Le Cas du Docteur Plemen

Chapitre 8LE LECTEUR RETROUVE LE GROS ELIAS PANTON ET LE RÉVÉRENDJONATHAN

Moins dehuit jours plus tard, William Witson n’ignorait rien des inimitiésque Mme Deblain s’était créées dès le lendemain,pour ainsi dire, de son arrivée à Vermel, des jalousies qu’elleavait suscitées, des imprudences qu’elle avait commises, et ilcomprit alors l’empressement avec lequel ce monde bourgeois,rancunier et méchant, acceptait l’accusation dont la jeune femmeétait l’objet, aussi bien que la joie misérable qu’éprouvaient cesfemmes à l’esprit envieux et mesquin de l’abaissement de celle quiles avait dominées si longtemps par sa fortune, son élégance et sabeauté.

Le compatriote de la pauvre Rhéa savaitégalement quelle déception le mariage de M. Deblain avaitcausée à sa tante Mme Dusortois, qui avait silongtemps espéré que son neveu deviendrait son gendre ou, tout aumoins, resterait, pour ses filles, un oncle à héritage.

Cette triste parente s’était toujours si peugênée pour exprimer ses sentiments que la ville entière connaissaitla haine qu’elle avait vouée à sa nièce, et William, procédant paranalyse et déduction, fut bientôt persuadé que cette mère de deuxfilles sans dot était sinon l’auteur, du moins l’instigatrice del’infâme dénonciation anonyme qui avait été adressée au procureurde la République.

Ce que l’Américain s’expliquait moinsaisément, c’était la façon dont l’idée d’accuser Rhéad’empoisonnement avait pu naître dans l’esprit deMme Dusortois.

Cette misérable femme avait-elle lancé cela auhasard, dans le seul but de calomnier, par vengeance,Mme Deblain, sans espérer que la justice ajouteraitfoi à cette calomnie, ou, puisque l’examen médico-légal avaitconstaté la mort violente de M. Deblain, sa tante avait-elleeu réellement connaissance de cet acte criminel avant même quepersonne l’eût soupçonné ?

Mais pourquoi cette pensée était-elle venue àMme Dusortois, qui fréquentait peu l’hôtel Deblainet n’y avait fait qu’une courte apparition, quelques jours avant lamort de son neveu, tandis que nul des serviteurs ni des intimes decelui-ci n’avait jamais eu de semblables soupçons ?

C’était là un problème qu’il ne pouvaitrésoudre. Il en était réduit, sur ce point spécial, à espérer queles événements ne tarderaient pas à lui donner la clef del’énigme.

En attendant, comme les investigations deWitson s’étaient également étendues sur le personnel de la cour deVermel, il savait aussi tout ce qu’il lui importait de connaître dece côté-là, tout ce que lui avait déjà fait supposer son entrevueavec MM. Duret et Babou.

Les magistrats du chef-lieu de Seine-et-Loireétaient divisés en deux camps, nous devrions dire plutôt en deuxcastes bien distinctes : ceux qui, soit qu’ils appartinssent àla cour ou au tribunal, étaient de famille de robe et avaient faitrégulièrement, hiérarchiquement leur carrière, et ceux qui,nouveaux venus, devaient leur situation et leur avancement rapide àleurs opinions politiques, ou tout au moins aux opinions politiquesque, par ambition, ils affichaient.

Parmi ces derniers figurait au premier rang leprocureur général, M. Lachaussée, un ancien bonapartiste.Après avoir écrit de nombreuses brochures, aussi indigestes queréactionnaires, il avait changé son fusil d’épaule si à propos ets’était prononcé si nettement pour les décrets d’expulsion que laRépublique, sans s’inquiéter de son passé, de son incapaciténotoire et de son manque d’éloquence, n’avait pas hésité àl’envoyer à la tête du parquet de Vermel, convaincue qu’elle auraittoujours là, en ce renégat, l’instrument le plus docile.

