Le Meneur de loups

XX. Fidèle au rendez-vous.

Thibault, en quittant la comtesse, avait suivil’itinéraire indiqué par lui-même, et était, sans accident, sortidu château d’abord et ensuite du parc.

Mais, arrivé là, pour la première fois de savie, Thibault se trouva sans savoir où aller. Sa chaumière étaitbrûlée ; il n’avait pas un ami ; comme Caïn, il ne savaitplus où reposer la tête.

Il gagna la forêt, son éternel refuge.

Puis il erra jusqu’au fond de Chavigny, et,comme le jour commençait à paraître, il entra dans une maisonisolée et demanda à acheter du pain.

Une femme, en l’absence de son mari, lui donnace pain et ne voulut pas en recevoir le prix.

Thibault lui faisait peur.

Sûr de sa nourriture pour toute la journée,Thibault regagna la forêt.

Il connaissait, entre Fleury et Longpont, unendroit de la forêt extrêmement épais.

Il résolut d’y passer la journée.

En cherchant un abri derrière un rocher, ilvit au fond d’un ravin quelque chose qui reluisait.

La curiosité lui inspira l’idée dedescendre.

Ce quelque chose qui reluisait, c’était laplaque argentée du baudrier d’un garde.

Ce baudrier était passé en sautoir autour ducou d’un cadavre ou plutôt d’un squelette, car les chairs ducadavre avaient été rongées, et les os en avaient été nettoyéscomme pour un cabinet d’anatomie ou un atelier de peinture.

Ce squelette était tout frais et semblait dela nuit même.

– Ah ! ah ! dit Thibault,voilà, selon toute probabilité, de l’ouvrage de mes amis les loups.Il paraît qu’ils ont profité de la permission que je leur aidonnée.

Il descendit dans le ravin, car il étaitcurieux de savoir à qui avait appartenu le cadavre, et sa curiositéétait facile à satisfaire.

La plaque, qui sans doute n’avait point paru àmessieurs les loups d’aussi facile digestion que le reste, étaittoujours sur la poitrine du squelette comme une étiquette sur unballot.

J.-B. Lestocq, garde particulier deM. le comte de Mont-Gobert.

– Bon ! dit Thibault en riant, envoilà un qui n’a pas porté loin la peine de sonassassinat !

Puis, le front soucieux, à voix basse et sansrire cette fois, Thibault ajouta comme en se parlant àlui-même.

– Est-ce que, par hasard, il y a uneProvidence ?

La mort de Lestocq n’était point difficile àcomprendre. En se rendant la nuit de Mont-Gobert à Longpont, sansdoute pour exécuter quelque ordre de son maître, le garde du comteavait été attaqué par les loups. Il s’était défendu d’abord avec lemême couteau de chasse dont il avait frappé le baron Raoul, carThibault retrouva ce couteau à quelques pas du chemin, à un endroitoù la terre, puissamment égratignée, indiquait une lutte ;puis, désarmé de son couteau de chasse, Lestocq avait été entraînépar les animaux féroces dans le ravin, et, là, dévoré par eux.

Thibault devenait tellement insoucieux à toutechose, qu’il n’eut de l’événement ni plaisir ni regret, nisatisfaction ni remords ; il songea seulement que celasimplifiait les desseins de la comtesse, qui n’aurait plus à sevenger que de son mari.

Puis il s’établit entre les rochers le plus àl’abri du vent qu’il lui fut possible, afin d’y passertranquillement la journée.

Vers midi, il entendit le cor du seigneur Jeanet les abois de sa meute.

Le grand veneur chassait, mais la chasse passaassez loin de Thibault pour ne pas le déranger.

La nuit vint.

À neuf heures, Thibault se mit en route.

Il retrouva sa brèche, suivit son chemin etarriva au hangar où l’avait attendu Lisette le jour où il y venaitsous les traits du baron Raoul.

La pauvre fille était toute tremblante.

Thibault voulut suivre les traditions etcommença par l’embrasser.

Mais elle fit un bond en arrière avec uneffroi visible.

– Oh ! dit-elle, ne me touchez pasou j’appelle.

– Peste ! la belle fille, ditThibault, vous n’étiez pas si revêche l’autre jour avec le baronRaoul.

– Oui, dit la suivante ; mais ils’est passé bien des choses depuis l’autre jour.

– Sans compter celles qui se passerontencore, dit allègrement Thibault.

