La Faneuse d’amour

Chapitre 4

 

Le métier battant, Nikkel passaitmaître-compagnon et gagnait de fortes semaines. La femme ramait durde son côté, réalisait des économies sans apparente lésine. Toutdans leur logement révélait une propreté de ferme hollandaise.Rikka entretenait ses nippes et celles de son enfant au point deles faire paraître neuves et bourgeoises. Leur nid formait oasisdans l’affreuse maisonnée au milieu des prolifiques tribus delogeurs rongés de vermine et de crasse. Dans le galetas de huitmètres sur quatre, avec ses deux lits de bois peint jouantl’acajou, sa huche, son poêle, sa batterie sommaire, une table etdeux chaises, il leur fallait cuisiner et dormir, repaître ets’astiquer. Tous les efforts de Rikka, tendaient à expulser de leurlogis cette odeur d’échauffé, de graillon, de loques imprégnées desueur, ces miasmes de buanderie, s’impatronisant par le trou de laserrure et les joints de la porte.

Clara se remémora toujours ce fumet du pauvre,mais plutôt comme une chose mélancolique sollicitant lacommisération. Elle garda pour jamais dans les oreilles, avec plusde complaisance que de rancune, les disputes des voisins decarreau, les dégringolades au petit jour des chambrelans ensabotés,dans l’escalier noir, auquel servait de rampe une corde poisseusecomme le ligneul, et surtout les titubements des ivrognes les soirsde la Sainte-Touche et de la Saint-Lundi, ruineuses féries ;les expectorations de jurons lardées de gravelures, le fracas desportes, les criailleries des femmes, le fausset des enfants, lescarambolages des masses humaines contre les parois et latrépidation des planchers.

Le soir, couchée avant le retour du père, ceshourvaris empêchaient la fillette de s’endormir. Silencieuse elledissimulait son insomnie, et scrutait sa mère qui ravaudait devantle pâle quinquet ou qui surveillait le miroton de Nikkel. La figureavenante et apaisée de Rikka, la décence de sa toilette, lasymétrie du mobilier, au lieu de flatter Clara, l’irritaientpresque par leur implacable régularité, leur égoïste quiétude.

Rikka, la folle soubrette, se ressentaitaujourd’hui de l’éducation du couvent. Depuis longtemps elle avaitrajusté son bonnet ; sa robe présentait des cassures desoutane et la ménagère avait des sourires vagues, en coulisse defille repentie. Clara suspectait chez sa mère un désintéressementraisonné du prochain, une étroite conscience de dévote, des méprisde bonne ménagère pour les irréguliers ; et Clara l’en aimaitmoins, instinctivement. Un jour que Rikka l’embrassait :« Tu sens trop le savon et pas assez la viande ! »faisait la petite en se dégageant. Ces soirs-là, que le pas deNikkel résonnât sur le palier, vite la mâtine de simuler le sommeilet de fermer les yeux. Et ce petit corps potelé frissonnait d’aiselorsque le plâtrier, humide et poudreux, oint de glaise ou taveléde gravats, la dénichait un moment, la palpait de ses mainscalleuses, appliquait son visage râpeux à ces joues en fleur etl’égratignait pour la caresser.

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