Venait ensuite le premier président Monsel, unhomme d’une incontestable valeur, dont les débuts dans lamagistrature avaient été remarqués jadis et qui était du moins unrépublicain de la veille ; mais la politique, où il avaittenté vainement de jouer un rôle actif, dirigeait tous ses actes,et sa vie privée avait été semée de si galantes aventures, que sanomination à la tête de la cour de Vermel avait semblé à tous leshonorables magistrats du ressort, aussi bien qu’aux gens du monde,une sorte de défi jeté à l’opinion publique.

Il est vrai que, depuis son arrivée à Vermel,en qualité de premier président, M. Monsel affichait la plusgrande sévérité de mœurs, quoi qu’il lui en coûtât ; car, bienqu’il eût dépassé depuis longtemps la cinquantaine, il était restégrand ami du beau sexe.

Nous avons dit qu’il trouvaitMme Deblain tout à fait charmante.

Quoi qu’il en fût, ou plutôt peut-être enraison même de ce qui en était, il se montrait toujours impitoyablepour les erreurs amoureuses d’autrui. Toute femme adultère étaitindigne de pitié, toute liaison irrégulière ne devait soulever quele mépris des honnêtes gens.

On voit que la fille d’Elias Panton, siaccablée déjà par l’instruction, ne devait rien espérer de labienveillance de ces deux magistrats.

Il restait à savoir, et c’est ce quiintéressait tout particulièrement Witson, si sa compatriote pouvaittout au moins compter sur l’intelligence et l’impartialité des deuxautres fonctionnaires de qui dépendait, non pas son sort futur,cela regarderait le jury, si la chambre des mises en accusationl’envoyait en cour d’assises, mais tout au moins la manière dontelle serait traitée pendant que durerait sa prison préventive.

Ces deux fonctionnaires étaient ce procureurde la République Duret et ce juge d’instruction Babou, que noslecteurs ne connaissent encore que sommairement.

Le premier de ces hommes était un magistratqui ne manquait pas d’un certain mérite, mais il étaithypocondriaque, d’une sévérité excessive et d’une telle paresseque, lorsqu’il avait remis le soin de poursuivre entre les mains dujuge d’instruction, il ne voulait plus s’occuper de rien.

Une ordonnance de non-lieu était une sorted’échec ; il s’enorgueillissait de n’en avoir jamais rendu uneseule. Aussi bon nombre des affaires qu’il avait fait suivre quandmême s’étaient-elles terminées par des acquittements, ce dont leministère de la justice avait fini par s’émouvoir.

C’était après lui avoir fait observer qu’ilallait parfois trop vite en besogne qu’on l’avait envoyé d’untribunal du département de Seine-et-Loire au siège de la cour, dansl’espoir que sous la main d’un procureur général, il apporterait unpeu plus de circonspection dans sa façon d’agir.

Malheureusement, à Vermel, avec un chef deparquet aussi peu capable que M. Lachaussée, M. Duretétait vraiment le maître. On racontait de lui certains actesd’omnipotence si étranges qu’on se serait refusé à y croire si onn’en avait eu la preuve.

Quant à M. Babou, nous l’avons vu àl’œuvre. C’était bien ce qu’on pouvait appeler un magistrat de lanouvelle couche, à tous les points de vue.

Fils d’un petit huissier de la campagne quiavait fait suer sang et larmes à de pauvres diables pour que sonhéritier devînt avocat, Jérôme Babou n’avait conquis ses diplômesqu’à force de piocher, car son intelligence était médiocre ;puis, après le Quatre Septembre, préférant de beaucoup la robe aufusil, il était entré dans la magistrature, où il avait fait sonchemin peu à peu, à force d’obséquiosité et de souplesse, jusqu’aujour où il avait été choisi parmi les membres du tribunal de Vermelpour remplir les fonctions de juge d’instruction ; non pointqu’on le supposât le plus capable de ses collègues, mais parcequ’il était travailleur et qu’on savait qu’en questions politiques,on le trouverait disposé, par ambition, à suivre aveuglément lesordres de ses chefs hiérarchiques.