– Oh ! répondit la chambrière d’unair sombre, je crois que maintenant le plus fort est fait. Puis,marchant la première :

– Si vous voulez venir, dit-elle,suivez-moi.

Thibault la suivit. Sans prendre aucuneprécaution, Lisette traversa tout l’espace libre qui séparait lemassif du château.

– Oh ! oh ! dit Thibault, tu esbien brave aujourd’hui, la belle fille, et, si l’on nousvoyait…

Mais elle, secouant la tête :

– Il n’y a plus de danger,dit-elle : tous les yeux qui pouvaient nous voir sontfermés.

Quoiqu’il ne comprît pas ce que voulait direla jeune fille, l’accent dont elle prononça ces paroles fittressaillir Thibault. Il la suivit en silence, s’engagea avec elledans l’escalier tournant et monta au premier étage. Mais, au momentoù Lisette mettait la main sur la clef de la chambre, ill’arrêta.

La solitude et le silence du châteaul’effrayaient. On eût dit d’un château maudit.

– Où allons-nous ? demanda Thibaultsans trop savoir ce qu’il disait.

– Mais vous le savez bien.

– Dans la chambre de lacomtesse ?

– Dans la chambre de la comtesse.

– Elle m’attend ?

– Elle vous attend.

Et Lisette ouvrit la porte.

– Entrez, dit-elle.

Thibault entra ; Lisette referma la porteet resta dans le corridor. C’était bien la même chambreravissante ; éclairée de la même façon, embaumée de la mêmeodeur.

Thibault chercha des yeux la comtesse.

Il s’attendait à la voir paraître par la portedu cabinet de toilette.

La porte du cabinet de toilette restaitfermée.

Aucun bruit ne se faisait entendre dans cettechambre, si ce n’est le tintement de la pendule en porcelaine deSèvres et le battement du cœur de Thibault.

Il commença de regarder autour de lui avec uneffroi dont il ne pouvait se rendre compte.

Ses yeux s’arrêtèrent sur le lit.

La comtesse était couchée.

Elle avait à la tête les mêmes épingles dediamant, au cou le même fil de perles, au corps la même robe dechambre de taffetas rose, aux pieds les mêmes mules de drapd’argent qu’elle avait pour recevoir le baron Raoul.

Thibault s’approcha. La comtesse ne fit pas unmouvement à son approche.

– Vous dormez, belle comtesse ?dit-il en se penchant vers elle pour la regarder.

Mais tout à coup il se redressa, l’œil fixe,les cheveux hérissés, la sueur au front.

Il commençait de soupçonner la véritéterrible.

La comtesse dormait-elle du sommeil de cemonde ou du sommeil éternel ?

Thibault alla prendre un candélabre sur lacheminée, et, d’une main tremblante, l’approcha du visage del’étrange dormeuse.

Le visage était pâle comme de l’ivoire etmarbré aux tempes.

Les lèvres étaient violettes.

Une goutte de cire rose tomba toute brûlantesur ce masque de sommeil.

La comtesse ne se réveilla point.

– Oh ! oh ! qu’est-ce quecela ? dit Thibault.

Et il posa sur la table de nuit le candélabre,que ne pouvait plus soutenir sa main tremblante. Les deux bras dela comtesse étaient allongés contre son corps ; dans chacunede ses mains elle semblait enfermer quelque chose.

Thibault, avec effort, ouvrit la maingauche.

Il y trouva le flacon que la comtesse avaittiré la veille de son écrin.

Il ouvrit l’autre main.

Il y trouva un papier sur lequel étaientécrits ces seuls mots : Fidèle au rendez-vous. Fidèlejusqu’après la mort, en effet. La comtesse était morte.

Les illusions de Thibault lui échappaient lesunes après les autres, comme les rêves du dormeur échappent àl’homme au fur et à mesure qu’il se réveille.

Seulement, dans les rêves des autres hommes,les morts se relèvent.

Les morts de Thibault, eux, restaientcouchés.

Il s’essuya le front, alla à la porte ducorridor, la rouvrit, et trouva Lisette agenouillée en priant.

– La comtesse est donc morte ?demanda Thibault.

– La comtesse est morte, et le comte estmort.

– Des suites des blessures qu’il avaitreçues dans son combat avec le baron Raoul ?

– Non, du coup de poignard que lui adonné la comtesse.

