LE MIROIR DU MORT Agatha Christie

— Qui jouait au bridge ?

— Le colonel Bury, lady Chevenix-Gore, Mr Trent et miss Cardwell.

— Nous allons le garder et nous le rendrons nous-mêmes au colonel, dit Poirot.

— Oh, je vous en prie. Je suis si distraite que je serais encore capable de l’oublier.

— Auriez-vous l’amabilité, mademoiselle, de demander au colonel Bury de venir ici ?

— Certainement. Je vais vous le chercher tout de suite.

Elle se dépêcha de sortir. Poirot se leva et se mit à déambuler sans but dans la pièce.

— Nous commençons à pouvoir reconstituer l’après-midi, déclara-t-il. C’est intéressant. À 2 heures et demie, sir Gervase s’occupe des comptes avec le capitaine Lake. Il est légèrement préoccupé. À 3 heures il discute du livre qu’il est en train d’écrire avec miss Lingard. Il est très tourmenté. Miss Lingard attribue son souci à Hugo Trent sur la foi d’une remarque fortuite. À l’heure du thé, son comportement est normal. Après le thé, Godfrey Burrows nous dit qu’il se réjouissait de quelque chose. À 8 heures moins 5, il descend, va dans son bureau, griffonne « désolé » sur un bout de papier, et se tire une balle dans la tête !

Le major Riddle prit son temps pour répondre :

— Je vois où vous voulez en venir. Ça ne tient pas debout, en effet.

— Sir Gervase Chevenix-Gore a de singuliers changements d’humeur ! Il est préoccupé, il est gravement tourmenté, il est normal, il est enchanté ! C’est très curieux ! Et ses paroles : « Trop tard. » J’arriverai ici « trop tard ». Ma foi, c’est bien vrai, ça. Je suis arrivé trop tard… pour le voir vivant.

— Je comprends. Vous pensez vraiment que… ?

— Je ne saurai jamais pourquoi sir Gervase m’a fait venir ! Voilà ce qui est sûr.

Poirot allait et venait toujours dans la pièce. Il remit quelques objets en place sur la cheminée, examina une table de jeu poussée contre le mur, ouvrit le tiroir et en sortit des marques de bridge. Il alla ensuite jusqu’au bureau et jeta un coup d’œil dans la corbeille. Il ne s’y trouvait rien qu’un sac en papier. Il le prit, le renifla, marmonna : « Oranges », le défroissa et lut : « Carpenter & Fils, Fruitiers, Hamborough St. Mary. » Il était en train de le plier soigneusement en carrés quand le colonel Bury entra.

8

Le colonel se laissa tomber dans un fauteuil, secoua la tête, soupira et dit :

— Effroyable affaire, Riddle. Lady Chevenix-Gore est merveilleuse, merveilleuse ! C’est une femme sensationnelle ! Une grande dame ! Pleine de courage !

Retournant lentement vers son siège, Poirot demanda :

— Vous la connaissez depuis de longues années, je crois ?

— En effet. J’ai assisté à son premier bal. Elle avait dans les cheveux des boutons de rose, je m’en souviens comme si c’était hier. Et elle portait une robe blanche à frous-frous. Personne ne lui arrivait à la cheville !

Sa voix vibrait d’enthousiasme. Poirot lui tendit le portemine.

— C’est à vous, je crois ?

— Hein ? Quoi ? Oh, merci ! Je l’avais encore cet après-midi quand nous avons joué au bridge. C’est stupéfiant, vous savez. J’ai eu un cent d’honneur à pique trois fois de suite ! Ça ne m’était jamais arrivé.

— Vous avez joué au bridge avant le thé, si j’ai bien compris, dit Poirot. Dans quel état d’esprit se trouvait sir Gervase quand il vous a rejoint ?

— Normal, tout à fait normal. Je n’aurais jamais imaginé qu’il pensait à en finir. Il était peut-être un peu plus nerveux que d’habitude, maintenant que j’y pense.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Eh bien, à ce moment-là ! À l’heure du thé. Le pauvre vieux, je ne l’ai plus revu vivant.

— Vous n’êtes pas allé dans son bureau, après le thé ?

— Non, je ne l’ai plus revu.