Néanmoins, bien qu’il exerçât depuis déjàplusieurs années, le fils de l’huissier n’était pas dégrossi :il était resté paysan, commun, d’un esprit étroit, de vue courte,de ton vulgaire, n’ayant rien acquis au contact des gensde distinction qu’il fréquentait au Palais.

Il n’allait pas dans le monde, d’abord parceque nul des vrais salons de Vermel ne lui était ouvert, et ensuiteparce que sa femme, extrêmement avare et aussi peu distinguée quelui, ne voulait faire aucun frais de toilette et que, de plus, fortjalouse, elle permettait rarement à son mari de sortir seul.

Il résultait de l’existence qu’avait toujoursmenée Jérôme Babou qu’il était, à quarante ans, aussi ignorant deschoses de la vie que s’il ne s’était jamais éloigné de l’étudepoussiéreuse de son père, et qu’il avait une haine instinctive pourtout ce qui était jeune, élégant et riche.

Quant à sa femme, foncièrement bourgeoise etenvieuse, nous avons vu qu’elle avait été des plus acharnées àcritiquer et à blâmer la jolie Mme Deblain, lorsquecelle-ci était arrivée de Philadelphie pour donner un élan nouveauà la société de Vermel.

On conçoit donc aisément siMme Babou s’était empressée de croire à laculpabilité de l’Américaine, et si elle poussait son mari à user derigueur à son égard, à ne pas se laisser attendrir par lesdémarches qu’on ne cessait de faire auprès de lui en faveur decelle qu’elle appelait, avec un accent d’horreur impossible àrendre : l’empoisonneuse adultère.

Le juge d’instruction était certainement unhonnête homme au point de vue de la probité, ne suivant d’ailleursen cette façon d’être que l’exemple de ses collègues conservateursou républicains, car il est une justice qu’il faut rendre aussibien aujourd’hui qu’on l’a fait de tout temps à la magistraturefrançaise : l’honneur professionnel y est au-dessus de toutetentation d’argent. La prévarication y est une de ces exceptionsqui prouvent la règle générale. Tel homme dont la vie privée estremplie de désordres et d’erreurs n’en est pas moins un juge dontla conscience n’est à vendre à aucun prix.

Toutes les fois que la politique n’est pas enjeu, ce n’est que par erreur ou sottise qu’un magistrat françaisjuge contre le bon sens et l’équité.

M. Babou était donc un honnête homme,mais il était surtout un infatué de son pouvoir, un jaloux de sonautorité, un fonctionnaire qui n’admettait pas qu’il pût setromper. C’était donc pire d’avoir affaire à lui que s’il eût étémoins probe, mais plus intelligent.

Ces renseignements étaient bien de nature àeffrayer Witson sur la situation deMme Deblain.

Il comprenait qu’elle était entre les mains demagistrats prévenus contre elle et qui peut-être, alors même que lasuite de l’instruction leur permettrait de douter de saculpabilité, ne voudraient jamais reconnaître qu’ils avaient ététrompés par les apparences.

Ils s’étaient, les uns et les autres, beaucouptrop avancés pour ne pas pousser les choses jusqu’au bout. Ilfallait que Mme Deblain et Félix Barthey passassenten cour d’assises, quand même le jury devrait les déclarerinnocents.

Un verdict négatif peut être discuté ;l’opinion publique peut ne pas l’accepter. Il arrive que desaccusés, manifestement coupables, sont acquittés, et cesacquittements ne nuisent en rien à la réputation d’habileté desmagistrats qui les ont poursuivis. Mais une ordonnance de non-lieuest tout autre chose. Elle est souvent l’aveu, la démonstrationforcée d’un manque de coup d’œil, d’une trop grande précipitation àmettre la justice en mouvement, et c’est parfois une mauvaise notepour ceux qui ont du moins la probité professionnelle dereconnaître leur erreur.

Lorsqu’il n’eut plus rien à apprendre àl’égard des membres du parquet, le compatriote de Rhéa songea toutnaturellement au docteur Plemen, dont la situation d’honorabilitéétait si grande à Vermel, et, après avoir demandé àM. Meursan, le banquier, un mot d’introduction auprès dusavant médecin, il se présenta chez lui.