– Oh ! oh ! fit Thibaultessayant de grimacer le rire au milieu de ce sombre drame, c’esttoute une histoire nouvelle et que je ne connais pas.

Cette histoire, la femme de chambre la luiraconta.

Elle était simple, mais terrible.

La comtesse était restée couchée une partie dela journée, écoutant sonner les cloches du village de Puiseux, quiannonçaient le départ du corps de Raoul pour le château deVauparfond, où il devait être inhumé dans le caveau de sesancêtres.

Vers quatre heures de l’après-midi, lescloches cessèrent de sonner.

Alors la comtesse s’était levée ; elleavait pris le poignard sous son oreiller, l’avait caché dans sapoitrine, et s’était acheminée vers la chambre de son mari.

Elle trouva le valet de chambre toutjoyeux.

Le médecin venait de sortir : il avaitlevé l’appareil et répondait de la vie du comte.

– Madame conviendra que c’est bienheureux ! dit le valet de chambre.

– Oui, c’est bien heureux, en effet.

Et la comtesse entra dans la chambre de sonmari. Cinq minutes après elle en sortit.

– Le comte dort, dit-elle ; ilfaudra n’entrer chez lui que lorsqu’il appellera.

Le valet de chambre s’inclina en signed’obéissance et s’assit dans l’antichambre afin d’être prêt aupremier signal de son maître.

La comtesse rentra chez elle.

– Déshabillez-moi, Lisette, dit-elle à safemme de chambre, et donnez-moi les vêtements que j’avais ladernière fois qu’il est venu.

La soubrette obéit. On a vu la fidélité aveclaquelle elle avait revêtu ce costume dans ses moindres détails.Alors la comtesse écrivit quelques mots qu’elle plia et garda danssa main droite. Puis elle se coucha sur son lit.

– Madame ne prendra-t-elle point quelquechose ? demanda la chambrière.

La comtesse ouvrit la main gauche et montra unflacon qu’elle y tenait enfermé.

– Si fait, Lisette, dit-elle, je vaisprendre ce qu’il y a dans ce flacon.

– Comment ! dit Lisette, pas autrechose ?

– C’est assez, Lisette ; car,lorsque je l’aurai pris, je n’aurais plus besoin de rien.

Et, en effet, portant le flacon à sa bouche,la comtesse l’avait vidé d’un seul trait. Puis elle avaitdit :

– Vous avez vu l’homme qui nous aattendues sur la route, Lisette ; j’ai rendez-vous avec lui cesoir, de neuf à dix heures, dans ma chambre. Vous irez l’attendreoù vous savez et le conduirez vers moi… Je ne veux point,ajouta-t-elle tout bas, que l’on dise que je n’ai pas été fidèle àma parole, même après ma mort.

Thibault n’avait rien à dire : ce quiavait été arrêté avait été tenu.

Seulement, la comtesse s’était chargée seulede sa vengeance.

C’est ce que l’on sut lorsque le valet dechambre, inquiet du sort de son maître, entrouvrit la porte de lachambre, entra sur la pointe du pied, et trouva le comte couché surle dos, un poignard dans le cœur.

Alors, on était accouru pour annoncer lanouvelle à madame, et l’on avait trouvé madame morte de soncôté.

Le bruit de la double mort s’était aussitôtrépandu dans la maison, et tous les domestiques avaient fui endisant que l’ange exterminateur était entré dans le château. Seule,la chambrière était restée pour accomplir les dernières volontés desa maîtresse.

Thibault n’avait plus rien à faire dans lamaison. Il laissa la comtesse sur son lit, Lisette près d’elle, etdescendit.

Comme l’avait dit la chambrière, il n’avaitplus à craindre de rencontrer ni maîtres ni domestiques. Lesdomestiques s’étaient enfuis, les maîtres étaient morts.

Thibault reprit le chemin de la brèche. Leciel était sombre, et, si l’on n’eût été au mois de janvier, onl’eût dit orageux.

À peine si l’on voyait dans le parc la tracedu sentier.

Deux ou trois fois Thibault s’arrêta, prêtantl’oreille ; il lui semblait avoir entendu à sa droite et à sagauche craquer les branches sous des pas qui semblaient se réglersur le sien.

Arrivé à la brèche, Thibault entenditdistinctement une voix qui disait :

– C’est lui !

