LE MIROIR DU MORT Agatha Christie

— Oui, et rien d’inscrit sur les talons de chèques. Aucun autre chèque à elle-même, sinon de petites sommes… quinze livres au maximum. Et maintenant, écoutez ça : il n’y a pas l’ombre d’une telle somme d’argent dans la maison. Quatre livres et dix shillings dans un sac à main, et de la menue monnaie dans un autre – c’est tout ce que nous avons pu dénicher. C’est clair, il me semble.

— Autrement dit, elle a versé cet argent à quelqu’un hier.

— Oui. Seulement à qui ?

La porte venait de s’ouvrir sur l’inspecteur Jameson.

— Alors, Jameson, vous tenez quelque chose ?

— Oui, monsieur, plusieurs choses. Pour commencer, personne n’a entendu le coup de feu. Il y a bien quelques femmes qui prétendent le contraire parce qu’elles voudraient s’en persuader – mais ça ne va pas plus loin. Avec tous ces feux d’artifice qui pétaradaient, ce serait bien le diable.

— Pas de suppositions, grommela Japp. Continuez.

— Mrs Allen est restée chez elle une bonne partie de l’après-midi et toute la soirée. Elle est rentrée vers 17 heures. Elle est ressortie vers 18 heures, mais n’est allée que jusqu’à la boîte aux lettres, au bout de la rue. Vers 21 h 30, une voiture est arrivée, une berline Swallow standard, et un homme en est descendu. Signalement : dans les quarante-cinq ans, bien habillé, allure militaire, pardessus bleu marine, chapeau melon et moustache en brosse. James Hogg, le chauffeur du n°18, dit qu’il est déjà venu chez Mrs Allen.

— Quarante-cinq ans, répéta Japp. Ça ne peut guère être Laverton-West.

— L’homme, quel qu’il soit, est resté ici un peu moins d’une heure. Il est parti vers 22 h 20. Il s’est arrêté sur le pas de la porte pour parler à Mrs Allen. Un gosse qui traînait dans le coin, Frederick Hogg, a entendu ce qu’il disait.

— Et que disait-il ?

— « Bon, eh bien, pensez-y et faites-moi connaître votre décision. » Elle a alors dit quelque chose et il a répondu : « Parfait. À bientôt. » Sur quoi il est monté dans sa voiture et il est parti.

— Ça, c’était à 10 h 20 du soir, répéta Poirot, songeur.

Japp se frotta le nez.

— Ainsi, à 22 h 20, Mrs Allen était encore en vie, remarqua-t-il. Quoi d’autre ?

— Rien d’autre pour l’instant, monsieur. Le chauffeur du n°22 est rentré chez lui à 22 h 30 et il avait promis à ses enfants de faire partir des fusées. Ils l’attendaient avec les autres gosses du quartier. Il a tiré les fusées et tout le monde est resté le nez en l’air. Après ça, chacun est rentré se coucher.

— Et on n’a vu personne d’autre entrer au n°14 ?

— Non, mais ça ne veut rien dire. Personne n’aurait remarqué.

— Hum ! fit Japp. C’est juste. Eh bien, il ne nous reste plus qu’à mettre la main sur le « gentleman à l’allure militaire et à la moustache en brosse ». Il est de toute évidence le dernier à l’avoir vue en vie. Je me demande de qui il peut bien s’agir.

— Miss Plenderleith pourra peut-être nous renseigner, suggéra Poirot.

— Peut-être bien que oui. Mais peut-être bien que non également. Je suis sûr qu’elle pourrait nous en apprendre long pour peu qu’elle le veuille. Qu’en dites-vous, Poirot ? Vous êtes resté seul avec elle un bon moment. Vous n’avez pas sorti votre numéro de Père confesseur qui pourtant vous réussit parfois si bien ?

Poirot écarta les bras :

— Nous n’avons, hélas ! parlé que radiateurs à gaz.

— Radiateurs à gaz… radiateurs à gaz, répéta Japp, écœuré. Qu’est-ce qui vous arrive, ma vieille branche ? Depuis que nous sommes arrivés ici, vous ne vous êtes intéressé qu’aux plumes d’oie et aux corbeilles à papiers. Ah ! ne dites pas le contraire, je vous ai vu éplucher le contenu de celle du rez-de-chaussée. Vous y avez trouvé quelque chose ?

— Un catalogue de grainetier, soupira Poirot. Et un vieux magazine.

— Que cherchez-vous, en fait ? Si quelqu’un avait voulu se débarrasser d’un document compromettant – ou de Dieu sait ce que vous pouvez bien avoir en tête ! –, il ne se serait sans doute pas contenté de le jeter dans une corbeille à papiers.

— C’est très vrai, ce que vous dites. On ne se débarrasserait comme ça que de quelque chose qui n’a aucune espèce d’importance.

Poirot avait dit ça avec humilité. Japp lui jeta néanmoins un regard soupçonneux.

— Bon, fit-il. Je sais à quoi je vais m’attaquer maintenant. Et vous ?

— Oh ! moi, je vais continuer à chercher ce qui n’a aucune espèce d’importance. Il y a encore la poubelle.

Il s’éclipsa prestement. Japp le suivit des yeux, effondré.

— Toqué, murmura-t-il. Complètement toqué.

L’inspecteur Jameson observait un silence de bon aloi.

Mais chaque trait de son visage proclamait la supériorité britannique : « Non mais ces étrangers, tout de même ! »

Tout haut, il déclara :

— Ainsi, c’est donc ça, Hercule Poirot ? J’ai entendu parler de lui.

— C’est un vieil ami à moi, expliqua Japp. Il est loin d’être aussi timbré qu’il en a l’air. Mais quand même, il ne rajeunit pas.

— Il devient un peu gaga, comme on dit, renchérit Jameson. Que voulez-vous, l’âge, c’est l’âge.

— N’empêche, dit Japp, j’aimerais bien savoir après quoi il en a.

Il s’approcha du secrétaire et posa un regard inquiet sur une certaine plume d’oie vert émeraude.

5

Japp venait juste d’engager la conversation avec la femme de son troisième chauffeur quand Poirot, silencieux comme un chat, apparut soudain à son côté.

— Bigre, vous m’avez fait peur ! s’exclama Japp. Du nouveau ?

— Pas ce que j’espérais.

Japp retourna à Mrs James Hogg :

— Et ce monsieur, vous disiez que vous l’aviez déjà vu ?

— Oh, oui, m’sieur. Et mon mari comme moi. On l’a reconnu tout de suite.

— Écoutez-moi, Mrs Hogg, vous êtes une femme intelligente, je le vois bien. Je suis sûr que vous savez tout sur tout le monde, ici. Et vous avez un bon jugement – particulièrement bon, ça se voit tout de suite. (C’était la troisième fois qu’il répétait ce compliment sans rougir. Mrs Hogg se redressa et prit une expression d’intelligence surhumaine.) Donnez-moi votre opinion sur ces deux jeunes femmes, Mrs Allen et miss Plenderleith. Comment étaient-elles ? Gaies ? Elles recevaient beaucoup ? Vous me comprenez à demi-mot ?

— Oh, non, monsieur, rien dans ce genre-là. Elles sortaient beaucoup – surtout Mrs Allen –, mais elles avaient de la classe, si vous voyez ce que je veux dire. Pas comme certaines que je pourrais nommer, à l’autre bout de la rue. C’est pas pour dire, mais vu la façon dont Mrs Stevens se comporte… – si tant est qu’elle soit Mrs, et là-dessus j’ai mes doutes – eh bien je préférerais pas avoir à vous raconter ce qui se passe chez elle… Je…

— Très juste, fit Japp, coupant adroitement ce flot de paroles. C’est très important, ce que vous me dites-là, Mrs Allen et miss Plenderleith étaient bien vues, alors ?

— Oh, oui, m’sieur, des dames charmantes, toutes les deux, surtout Mrs Allen. Toujours un mot gentil pour les enfants. Elle avait perdu sa gamine, à ce que je crois, la pauvre femme. Enfin ! j’en ai enterré trois moi-même. Et ce que je dis toujours, c’est…

— Oui, oui, c’est bien triste. Et miss Plenderleith ?

— Ma foi, c’est une gentille personne aussi, bien sûr, mais plus abrupte, si vous voyez ce que je veux dire. Un signe en passant, mais je ne m’arrête pas. C’est pas que j’aie quelque chose contre elle, hein, rien du tout.

— Elle s’entendait bien avec Mrs Allen ?

— Ça, oui, m’sieur. Pas de disputes, jamais un mot plus haut que l’autre. Heureuses et satisfaites, elles étaient – je suis sûre que Mrs Pierce ne vous dira pas le contraire.

— Oui, nous lui avons parlé. Le fiancé de Mrs Allen, vous l’avez déjà vu ?

— Le monsieur qu’elle doit épouser ? Ah ça, si je l’ai vu ! C’est souvent qu’il est dans le coin. Un membre du Parlement, à ce qu’il paraîtrait.

— Ce n’est pas lui qui est venu hier soir ?

— Ça, non, m’sieur, ce n’était pas lui. (Mrs Hogg se redressa, toute excitée sous ses airs compassés 🙂 Et si vous voulez mon avis, m’sieur, vous pensez tout de travers. Mrs Allen n’était pas ce genre de personne, j’en mettrais ma main au feu. C’est vrai qu’il n’y avait qu’elle dans la maison, mais on ne me ferait jamais croire une chose pareille – je le disais encore à Hogg ce matin. « Non, Hogg, que je lui disais, Mrs Allen, c’était une dame – une vraie –, alors ne va pas imaginer des choses », parce que je sais bien ce que les hommes ont tous dans la tête, si vous me permettez d’être franche. Toujours des idées dégoûtantes.

Sans relever l’insulte, Japp poursuivit :

— Vous l’avez vu entrer et vous l’avez vu ressortir, c’est bien ça ?

— C’est bien ça, m’sieur.

— Et vous n’avez rien entendu d’autre ? Pas de bruit de dispute ?

— Non, m’sieur, ça n’aurait d’ailleurs pas été commode. Oh, c’est pas qu’on ne peut pas entendre ce genre de choses, parce qu’on a bien la preuve du contraire à l’autre bout de la rue : tout le monde sait comment Mrs Stevens s’acharne sur sa malheureuse bonniche terrorisée, et tous tant qu’ils sont ils lui ont conseillé de pas se laisser faire, seulement voilà, les gages sont bons… elle a peut-être un caractère de cochon, mais pour ce qui est de payer, elle paye… trente shillings par semaine, c’est pas…

Japp s’interposa vivement :

— Mais vous n’avez rien entendu de pareil au n°14 ?

— Non, m’sieur. Comme je vous l’ai dit, ça n’aurait d’ailleurs pas été commode avec ces fusées qui éclataient de partout et mon Eddy qui a manqué se faire roussir les sourcils.

— Cet homme, il est reparti à 10 h 20, c’est bien ça ?

— C’est possible, m’sieur. Là, je ne peux jurer de rien. Mais Hogg le dit et il est sérieux, c’est un garçon de confiance.

— Vous l’avez quand même vu partir. Avez-vous entendu ce qu’il disait ?

— Non, m’sieur. Je n’étais pas assez près pour ça. Je ne l’ai vu que de ma fenêtre, sur le pas de la porte, en train de parler à Mrs Allen.

— Et elle, vous l’avez vue aussi ?

— Oui, m’sieur, juste sur le seuil, quasiment dans l’entrée.

— Vous avez remarqué ce qu’elle portait ?

— Pas vraiment, m’sieur, je ne peux pas dire. En fait, je n’ai rien remarqué du tout.

— Même pas si elle était en robe d’après-midi ou en robe du soir ? s’enquit Poirot.

— Non, m’sieur, je ne peux pas dire.

Poirot regarda d’un air songeur la fenêtre au-dessus de sa tête, puis le n°14. Il sourit et croisa le regard de Japp.

— Et l’homme ?

— Il avait un pardessus bleu marine et un chapeau melon. Bien mis, très élégant.

Japp lui posa encore quelques questions, puis passa à l’interrogatoire suivant. Il s’agissait cette fois du jeune Frederick Hogg, garçon au visage malicieux, au regard vif, tout gonflé de son importance :

— Oui, m’sieur. Je les ai entendus causer. « Bon, eh bien, pensez-y et faites-moi connaître votre décision », qu’il a dit, l’homme. Aimable, vous voyez. Sur ce, elle a dit quelque chose et il a répondu « Parfait. À bientôt ». Et puis il est monté dans sa voiture – je lui tenais la portière, mais il m’a rien donné, soupira Hogg junior avec une pointe de regret – et il a démarré.

— Tu n’as pas entendu ce que lui a dit Mrs Allen ?

— Non, m’sieur, je peux pas dire.

— Tu as remarqué ce qu’elle portait ? La couleur de sa robe, par exemple ?

— Ça, je pourrais pas dire, m’sieur. Vous comprenez, je l’ai pas vraiment vue. Elle était derrière la porte.

— D’accord, fit Japp. Maintenant, écoute-moi, mon garçon, je veux que tu réfléchisses et que tu répondes très exactement à ma question. Si tu l’ignores ou si tu n’arrives pas à t’en souvenir, dis-le franchement. C’est clair ?

— Oui, m’sieur.

Hogg junior le regardait d’un air pénétré.

— Lequel des deux a fermé la porte, Mrs Allen ou le monsieur ?

— La porte d’entrée ?

— La porte d’entrée, évidemment.

Le gamin réfléchit. Il plissa les paupières dans un effort de concentration intense :

— Je crois bien que c’est la dame… Non, c’est pas elle. C’est lui. Il l’a claquée et il a sauté dans sa voiture en vitesse. Comme s’il avait rendez-vous quelque part.

— Parfait. Eh bien, jeune homme, tu m’as l’air du genre futé. Tiens, voilà six pence pour toi.

Abandonnant Hogg junior, Japp se tourna vers son ami. Lentement et avec un bel ensemble, ils hochèrent la tête.

— Ça se pourrait ! dit Japp.

— Ce n’est pas exclu, acquiesça Poirot.

Une lueur verte brillait dans ses yeux. Des yeux qui ressemblaient à ceux d’un chat.

6

De retour dans le salon du n°14, Japp ne perdit pas son temps à tourner autour du pot. Il alla droit au but :

— Écoutez, miss Plenderleith, vous ne croyez pas que ce serait le moment de vous mettre à table ? De toute façon, il faudra bien en arriver là.

Debout près de la cheminée, miss Plenderleith se réchauffait les pieds. Ses sourcils grimpèrent d’un cran :

— Je ne comprends absolument pas ce que vous voulez dire.

— C’est bien vrai, ça, miss Plenderleith ?

Elle haussa les épaules :

— J’ai déjà répondu à toutes vos questions. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre.

— À mon avis, vous pourriez beaucoup plus… pour peu que vous en ayez envie.

— Mais ce n’est là qu’un avis, n’est-ce pas, inspecteur ?

Japp vira au rouge brique.

— Je pense, dit Poirot, que mademoiselle comprendrait mieux le sens de vos questions si vous lui expliquiez où nous en sommes.

— C’est très simple. Les faits sont les suivants, miss Plenderleith : on a retrouvé votre amie, une balle dans la tête, un revolver dans la main, la porte et la fenêtre bouclées. Ça avait tout l’air d’un banal suicide. Mais ce n’est pas un suicide. À lui seul, l’examen médical le prouve.

— Comment cela ?

Toute sa froideur ironique avait disparu. Elle se pencha vers lui, attentive.

— Le revolver était bien dans sa main… mais elle n’avait pas les doigts crispés dessus. Qui plus est, il n’y avait pas la moindre empreinte sur le revolver en question. Et l’angle de l’impact est tel qu’il est exclu qu’elle ait pu tirer le coup de feu elle-même. Par-dessus le marché, elle n’a pas laissé de lettre, ce qui est inhabituel en cas de suicide. En outre, bien que la porte ait été fermée à double tour, nous n’avons pas retrouvé la clef.

Jane Plenderleith se tourna lentement et s’assit en face d’eux :

— C’est donc ça ! Je sentais bien qu’il était impossible qu’elle se soit suicidée ! J’avais raison ! Elle ne s’est pas tuée. Elle a été assassinée.

Elle resta un moment perdue dans ses pensées. Soudain, elle releva la tête.

— Posez-moi toutes les questions que vous voudrez, dit-elle. J’y répondrai de mon mieux.

— La nuit dernière, commença Japp, Mrs Allen a reçu un visiteur. Un homme d’environ quarante-cinq ans, allure militaire, moustache en brosse, conduisant une berline Swallow standard. Le connaissez-vous ?

— Je peux me tromper, bien sûr, mais ça ressemble au major Eustace.

— Qui est le major Eustace ? Dites-moi tout ce que vous savez de lui.

— Barbara l’a rencontré à l’étranger… aux Indes. Il a fait son apparition il y a un an environ, et nous l’avons vu de temps à autre depuis.

— C’était un ami de Mrs Allen ?

— Il se conduisait comme si c’était le cas, ironisa Jane.

— Quelle attitude avait-elle envers lui ?

— Je ne pense pas qu’elle l’aimait beaucoup… en fait, je suis même sûre que non.

— Mais elle le traitait apparemment en ami ?

— Oui.

— A-t-elle jamais eu l’air… – réfléchissez bien, miss Plenderleith – … d’avoir peur de lui ?

Jane Plenderleith demeura songeuse un moment.

— Oui, je crois qu’elle en avait peur, dit-elle enfin. Elle était toujours tendue quand il était dans les parages.

— Le major et Mr Laverton-West se sont-ils jamais rencontrés ?

— Rien qu’une fois, je crois. Ils n’ont pas beaucoup sympathisé. C’est-à-dire, le major Eustace a été on ne peut plus aimable, mais Charles n’a fait aucun effort. Charles flaire tout de suite les gens qui ne sont pas… le gratin.

— Et le major n’est pas… ce que vous appelez le gratin ? s’enquit Poirot.

— Ça, non, répondit vivement la jeune femme. Il est plutôt mal dégrossi. Ça n’est pas le dessus du tiroir, comme on dit chez nous.

— Hélas ! je ne saisis pas toujours vos expressions anglaises, soupira Poirot. Mais vous voulez parler du dessus du panier, n’est-ce pas ?

Un sourire passa sur le visage de Jane Plenderleith. Mais c’est avec sérieux qu’elle répondit :

— En effet.

— Miss Plenderleith, seriez-vous très étonnée si je vous disais que le major faisait chanter Mrs Allen ?

Japp se pencha en avant pour observer sa réaction.

Il eut tout lieu d’être satisfait. Elle sursauta, rougit, et sa main se crispa sur l’accoudoir de son fauteuil :

— C’était donc ça ! Quelle idiote je fais de ne pas l’avoir deviné. Mais bien sûr !

— La suggestion vous paraît plausible, mademoiselle ? demanda Poirot.

— Je suis stupide de ne pas y avoir pensé ! À plusieurs reprises, Barbara m’a emprunté de petites sommes, ces six derniers mois. Et je l’ai vue plus d’une fois absorbée dans l’examen de son livret bancaire. Comme je savais que ses revenus lui suffisaient largement pour vivre, je ne m’en suis jamais inquiétée. Mais évidemment, s’il était très exigeant…

— Cela expliquerait son comportement général, n’est-ce pas ?

— Tout à fait. Elle était tendue. Hyper-nerveuse par moments. Ce qui ne lui ressemblait pas.

— Pardonnez-moi, lui fit remarquer Poirot avec une infinie douceur, mais ce n’est pas précisément ce que vous nous aviez dit.

— Ça n’a rien à voir, répliqua Jane Plenderleith avec un geste agacé. Elle n’était pas déprimée. Je veux dire qu’elle n’était pas d’humeur suicidaire ou quoi que ce soit d’approchant. Mais du chantage… c’est une autre paire de manches. Si seulement elle m’en avait parlé ! Je l’aurais envoyé paître, ce type !

— Plutôt que paître, il aurait pu aller trouver Mr Laverton-West, fit remarquer Poirot…

— Oui. Oui… c’est juste…

— Vous n’avez pas idée de ce qu’il pouvait détenir contre elle ? demanda Japp.

La jeune femme secoua la tête :

— Pas la moindre. Connaissant Barbara, je ne peux pas croire qu’il s’agisse de quelque chose de vraiment grave. D’un autre côté… (Elle s’interrompit, puis reprit 🙂 Ce que je veux dire, c’est que Barbara était un peu bébête, dans un sens. Ça n’était pas compliqué de la pousser à paniquer. En fait, pour un maître chanteur, elle était le type même de la proie idéale. Quel salopard !

Elle avait lancé ce dernier mot comme on crache son venin.

— Malheureusement, fit Poirot, le meurtre semble s’être déroulé à l’envers. C’est la victime qui aurait dû tuer le maître chanteur, et pas l’inverse.

Jane Plenderleith plissa le front :

— Oui, c’est vrai… mais j’imagine qu’il y a des circonstances où…

— Quel genre de circonstances ?

— Supposons que Barbara ait été acculée au désespoir. Elle aurait pu le menacer de son ridicule petit revolver. Il essaye de le lui arracher des mains et, dans la bagarre, il tire et la tue. Épouvanté par les conséquences possibles de son acte, il tente de le maquiller en suicide.

— C’est possible, admit Japp. Mais il y a un os.

Elle lui jeta un regard interrogateur.

— Le major Eustace – si c’était bien lui – est parti à 10 h 20 et a dit au revoir à Mrs Allen sur le pas de la porte.

— Oh ! je vois… (Son visage s’allongea. Elle réfléchit un instant.) Il aurait pu revenir plus tard, suggéra-t-elle enfin.

— Oui, ce n’est pas exclu, dit Poirot.

— Dites-moi, miss Plenderleith, poursuivit Japp, où Mrs Allen avait-elle l’habitude de recevoir ses invités ? Ici ou en haut dans sa chambre ?

— Dans les deux. Mais ce salon servait plutôt à recevoir nos amis communs ou mes amis personnels. Nous étions convenues, voyez-vous, que Barbara prendrait la plus grande chambre qui lui servirait aussi de salon, et moi la plus petite, avec l’usage de cette pièce-ci.

— Si le major Eustace avait rendez-vous avec elle hier soir, dans quelle pièce pensez-vous que Mrs Allen l’aurait reçu ?

— Probablement ici, répondit Jane d’un air dubitatif. C’est moins intime. D’un autre côté, si elle avait l’intention de lui signer un chèque ou d’écrire quoi que ce soit, elle l’aurait emmené en haut. Dans le salon, il n’y a rien pour écrire.

Japp secoua la tête :

— Il n’a pas été question de chèque. Hier, Mrs Allen a tiré deux cents livres en liquide. Et jusqu’à présent, nous n’en avons pas trouvé trace dans la maison.

— Elle les aurait données à cette crapule ? Oh, pauvre Barbara ! Pauvre, pauvre Barbara !

Poirot toussota.

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