— À quelle heure êtes-vous descendu pour le dîner ?

— Après le premier coup de gong.

— Vous êtes descendu avec lady Chevenix-Gore ?

— Non… nous… euh… nous nous sommes rencontrés dans le hall. Je crois qu’elle était allée dans la salle à manger, soigner les fleurs – ou quelque chose comme ça.

Le major Riddle intervint :

— Ne m’en veuillez pas de vous poser une question personnelle, colonel Bury. Avez-vous jamais eu des différends avec sir Gervase à propos de la Paragon Synthetic Rubber Company ?

Le visage du colonel Bury s’empourpra. Il répondit, bredouillant un peu :

— Pas du tout. Pas du tout. Le vieux Gervase n’était pas un individu raisonnable. Il ne faut pas l’oublier. Il s’attendait toujours à ce que tout ce qu’il touche se transforme en or ! Il ne comprenait pas que le monde entier traversait une crise. Toutes les valeurs en étaient affectées.

— Il existait donc bien des différends entre vous ?

— Aucun différend. Il n’y avait que le fichu manque de bon sens de Gervase !

— Il vous reprochait les pertes qu’il avait subies ?

— Gervase n’était pas normal. Vanda en était consciente. Mais elle arrivait toujours à le tenir en main. C’est avec soulagement que je m’en remettais à elle.

Poirot toussota et le major Riddle, après lui avoir jeté un coup d’œil, changea de sujet.

— Je sais que vous êtes un très vieil ami de la famille, colonel. Avez-vous une idée de la façon dont sir Gervase a disposé de ses biens ?

— Bah ! J’imagine que le plus grosse part reviendra à Ruth. C’est ce que j’ai cru comprendre.

— Vous ne trouvez pas que c’est injuste envers Hugo Trent ?

— Gervase n’aimait pas Hugo. Il n’a jamais pu le souffrir.

— Mais il avait le sens de la famille. Et, après tout, miss Chevenix-Gore n’était que sa fille adoptive.

Le colonel Bury hésita, puis, après avoir tourné un instant autour du pot, se décida à déclarer :

— Écoutez, je crois qu’il y a quelque chose que je ferais mieux de vous dire. Mais c’est strictement confidentiel.

— Bien sûr, bien sûr.

— Ruth est illégitime, mais c’est une vraie Chevenix-Gore. Elle est la fille du frère de Gervase, Anthony, qui est mort à la guerre. Il semble qu’il ait eu une liaison avec une dactylo. Quand il est mort, celle-ci a écrit à Vanda. Vanda est allée la voir. La fille attendait un bébé. Vanda en a parlé à Gervase, elle venait d’apprendre qu’elle ne pourrait plus avoir d’enfant. En conséquence, ils ont pris l’enfant en charge à sa naissance et l’ont adoptée légalement. La mère a renoncé à tous ses droits sur elle. Ils ont élevé Ruth comme leur propre fille et, à tous égards, elle est leur fille. Il suffit de la regarder pour voir que c’est une vraie Chevenix-Gore !

— Tiens, tiens ! fit Poirot. Je comprends. Voilà qui rend l’attitude de sir Gervase beaucoup plus claire. Mais s’il n’aimait pas Mr Hugo Trent, pourquoi tenait-il tant à ce qu’il épouse miss Ruth ?

— Pour régulariser la situation familiale. Cela satisfaisait son besoin de voir tout bien en place.

— Même s’il n’aimait pas le jeune homme ou n’avait pas confiance en lui ?

Le colonel émit quelques borborygmes.

— Vous ne comprenez pas le vieux Gervase. Il ne considérait pas les gens comme des êtres humains. Il arrangeait des alliances comme si les parties en présence étaient des personnages de sang royal. Étant donné la situation, il convenait que Ruth épouse Hugo et que Hugo prenne le nom de Chevenix-Gore. Ce que Ruth et Hugo pouvaient bien en penser n’entrait pas en ligne de compte.

— Miss Ruth était-elle disposée à souscrire à cet arrangement ?

Le colonel Bury éclata de rire.

— Pas elle ! C’est une virago !

— Saviez-vous que juste avant sa mort, sir Gervase rédigeait un nouveau testament selon lequel miss Chevenix-Gore n’héritait qu’à la condition d’épouser Mr Trent ?