Au même instant, deux gendarmes embusqués endehors de la brèche, sautèrent au collet de Thibault, tandis quedeux autres l’attaquaient par-derrière. Cramoisi, qui, dans sajalousie contre Lisette, veillait et rôdait une partie des nuits,avait vu, la veille, entrer et sortir par des chemins détournés unhomme inconnu et l’avait dénoncé au brigadier de la gendarmerie. Ladénonciation devint encore plus grave lorsque l’on sut les nouveauxmalheurs arrivés au château. Le brigadier envoya quatre hommes avecordre d’arrêter tout rôdeur suspect. Deux des quatre hommes, guidéspar Cramoisi, s’embusquèrent à la brèche ; les deux autressuivirent pas à pas Thibault dans le parc.

On a vu comment, au signal de Cramoisi, tousles quatre s’étaient jetés sur lui.

La lutte fut longue et opiniâtre.

Thibault n’était point un homme que quatregendarmes pussent abattre ainsi sans difficulté.

Mais il n’avait pas d’armes ; sarésistance fut inutile.

Les gendarmes y avaient mis d’autant plus depersistance qu’ils avaient reconnu Thibault, et que Thibault,recommandé par les différents malheurs qu’il avait traînés à sasuite, commençait à avoir une détestable réputation dans lacontrée. Thibault fut terrassé, garrotté et mis entre deuxchevaux.

Les deux autres gendarmes marchèrent l’undevant, l’autre derrière.

C’était plutôt par amour-propre que pour autrechose que Thibault avait lutté.

Sa puissance pour faire le mal était, on lesait, indéfinie.

Il n’avait qu’à souhaiter la mort de sesquatre assaillants, et ses quatre assaillants fussent tombésmorts.

Mais il serait toujours temps d’en arriver là.Fût-il au pied de l’échafaud, tant qu’il lui resterait un souhait àfaire, il était sûr d’échapper à la justice des hommes.

Thibault garrotté, avec des cordes aux mains,des entraves aux pieds, marchait donc entre ses quatre gendarmesavec une résignation apparente.

Un des gendarmes tenait le bout de la cordequi le liait.

Eux plaisantaient et riaient, demandant ausorcier Thibault comment, ayant le pouvoir qu’il avait, il s’étaitlaissé prendre.

Et Thibault répondait à leurs plaisanteriespar le proverbe si connu : « Rira bien qui rira ledernier. »

Les gendarmes espéraient bien que ce seraienteux qui les derniers riraient.

On dépassa Puiseux et on entra dans laforêt.

Le temps était devenu de plus en plus sombre.On eût dit que les nuages, comme un immense voile noir, étaientsupportés par la cime des arbres. On ne voyait point à quatre pasautour de soi.

Thibault voyait, lui.

Il voyait de tous côtés des lumières passerrapides dans les ténèbres et se croiser en tous sens.

Ces lumières se rapprochaient de plus en pluset étaient accompagnées d’un piétinement dans les feuillessèches.

Les chevaux, inquiets, reculaient en aspirantle vent de la nuit et frissonnant sous leurs cavaliers.

Les gendarmes, qui riaient d’un gros rire, setaisaient peu à peu.

Thibault se mit à rire à son tour.

– De quoi ris-tu ? lui demanda ungendarme.

– De ce que vous ne riez plus, ditThibault.

À la voix de Thibault, les lumières serapprochèrent encore et les piétinements devinrent distincts.

Puis on entendit un bruit sinistre, un bruitde mâchoires dont les dents claquaient les unes contre lesautres.

– Oui, oui, mes amis les loups, ditThibault, vous avez goûté de la chair humaine, et cela vous asemblé bon !

Un petit grognement d’approbation, qui tenaità la fois du chien et de l’hyène, lui répondit.

– C’est cela, dit Thibault, jecomprends : après avoir mangé du garde-chasse, vous ne seriezpas fâchés de goûter du gendarme.

– Oh ! oh ! dirent lescavaliers, qui commençaient à frissonner, à qui parles-tudonc ?

– À ceux qui me répondent, ditThibault.

Et il poussa un hurlement. Vingt hurlementslui répondirent. Il y en avait qui n’étaient qu’à dix pas, il y enavait qui étaient fort loin.

– Hum ! fit un des gendarmes, quelssont donc ces animaux qui nous suivent ainsi, et dont ce misérablesemble parler la langue ?

