La Faute de l’abbé Mouret

Chapitre 15

 

La chambre de l’abbé Mouret, située à un angle du presbytère,était une vaste pièce, trouée sur deux de ses faces de deuximmenses fenêtres carrées ; l’une de ces fenêtres s’ouvraitau-dessus de la basse-cour de Désirée ; l’autre donnait sur levillage des Artaud, avec la vallée au loin, les collines, toutl’horizon. Le lit tendu de rideaux jaunes, la commode de noyer, lestrois chaises de paille, se perdaient sous le haut plafond àsolives blanchies. Une légère âpreté, cette odeur un peu aigre desvieilles bâtisses campagnardes, montait du carreau, passé au rouge,luisant comme une glace. Sur la commode, une grande statuette del’Immaculée Conception mettait une douceur grise, entre deux potsde faïence que la Teuse avait emplis de lilas blancs.

L’abbé Mouret posa la lampe devant la Vierge, au bord de lacommode. Il se sentait si mal à l’aise, qu’il se décida à allumerle feu de souches de vignes qui était tout préparé. Et il resta là,les pincettes à la main, regardant brûler les tisons, la faceéclairée par la flamme. Au-dessous de lui, il entendait le grossommeil de la maison. Le silence, qui bourdonnait à ses oreilles,finissait par prendre des voix chuchotantes. Lentement,invinciblement, ces voix l’envahissaient, redoublaient l’anxiétédont il avait, dans la journée, senti plusieurs fois le serrement àla gorge. D’où venait donc cette angoisse ? quel pouvait êtrece trouble inconnu, grossi doucement, devenu intolérable ? Iln’avait pas péché cependant. Il lui semblait être sorti la veilledu séminaire, avec toute l’ardeur de sa foi, si fort contre lemonde, qu’il marchait au milieu des hommes en ne voyant queDieu.

Alors, il se crut dans sa cellule, un matin, à cinq heures, aumoment du lever. Le diacre de service passait en donnant un coup debâton dans sa porte, avec le cri réglementaire :

– Benedicamus Domino !

– Deo gratias ! répondait-il, mal réveillé,les yeux enflés de sommeil.