Le colonel Bury émit un sifflement.

— Alors, il avait bel et bien eu vent de ce que Burrows et elle…

À peine prononcées, il aurait voulu rattraper ses paroles, mais trop tard. Poirot avait déjà bondi sur l’information.

— Il y avait quelque chose entre miss Ruth et Mr Burrows ?

— Probablement rien… rien du tout.

Le major Riddle toussota.

— J’estime, colonel Bury, que vous devriez nous dire tout ce que vous savez. Cela pourrait avoir eu une influence directe sur l’état d’esprit de sir Gervase.

— Ça n’est pas impossible, répondit le colonel, dubitatif. Bon, la vérité c’est que le jeune Burrows est un garçon plutôt bien de sa personne – du moins les femmes ont l’air de le penser. Ruth et lui s’entendaient comme larrons en foire, ces derniers temps, et cela ne plaisait pas à Gervase. Cela ne lui plaisait pas du tout. Il n’osait pas se risquer à flanquer Burrows à la porte de peur de précipiter les choses. Il savait de quoi Ruth était capable. Elle ne se serait jamais laissé dicter sa conduite. Alors, il a trouvé ce stratagème. Ruth n’est pas le genre de fille à tout sacrifier à l’amour. Elle aime la vie à grandes guides, et elle ne crache pas sur l’argent.

— Et en ce qui vous concerne, Mr Burrows vous plaît-il ?

Le colonel Bury émit l’opinion que Godfrey Burrows n’était guère talon rouge et l’avait même plutôt crotté – déclaration qui laissa Poirot pantois mais fit sourire le major Riddle dans sa moustache.

Après avoir répondu à quelques autres questions, le colonel Bury prit congé.

Riddle lança un coup d’œil à Poirot qui semblait absorbé dans ses pensées.

— Qu’est-ce que vous dites de tout ça, monsieur Poirot ?

Le petit homme balaya l’air de ses mains.

— Je crois que j’entrevois un plan – un plan mûrement réfléchi.

— L’affaire n’est pas simple, remarqua Riddle.

— Pas simple du tout. Mais plus ça va, plus une phrase, prononcée à la légère, me paraît significative.

— Laquelle ?

— Celle qu’a dite Mr Trent en plaisantant et selon laquelle « restait encore l’hypothèse du meurtre »…

— C’est une idée fixe, répliqua vertement Riddle. C’est dans cette direction que votre cœur balance depuis le début.

— Ne trouvez-vous pas, mon bon ami, que plus nous en apprenons, moins nous voyons de justification à un suicide ? En revanche, pour un meurtre, nous commençons à avoir une jolie collection de mobiles.

— N’oubliez quand même pas les faits : la porte verrouillée, la clef dans la poche du mort. Oh ! je sais que les moyens ne manquent pas : épingles tordues, ficelles, astuces en tous genres. Je ne nie pas que ce soit du domaine du possible. Mais est-ce que ça peut vraiment marcher ? Voilà ce que je mets en doute.

— Quoi qu’il en soit, examinons la situation du point de vue d’un meurtre, pas d’un suicide.

— Bon, d’accord. D’ailleurs, puisque vous faites partie de la distribution, il ne peut s’agir que d’un crime !

Poirot eut un sourire fugitif.

— Je n’aime pas beaucoup cette remarque…

Puis il redevint sérieux :

— Bien, examinons cette affaire du point de vue d’un meurtre. On entend un coup de feu, quatre personnes sont dans le hall : miss Lingard, Hugo Trent, miss Cardwell et Snell. Où sont les autres ?

« À l’en croire, Burrows est dans la bibliothèque. Personne ne peut le confirmer. Les autres sont en principe dans leur chambre, mais qui sait s’ils y sont vraiment ? Il semble que chacun soit descendu de son côté. Même lady Chevenix-Gore et le colonel Bury ne se sont rencontrés que dans le hall. Elle venait de la salle à manger. D’où venait Bury ? Peut-être d’en haut, mais du bureau ? Il y a ce portemine.

