IV
Un jour, Mocquet entra dès le matin dans lachambre de mon père, encore couché, et se planta devant son lit,debout et ferme comme un poteau de carrefour.
– Eh bien, Mocquet, lui demanda mon père,qu’y a-t-il, et qui me procure l’avantage de te voir de si bonmatin ?
– Il y a, général, répondit gravementMocquet, il y a que je suis cauchemardé.
Mocquet, sans s’en douter, avait enrichi lalangue française d’un double verbe actif et passif.
– Tu es cauchemardé ?Oh ! oh ! fit mon père en se soulevant sur le coude,c’est grave, cela, mon garçon.
– C’est comme cela, mon général.
Et Mocquet tira son brûle-gueule de sa bouche,ce qu’il ne faisait que rarement et dans les grandes occasions.
– Et depuis quand es-tu cauchemardé, monpauvre Mocquet ? demanda mon père.
– Depuis huit jours, général.
– Et par qui, Mocquet ?
– Oh ! je sais bien par qui,répondit Mocquet, les dents d’autant plus serrées que sonbrûle-gueule était à sa main, et sa main derrière son dos.
– Mais, enfin, peut-on lesavoir ?
– Par la mère Durand, de Haramont, qui,vous ne l’ignorez pas, général, est une vieille sorcière.
– Si fait, je l’ignorais, Mocquet, je tejure.
– Oh ! mais, moi, je le sais ;je l’ai vue passer à cheval sur un balai pour aller au sabbat.
– Tu l’as vue passer, Mocquet ?
– Comme je vous vois, mon général ;sans compter qu’elle a chez elle un vieux bouc noir qu’elleadore.
– Et pourquoi tecauchemarde-t-elle ?
– Pour se venger de ce que je l’aisurprise dansant sa ronde diabolique, à minuit, sur les bruyères deGondreville.
– Mocquet, c’est une grave accusation quetu portes là, mon ami, et, avant de répéter tout haut ce que tu medis tout bas, je te conseille d’amasser quelques preuves.
– Des preuves ! Allons donc !est-ce que tout le monde ne sait pas bien dans le village que, danssa jeunesse, elle a été la maîtresse de Thibault, le meneur deloups !
– Diable ! Mocquet, il faut faireattention à cela.
– J’y fais attention aussi, et elle me lepayera, la vieille taupe !
La vieille taupe était une expressionque Mocquet empruntait à son ami Pierre le jardinier, lequel,n’ayant pas de plus grand ennemi que les taupes, donnait le nom detaupe à tout ce qu’il détestait.