Et il sautait sur l’étroit tapis, se débarbouillait, faisait sonlit, balayait sa chambre, renouvelait l’eau de son cruchon. Cepetit ménage était une joie, dans le frisson matinal qui luicourait sur la peau. Il entendait les pierrots des platanes de lacour se lever en même temps que lui, au milieu d’un tapage d’aileset de gosiers assourdissant. Il pensait qu’ils disaient leursprières, à leur façon. Lui, descendait dans la salle desMéditations, où, après les oraisons, il restait une demi-heureagenouillé, à méditer sur cette pensée d’Ignace : « Quesert à l’homme de conquérir l’univers, s’il perd sonâme ? » C’était un sujet fertile en bonnes résolutions,qui le faisait renoncer à tous les biens de la terre, avec le rêvesi souvent caressé d’une vie au désert, sous la seule richesse d’ungrand ciel bleu. Au bout de dix minutes, ses genoux, meurtris surla dalle, devenaient tellement douloureux, qu’il éprouvait peu àpeu un évanouissement de tout son être, une extase dans laquelle ilse voyait grand conquérant, maître d’un empire immense, jetant sacouronne, brisant son sceptre, foulant aux pieds un luxe inouï, descassettes d’or, des ruissellements de bijoux, des étoffes cousuesde pierreries, pour aller s’ensevelir au fond d’une Thébaïde, vêtud’une bure qui lui écorchait l’échine. Mais la messe le tirait deces imaginations, dont il sortait comme d’une belle histoireréelle, qui lui serait arrivée en des temps anciens. Il communiait,il chantait le psaume du jour, très ardemment, sans entendre aucuneautre voix que sa voix, d’une pureté de cristal, si claire, qu’illa sentait s’envoler jusqu’aux oreilles du Seigneur. Et lorsqu’ilremontait à sa chambre, il ne gravissait qu’une marche à la fois,ainsi que le recommandent saint Bonaventure et saint Thomasd’Aquin ; il marchait lentement, l’air recueilli, la têtelégèrement penchée, trouvant à suivre les moindres prescriptionsune jouissance indicible. Ensuite, venait le déjeuner. Auréfectoire, les croûtons de pain, alignés le long des verres de vinblanc, l’enchantaient ; car il avait bon appétit, il étaitd’humeur gaie, il disait par exemple que le vin était bon chrétien,allusion très audacieuse à l’eau qu’on accusait l’économe de mettredans les bouteilles. Cela ne l’empêchait pas de retrouver son airgrave pour entrer en classe. Il prenait des notes sur ses genoux,tandis que le professeur, les poignets au bord de la chaire,parlait un latin usuel, coupé parfois d’un mot français, quand ilne trouvait pas mieux. Une discussion s’élevait ; les élèvesargumentaient en un jargon étrange, sans rire. Puis, c’était, à dixheures, une lecture de l’Écriture sainte, pendant vingt minutes. Ilallait chercher le livre sacré, relié richement, doré sur tranche.Il le baisait avec une vénération particulière, le lisait tête nue,en saluant chaque fois qu’il rencontrait les noms de Jésus, deMarie ou de Joseph. La seconde méditation le trouvait alors toutpréparé à supporter, pour l’amour de Dieu, un nouvelagenouillement, plus long que le premier. Il évitait de s’asseoirune seule seconde sur ses talons ; il goûtait cet examen deconscience de trois quarts d’heure, s’efforçant de découvrir en luides péchés, arrivant à se croire damné pour avoir oublié la veilleau soir de baiser les deux images de son scapulaire, ou pour s’êtreendormi sur le côté gauche ; fautes abominables, qu’il auraitvoulu racheter en usant jusqu’au soir ses genoux, fautes heureusesqui l’occupaient, sans lesquelles il n’aurait su de quoi entretenirson cœur candide, endormi par la blanche vie qu’il menait. Ilentrait au réfectoire tout soulagé, comme s’il s’était débarrasséla poitrine d’un grand crime. Les séminaristes de service, lesmanches de la soutane retroussées, un tablier de coutil bleu noué àla ceinture, apportaient le potage au vermicelle, le bouilli coupépar petits carrés, les portions de gigot aux haricots. Il y avaitdes bruits terribles de mâchoires, un silence glouton, unacharnement de fourchettes seulement interrompu par des coups d’œilenvieux jetés sur la table en fer à cheval, où les directeursmangeaient des viandes plus tendres, buvaient des vins plusrouges ; pendant que la voix empâtée de quelque fils depaysan, aux poumons solides, ânonnait sans points ni virgules,au-dessus de cette rage d’appétit, quelque lecture pieuse, deslettres de missionnaires, des mandements d’évêques, des articles dejournaux religieux. Lui, écoutait, entre deux bouchées. Ces boutsde polémiques, ces récits de voyages lointains le surprenaient,l’effrayaient même, en lui révélant, au delà des murailles duséminaire, une agitation, un immense horizon, auxquels il nepensait jamais. On mangeait encore, qu’un coup de claquoirannonçait la récréation. La cour était sablée, plantée de huit grosplatanes qui, l’été, jetaient une ombre fraîche ; au midi, ily avait une muraille, haute de cinq mètres, hérissée de culs debouteille, au-dessus de laquelle on ne voyait de Plassans quel’extrémité du clocher de Saint-Marc, une courte aiguille depierre, dans le ciel bleu. D’un bout de la cour à l’autre,lentement, il se promenait avec un groupe de camarades, sur uneseule ligne ; et chaque fois qu’il revenait, le visage vers lamuraille, il regardait le clocher, qui était pour lui toute laville, toute la terre, sous le vol libre des nuages. Des cerclesbruyants, au pied des platanes, discutaient ; des amiss’isolaient, deux à deux, dans les coins, épiés par quelquedirecteur caché derrière les rideaux de sa fenêtre ; desparties de paume et de quilles s’organisaient violemment,dérangeant de tranquilles joueurs de loto à demi couchés par terre,devant leurs cartons, qu’une boule ou une balle lancée trop fortcouvrait de sable. Quand la cloche sonnait, le bruit tombait, unenuée de moineaux s’envolait des platanes, les élèves encore toutessoufflés se rendaient au cours de plain-chant, les bras croisés,la nuque grave. Et il achevait la journée au milieu de cettepaix ; il retournait en classe ; il goûtait à quatreheures, reprenant son éternelle promenade, en face de la flèche deSaint-Marc ; il soupait au milieu des mêmes bruits demâchoires, sous la grosse voix achevant la lecture du matin ;il montait à la chapelle dire les actions de grâce du soir, et secouchait à huit heures un quart, après avoir aspergé son lit d’eaubénite, pour se préserver des mauvais rêves.