« Oui, ce porte-mine est intéressant. Bury n’a manifesté aucune émotion quand je le lui ai montré, mais c’est peut-être parce qu’il ne sait pas où je l’ai trouvé et qu’il ignorait même l’avoir perdu. Voyons, qui d’autre jouait au bridge quand il s’en est servi ? Hugo Trent et miss Cardwell. Ils sont tous les deux hors de cause. Miss Lingard et le maître d’hôtel peuvent confirmer leurs alibis. La quatrième était lady Chevenix-Gore.

— On ne peut pas sérieusement la suspecter.

— Pourquoi pas, mon bon ami ? Moi, je suis prêt à soupçonner tout le monde ! Supposons qu’en dépit de son apparente dévotion pour son mari, ce soit le fidèle Bury qu’elle aime, en réalité ?

— Hum ! fit Riddle. D’une certaine manière, ils formaient une espèce de ménage à trois depuis des années.

— Et il y a eu des différends entre sir Gervase et le colonel Bury à propos de cette société.

— Il est vrai que sir Gervase avait peut-être l’intention de devenir vraiment méchant. Nous ne connaissons pas les tenants et les aboutissants de cette affaire. Cela pourrait avoir un rapport avec la convocation que vous avez reçue. Mettons que sir Gervase soupçonnait Bury de l’escroquer, mais qu’il ne voulait pas que cela se sache parce qu’il soupçonnait sa femme d’y être mêlée. Oui, c’est possible. Ça leur donne à chacun un mobile vraisemblable. Et à dire vrai, c’est tout de même étrange que lady Chevenix-Gore prenne la mort de son mari avec tant de sérénité. Toute cette histoire d’esprits n’est peut-être qu’une comédie !

— Et puis il y a une complication supplémentaire, remarqua Poirot. Miss Chevenix-Gore et Burrows. Ils avaient tout intérêt à ce que sir Gervase ne signe pas son nouveau testament. Pour l’instant, elle hérite de tout à condition que son mari adopte le nom de la famille…

— Oui, sans compter que la façon dont Burrows a dépeint l’attitude de sir Gervase est on ne peut plus louche. De très bonne humeur, enchanté de quelque chose ! Ça ne colle pas avec tout ce qu’on nous a dit par ailleurs !

— Et il y a aussi Mr Forbes. Des plus corrects, des plus sérieux, appartenant à une étude bien établie depuis longtemps. Mais les hommes de loi, même les plus respectables, sont connus pour détourner l’argent de leurs clients quand ils ont un trou à combler.

— Là, vous y allez un peu fort, Poirot !

— Vous croyez qu’on ne voit cela que dans les films ? Mais la vie ressemble souvent de façon frappante à un film.

— Cela a été le cas, jusqu’ici, dans le Westshire, convint le major Riddle. Mais nous ferions mieux d’en finir avec les interrogatoires, vous ne pensez pas ? Il se fait tard et nous n’avons pas encore entendu Ruth Chevenix-Gore. C’est sans doute le personnage le plus important du lot.

— D’accord. Il y a aussi miss Cardwell. On pourrait peut-être la voir d’abord. Cela ne prendra pas longtemps, et nous interrogerons miss Chevenix-Gore en dernier.

— Bonne idée.

9

Jusque-là, Poirot n’avait accordé qu’un bref regard à Susan Cardwell. Maintenant, il l’examinait plus attentivement. Elle avait un visage intelligent, pas vraiment joli mais dont il se dégageait un charme que plus d’une belle fille lui aurait envié. Elle avait des cheveux magnifiques et était maquillée avec art. Seuls ses yeux indiquaient qu’elle était sur ses gardes.

Après quelques questions préliminaires, le major Riddle demanda :

— Êtes-vous une amie très proche de la famille, miss Cardwell ?

— Je ne les connais pas du tout. C’est Hugo qui s’est arrangé pour me faire inviter.

— Vous êtes une amie de Hugo Trent, alors ?

— Oui, c’est bien ça. La petite amie de Hugo, précisa Susan Cardwell en souriant.

— Vous le connaissez depuis longtemps ?

— Oh, non. Depuis un mois, à peu près.

Après un silence, elle ajouta :

— Nous sommes sur le point de nous fiancer.

— Et il vous a fait venir pour vous présenter à sa famille ?

— Oh, mon Dieu, non, rien de pareil. Nous tenions ça ultra-secret. Je suis venue pour reconnaître le terrain. Hugo m’avait dit que cela ressemblait à une maison de fous. J’ai eu envie de voir ça de mes yeux. Hugo, le pauvre chéri, est un amour mais il n’a pas pour deux sous de cervelle. Ma situation était plutôt critique, vous savez. Ni Hugo ni moi n’avons d’argent, et le vieux Gervase – le seul espoir de Hugo – s’était mis en tête de le marier à Ruth. Comme Hugo est un faible, il aurait pu consentir à ce mariage en se disant qu’il couperait les liens plus tard.

— Et cette idée n’était pas de votre goût, mademoiselle ? demanda gentiment Poirot.

— Pas du tout. Ruth aurait pu faire des caprices, refuser le divorce, que sais-je ? Alors j’ai été catégorique. Pas d’expédition à St Paul, Knightsbridge, tant que je ne pourrai pas y être moi-même, tremblante et une gerbe de lis dans les bras.

— Sur quoi vous avez décidé de venir étudier la situation vous-même ?

— Exact.

— Et alors ? fit Poirot.

— Évidemment, Hugo avait raison. Toute la famille est mûre pour l’asile de fous ! Sauf Ruth, qui m’a l’air d’avoir les pieds sur terre. Elle a un flirt de son côté et ne tient pas plus que moi à ce mariage.

— Vous voulez parlez de Mr Burrows ?

— Burrows ? Bien sûr que non. Ruth ne s’enticherait jamais d’un pareil fantoche !

— Dans ce cas, qui est l’objet de son affection ?

Susan Cardwell prit son temps. Elle sortit une cigarette, l’alluma et déclara enfin :

— Vous feriez mieux de le lui demander. Après tout, ce ne sont pas mes affaires.

Le major Riddle se racla la gorge :

— Quand avez-vous vu sir Gervase pour la dernière fois ?

— À l’heure du thé.

— Son attitude vous a-t-elle frappée d’une manière quelconque ?

— Pas plus que d’habitude.

— Qu’avez-vous fait après le thé ?

— J’ai joué au billard avec Hugo.

— Vous n’avez pas revu sir Gervase ?

— Non.

— Et ce coup de feu ?

— Ça a été assez bizarre. J’étais persuadée que le premier coup de gong avait retenti, alors je me suis dépêchée de m’habiller, je suis sortie en vitesse de ma chambre et, croyant entendre le second coup de gong, j’ai descendu l’escalier quatre à quatre. Le premier soir, j’étais arrivée avec une minute de retard au dîner, et Hugo m’avait dit que j’avais failli anéantir toutes mes chances auprès du vieux, alors j’accourais à fond de train. Hugo était juste devant moi, et puis tout à coup il y a eu un drôle de pop ! bang ! et il a dit que c’était un bouchon de champagne, mais Snell a rétorqué que non, et de toute façon je n’ai pas cru une seconde que ça venait de la salle à manger. Miss Lingard pensait que ça venait d’en haut, mais quoi qu’il en soit, nous sommes tombés d’accord pour dire qu’il s’agissait des ratés d’une voiture, nous sommes tous entrés dans le salon et nous avons oublié l’incident.

— Il ne vous est pas un instant venu à l’idée que sir Gervase avait pu se suicider ? demanda Poirot.

— Comment imaginer une chose pareille, je vous le demande ? L’Ancêtre paraissait tellement ravi de faire de l’esbroufe… Non seulement ça ne m’est pas venu à l’idée, mais je ne comprends toujours pas pourquoi il l’a fait. Juste parce qu’il était cinglé, j’imagine.

— C’est un drame infiniment regrettable.

— Infiniment… pour Hugo et pour moi. Il paraît qu’il n’a rien laissé à Hugo, ou pratiquement rien.

— Qui vous a dit ça ?

— Hugo l’a appris par le vieux Forbes.

— Eh bien, miss Cardwell… (le major Riddle s’interrompit un instant), je crois que ce sera tout. Vous pensez que miss Chevenix-Gore se sent assez bien pour venir nous parler ?

— Oh, il me semble, oui. Je vais la prévenir.

Poirot intervint.

