LE MIROIR DU MORT Agatha Christie

— Oui, j’en suis persuadé, mademoiselle.

— Je n’en crois pas un mot ! s’écria Susan avec violence.

Poirot ne répondit pas. Il alla jusqu’à la cheminée et se retourna tout d’un coup.

— Mademoiselle, j’ai besoin de vous comme témoin. J’ai déjà un témoignage, celui de Mr Trent. Il m’a vu trouver ce petit morceau de miroir la nuit dernière. Je lui en ai parlé. Je l’ai laissé à sa place pour la police. J’ai même expliqué au major que le miroir cassé constituait une piste intéressante. Maintenant vous êtes témoin que je place cet éclat de verre – sur lequel j’ai déjà attiré l’attention de Mr Trent, rappelez-vous – dans une petite enveloppe… Voilà, dit-il en joignant le geste à la parole. Et j’écris dessus… voilà, et je la cachette. Vous êtes témoin, mademoiselle ?

— Oui… mais… mais je ne comprends pas ce que cela signifie.

Poirot alla jusqu’à l’autre extrémité de la pièce. Debout devant le bureau, il resta les yeux fixés sur le miroir brisé accroché au mur, en face de lui.

— Je vais vous dire ce que cela signifie, mademoiselle. Si vous vous étiez trouvée là hier soir, et que vous aviez regardé dans le miroir, vous y auriez vu un meurtre en train de se commettre…

12

Pour une fois dans sa vie, Ruth Chevenix-Gore – désormais Ruth Lake – descendit prendre son petit déjeuner à l’heure. Poirot, qui se trouvait dans le hall, l’arrêta avant qu’elle n’entre dans la salle à manger.

— J’ai une question à vous poser, madame.

— Oui ?

— Vous êtes allée dans le jardin, hier soir. Avez-vous marché à un moment quelconque sur la plate-bande qui se trouve devant le bureau de sir Gervase ?

Ruth écarquilla les yeux.

— Oui. Deux fois.

— Ah ! Deux fois ! Comment ça, deux fois ?

— La première, c’est quand j’ai cueilli des asters. Il devait être environ 7 heures.

— N’est-ce pas une heure bien singulière pour cueillir des fleurs ?

— Oui, c’est vrai. J’avais arrangé les fleurs hier matin, mais après le thé, Vanda m’a fait remarquer que celles de la salle à manger n’étaient pas assez belles. Je pensais qu’elles tiendraient encore et ne les avais pas remplacées par des fraîches.

— Sur quoi votre mère vous a demandé d’en cueillir d’autres. C’est bien ça ?

— Oui. Je suis donc sortie juste avant 7 heures. Je les ai prises dans cette plate-bande parce que personne ne va jamais par là : ce n’est pas grave si on gâche un peu le point de vue.

— Oui, oui, mais la deuxième fois ? Vous avez dit que vous y êtes allée une deuxième fois.

— C’était juste avant le dîner. J’avais fait tomber de la brillantine sur ma robe, près de l’épaule. Je n’avais pas envie de me changer et aucune de mes fleurs artificielles n’allait avec le jaune de cette robe. Je me suis rappelé avoir vu une rose tardive quand j’avais cueilli les asters, alors je suis allée à toute vitesse la couper et je l’ai épinglée à mon épaule.

Poirot hocha la tête.

— Oui, je me souviens que vous portiez une rose, hier soir. Quelle heure était-il quand vous avez cueilli cette rose, madame ?

— Je n’en sais trop rien.

— Mais c’est essentiel, madame. Pensez-y… réfléchissez.

Ruth fronça les sourcils. Elle jeta un rapide coup d’œil à Poirot, et détourna de nouveau les yeux.

— Je ne saurais vous dire au juste, déclara-t-elle enfin. Il devait être… ah, oui, bien sûr… il devait être environ 8 h 05. C’est en retournant vers la maison que j’ai entendu le gong, et puis ce fameux bang. Je me suis dépêchée parce que j’ai cru qu’il s’agissait du second coup de gong.

— Ah, c’est ça que vous avez pensé… Et vous n’avez pas eu l’idée de passer par la porte-fenêtre du bureau, puisque vous étiez en face ?

— En fait, si. J’ai pensé qu’elle serait ouverte et que ce serait plus rapide par là. Mais elle était fermée de l’intérieur.

— Ainsi tout s’explique. Je vous félicite, madame.

Elle le dévisagea.

— Que voulez-vous dire ?

— Que vous avez une explication pour tout. Pour la terre sur vos chaussures, pour l’empreinte de vos pieds sur la plate-bande, et pour celle de vos doigts à l’extérieur de la porte-fenêtre. Voilà qui arrange bien les choses.

Avant que Ruth ait pu répliquer, miss Lingard déboucha de l’escalier en courant. Elle avait les joues bizarrement rouges et parut un peu surprise de trouver Poirot et Ruth ensemble.

— Oh, je vous demande pardon ! dit-elle. Quelque chose ne va pas ?

— Je crois que M. Poirot est devenu fou ! répondit Ruth, hors d’elle.

Elle les quitta pour se ruer dans la salle à manger. Stupéfaite, miss Lingard tourna vers Poirot un regard interrogateur.

Celui-ci secoua la tête.

— Je vous expliquerai tout après le petit déjeuner, déclara-t-il. Je voudrais que tout le monde se réunisse dans le bureau de sir Gervase à 10 heures.

Il réitéra sa demande en entrant dans la salle à manger.

Susan Cardwell jeta à Poirot, puis à Ruth, un rapide coup d’œil. Et quand Hugo Trent s’exclama : « Hein ? Qu’est-ce que ça signifie ? » elle lui décocha un vigoureux coup de coude dans les côtes. Obéissant, il se tut.

Son déjeuner terminé et avant de s’en aller, Poirot tira de son gousset une grosse montre démodée et déclara :

— Il est 10 heures moins cinq. D’ici cinq minutes… dans le bureau.

Poirot promena son regard autour de lui. Et ce regard, le cercle de visages attentifs le lui rendit. Tout le monde était là, remarqua-t-il, à une exception près. À l’instant même, ladite exception se coula dans la pièce de son étrange pas aérien. Lady Chevenix-Gore avait l’air hagard et plutôt mal en point.

Poirot lui avança un grand fauteuil.

Elle s’assit, leva les yeux sur le miroir brisé, frissonna et tourna un peu son siège.

Poirot s’éclaircit la gorge.

— Je vous ai demandé à tous de venir afin d’entendre la vérité sur le suicide de sir Gervase, annonça-t-il.

— C’est le Destin, dit lady Chevenix-Gore. Gervase était fort, mais son Destin s’est montré plus fort encore.

Le colonel Bury s’approcha d’elle.

— Vanda… mon petit…

Elle lui sourit et leva la main. Il la prit dans la sienne.

— Vous êtes d’un tel réconfort, Ned, murmura-t-elle d’une voix douce.

— Devons-nous comprendre, monsieur Poirot, intervint Ruth d’un ton âpre, que vous avez établi avec certitude les causes du suicide de mon père ?

Poirot secoua la tête.

— Non, madame.

— Alors à quoi rime toute cette mascarade ?

— Je ne connais pas les causes du suicide de sir Gervase Chevenix-Gore, répondit Poirot sans se démonter, pour l’excellente raison que sir Chevenix-Gore ne s’est pas suicidé. Il ne s’est pas donné la mort. Il a été assassiné.

— Assassiné ? s’écrièrent en écho plusieurs voix.

Des visages stupéfaits se tournèrent vers Poirot. Lady Chevenix-Gore leva les yeux, murmura « Assassiné ? Mais non, voyons ! » et dodelina de la tête d’un air indulgent.

— Assassiné, dites-vous ? (C’était Hugo qui parlait maintenant.) Impossible. Il n’y avait personne lorsque nous avons fait irruption dans la pièce. La porte-fenêtre était fermée, la porte verrouillée de l’intérieur, et la clef se trouvait dans le poche de mon oncle. Comment pourrait-il avoir été assassiné ?

— C’est pourtant bien ce qui s’est passé.

— Et le meurtrier s’est enfui par le trou de la serrure, j’imagine ? ironisa le colonel Bury, sceptique. À moins qu’il ne se soit envolé par la cheminée ?

— L’assassin est sorti par la porte-fenêtre, répondit Poirot. Et je vais vous montrer comment.

Il réitéra ses manœuvres avec la crémone.

— Vous voyez ? Voilà comment on s’y est pris. Depuis le début, le suicide de sir Gervase me paraissait invraisemblable. Avec un ego aussi prononcé, on ne met pas fin à ses jours.

« Et ce n’est pas tout. Apparemment, juste avant sa mort, sir Gervase s’était installé à son bureau, avait griffonné le mot DÉSOLÉ sur un bout de papier puis s’était tiré une balle dans la tête. Mais juste avant ce geste, et pour Dieu sait quelle raison, il avait changé la position de son fauteuil et l’avait installé parallèlement au bureau. Pourquoi ? Il devait bien y avoir une explication. J’ai commencé à entrevoir la lumière lorsque j’ai trouvé, à la base d’une lourde statuette en bronze, un petit éclat de miroir…

« Je me suis demandé comment un petit morceau du miroir avait pu atterrir là… et la réponse s’est imposée à moi : le miroir n’avait pas été brisé par l’impact d’une balle, mais frappé par la statuette en bronze. Le miroir avait été brisé délibérément.

« Mais pourquoi ? Je suis retourné devant le bureau et je me suis penché sur le fauteuil. Oui, je comprenais, cette fois. Tout était faux. Aucun candidat au suicide n’aurait tourné ainsi son fauteuil et ne se serait assis de guingois avant de tirer. Tout avait été arrangé. Le suicide n’était qu’une mise en scène !

« Venons-en à présent à un point capital. Le témoignage de miss Cardwell. Miss Cardwell m’a dit qu’elle s’était dépêchée de descendre hier soir parce qu’elle avait cru entendre le deuxième coup de gong. Autrement dit, elle pensait avoir déjà entendu le premier.

« Et maintenant, faites bien attention. Au cas où Gervase aurait été assis de façon normale à son bureau quand il a été tué, où serait allée la balle ? Eh bien, en droite ligne, elle serait passée par la porte – si celle-ci était ouverte – pour aller en fin de course heurter le gong !

« Vous comprenez maintenant l’importance du témoignage de miss Cardwell ? Personne d’autre n’a entendu ce premier coup de gong, mais il faut se rappeler que sa chambre est située juste au-dessus de cette pièce et qu’elle était donc le mieux placée pour l’entendre. D’autant qu’il ne s’agissait que d’une note unique et brève, ne l’oubliez pas.

« Il était hors de question que ce soit sir Gervase qui ait tiré. Un mort ne peut pas se lever, pousser la porte, donner un tour de clef et s’installer lui-même dans la position adéquate. Il fallait que quelqu’un d’autre s’en soit chargé. Dès lors ce n’était plus un suicide mais un meurtre. Quelqu’un, dont la présence paraissait normale à sir Gervase, était à côté de lui et lui parlait. Sir Gervase était peut-être occupé à écrire. L’assassin pointe le revolver sur sa tempe droite et tire. L’action est accomplie. Vite, au travail ! L’assassin enfile des gants, ferme la porte et met la clef dans la poche de sir Gervase. Ah ! mais si on avait entendu le gong ? Dans ce cas, on comprendrait que la porte était ouverte et non pas fermée quand le coup de feu a été tiré. Alors, on tourne le fauteuil, on modifie la position du corps, on presse les doigts du mort sur la crosse du revolver, et on fait exprès de fracasser le miroir. À la suite de quoi, le meurtrier sort par la porte-fenêtre, la referme d’une secousse, marche, non sur le gazon, mais sur la plate-bande où les empreintes pourront être effacées plus tard, fait le tour de la maison et rentre par le salon.

Il marqua un temps avant de reprendre :

— Il n’y avait qu’une seule personne dans le jardin quand le coup de feu a été tiré. Cette même personne a laissé des empreintes de pas sur la plate-bande et des empreintes digitales sur l’extérieur de la fenêtre.

Il s’approcha de Ruth.

— Et vous aviez un mobile, n’est-ce pas ? Votre père venait d’apprendre votre mariage. Il s’apprêtait à vous déshériter.

— C’est faux ! s’écria Ruth avec mépris. Il n’y a pas un mot de vrai dans toute votre histoire. C’est un tissu de mensonges, du début à la fin !

— Les preuves contre vous sont très solides, madame. Un jury peut vous croire. Il peut aussi ne pas le faire !

— Elle n’aura pas à affronter un jury.

Tout le monde sursauta et se retourna. Miss Lingard s’était dressée. Elle avait le visage ravagé. Elle tremblait des pieds à la tête.

— C’est moi qui l’ai tué ! Je le reconnais ! J’avais mes raisons… Je… je guettais le moment depuis quelque temps. M. Poirot a raison. Je l’ai suivi ici. J’ai pris le revolver dans son tiroir. J’étais debout à côté de lui, je lui parlais du livre… et j’ai tiré. C’était juste après 8 heures. La balle a frappé le gong. Je n’avais jamais pensé qu’elle pourrait lui traverser comme ça le crâne de part en part. Je n’avais pas le temps de sortir la chercher. J’ai fermé la porte et j’ai mis la clef dans sa poche. Ensuite, j’ai fait pivoter son fauteuil, brisé le miroir, et après avoir griffonné « Désolé » sur un bout de papier, je suis sortie par la porte-fenêtre et je l’ai refermée comme M. Poirot vous l’a montré. J’ai piétiné la plate-bande, mais j’ai effacé mes empreintes avec un petit râteau que j’avais mis là à cette intention. Ensuite, j’ai contourné la maison jusqu’à la porte-fenêtre du salon. Je l’avais laissée ouverte. Je ne savais pas que Ruth était sortie par là. Elle avait dû contourner la maison par devant pendant que je la contournais par derrière. Il fallait que je me débarrasse du râteau, vous comprenez. J’ai attendu dans le salon jusqu’à ce que j’entende quelqu’un descendre et Snell se diriger vers le gong. Et alors…

Elle jeta à Poirot un regard inquisiteur :

— Vous ne savez pas ce que j’ai fait à ce moment-là ?

— Oh, si, je le sais ! J’ai retrouvé le sac dans la corbeille à papiers. Excellente, cette idée. Vous avez fait comme les enfants. Vous avez obtenu un bang ! satisfaisant. Vous avez jeté le sac dans la corbeille et vous vous êtes précipitée dans le hall. Vous établissiez ainsi l’heure du prétendu suicide… et vous vous forgiez par la même occasion un alibi pour vous-même. Mais une chose encore vous tracassait. Vous n’aviez pas eu le temps de récupérer la balle. Elle devait se trouver quelque part, près du gong. Il était essentiel qu’on la retrouve dans le bureau, non loin du miroir. Je ne sais pas quand vous est venue l’idée de prendre le porte-mine du colonel Bury…

— À ce moment-là, répondit miss Lingard, quand nous sommes tous passés du hall dans le salon. J’ai été surprise de trouver Ruth dans la pièce. J’ai compris qu’elle avait dû rentrer du jardin par la porte-fenêtre. Puis j’ai remarqué le porte-mine du colonel sur la table de bridge. Je l’ai glissé dans mon sac. Si, plus tard, quelqu’un me voyait ramasser la balle, je pourrais prétendre qu’il s’agissait du porte-mine. En fait, je ne pense pas que quelqu’un m’ait vue le faire. Je l’ai laissée tomber près du miroir pendant que vous regardiez le corps. Quand vous m’avez interrogée à ce sujet, je me suis félicitée d’avoir pensé au porte-mine.

— Oui, c’était très astucieux. Cela m’a complètement brouillé les idées.

— J’avais peur que quelqu’un ait entendu le vrai coup de feu, mais je savais que tout le monde était enfermé dans sa chambre, en train de s’habiller. Les domestiques étaient à l’office. Miss Cardwell était la seule à pouvoir entendre, mais elle penserait probablement aux ratés d’une voiture. En fait, c’est le gong qu’elle avait entendu. J’ai cru… j’ai cru que tout s’était passé sans accroc.

— Que voici une histoire bien extraordinaire ! murmura Mr Forbes de sa voix lente et un tantinet pompeuse. On ne discerne ici nul mobile…

— Un mobile, j’en avais ! répliqua miss Lingard qui ajouta, avec fureur : Eh bien, allez-y ! Prévenez la police ! Qu’est-ce que vous attendez ?

— Voulez-vous nous laisser seuls ? demanda Poirot avec douceur. Mr Forbes, téléphonez au major Riddle. Dites-lui que je l’attends ici.

Lentement, un par un, les membres de la famille sortirent. Stupéfaits, choqués, ne comprenant rien, ils jetaient des regards furtifs du côté de la petite silhouette qui se tenait très droite, impeccable, avec ses cheveux gris séparés par une raie médiane.

Ruth sortit la dernière. Hésitante, elle s’arrêta sur le seuil.

— Je ne comprends pas, gronda-t-elle d’un ton provocant, accusateur. Deux secondes avant, vous pensiez que c’était moi qui avais fait le coup !

— Non, non, protesta Poirot. Non, ça, je ne l’ai jamais pensé un seul instant.

Ruth sortit à pas lents.

Poirot resta seul avec la petite dame d’un certain âge, tirée à quatre épingles et qui venait de confesser un crime intelligemment conçu et commis de sang-froid.

— Non, dit miss Lingard. Vous n’avez jamais pensé qu’elle l’avait tué. Vous l’avez accusée pour m’obliger à parler. C’est bien ça, n’est-ce pas ?

Poirot inclina la tête en guise d’assentiment.

— Pendant que nous attendons, vous pourriez me raconter ce qui vous a amené à me soupçonner, proposa miss Lingard sur le ton de la conversation.

— Plusieurs choses. Pour commencer, vos déclarations sur sir Gervase. Un homme aussi fier que lui n’aurait jamais parlé de son neveu à une étrangère de façon désobligeante, a fortiori à quelqu’un de votre condition. Ce que vous vouliez, c’était étayer la théorie du suicide. Vous avez également fait un faux pas en suggérant que son suicide aurait eu pour cause quelque chose de déshonorant concernant Hugo Trent. Cela non plus, Gervase ne l’aurait jamais admis face à une étrangère. Ensuite, il y a eu cet objet que vous avez ramassé dans le hall, et le fait, très significatif, que vous ne m’ayez pas signalé que Ruth était entrée par le salon en revenant du jardin. Et puis il y a eu le sac en papier… l’objet le plus invraisemblable qui se puisse trouver dans la corbeille du salon d’une maison comme Hamborough Close ! Vous étiez la seule à vous trouver dans ce salon quand on a entendu le « coup de feu ». Le truc du sac en papier sentait la manœuvre féminine à plein nez, l’ingénieuse recette-maison. Tout collait à merveille. La tentative de faire porter les soupçons sur Hugo Trent et de les écarter de Ruth. Le mécanisme du crime et son mobile.

La petite dame aux cheveux grisonnants s’agita.

— Le mobile, vous le connaissez ?

— Je crois oui. Le bonheur de Ruth, le voilà, le mobile ! J’imagine que vous l’avez surprise avec John Lake et que vous avez tout compris. Et comme vous aviez accès aux papiers de sir Gervase, vous êtes tombée sur le brouillon de son dernier testament : Ruth déshéritée à moins qu’elle n’épouse Hugo Trent. Profitant du fait que sir Gervase m’avait écrit, vous avez décidé de prendre les choses en main. Vous aviez sans doute vu une copie de sa lettre. J’ignore quel mélange de peur et de suspicion l’avait poussé à me l’envoyer. Il devait soupçonner Burrows, ou Lake, de vol systématique. Et comme il ignorait les sentiments de Ruth, il a cru bon de faire appel à un détective privé. Vous en avez tiré parti pour mettre en scène un suicide, étayé par vos déclarations concernant des tourments liés à Hugo Trent que sir Gervase aurait éprouvés. Vous m’avez expédié un télégramme et vous avez raconté que sir Gervase avait dit que j’arriverais « trop tard ».

— Gervase Chevenix-Gore était un tyran, un snob et un crétin imbu de lui-même ! répliqua miss Lingard, pleine d’une fureur sacrée. Je n’allais tout de même pas le laisser détruire le bonheur de Ruth.

— Ruth, c’est votre fille, n’est-ce pas ? s’enquit Poirot avec douceur.

— Oui… c’est ma fille. J’ai… j’ai souvent, très souvent pensé à elle. Quand j’ai appris que sir Gervase cherchait quelqu’un pour l’aider à écrire l’histoire de sa famille, j’ai sauté sur l’occasion. J’étais curieuse de la revoir… ma fille. Je savais que lady Chevenix-Gore ne me reconnaîtrait pas. Cela remontait à des années – j’étais jeune et jolie, alors – et j’avais changé de nom depuis. En outre, lady Chevenix-Gore est trop distraite pour avoir une notion précise de quoi que ce soit. Je l’aimais bien, mais je détestais les Chevenix-Gore. Ils m’avaient traitée comme un chien. Et maintenant, Gervase, à cause de son snobisme et de son orgueil, allait détruire la vie de Ruth… Seulement, moi, j’étais décidée à ce qu’elle soit heureuse. Et, heureuse, elle le sera… à condition qu’elle ne sache jamais rien à mon sujet…

Ce n’était pas une question… c’était une prière.

Poirot hocha la tête.

— Personne ne l’apprendra jamais de moi.

Miss Lingard répondit simplement :

— Merci.

Plus tard, après le départ de la police, Poirot trouva Ruth Lake dans le jardin avec son mari.

— Vous avez vraiment cru que je l’avais tué, monsieur Poirot ? lui demanda-t-elle d’un air de défi.

— Je savais, madame, que vous ne pouviez pas l’avoir fait… à cause des asters.

— Des asters ?… Je ne comprends pas.

— Il y avait quatre traces de pas sur la plate-bande, madame, et seulement quatre. Puisque vous aviez cueilli des fleurs, il aurait dû y en avoir beaucoup plus. Ce qui signifiait qu’entre votre première et votre seconde venue, quelqu’un avait effacé toutes les empreintes… Cela ne pouvait avoir été fait que par le coupable. Et puisque vos empreintes n’avaient pas été toutes effacées, ce ne pouvait pas être vous. Vous étiez automatiquement disculpée.

Le visage de Ruth s’éclaira.

— Ah, j’ai saisi ! Vous savez, c’est affreux à dire, mais je suis catastrophée pour cette pauvre femme. Après tout, elle a préféré avouer que de me laisser arrêter… en tout cas c’est ce qu’elle avait en tête. Dans un sens, c’est… assez noble. L’idée qu’elle va être traînée devant un tribunal et accusée de meurtre m’horrifie.

— Ne vous tourmentez pas, lui dit gentiment Poirot. Les choses n’iront pas jusque-là. Le médecin m’a appris qu’elle avait de sérieux ennuis cardiaques. Elle n’en a plus que pour quelques semaines à vivre.

— Ça me soulage.

Ruth cueillit un crocus et le promena distraitement sur sa joue.

— Pauvre femme. Je me demande pourquoi elle a fait ça…

TRIO À RHODES

(Triangle at Rhodes)

1

Assis sur le sable blanc, Hercule Poirot contemplait la mer d’un bleu étincelant. Plus dandy que jamais, il était vêtu de flanelle blanche et coiffé d’un large panama. Il appartenait à la génération vieux-jeu qui professait l’absolue nécessité de se protéger du soleil. Miss Pamela Lyall, qui lui tenait compagnie et n’arrêtait pas de jacasser, représentait l’école moderne de pensée, en ce sens qu’elle portait un minimum de vêtements sur sa personne bronzée.

De temps en temps, elle interrompait son flot de paroles pour s’oindre du liquide huileux de la bouteille qui ne la quittait pas.

À côté d’elle, sa meilleure amie, miss Sarah Blake, était étendue à plat ventre sur une serviette à rayures criardes. Le bronzage de miss Blake était aussi parfait que possible et son amie lui avait jeté plus d’une fois des regards envieux.

— C’est encore si inégal…, gémit-elle. Monsieur Poirot, pourriez-vous être assez aimable ? Juste sous la bretelle droite… je ne peux pas y arriver.

M. Poirot lui rendit le service demandé, puis essuya soigneusement sa main poisseuse avec son mouchoir. Miss Lyall, qui n’avait pour intérêt dans la vie que l’observation des gens qui l’entouraient et le son de sa propre voix, se remit à parler :

— J’avais raison à propos de cette femme – celle qu’on a vue tout à l’heure en Chanel. C’est bien Valentine Dacres… je veux dire Chantry. C’est ce que je pensais. Je l’ai reconnue tout de suite. Elle est vraiment sensationnelle, non ? Je comprends que les gens soient fous d’elle. De toute évidence, c’est ce qu’elle attend d’eux. Comme ça, la bataille est déjà à moitié gagnée. Les autres, ceux qui sont arrivés hier soir, s’appellent Gold. Lui, il est beau comme un dieu.

— Lune de miel ? demanda Sarah, le nez dans sa serviette.

Forte de son expérience, miss Lyall secoua la tête.

— Oh, non… ses vêtements ne sont pas assez neufs. Les jeunes mariés se reconnaissent au premier coup d’œil. N’est-ce pas la chose la plus fascinante au monde, monsieur Poirot, que d’observer les gens et de voir ce qu’on peut découvrir sur eux rien qu’en les regardant ?

— Pas rien qu’en les regardant, mon chou, susurra Sarah. Tu poses aussi pas mal de questions.

— Je n’ai même pas encore eu l’occasion de parler avec les Gold, protesta miss Lyall avec dignité. Et de toute façon, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’intéresser à ses semblables. La nature humaine est tout bonnement fascinante. Vous ne trouvez pas, monsieur Poirot ?

Cette fois-ci, elle s’interrompit assez longtemps pour lui permettre de répondre.

— Ça dépend, fit-il, laconique, sans quitter des yeux les eaux bleues.

Pamela en parut choquée.

— Oh, monsieur Poirot ! Rien n’est plus intéressant, plus imprévisible qu’un être humain !

— Imprévisible ? Ça, non.

— Mais si ! Au moment même où vous pensez en avoir fait le tour, il agit de façon complètement inattendue.

Hercule Poirot secoua la tête.

— Non, non, ce n’est pas vrai. Un individu ne commet que très rarement un acte qui n’est pas dans son caractère. C’en est même très monotone, à la fin.

— Je ne suis pas du tout d’accord avec vous ! protesta miss Pamela Lyall.

Elle resta silencieuse une bonne minute et demie avant de repartir à l’attaque.

— Dès que je vois les gens, je commence à me demander qui ils sont, quelles relations ils ont entre eux, ce qu’ils pensent, ce qu’ils éprouvent. C’est… oh ! c’est passionnant !

— Hélas, non, dit Hercule Poirot. La nature se répète bien plus qu’on ne saurait l’imaginer… La mer, ajouta-t-il, songeur, est infiniment plus variée.

Sarah tourna la tête de côté pour demander :

— Vous pensez que les êtres humains ont tendance à reproduire des modèles ? Des modèles stéréotypés ?

— Précisément, répondit Poirot en traçant du doigt un dessin sur le sable.

— Que dessinez-vous ? demanda Pamela, curieuse.

— Un triangle, dit Poirot.

Mais l’attention de Pamela avait été attirée ailleurs.

— Voilà les Chantry, annonça-t-elle.

Une femme marchait sur la plage – une grande femme très consciente de sa beauté. Elle fit un petit signe de tête en passant, sourit, puis alla s’asseoir un peu plus loin. Son peignoir de soie rouge et or glissa de ses épaules. Elle portait un maillot de bain blanc.

Pamela soupira.

— Elle a une silhouette fantastique, non ?

Mais Poirot regardait son visage, le visage d’une femme de trente-neuf ans, célèbre pour sa beauté depuis son seizième printemps.

Comme tout le monde, il savait tout de Valentine Chantry. Elle était célèbre pour beaucoup de choses : pour ses caprices, sa richesse, ses immenses yeux bleu saphir, pour ses aventures et mésaventures conjugales. Elle avait eu cinq maris et d’innombrables amants. Elle avait été tour à tour la femme d’un comte italien, d’un roi de l’acier américain, d’un joueur de tennis professionnel et d’un coureur automobile. Seul l’Américain était mort. Les autres, elle s’en était débarrassée avec insouciance devant le tribunal des divorces. Six mois auparavant, elle s’était mariée pour la cinquième fois – avec un capitaine de frégate.

C’était d’ailleurs lui qui venait de la rejoindre à grands pas. Brun, silencieux, il avait la mâchoire combative et l’air renfrogné. Il y avait chez lui quelque chose du singe primitif.

— Tony chéri… mon étui à cigarettes…

Il le tenait déjà ouvert pour elle. Il lui alluma sa cigarette, l’aida à faire glisser de ses épaules les bretelles de son maillot de bain. Bras écartés, elle s’allongea au soleil. Il s’assit à côté d’elle, comme une bête sauvage veillant sur sa proie.

Pamela baissa la voix, juste de ce qu’il fallait.

— Ils m’intéressent terriblement, vous savez. Lui, c’est une telle brute ! Silencieux et… en quelque sorte hostile. J’imagine que les femmes dans son genre aiment ça. C’est comme dompter un tigre ! Je me demande combien de temps ça va durer. Je crois qu’elle se lasse très vite – surtout ces derniers temps. Toujours est-il que si elle cherchait à s’en débarrasser, il pourrait devenir dangereux.

Un autre couple arrivait sur la plage, plutôt discrètement. C’était les nouveaux venus, Mr et Mrs Douglas Gold, comme miss Lyall l’avait appris en compulsant le registre de l’hôtel. Elle avait également pris connaissance – puisque tel était le règlement en Italie – de leurs prénoms et de leurs âges respectifs, qui avaient été transcrits de leurs passeports.

Mr Douglas Cameron Gold avait trente et un ans, et Mrs Marjorie Emma Gold trente-cinq.

Le passe-temps favori de miss Lyall, ainsi qu’il a été dit, était l’étude des êtres humains. À la différence de la plupart des Anglais, elle était capable d’adresser la parole à des inconnus sur le moment même, au lieu d’attendre de quatre jours à une semaine pour faire, avec précaution, les premiers pas. Par conséquent, ayant remarqué la légère indécision et l’attitude réservée de Mrs Gold, elle l’interpella :

— Bonjour ! Belle journée, non ?

Mrs Gold était un petit bout de femme aux allures de souris. Elle n’était pas laide du tout avec ses traits réguliers et son teint délicat, mais, faute d’assurance et de chic, passait facilement inaperçue. En revanche, son mari, très beau, avait des allures de jeune premier. Blond comme les blés, cheveux bouclés, yeux bleus, épaules larges, hanches étroites. Il ressemblait plus à un acteur qu’à un jeune homme ordinaire, mais dès qu’il ouvrait la bouche, cette impression s’effaçait. Il était tout à fait naturel, sans aucune affectation, peut-être était-il même un peu stupide.

Mrs Gold regarda Pamela avec gratitude et vint s’asseoir près d’elle.

— Quel joli bronzage vous avez ! J’ai la peau si pâle…

— Il faut se donner un mal fou pour bronzer uniformément, soupira miss Lyall… Vous venez d’arriver, non ?

— Oui, hier soir. Avec le Vapo d’Italia.

— C’est la première fois que vous venez à Rhodes ?

— Oui. C’est ravissant, n’est-ce pas ?

— Dommage que ce soit si loin, ajouta son mari.

— Oui, si seulement c’était plus près de l’Angleterre…

D’une voix assourdie, Sarah intervint :

— Oui, mais ce serait atroce. Des rangées et des rangées de gens affalés comme des poissons à l’étalage ! Des corps partout !

— Oui, c’est bien vrai, ça ! acquiesça Douglas Gold. N’empêche que c’est embêtant que le change soit aussi ruineux en ce moment.

— Oui, ça fait un drôle d’écart, non ?

La conversation véhiculait les stéréotypes habituels. Il eût été malaisé de la qualifier de brillante.

Un peu plus loin, sur la plage, Valentine Chantry s’agita et s’assit. Elle retenait d’une main son soutien-gorge.

Elle bâilla – un bâillement long mais délicat tout à la fois, à la manière d’un chat. Elle jeta un regard distrait autour d’elle, glissa sur Marjorie Gold et s’arrêta sur la tête blonde et bouclée de Douglas Gold.

Elle imprima à ses épaules un mouvement sinueux. Puis elle parla, élevant la voix un peu plus haut que nécessaire.

— Tony chéri… ce n’est pas divin, ce soleil ? J’ai dû être une adoratrice du soleil dans une autre vie… Tu ne penses pas ?

Le mari grommela quelque chose qui ne parvint pas jusqu’aux oreilles des autres. Valentine Chantry reprit un peu plus haut et de sa voix langoureuse :

— Étale un peu mieux la serviette, tu veux bien, chéri ?

Elle réinstalla son corps superbe avec d’infinies précautions. Douglas Gold regardait dans sa direction, maintenant. L’œil franchement intéressé.

— Quelle belle femme ! gazouilla Mrs Gold, ravie, quelques tons plus bas.

Pamela, tout aussi enchantée de donner des informations que d’en recevoir, chuchota encore plus bas :

— C’est Valentine Chantry… vous savez, l’ex-Valentine Dacres. Elle est assez extraordinaire, non ? Il est fou d’elle, il ne la quitte pas d’une semelle !

Mrs Gold regarda de nouveau la plage.

— La mer est vraiment merveilleuse… si bleue. Nous devrions y entrer maintenant. Tu ne trouves pas Douglas ?

Il n’avait pas quitté Valentine Chantry des yeux et mit quelques instants à répondre. Il répéta, l’air absent.

— Y entrer ? Ah, oui… tout de suite…

Marjorie Gold se leva et se dirigea vers l’eau.

Valentine Chantry se tourna sur le côté. Elle avait les yeux fixés sur Douglas Gold. Sa bouche écarlate esquissa l’ombre d’un sourire.

Le cou de Mr Douglas Gold s’empourpra quelque peu.

— Tony chéri, tu veux être un amour ? demanda Valentine Chantry. J’ai besoin de mon petit pot de crème pour le visage… il est sur la coiffeuse. J’ai oublié de l’emporter. Va me le chercher, tu seras un ange.

Le capitaine se leva docilement. Il regagna l’hôtel d’un pas raide.

Marjorie Gold plongea et cria :

— Elle est délicieuse, Douglas… si chaude ! Viens !

— Vous n’y allez pas ? s’étonna Pamela Lyall.

— J’aime bien avoir pris un peu de soleil avant, répondit-il d’un ton vague.

Valentine Chantry remua. Elle leva la tête, comme pour rappeler son mari… mais il disparaissait justement derrière la haie de l’hôtel.

— Piquer une tête, c’est ce que j’aime faire en dernier, expliqua Mr Gold.

Mrs Chantry se rassit. Elle attrapa son flacon d’huile solaire. Elle sembla éprouver quelques difficultés… le bouchon résistait à ses efforts.

— Oh, bon sang ! s’exclama-t-elle à très haute voix et avec irritation. Rien à faire pour ouvrir ce truc !

Elle coula un regard vers leur petit groupe.

— Je me demande si…

Toujours galant, Poirot se leva, mais Douglas Gold avait l’avantage de la jeunesse et de la souplesse. En un éclair, il fut près d’elle.

— Puis-je l’ouvrir pour vous ?

— Oh, merci…

La voix s’était de nouveau faite douce, chaude, langoureuse.

— Vous êtes si gentil. Je suis idiote dès qu’il s’agit d’ouvrir quelque chose… Je tourne toujours dans le mauvais sens. Oh, vous avez réussi ! Je vous remercie beaucoup…

Hercule Poirot sourit en lui-même.

Il se leva et s’en fut déambuler sur la plage dans la direction opposée. Il avançait paresseusement et n’alla pas bien loin. Comme il revenait sur ses pas, Mrs Gold sortit de l’eau et vint le rejoindre. Elle avait nagé. Sous son bonnet de bain singulièrement peu seyant, elle était radieuse.

— J’adore la mer, haleta-t-elle, le souffle court. L’eau est si chaude et si merveilleuse, ici…

C’était, il n’en douta plus, une baigneuse enthousiaste.

— Douglas et moi, nous sommes fous de baignade, dit-elle. Il peut rester des heures dans l’eau.

Hercule Poirot jeta un œil par-dessus son épaule jusqu’à l’endroit où ce fou de baignade, Mr Douglas Gold était en grande conversation avec Valentine Chantry.

— Je ne comprends pas pourquoi il ne vient pas, dit sa femme.

Une espèce d’étonnement enfantin perçait dans sa voix.

Songeur, Poirot avait le regard fixé sur Valentine Chantry. D’autres femmes, en leur temps, avaient fait cette même réflexion.

Il entendit Mrs Gold reprendre bruyamment son souffle à côté de lui.

— Je crois qu’elle a la réputation d’être très séduisante, fit-elle d’un ton froid. Mais c’est le genre de femme que Douglas ne peut pas supporter.

Hercule Poirot ne releva pas.

Mrs Gold retourna plonger.

Elle nageait vers le large, à brasses longues et régulières. Il était visible qu’elle aimait l’eau.

Poirot revint vers son petit groupe.

Celui-ci s’était augmenté du général Barnes, militaire à la retraite qu’on trouvait d’ordinaire en compagnie de la jeune génération. Assis entre Sarah et Pamela, il était occupé avec cette dernière à passer en revue divers scandales, en les embellissant comme il se doit.

Le capitaine Chantry était revenu, et Douglas Gold et lui encadraient Valentine.

Assise très droite entre eux, Valentine bavardait. Elle se laissait aller, de sa douce voix traînante, s’adressant tantôt à l’un, tantôt à l’autre.

Elle terminait juste une anecdote.

— … Et que pensez-vous qu’il a dit, cet idiot ? « Quand bien même je ne vous aurais entrevue qu’une minute, je vous reconnaîtrais n’importe où, madame ! » Et vous savez, j’ai trouvé ça si touchant de sa part ! Le monde est vraiment si gentil – je veux dire, les gens sont toujours si terriblement gentils avec moi… je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. Alors j’ai dit à Tony… tu t’en souviens, mon chéri ? : « Tony, s’il te prend un jour l’envie d’être un tout petit peu jaloux, alors sois-le de ce chasseur. » Parce qu’il était vraiment trop adorable…

Il y eut un silence, puis Douglas Gold décréta :

— De braves garçons, ces chasseurs d’hôtel, parfois.

— Oh ! oui… il s’est tellement décarcassé… il s’est réellement mis en quatre… et il paraissait enchanté de pouvoir me rendre service.

— Rien d’étonnant à ça, répliqua Douglas Gold. Je parie que, pour vous, tout le monde en ferait autant.

— Que c’est gentil ! s’écria-t-elle, ravie. Tony ! Tu as entendu ?

Le capitaine Chantry poussa un grognement.

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