Que de belles journées semblables il avait passées, dans cetancien couvent du vieux Plassans, tout plein d’une odeur séculairede dévotion ! Pendant cinq ans, les jours s’étaient suivis,coulant avec le même murmure d’eau limpide. À cette heure, il sesouvenait de mille détails qui l’attendrissaient. Il se rappelaitson premier trousseau, qu’il était allé acheter avec sa mère :ses deux soutanes, ses deux ceintures, ses six rabats, ses huitpaires de bas noirs, son surplis, son tricorne. Et comme son cœuravait battu, ce doux soir d’octobre, lorsque la porte du séminaires’était refermée sur lui ! Il venait là, à vingt ans, aprèsses années de collège, pris d’un besoin de croire et d’aimer. Dèsle lendemain, il avait tout oublié, comme endormi au fond de lagrande maison silencieuse. Il revoyait la cellule étroite où ilavait passé ses deux années de philosophie, une case meublée d’unlit, d’une table et d’une chaise, séparée des cases voisines pardes planches mal jointes, dans une immense salle qui contenait unecinquantaine de réduits pareils. Il revoyait sa cellule dethéologien, habitée pendant trois autres années, plus grande, avecun fauteuil, une toilette, une bibliothèque, heureuse chambreemplie des rêves de sa foi. Le long des couloirs interminables, lelong des escaliers de pierre, à certains angles, il avait eu desrévélations soudaines, des secours inespérés. Les hauts plafondslaissaient tomber des voix d’anges gardiens. Pas un carreau dessalles, pas une pierre des murs, pas une branche des platanes, quine lui parlaient des jouissances de sa vie contemplative, sesbégayements de tendresse, sa lente initiation, les caresses reçuesen retour du don de son être, tout ce bonheur des premières amoursdivines. Tel jour, en s’éveillant, il avait vu une vive lueur quil’avait baigné de joie. Tel soir, en fermant la porte de sacellule, il s’était senti saisir au cou par des mains tièdes, sitendrement, qu’en reprenant connaissance, il s’était trouvé parterre, pleurant à gros sanglots. Puis, parfois, surtout sous lapetite voûte qui menait à la chapelle, il avait abandonné sa tailleà des bras souples qui l’enlevaient. Tout le ciel s’occupait alorsde lui, marchait autour de lui, mettait dans ses moindres actes,dans la satisfaction de ses besoins les plus vulgaires, un sensparticulier, un parfum surprenant dont ses vêtements, sa peauelle-même, semblaient garder à jamais la lointaine odeur. Et il sesouvenait encore des promenades du jeudi. On partait à deux heurespour quelque coin de verdure, à une lieue de Plassans. C’était leplus souvent au bord de la Viorne, dans le bout d’un pré, avec dessaules noueux qui laissaient tremper leurs feuilles au fil del’eau. Il ne voyait rien, ni les grandes fleurs jaunes du pré, niles hirondelles buvant au vol, rasant des ailes la nappe de lapetite rivière. Jusqu’à six heures, assis par bandes sous lessaules, ses camarades et lui récitaient en chœur l’Office de laVierge, ou lisaient, deux à deux, les Petites Heures, lebréviaire facultatif des jeunes séminaristes.