— Un moment, mademoiselle. Avez-vous déjà vu ça ?

Il lui tendit le porte-mine-projectile.

— Oh oui. Nous nous en sommes servis au bridge, cet après-midi. Il appartient au colonel Bury, je crois.

— L’a-t-il emporté à la fin de la partie ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

— Merci, mademoiselle. Ce sera tout.

— Je vais tout droit prévenir Ruth.

Ruth Chevenix-Gore fit une entrée royale. Tête haute et teint coloré. Mais ses yeux, comme ceux de Susan Cardwell, étaient aux aguets. Elle portait la même robe que lorsque Poirot était arrivé. D’un léger ton abricot. Avec une rose couleur saumon piquée à l’épaule. Fraîche, épanouie une heure plus tôt, celle-ci piquait à présent du nez.

— Eh bien ? s’enquit-elle.

— Croyez bien que je suis navré de vous importuner… préluda le major.

Elle l’interrompit :

— Il va de soi que vous êtes obligé de m’importuner. Vous êtes obligé d’importuner tout le monde. Mais je vais vous faire gagner du temps. J’ignore absolument pourquoi l’Ancêtre s’est suicidé. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça ne lui ressemble pas.

— Avez-vous remarqué une anomalie dans son comportement, aujourd’hui ? Était-il déprimé, ou particulièrement nerveux, ou quoi que ce soit d’anormal.

— Je ne pense pas. Je n’ai pas fait attention…

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— À l’heure du thé.

Poirot intervint :

— Vous n’êtes pas allée dans son bureau… plus tard ?

— Non. La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans cette pièce. Il était assis là.

Elle leur indiqua un fauteuil.

— Je vois. Connaissez-vous ce porte-mine, mademoiselle ?

— C’est celui du colonel Bury.

— L’avez-vous vu récemment ?

— Je ne m’en souviens pas.

— Êtes-vous au courant d’un… différend entre sir Gervase et le colonel Bury ?

— À propos de la Paragon Rubber Company ?

— Oui.

— Vous pensez ! L’Ancêtre était fou de rage !

— Il considérait peut-être qu’on l’avait filouté ?

Ruth haussa les épaules.

— Il ne connaissait pas le b.a.-ba de la finance.

Poirot reprit la parole.

— Puis-je vous poser une question, mademoiselle… une question assez inconvenante ?

— Certainement, si vous y tenez.

— La voici : êtes-vous triste que… que votre père soit mort ?

Elle le dévisagea, les yeux écarquillés.

— Bien sûr que je suis triste. Je ne me complais pas dans le mélodrame. Mais il me manquera… J’avais beaucoup de tendresse pour l’Ancêtre. C’est comme ça que nous l’appelions, Hugo et moi. « L’Ancêtre »… Ça tient un peu du singe-anthropoïde-patriarche-des origines-de la tribu. Ça paraît irrespectueux, mais en vérité, ça recouvre beaucoup d’affection. Cela dit, il était vraiment le plus parfait enquiquineur et l’esprit le plus ramolli que la terre ait jamais porté.

— Vous m’intéressez, mademoiselle.

— L’Ancêtre n’avait pas plus de cervelle qu’un pou ! Navrée d’avoir à vous le dire, mais c’est vrai. Il était incapable de ne pas penser de travers. Mais croyez-moi, c’était quand même un personnage. D’une bravoure fantastique et tout ce que vous voudrez. Il pouvait aussi bien partir pour le Pôle que se battre en duel. J’ai beaucoup pensé que s’il se fâchait si souvent, c’est parce qu’il savait que ses facultés intellectuelles n’étaient pas à la hauteur. Parce que sur ce plan-là, n’importe qui lui aurait damé le pion.

Poirot sortit la lettre de sa poche :

— Lisez ça, mademoiselle.

Elle la parcourut et la lui rendit.

— Voilà donc ce qui vous a amené ici !

— Cette lettre vous suggère-t-elle quelque chose ?

Elle secoua la tête.

— Non. C’est probablement vrai. N’importe qui aurait pu le dépouiller, ce pauvre chou. John affirme que le précédent régisseur l’avait roulé dans les grandes largeurs. C’est que l’Ancêtre, voyez-vous, était si gonflé de son importance qu’il ne s’abaissait jamais à entrer dans ces détails sordides. Ça faisait de lui le pigeon idéal, la proie rêvée des escrocs en tous genres.

— Vous en dressez un portrait bien différent de l’image que tout le monde a de lui, mademoiselle.

— Oh, il se camouflait à merveille. Vanda – ma mère – l’épaulait de toutes ses forces. Il était si heureux de se faire passer pour le Tout-Puissant ! C’est pourquoi, dans un sens, je suis contente qu’il soit mort. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux.

— Je crains de ne pas vous suivre tout à fait, mademoiselle.

— Sa mégalomanie ne faisait que croître et embellir, répondit Ruth, rêveuse. La bouillie de son cerveau aussi. Un de ces jours, on aurait été obligé de l’enfermer… Les gens jasaient déjà…

— Saviez-vous, mademoiselle, qu’il envisageait de signer un testament par lequel vous n’héritiez que si vous épousiez Mr Trent ?

— Quelle absurdité ! s’écria-t-elle. Je suis sûre que c’est contraire à la loi… Je suis sûre qu’on ne peut imposer un mari à personne.

— S’il avait vraiment signé ce testament, vous seriez-vous soumise à cette clause, mademoiselle ?

Elle le dévisagea, ahurie.

— Je… je…

Elle s’interrompit. Pendant une ou deux minutes, elle resta indécise, les yeux fixés sur l’escarpin qui se balançait au bout de son pied. Un petit peu de terre se détacha du talon et tomba sur le tapis.

— Attendez ! s’écria-t-elle soudain.

Elle se leva et sortit en courant. Elle revint presque aussitôt avec le capitaine Lake.

— De toute façon, cela finira par se savoir, déclara-t-elle, hors d’haleine. Autant que vous le sachiez tout de suite. John et moi nous nous sommes mariés à Londres il y a trois semaines.

10

Des deux, c’était le capitaine Lake le plus embarrassé.

— C’est une grande surprise, miss Chevenix-Gore… Mrs Lake, devrais-je dire, déclara le major Riddle. Personne n’a été au courant de ce mariage ?

— Non, nous l’avons gardé secret. Ce qui ne plaisait pas du tout à John.

Lake intervint, bredouillant un peu :

— Je… je sais que ce n’est pas une manière de faire. J’aurais dû aller voir sir Gervase…

Ruth l’interrompit :

— … pour lui demander la main de sa fille, te faire flanquer dehors à coups de pieds, à la suite de quoi il m’aurait probablement déshéritée, aurait fait trembler toute la maison… et nous, nous aurions pu nous féliciter l’un l’autre d’avoir eu une conduite irréprochable ! Crois-moi, ma manière était la bonne. Ce qui est fait, est fait. Il aurait quand même poussé des hurlements, mais il aurait fini par l’accepter.

Lake n’avait pas quitté son air malheureux. Poirot demanda :

— Quand aviez-vous l’intention d’annoncer la nouvelle à sir Gervase ?

— Je préparais le terrain, répondit Ruth. Il nous suspectait, John et moi, alors je faisais semblant de m’intéresser à Godfrey. Évidemment, ça le mettait dans tous ses états. Et je me disais que la nouvelle de mon mariage avec John arriverait presque comme un soulagement !

— Personne au monde ne sait que vous êtes mariés ?

— Si, j’ai fini par en parler à Vanda. Je voulais l’avoir de mon côté.

— Et vous avez réussi ?

— Oui. Elle ne voyait pas d’un très bon œil mon mariage avec Hugo… parce qu’il était mon cousin, j’imagine. Elle trouvait sans doute que la famille était déjà assez toquée comme ça, et que nous risquions d’avoir des enfants définitivement toqués cette fois. Ce qui est probablement ridicule puisque j’ai été adoptée, vous savez. Je suis la fille d’un espèce de très lointain cousin.

— Vous êtes sûre que sir Gervase ne soupçonnait pas la vérité ?

— Oh, oui.

— Est-ce vrai, capitaine Lake ? intervint Poirot. Vous êtes certain qu’il n’en a pas été question au cours de votre entretien avec sir Gervase, cet après-midi ?

