La Conspiration des milliardaires – Tome III – Le Régiment des hypnotiseurs

Chapitre 21Le Collège des sciences psychiques

Auroradormait encore lorsque William Boltyn, véritablement admirabled’obstination, d’énergie et de sang-froid dans sa lutte contre lesdifficultés, s’installa dans son confortable car électrique, aprèsavoir jeté au cocher l’adresse du palais de Harry Madge.

Le spirite, coiffé de son bonnet à boule demétal, et vêtu de son éternel pardessus-robe, reçut William Boltynavec la politesse un peu taciturne qui lui était habituelle. Pourpouvoir parler plus librement, il le mena dans sa bibliothèque,qu’il avait machinée avec une baroque ingéniosité.

Cette bibliothèque occupait à elle seule unetour fort large et d’une prodigieuse hauteur.

Du haut en bas de cette tour, qu’éclairait unecoupole vitrée, les volumes étaient disposés circulairement ;et le plancher, qui supportait les lecteurs et le mobilier de lasalle, était mobile et disposé, au point de vue mécanique, comme unimmense ascenseur.

Il suffisait de presser un bouton de métalpour se trouver transporté à la hauteur d’un sixième étage ou pourredescendre au rez-de-chaussée.

Ainsi, la hauteur du plafond de labibliothèque était variable à volonté, et l’on pouvait commodémentchoisir les volumes dont on avait besoin.

Lorsque William Boltyn fut installé dans unconfortable fauteuil à oreillettes, en face du spirite, celui-cifit jouer son mécanisme, et les deux milliardaires s’enlevèrentrapidement jusqu’au niveau de la coupole vitrée d’où l’ondécouvrait un merveilleux paysage de forêts et de lacs, avec, audernier plan, la ville de Chicago, sur qui planait un dôme debrouillards chatoyants.

– Vous savez que l’assassin est ensûreté, dit sans préambule William Boltyn.

– Je le sais, répondit Harry Madge. Ilvogue maintenant sur l’Atlantique, et arrivera probablement enFrance sain et sauf. Mais, ma foi, cela n’a pas grandeimportance.

– Comment, pas d’importance, dit lemilliardaire en bondissant.

Et son poing atteignit par inadvertance lebouton métallique qui commandait l’appareil.

Les deux interlocuteurs descendirent avec unevitesse vertigineuse, jusqu’aux derniers rayons de labibliothèque.

William Boltyn s’était arrêté tout net.

– Vous voulez voir mes in-quarto ?dit ironiquement le spirite. Vous avez le goût des livrescurieux ?

– Comme un poisson d’une pomme, réponditWilliam Boltyn qui ne s’était pas déridé… Mais pourquoi disiez-vousque la fuite de l’assassin n’avait pas d’importance ?

– Elle n’en a aucune. Je vais vousexpliquer pourquoi.

Tout en parlant, le spirite faisait remonterlentement la plate-forme, jusqu’au niveau de la coupole decristal.

– Que peut nous faire, continua-t-il, lafuite d’un pareil misérable. Par la fatalité des choses et lesmoyens dont nous sommes armés, il doit immanquablement tomber unjour entre nos mains. De plus, je vois la question plus largement,et j’estime que c’est perdre son temps que de vouloir vengerHattison. C’est de l’enfantillage. Il sera beaucoup mieux vengé sinous réussissons dans nos projets.

– Vous avez raison, dit William Boltynsérieusement. Je veux comme vous, désormais, sacrifier les pointsde détail au résultat capital. J’ai perdu beaucoup de temps àsatisfaire des rancunes personnelles. Désormais nous les laisseronsde côté.

– Oui, dit Harry Madge, et nous nousoccuperons immédiatement de l’organisation de notre grand projet.Nous n’avons pas de temps à perdre.

– Je vois cette organisation d’une façontrès simple, dit William Boltyn. Il s’agit de concentrer, àproximité de ce palais, tous les voyants suggesteurs, magnétiseursque nous pourrons trouver dans l’Union. Certaines conditions, quenous exigerons d’eux, nous garantiront leur fidélité. Il faudraitpouvoir, d’ici deux ou trois mois, lâcher sur l’Europe unecinquantaine des plus habiles. Ils y feraient une première récoltede documents, de plans. Six mois plus tard le nombre de ces agentsserait triplé.