L’abbé Mouret eut un sourire, en rapprochant les tisons. Il netrouvait dans ce passé qu’une grande pureté, une obéissanceparfaite. Il était un lis, dont la bonne odeur charmait sesmaîtres. Il ne se rappelait pas un mauvais acte. Jamais il neprofitait de la liberté absolue des promenades, pendant que lesdeux directeurs de surveillance allaient causer chez un curé duvoisinage, pour fumer derrière une haie ou courir boire de la bièreavec quelque ami. Jamais il ne cachait des romans sous sapaillasse, ni n’enfermait des bouteilles d’anisette au fond de satable de nuit. Longtemps même, il ne s’était pas douté de tous lespéchés qui l’entouraient, des ailes de poulets et des gâteauxintroduits en contrebande pendant le carême, des lettres coupablesapportées par les servants, des conversations abominables tenues àvoix basse, dans certains coins de la cour. Il avait pleuré àchaudes larmes, le jour où il s’était aperçu que peu de sescamarades aimaient Dieu pour lui-même. Il y avait là des fils depaysans entrés dans les ordres par terreur de la conscription, desparesseux rêvant un métier de fainéantise, des ambitieux quetroublait déjà la vision de la crosse et de la mitre. Et lui, enretrouvant les ordures du monde au pied des autels, s’était repliéencore sur lui-même, se donnant davantage à Dieu, pour le consolerde l’abandon où on le laissait.

Pourtant, l’abbé se rappela qu’un jour il avait croisé lesjambes, à la classe. Le professeur lui en ayant fait le reproche,il était devenu très rouge, comme s’il avait commis une indécence.Il était un des meilleurs élèves, ne discutant pas, apprenant lestextes par cœur. Il prouvait l’existence et l’éternité de Dieu pardes preuves tirées de l’Écriture sainte, par l’opinion des Pères del’Église, et par le consentement universel de tous les peuples. Lesraisonnements de cette nature l’emplissaient d’une certitudeinébranlable. Pendant sa première année de philosophie, iltravaillait son cours de logique avec une telle application, queson professeur l’avait arrêté, en lui répétant que les plus savantsne sont pas les plus saints. Aussi, dès sa seconde année,s’acquittait-il de son étude de la métaphysique, ainsi que d’undevoir réglementé, entrant pour une très faible part dans lesexercices de la journée. Le mépris de la science lui venait ;il voulait rester ignorant, afin de garder l’humilité de sa foi.Plus tard, en théologie, il ne suivait plus le cours d’Histoireecclésiastique, de Rorbacher, que par soumission ; ilallait jusqu’aux arguments de Gousset, jusqu’à l’Instructionthéologique, de Bouvier, sans oser toucher à Bellarmin, àLiguori, à Suarez, à saint Thomas d’Aquin. Seule, l’Écrituresainte le passionnait. Il y trouvait le savoir désirable, unehistoire d’amour infini qui devait suffire comme enseignement auxhommes de bonne volonté. Il n’acceptait que les affirmations de sesmaîtres, se débarrassant sur eux de tout souci d’examen, n’ayantpas besoin de ce fatras pour aimer, accusant les livres de voler letemps à la prière. Il avait même réussi à oublier ses années decollège. Il ne savait plus, il n’était plus qu’une candeur, qu’uneenfance ramenée aux balbutiements du catéchisme.

Et c’était ainsi qu’il était pas à pas monté jusqu’à laprêtrise. Ici, les souvenirs se pressaient, attendris, chaudsencore de joies célestes. Chaque année, il avait approché Dieu deplus près. Il passait saintement les vacances, chez un oncle, seconfessant tous les jours, communiant deux fois par semaine. Ils’imposait des jeûnes, cachait au fond de sa malle des boîtes degros sel, sur lesquelles il s’agenouillait des heures entières, lesgenoux mis à nu. Il restait à la chapelle, pendant les récréations,ou montait dans la chambre d’un directeur, qui lui racontait desanecdotes pieuses, extraordinaires. Puis, quand approchait le jourde la Sainte-Trinité, il était récompensé au delà de toute mesure,envahi par cette émotion dont s’emplissent les séminaires à laveille des ordinations. C’était la grande fête, le ciel s’ouvrantpour laisser les élus gravir un nouveau degré. Lui, quinze jours àl’avance, se mettait au pain et à l’eau. Il fermait les rideaux desa fenêtre, pour ne plus même voir le jour, se prosternant dans lesténèbres, suppliant Jésus d’accepter son sacrifice. Les quatrederniers jours, il était pris d’angoisses, de scrupules terriblesqui le jetaient hors de son lit, au milieu de la nuit, pour allerfrapper à la porte du prêtre étranger dirigeant la retraite,quelque carme déchaussé, souvent un protestant converti, sur lequelcourait une merveilleuse histoire. Il lui faisait longuement laconfession générale de sa vie, la voix coupée de sanglots.L’absolution seule le tranquillisait, le rafraîchissait, comme s’ilavait pris un bain de grâce. Il était tout blanc, au matin du grandjour ; il avait une si vive conscience de cette blancheur,qu’il lui semblait faire de la lumière autour de lui. Et la clochedu séminaire sonnait de sa voix claire, tandis que les odeurs dejuin, les quarantaines en fleurs, les résédas, les héliotropes,venaient par-dessus la haute muraille de la cour. Dans la chapelle,les parents attendaient, en grande toilette, émus à ce point, queles femmes sanglotaient sous leurs voilettes. Puis, c’était ledéfilé : les diacres, qui allaient recevoir la prêtrise, enchasuble d’or ; les sous-diacres, en dalmatique ; lesminorés, les tonsurés, le surplis flottant sur les épaules, labarrette noire à la main. L’orgue ronflait, épanouissait les notesde flûte d’un chant d’allégresse. À l’autel, l’évêque, assisté dedeux chanoines, officiait, crosse en main. Le chapitre était là,les prêtres de toutes les paroisses se pressaient, au milieu d’unluxe inouï de costumes, d’un flamboiement d’or allumé par le largerayon de soleil qui tombait d’une fenêtre de la nef. Aprèsl’épître, l’ordination commençait.