– Ah ! dit le sabotier, vous faitesprisonnier Thibault le meneur de loups, vous le conduisez par lesbois pendant la nuit, et vous demandez quels sont ces lumières etces hurlements qui le suivent !… Entendez-vous, amis ?cria Thibault, ces messieurs demandent qui vous êtes. Répondez-leurtous ensemble, afin qu’ils n’aient plus aucun doute.

Les loups, obéissant à la voix de leur maître,poussèrent un hurlement unanime et prolongé. Le souffle des chevauxdevint bruyant ; deux ou trois se cabrèrent. Les gendarmesfirent ce qu’ils purent pour calmer leurs montures en les flattantde la main et de la voix.

– Oh ! dit Thibault, ce n’estrien ; il faudra voir cela tout à l’heure, quand chaque chevalaura deux loups en croupe et un à la gorge !

Les loups passèrent sous les jambes deschevaux et vinrent caresser Thibault.

L’un d’eux se dressa contre sa poitrine commepour lui demander ses ordres.

– Tout à l’heure, tout à l’heure, ditThibault ; nous avons le temps ; ne soyons pas égoïsteset donnons aux camarades le loisir d’arriver.

Les gendarmes n’étaient plus maîtres de leurschevaux, qui se cabraient, faisaient des écarts, et, tout enmarchant au pas, se couvraient de sueur et d’écume.

– N’est-ce pas, dit Thibault auxgendarmes, que vous feriez bien maintenant une affaire avecmoi ? Ce serait de me rendre la liberté, à la condition quechacun de vous couchera cette nuit dans son lit.

– Au pas, dit un des gendarmes ;tant que nous marcherons au pas, nous n’avons rien à craindre.

Un autre tira son sabre. Au bout de quelquessecondes, on entendit un hurlement de douleur.

Un des loups avait saisi le gendarme à labotte, et celui-ci l’avait traversé d’outre en outre avec sonsabre.

– Ah ! dit Thibault, voilà ce quej’appelle une imprudence, gendarme ; les loups se mangent,quoi qu’en dise le proverbe, et, quand ils vont avoir goûté dusang, je ne sais pas si, moi-même, je pourrai les retenir.

Les loups se jetèrent tous ensemble sur leurcamarade blessé. Au bout de cinq minutes, il n’en restait plus queles os.

Les gendarmes avaient profité de ces cinqminutes de répit pour gagner du chemin, ne lâchant pas Thibault etle forçant de courir avec eux. Mais ce qu’avait prédit Thibaultarriva.

On entendit tout à coup comme un ouragan.

C’était la meute qui arrivait au grandgalop.

Les chevaux, lancés au trot, refusèrent dereprendre le pas, effrayés par le piétinement, l’odeur et lehurlement des loups.

Ils se mirent au galop, malgré les efforts deleurs cavaliers.

Celui qui tenait Thibault par la corde n’ayantpas trop de ses deux mains pour maîtriser son cheval, lâcha leprisonnier.

Les loups bondirent les uns sur la croupe, lesautres à la gorge des chevaux.

Dès que ceux-ci sentirent les dents aiguës deleurs adversaires, ils s’élancèrent dans toutes les directions.

– Hourra, les loups ! hourra !cria Thibault.

Mais les terribles animaux n’avaient pasbesoin d’être encouragés. Outre les deux ou trois qu’il avait aprèslui, chaque cheval en eut bientôt six ou sept à sa poursuite.Chevaux et loups disparurent dans toutes les directions, et l’onentendit bientôt, s’affaiblissant dans l’éloignement les cris dedétresse des hommes, les hennissements de douleur des chevaux etles hurlements de rage des loups.

Thibault était resté libre.

Seulement, il avait les mains garrottées parune corde et des entraves aux pieds. Il essaya d’abord de couperses liens avec ses dents. Impossible.

Il essaya de les briser par la force desmuscles. Ce fut inutile.

Les efforts qu’il tenta firent que les cordeslui entrèrent dans les chairs ; voilà tout.

Ce fut à lui à son tour de rugir de douleur,d’angoisse et de rage.

Enfin, las de tordre ses brasgarrottés :

– Oh ! loup, noir, mon ami, dit-ilen levant au ciel ses deux poings fermés, fais tomber ces cordesqui me lient. Tu sais bien que c’est pour faire le mal que je veuxavoir les mains libres.

Au même instant, les cordes rompues tombèrentaux pieds de Thibault, qui battit l’air de ses mains avec unrugissement de joie.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer