La Conspiration des milliardaires – Tome III – Le Régiment des hypnotiseurs

Chapitre 2Le Bellevillois chez ses hôtes

À quelques kilomètres de la petite ville, nonloin de Salt Lake City, chez les braves fermiers canadiens quil’avaient recueilli blessé sur là route, Léon Goupit, l’anciendomestique d’Olivier Coronal, achevait de se rétablir.

La généreuse hospitalité des Tavernier nes’était pas démentie un seul instant.

Ils avaient soigné Léon avec dévouement, commeils l’eussent fait pour un de leurs enfants.

Lorsque le Bellevillois avait enfin pus’asseoir à la table familiale dans la grande salle durez-de-chaussée, on l’avait douillettement installé dans l’uniquefauteuil de la maison, à la droite du maître.

Les premiers jours de sa convalescence, il lesvécut dans cette grande salle à manger. Mais bientôt il put sortir,et passa la plus grande partie de son temps en plein air et au bonsoleil.

En peu de temps, Léon Goupit avait retrouvéson appétit.

Son visage, pâli par les souffrances, avaitrepris ses couleurs naturelles.

Avec la santé, son humeur insouciante, salibre gaieté de gamin de Paris lui étaient revenues.

Il y avait à peine huit jours qu’il avaitquitté le lit lorsqu’il parla de s’en aller.

– Maintenant que me voilà remplumé, commevous dites, m’sieur Tavernier, il va falloir que j’m’en aille, quej’retrouve mon maître, s’était-il écrié.

La fermière était accourue.

– S’en aller ! Si ce n’est pasmalheureux, avait-elle dit en se croisant les bras. Il peut à peinemettre un pied devant l’autre.

Elle ne revenait pas de son étonnement.

– Tu vas rester avec nous encore unecouple de semaines pour le moins, mon petit gars, avait-elle conclusentencieusement. M. Coronal n’est pas inquiet de toi. Il nousa bien recommandé de ne pas te laisser partir avant que tu ne soistout à fait guéri.

Léon dut céder, et promettre qu’il resteraitencore quinze jours chez ses hôtes.

Cette solution ne satisfaisait pas leBellevillois.

Pendant les longues après-midi qu’il passaitau coin du feu, il se sentait dévoré d’impatience.

– Satané Bob Weld, maugréait-il à partlui, jamais je n’aurais cru qu’il me flanquerait un pareil coup decouteau, entre les deux épaules, quand nous avons dîné ensemble àChicago pour la première fois ! C’est égal, il paraît que jelui ai rendu la monnaie de sa pièce et que je l’ai envoyé mangerles pissenlits par la racine. Eh bien ! il ne l’a pas volé,concluait-il avec sa philosophie insouciante. C’est égal, je l’aiéchappé belle !

Ce qui tourmentait Léon plus que tout, c’étaitde n’avoir pas reçu de lettres de son maître.

Olivier Coronal était venu le visiter, luiavait demandé des renseignements au sujet des papiers que portaitle détective Bob Weld.

Léon lui avait appris tout ce qu’il savait,tout ce qu’il avait pu surprendre, c’est-à-dire qu’à cent vingtcinq milles environ d’Ottega, petite station du Pacific Railway, ilexistait une ville nommée Mercury’s Park, fondée, selon touteapparence, par le milliardaire William Boltyn.

« M’sieur Olivier m’a remercié, et il estparti. Que peut-il être devenu ? se demandait avec anxiété leBellevillois. Paraît qu’il se passe là-bas des choses curieuses, etque les Américains veulent entrer en lutte avec nous. »

Le plan de Léon était arrêté depuislongtemps.

Il partirait à la recherche de son maître, ense dirigeant vers Mercury’s Park.

En attendant, malgré toute l’affection dontl’entouraient les Tavernier, il s’ennuyait et comptait les joursqui le séparaient de la date fixée pour son départ.

Enfin la date qu’il s’était fixée arriva.

La veille, la brave fermière lui avait préparéun sac garni de provisions.

Tavernier y avait glissé une bouteillepoudreuse de vieille eau-de-vie.

Les braves gens éprouvaient un réel chagrin devoir s’en aller de chez eux celui que leurs soins avaient arraché àla mort.

Malgré toute son impatience de partir, deretrouver son maître, Léon lui-même avait le cœur gros.

Les Tavernier insistaient pour qu’il restâtquelque temps encore parmi eux. Mais il fut inflexible.

Cependant, il ne voulait pas les quitter sanslaisser au moins un souvenir d’amitié. Le pauvre garçon ne savaitcomment s’y prendre.

Il se souvint tout à coup de l’argentqu’Olivier Coronal lui avait donné, et il pensa à le laisser enpartie entre les mains de ses hôtes. Cette solution lui parut laplus satisfaisante.

– Tenez, mam’ Tavernier, ajouta-t-il, enlui tendant un billet plié qu’il venait de sortir de sonportefeuille, ce sera pour acheter un souvenir à vos deuxdemoiselles. C’est bien la moindre des choses.

La brave femme prit un air indigné :

– Tu vas me faire le plaisir de remettrecela dans ta poche ! s’écria-t-elle. Est-ce que nous avonsbesoin de tes écus pour nous souvenir de toi ? Parexemple ! Tu nous la bailles bonne ! D’abord,conclut-elle, M. Coronal a voulu à toute force que nousacceptions de l’argent de lui. Il nous a mis dans la main toute unepetite fortune que nous n’avons pu refuser. Garde tes dollars, mongars. Ils te feront peut-être défaut plus tôt que tu ne penses.

Léon dut se résigner, et n’insista plus, dansla crainte de déplaire à la fermière.

– Allons, à table, dit cette dernièrepour couper court à toute nouvelle protestation.

Ce repas, le dernier que Léon prit avec lesTavernier, fut animé d’une gaieté un peu forcée.

Mais quand le café eut été servi, et que lepère Tavernier, ayant rempli les verres de vieille eau-de-vie, eutvidé le sien à la santé du jeune Parisien et à la bonne réussite deses affaires, personne ne put contenir son émotion.

Tous se levèrent les larmes aux yeux. Chacuntenait à serrer, une dernière fois, la main du Bellevillois qui lesavait tant divertis par sa bonne humeur et sa gaietécommunicative.

Léon embrassait tout le monde, et cherchaitautant que possible à cacher son émotion. Mais quoi qu’il pûtfaire, de grosses larmes coulaient de ses yeux. Il fallut cependantse séparer. Il dit adieu à tous, encore une fois, assurant lesTavernier de sa reconnaissance.

– Mon pauv’ petit gars, s’écria lafermière, pour sûr qu’on se souviendra de toi ici. Va avec Dieu etqu’il ne t’arrive pas malheur.

Léon devait prendre le railway. Lefermier avait attelé sa jument pour le conduire à la ville.

Tous deux montèrent dans le cabriolet.

Tavernier enleva la bête d’un coup de fouet etla voiture s’éloigna rapidement.

De temps à autre, Léon se retournait et jetaitun coup d’œil sur cette ferme où il avait passé de si calmesjournées.

Il aperçut longtemps encore ses anciens amisgroupés devant la porte, répondant aux signes d’adieu qu’il leurfaisait en agitant leurs chapeaux ou leurs mouchoirs.

Tavernier, pour cacher son émotion, faisaitclaquer son fouet, excitait sa jument par ses cris ou affectait deregarder, d’un air indifférent, les cultures qui bordaient laroute.

Le trajet s’acheva presquesilencieusement.

Bientôt les premières maisons de la villeapparurent. La route se transformait en rue.

Tavernier fit stopper son cheval devant lastation, un grand bâtiment rectangulaire surmonté d’une énormehorloge électrique.

– À quelle heure le train del’Ouest ? demanda le Bellevillois lorsqu’ils eurent sauté àterre et déposé leurs colis sur un banc.

– Est-ce que je sais, moi ! grommelal’employé. Il n’est pas encore signalé. En tout cas, s’il faitcomme celui d’hier, vous avez le temps d’attendre.

– Pas possible, fit Léon goguenard. Etpourquoi donc ?

– Parce qu’il est arrivé avec douzeheures de retard, toutes ses vitres cassées, et la moitié desvoyageurs blessés.

– Il avait déraillé ?

– Non. Cela arrive quelquefois. Mais cen’était pas le cas hier, répondit l’employé. Le train avait étéattaqué par une bande de coureurs de prairies qui avaient enlevéles rails. Les voyageurs en ont été quittes pour se barricader dansleurs wagons et faire le coup de feu. Mais il paraît qu’ils n’ontpas été les plus forts. Ils ont dû payer une rançon et reconstruireeux-mêmes la voie.

– Eh bien, ça, c’est trop fort, parexemple ! s’écria Léon. Et vous vous dites civilisés enAmérique ! À la bonne heure, je comprends ça, des brigands quirançonnent les voyageurs ! Mais c’est pire que dans laForêt-Noire, qu’en Turquie, que chez les Zoulous ! Les a-t-onarrêtés au moins ?

– Pourquoi voulez-vous qu’on lesarrête ? demanda l’employé. D’abord il faudrait le pouvoir. Etpuis ce n’est pas l’affaire du gouvernement ! Ces gens-là fontleur métier comme vous faites le vôtre. C’est l’affaire desvoyageurs qui prennent le train.

Et l’employé tourna les talons, trouvant sansdoute qu’il en avait assez dit à des gentlemen qui s’étonnaient desi peu de chose.

Léon n’en revenait pas.

Malgré tout, l’idée qu’il allait peut-être luiarriver semblable aventure n’était pas pour lui déplaire.

Faire le coup de feu contre des brigands avaittoujours été son rêve à Paris.

– Ben, vous voyez, m’sieu Tavernier,fit-il. Paraît que les trains arrivent quand ça leur fait plaisir.Vous avez du travail à la ferme. C’est déjà bien gentil de m’avoiraccompagné. Je ne veux pas vous retarder plus longtemps.

– Mais non, protesta le fermier. J’aibien le temps. Je suis content d’être avec toi.

Une heure après, le train n’était pas encoresignalé.

 

Tavernier finit par se laisser convaincrequ’il était temps de regagner la ferme.

Léon Goupit regarda Tavernier s’éloigner dansson cabriolet et disparaître au détour d’une rue.

– Y en a pas beaucoup commecelui-là ! murmura-t-il avec émotion.

Et cette simple phrase résumait bien toute sonadmiration, toute sa reconnaissance pour les braves gens qui luiavaient sauvé la vie, qui l’avaient recueilli, blessé, sous leurtoit, et l’avaient soigné avec autant de sollicitude que s’il eûtété un de leurs propres enfants.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer