortait de soncabinet de travail.

En apercevant William Boltyn, il le saluacorrectement et se contraignit même jusqu’à prendre part à laconversation pendant quelques minutes.

Aurora s’était tue subitement.

Entre ces deux hommes, son père et son mari,elle se trouvait mal à l’aise.

Derrière leur attitude polie, mais glaciale,elle sentait bien que la haine couvait et elle craignait toujoursque quelque scène de violence, dans laquelle elle ne pourrait pasintervenir, n’eût lieu en sa présence.

Elle prit le parti de s’esquiver, enprétextant une occupation urgente.

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