À cette heure, l’abbé Mouret se rappelait encore le froid desciseaux, lorsqu’on l’avait marqué de la tonsure, au commencement desa première année de théologie. Il avait eu un léger frisson. Maisla tonsure était alors bien étroite, à peine ronde comme une piècede deux sous. Plus tard, à chaque nouvel ordre reçu, elle avaitgrandi, toujours grandi, jusqu’à le couronner d’une tache blanche,aussi large qu’une grande hostie. Et l’orgue ronflait plusdoucement, les encensoirs retombaient avec le bruit argentin deleurs chaînettes, en laissant échapper un flot de fumée blanche,qui se déroulait comme de la dentelle. Lui, se voyait en surplis,jeune tonsuré, amené à l’autel par le maître des cérémonies ;il s’agenouillait, baissait profondément la tête, tandis quel’évêque, avec des ciseaux d’or, lui coupait trois mèches decheveux, une sur le front, les deux autres près des oreilles. À unan de là, il se voyait de nouveau, dans la chapelle pleined’encens, recevant les quatre ordres mineurs : il allait,conduit par un archidiacre, fermer avec fracas la grande porte,qu’il rouvrait ensuite, pour montrer qu’il était commis à la gardedes églises ; il secouait une clochette de la main droite,annonçant par là qu’il avait le devoir d’appeler les fidèles auxoffices ; il revenait à l’autel, où l’évêque lui conférait denouveaux privilèges, ceux de chanter les leçons, de bénir le pain,de catéchiser les enfants, d’exorciser le démon, de servir lesdiacres, d’allumer et d’éteindre les cierges. Puis, le souvenir del’ordination suivante lui revenait, plus solennel, plus redoutable,au milieu du même chant des orgues, dont le roulement semblait êtrela foudre même de Dieu ; ce jour-là, il avait la dalmatique desous-diacre aux épaules, il s’engageait à jamais par le vœu dechasteté, il tremblait de toute sa chair, malgré sa foi, auterrible : Accedite, de l’évêque, qui mettait enfuite deux de ses camarades, pâlissant à son côté ; sesnouveaux devoirs étaient de servir le prêtre à l’autel, de préparerles burettes, de chanter l’épître, d’essuyer le calice, de porterla croix dans les processions. Et, enfin, il défilait une dernièrefois dans la chapelle, sous le rayonnement du soleil de juin ;mais, cette fois, il marchait en tête du cortège, il avait l’aubenouée à la ceinture, l’étole croisée sur la poitrine, la chasubletombant du cou ; défaillant d’une émotion suprême, ilapercevait la figure pâle de l’évêque qui lui donnait la prêtrise,la plénitude du sacerdoce, par une triple imposition des mains.Après son serment d’obéissance ecclésiastique, il se sentait commesoulevé des dalles, lorsque la voix pleine du prélat disait laphrase latine : « Accipe Spiritum sanctum :quorum remiseris peccata, remittuntur eis, et quorum retineris,retenta sunt. »

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