– L’idée me paraît bonne, d’autant que maréputation bien connue d’amateur de l’occulte me permettra dedissimuler entièrement notre véritable but par la construction d’un« Collège des sciences psychiques » où nos médiums serontsoumis à un entraînement méthodique. Ils ne connaîtront de nossecrets que ce qu’il sera indispensable de leur en dire, et ilsn’arriveront à notre entière confiance qu’après un certain tempsd’épreuves et d’initiation… Les quatre initiés qui habitent en cemoment mon palais seront placés chacun à la tête d’une chaire decette faculté d’un nouveau genre.

– Alors, c’est entendu. Je ne pense pasque nos associés fassent obstacle à une proposition aussi sage. Jeme charge d’ailleurs de les informer de nos desseins et de vousfaire connaître leur réponse.

– Quant à cela, dit Harry Madge, c’estune chose absolument mutile. Je connaîtrai leur réponse sansfatigue pour moi et sans dérangement pour vous. Ne suis-je pasoutillé pour cela ?

– C’est vrai, dit Boltyn, j’oubliais quevous êtes un homme merveilleux, un homme qu’il ne serait pas bond’avoir pour ennemi, conclut-il en manière de compliment.

Le spirite sourit.

– Vous savez, dit-il d’un tonconfidentiel, que je ne vous ai encore fait voir que la moitié demes expériences. Je réserve pour moi, jusqu’à nouvel ordre, toutela partie spéciale du spiritisme.

Une lueur d’orgueil éclaira le visage de HarryMadge, et se traduisit, au sommet de son bonnet, par une légèreaigrette phosphorescente.

Les deux hommes se séparèrent, enchantés de latournure que prenaient les choses.

Quelques semaines après, la Société desmilliardaires avait acheté, non loin du palais de Harry Madge, lesomptueux château d’un spéculateur qui s’était brûlé la cervelleaprès une infructueuse tentative d’accaparement de tous les cotonsdu monde entier.

C’était une immense construction, d’un aspectsévère et triste, pleine de longs corridors de granit, de sallesvoûtées, de larges escaliers de pierre.

Toutes les murailles étaient blanches. Danschaque salle, d’étroites fenêtres, grillées de gros barreaux defer, mesuraient le jour, et ne contribuaient pas peu à constituerun aspect d’ensemble tout à fait conventuel.

La Société des milliardaires avait visité lapropriété.

Tout le monde s’était montré enchanté del’acquisition.

– C’est tout à fait ce qu’il nous faut,avait dit Harry Madge. Ces salles dénudées et d’un aspect sévèresont très propices à la méditation, à l’exercice de la volonté.Nous allons pouvoir commencer en installant, ici, les quatrevoyants qui habitent dans mon palais. Ensuite nous y enverrons nospensionnaires, au fur et à mesure que nous les aurons engagés.

Mais ce jour-là, en rentrant chez lui, HarryMadge eut une grande déception. Deux seulement des voyantsacceptèrent la proposition qu’il leur fit de les mettre à la têted’un Collège des sciences psychiques et de former, d’exercer plutôtdes suggesteurs destinés à surprendre les secrets armements despuissances européennes.

Le fakir, ennemi de toute vie active, presquearrivé au bienheureux nirvâna, grâce à plusieurs années decontemplation, n’eût voulu, pour rien au monde, s’assujettir auxluttes de la vie pratique, s’exposer à perdre de sa volonté et desa personnalité, en se soumettant au contact des foules brutalesd’Occident.

Au grand regret de Harry Madge, il repartitaux Indes, d’où il était venu pour se mettre en rapport avecquelques initiés du Nouveau Monde.

Harry Madge dut même se fâcher pour lui faireaccepter quelques bank-notes.

– Je prendrai juste ce qui est nécessairepour payer mon voyage, dit-il fièrement. J’ai pour amis des radjahsqui sont aussi riches que toi et qui me donneraient autant d’or etde pierres précieuses que je voudrais si je le désirais. Adieu.Cultive l’arbre de la justice, si tu veux goûter les fruits de lasérénité.

Le sachem Hava-Hi-Va tint à peu près unsemblable langage.

Il considérait comme perdu tout le temps quin’était point consacré à scruter le monde invisible.

Il partit, mais ne refusa point lesbank-notes qu’on lui offrait.

– Ce n’est point pour moi, dit-il. Je lesdonnerai à mes frères rouges, qui sont pauvres, depuis que ceux deta race leur ont volé leur territoire et leur richesse.

Saluant gravement, en soulevant son chapeauhaut de forme orné de deux longues plumes rouges, le sachemretourna vers ses forêts.

Restaient les deux liseurs de pensée Smith etJonas Altidor.

Ils n’avaient point eu les mêmes réserves queleurs collègues, et s’étaient mis avec ardeur à la tâche.

Jeunes et énergiques, ils possédaient au plushaut point l’esprit d’organisation.

Ils s’engagèrent formellement à réussir dansce qu’on leur demandait, pourvu que l’on suivît exactement leursprescriptions, et qu’on ne leur ménageât point les dollars.

Ainsi que des imprésarios, à la recherche desujets d’élite, ils explorèrent les villes et même les bourgs, enquête de médiums hors ligne.

Chaque semaine, ils ramenaient au Collège dessciences psychiques une petite troupe de nouvelles recrues.

Leur arrivée constituait un spectacle curieux,auquel les milliardaires ne manquaient jamais d’assister.

Aurora, maintenant tout à fait réconciliéeavec son père, s’y rendait quelquefois.

Il y avait là des types étranges. Lorsqu’onles avait vus une fois, leur image restait obstinément gravée dansla mémoire.

Les uns étaient chauves et obèses, les autresmaigres et brûlés de consomption, tous vêtus de costumes singulierset comme Aurora n’en avait jamais vu ailleurs.

– Tiens, disait-elle à son père, un matinqu’elle s’était rendue au fameux collège, regarde ce grand, aussimaigre qu’un squelette. Il a presque six pieds de haut ; ondirait qu’il n’a pas du tout de menton !… Il n’a qu’un nez enforme d’oiseau de proie, un front et des yeux.

– Tu oublies, repartit en plaisantantWilliam Boltyn, ses oreilles qui sont immenses et garnies debouquets de poils. Mais il est certain qu’il doit être effrayant àrencontrer le soir, avec son long pardessus blanc et le pyramidalhaut-de-forme dont il grandit encore sa taille. De loin il doitressembler à quelque tuyau d’usine.

– Et cet autre, observa Aurora, il a lesmoustaches si démesurées et les sourcils si broussailleux, que sesyeux luisent comme ceux d’un chat-tigre au fond d’un buisson.

– En revanche son voisin, qui doit êtrecertainement atteint de tuberculose, semble pâle et décoloré commeun poisson sec.

– Je remarque, chez tous, un pointcommun. Ils ont des yeux d’une grandeur démesurée. Chez eux, leregard mange la face.

– Il faudra, conclut William Boltyn quipensait aux choses pratiques, leur donner une apparence pluscorrecte. Ainsi réunis, les uns près des autres, ils sont par tropdisparates et par trop étranges.

– La force mystérieuse qu’il y a en eux,dit Harry Madge qui s’était approché, les pénètre et rayonne detoutes parts. Mais nous les déguiserons en gentlemencorrects ; cela, en effet, vaudra mieux.

– De plus, ajouta William Boltyn, il fautleur faire donner, à tous, des leçons de français, d’anglais etd’allemand.

– Leur ignorance ne nous causera pasbeaucoup d’ennuis, repartit Harry Madge. La plupart d’entre euxconnaissent l’Europe pour l’avoir visitée à la suite deprestidigitateurs et d’exhibitionnistes. Beaucoup parlent trois ouquatre langues.

Harry Madge prévoyait et résolvait toutes lesdifficultés.

C’est ainsi que, trois mois après l’achat duCollège des sciences psychiques, les milliardaires furent conviés àune solennelle expérience.

La démonstration eut lieu dans l’immense courintérieure du collège.

On y répéta, sur une plus vaste échelle, laplupart des expériences que les assistants connaissaient pour lesavoir vues, une fois, chez Harry Madge.

Ainsi répétées, elles étaient véritablementstupéfiantes.

Les deux frères Smith et Jonas Altidorfaisaient manœuvrer, avec un entrain et une discipline admirables,leur petite armée de médiums.

Le pouvoir de toutes ces volontés concentréesvers un même but apparaissait formidable.

Ils affrontèrent, sans être touchés, unedécharge de carabines, forcèrent deux des milliardaires às’agenouiller, et donnèrent à William Boltyn, émerveillé, desdétails circonstanciés sur sa dernière opération financière.

– Mais, s’écria-t-il joyeusement, c’estun vrai régiment d’hypnotiseurs que nous avons là. Hurrah !pour le régiment des hypnotiseurs !…

Tout le monde répéta d’une seulevoix :

– Hurrah ! pour le régiment deshypnotiseurs !

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