Plemen s’empressa de le recevoir, et Williamfut frappé de l’accent de douleur avec lequel l’éminent praticienlui répondit, lorsqu’il se fut fait connaître et lui eut dit le butde sa visite :

– Je subis en ce moment une des épreuvesles plus pénibles de notre profession. Ah ! si j’avais pupressentir ce qui se passe, je me serais certainement récusé. Je necomprends rien à l’empressement avec lequel le juge d’instructionveut voir un crime où il n’y a, c’est bien certain, qu’unaccident.

– Vous ne doutez donc pas qu’il y a euempoisonnement ?

– Est-ce que je puis me tromper !D’ailleurs l’analyse était, hélas ! trop facile à faire.

– C’est vrai, monsieur, vous êtes nonseulement un docteur habile, mais encore un de nos savantstoxicologues, et je dois m’incliner devant votre rapportmédico-légal, bien qu’il renverse l’une de mes croyances, ou plutôtune simple idée que j’avais conçue, mais que je n’ai pas raisonnée,je dois l’avouer.

– Laquelle ?

– Il me semblait avoir lu, je ne saisplus où, que les sels de cuivre n’étaient pas des poisons assezviolents pour causer la mort et que leur absorption ne pouvaitdonner lieu qu’à des accidents auxquels il était toujours aisé deporter remède.

– C’est là une opinion que quelques-unsde mes confrères ont émise, plutôt pour attirer l’attention sur euxque par conviction scientifique. Ils discutent sur les mots. Lessels de cuivre n’agissent pas comme les poisons végétaux, c’estcertain, ni comme quelques autres toxiques minéraux ; mais lesdésordres qu’ils causent n’en sont pas moins des plus graves etsouvent mortels.

– Vous croyez qu’ils peuvent, danscertains cas, provoquer une fin presque foudroyante ?

– Non, mais il peut arriver que lepatient qui absorbe un de ces sels soit tout à la fois dans detelles dispositions morbides et soumis à un traitement de tellenature que sa mort semble avoir été foudroyante. C’est, selon moi,ce qui s’est produit chez M. Deblain. Il était atteint d’unemaladie d’estomac, que j’ai mal diagnostiquée, mal reconnue,peut-être mal traitée, et, de plus, il tentait d’endormir lesdouleurs qu’il éprouvait avec des injections de morphine. La crisequi l’a enlevé l’a pris sans doute au moment où il était sousl’influence de ce stupéfiant ! C’est ce qui explique pourquoiil n’a pas lutté et n’a point appelé à son secours.

– Oui, oui, je saisis ; mais vousdirez cela, n’est-ce pas ?

– Certainement, et j’attends avecimpatience que le juge d’instruction me fasse appeler, non pluscomme médecin légiste, mais comme docteur ayant soigné.M. Deblain. Oh ! il faudra bien que M. Babou finissepar comprendre que celle qu’il accuse est innocente. Lamalheureuse ! Et c’est moi, moi !

L’accent de profond chagrin avec lequels’exprimait Plemen ne permettait pas à Witson de prolonger savisite. Il n’ignorait pas, d’ailleurs, les bruits qui avaient coururelativement aux relations du docteur et de Rhéa, et, bien qu’iln’y crût pas ou plutôt qu’il n’y crût qu’à demi, il se rendaitaisément compte de la situation épouvantable que la fatalitéfaisait à ce galant homme.

Après avoir constaté, par probitéprofessionnelle, la mort violente de son ami, il avait jeté dansles bras de la justice la femme de cet ami, une femme qu’il nepouvait pas ne point aimer, lors même qu’il n’y aurait eu entreelle et lui que des relations avouables. C’était vraimenthorrible !

Quant aux explications de Plemen, ellesétaient si claires, si démonstratives, qu’elles ne laissaient pointplace à l’ombre d’un doute.

Oui, M. Deblain était réellement mortempoisonné, mais l’Américain admettait moins nettement que sa morteût été à ce point foudroyante qu’il n’avait pu ni se lever nicrier, et que sa femme, dont l’appartement était contigu avec lesien, ne l’eût pas entendu.

Ce point qui, pour lui, restait obscur, lepréoccupait vivement et il osait à peine y arrêter son esprit, dansla conviction qu’il avait et voulait conserver de l’innocence deMme Deblain.

C’est en songeant à toutes ces choses quenotre mystérieux personnage reprit le chemin de son hôtel, où ilapprit que M. Elias Panton venait d’arriver, non pas seul,mais accompagné de l’un de ses amis ou parents.

Le père de Mme Deblain savaitdéjà, grâce à Mme Gould-Parker, la présence de soncompatriote à Vermel et les motifs qui l’y avaient conduit ;aussi courut-il au-devant de lui, quand, après s’être faitannoncer, il franchit le seuil de son appartement.

– Mon ami, mon cher Maxwell !s’écria-t-il en lui tendant les deux mains. Comprenez-vouscela ? Oser accuser ma fille, ma chère Rhéa, d’être uneempoisonneuse ! Lorsque j’ai reçu cette nouvelle là-bas, àPhiladelphie, j’ai pensé devenir fou ! Mais me voilà ;nous allons bien voir ! Notre ambassadeur a entretenu leministre de la justice à Paris de cette odieuse affaire. Ah !ceux qui ont emprisonné ma pauvre enfant le payeront cher, je lejure !

– Du calme, mon cher Elias, du calme,répondit Witson, sans s’émouvoir que le grand manufacturieraméricain l’eût appelé de ce nom « Maxwell », qui étaitréellement le sien, ainsi que le verront bientôt noslecteurs ; nous aurons raison de cette accusationinepte ; je me suis déjà rendu compte de bien des choses.

– Et la main de Dieu s’appesantira surles méchants, cher docteur, ajouta d’une voix inspirée le compagnond’Elias Panton, en offrant à son tour ses deux mains à l’ami demiss Jane.

– Le révérend Jonathan ! fitWilliam, en reconnaissant le clergyman à qui le chagrin n’enlevaitni sa tournure ridicule ni son langage mystique.

– Moi-même ! Ma sœur, trèssouffrante et désespérée, n’a pu accompagner son mari, et moi, jen’ai pas voulu le laisser venir seul dans ce pays demécréants ; mais…

– Avant tout, je veux voir mafille ! interrompit Panton.

– On ne vous le permettra pas, réponditWitson.

– On ne me le permettra pas ! Onm’empêchera d’embrasser mon enfant ! Et qui donc ?

– Ceux qui l’accusent et usentrigoureusement du droit que leur donne la loi française de ne lalaisser communiquer avec personne.

– Mais c’est horrible, monstrueux !Comment, à notre époque, une semblable loi peut-elle exister chezun peuple civilisé ?

– Que voulez-vous ? cela est ainsi.Mais ce secret auquel est condamnée votre fille depuis déjà troissemaines ne pourra être maintenu longtemps, quelques jours au plus,car la loi n’autorise à garder les prévenus au secret que pendantdix jours. Il est vrai qu’elle donne également, comme par ironie,le droit à leurs geôliers de renouveler cette mesure cruelle parune nouvelle période. Toutefois, soyons patients, nous lasauverons. Je ne suis venu à Vermel que dans ce but.

– Ah ! c’est vrai,pardonnez-moi ! Je ne songeais pas même à vous demandercomment il se fait que je vous rencontre ici, vous qui avez disparubrusquement de Philadelphie, il y a déjà tant d’années.

– Je vous expliquerai cela et biend’autres choses encore. Ne songeons en ce moment qu’à votre chèreenfant.

– Pourquoi Rhéa n’a-t-elle pas vouluépouser mon digne fils Archibald ? gémit Jonathan en levantles yeux au ciel.

– Il est certain, riposta Witson avecimpatience, que si elle était devenue Mme ArchibaldThompson, elle ne pourrait être accusée que d’avoir empoisonnévotre fils et non M. Deblain.

– Heureusement que, dans satoute-puissance, le Très-Haut…

– Pardon, mon cher révérend, je suis loind’être un athée ; ma foi, au contraire, n’est pas moindre quela vôtre ; cependant j’estime qu’il y a des circonstances où,tout en demeurant plein de confiance en Dieu, il faut commencer pars’aider soi-même. Priez pour votre pauvre nièce, c’estparfait ; mais unissez aussi vos efforts aux nôtres pour latirer de cette horrible aventure.

– Oui, Jonathan, oui, le docteur araison, fit Elias les yeux pleins de larmes. Ah ! pourquoi machère fille s’est-elle mariée à un Français !

– Comment donc s’est fait cemariage ? demanda William.

– Thompson peut vous le dire. Cetteunion-là, c’est son œuvre.

Au ton bourru de son beau-frère, le révérendavait baissé la tête, mais il lui fallut bien cependant raconter àson compatriote ce qui s’était passé un matin, grâce à sonintervention subite, à Star Tavern, Camden place.

– Alors votre fille n’aimait pas sonmari ? interrogea Witson, lorsque le clergyman eut terminé sonrécit, qu’il avait émaillé tout naturellement de force citationsbibliques.

– D’amour, certes non, réponditPanton ; mais lorsqu’elle est partie de la maison, elleparaissait enchantée d’être devenue Mme Deblain,et, dans toutes ses lettres, elle ne nous a jamais parlé de sonmari que dans les termes les plus affectueux. Elle se trouvait siheureuse qu’elle conseillait à sa sœur de se marier bien vite pourvenir la rejoindre en France. C’est ce qui a décidé Jenny àaccorder sa main au colonel Gould-Parker.

– Je ne comprenais pas, en effet, quevous eussiez fait votre gendre de ce brutal personnage.

– Que voulez-vous ! je ne l’ai pasplus choisi que je n’avais choisi M. Deblain ; mais Jennyavait, elle aussi, une envie folle d’habiter Paris. Elle n’a épouséle colonel que parce qu’il était nommé notre attaché militaire enFrance. Du reste, son mari ne l’a pas gênée longtemps : voilàun an qu’il est en mission au Japon et, depuis cette époque, safemme a vécu presque toujours auprès de sa sœur.

– Elle y était au moment de la mort deM. Deblain ?

– Je l’ignore, mais c’est probable ;car Parker, qui est fort jaloux, avait confié sa femme à Rhéa, laplus jeune des deux cependant. Voulez-vous que je la prie demonter ? Elle doit être chez elle.

Mme Gould-Parker n’avait passongé un instant à habiter la Malle ou l’hôtel des Deblain, enville ; elle s’était installée au Lion-d’Or, ainsique M. Armand Barthey.

– Non, je l’interrogerai moi-même. J’aibesoin qu’elle me renseigne bien exactement sur la vie intime de sasœur, car c’est peut-être d’un détail en apparence insignifiant quejaillira la lumière. En attendant, prenez courage, ne désespérez derien. Cette accusation terrible, qui semble reposer sur des basessérieuses, ne tient qu’à un fil, j’en ai la conviction. Ce fil-là,je saurai le découvrir.

– Oh ! mon cher Maxwell, que votreassurance me fait de bien ! Ma fille, ma pauvre fille !Comment reconnaîtrons-nous jamais un semblable service ?

– En me rouvrant votre porte, là-bas, àPhiladelphie, où j’espère retourner bientôt avec vous. Ce n’est passeulement au salut de votre enfant que je travaille, c’est aussi àma propre délivrance.

– À votre délivrance ?

– Oui, mon cher et vieil ami ; maisne m’interrogez pas : je ne dois pas, en ce moment, vous endire davantage. Évitez seulement de faire savoir qui je suisréellement ; appelez-moi, comme tout le monde, William Witson.C’est moi qui aurai un jour à remercier votre fille, puisqu’ellem’aura permis de redevenir ce que j’étais autrefois.

Et, serrant les mains du malheureux Panton,qui ne comprenait pas plus que le révérend ce que cela voulaitdire, le défenseur inattendu que le ciel avait envoyé àMme Deblain prit congé de ses deux compatriotes,les laissant pleins de confiance en lui.

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