— Non, monsieur. Nous n’en avons pas parlé.

— Parce que, voyez-vous, capitaine Lake, nous croyons savoir que sir Gervase était dans un état de grande irritation après vous avoir vu et qu’il a prononcé plusieurs fois le mot de déshonneur.

— Nous n’avons pas abordé ce sujet, répéta Lake.

Il était devenu livide.

— C’est la dernière fois que vous avez été en présence de sir Gervase ?

— Oui, je vous l’ai déjà dit.

— Où étiez-vous ce soir à 8 h 08 ?

— Où j’étais ? Chez moi. Au bout du village, à environ huit cent mètres d’ici.

— Vous n’êtes pas venu à Hamborough Close vers cette heure-là ?

— Non.

Poirot se tourna vers Ruth.

— Et vous, mademoiselle, où étiez-vous lorsque votre père s’est suicidé ?

— Dans le jardin.

— Dans le jardin ? Et vous avez entendu le coup de feu ?

— Oh, oui. Mais je n’y ai pas fait très attention. Je me suis dit que quelqu’un tirait le lapin – bien que je me souvienne maintenant que le bruit m’avait paru très proche.

— Vous êtes rentrée dans la maison… par où ?

— Par cette porte-fenêtre.

Ruth lui indiqua d’un signe de tête celle qui se trouvait derrière elle.

— Il y avait quelqu’un ?

— Non. Mais Hugo, Susan et miss Lingard sont arrivés du hall presque aussitôt. Ils parlaient détonations, meurtres, et trucs dans ce goût-là.

— Je comprends, dit Poirot. Oui, je crois que je comprends, maintenant…

Plutôt sceptique, le major Riddle déclara :

— Bon… euh… merci. Je pense que ce sera tout pour l’instant.

Ruth sortit avec son mari.

— Que diable vient faire…, commença par s’emporter le major avant de s’interrompre pour se mettre à geindre : suivre le fil de cette histoire devient de plus en plus difficile de minute en minute !

Poirot hocha la tête. Il avait ramassé la petite particule de terre tombée de l’escarpin de Ruth et l’examinait d’un air songeur.

— C’est comme le miroir brisé, sur le mur, dit-il. Le miroir du mort. Chaque fait nouveau que nous rencontrons nous montre le défunt sous un angle différent. Il se reflète de tous les points de vue. Nous en aurons bientôt une image complète.

Il se leva et jeta, maniaque, son petit restant de terre dans la corbeille à papier.

— Je vais vous dire une chose, mon bon ami. La clef de tout ce mystère, c’est le miroir. Allez dans le bureau et voyez vous-même, si vous ne me croyez pas.

— Si c’est un meurtre, à vous de le prouver, décréta le major Riddle, péremptoire. Pour moi, je n’en démords pas, il s’agit d’un suicide. Avez-vous remarqué ce que la fille a dit au sujet du régisseur précédent qui aurait entourloupé sir Gervase ? Je parie que Lake a raconté cette histoire pour cacher son propre jeu. Il se sucrait sans doute un peu lui-même, et sir Gervase, qui s’en doutait, vous a fait venir parce qu’il ne savait pas jusqu’où les choses étaient allées entre Ruth et lui. Et puis, cet après-midi, Lake lui a avoué qu’ils étaient mariés. Sir Gervase en a été brisé. Il était « trop tard », maintenant pour faire quoi que ce soit. Alors, il a décidé d’en finir. Au mieux de sa forme, il n’était déjà pas très équilibré, mais cette fois les plombs ont sauté. Que pouvez-vous opposer à ça ?

Poirot s’était immobilisé au milieu de la pièce.

— Je n’ai rien à opposer à votre théorie… sinon qu’elle ne va pas assez loin. Il y a des faits dont vous ne tenez pas compte.

— Par exemple ?

— Les changements d’humeur de sir Gervase, la découverte du porte-mine du colonel Bury, le témoignage de miss Cardwell – qui est très important – le témoignage de miss Lingard concernant l’ordre dans lequel les gens sont descendus dîner, la position du fauteuil de sir Gervase, le sac en papier qui avait contenu des oranges et, enfin, la piste capitale du miroir brisé.

Le major Riddle le foudroya du regard.

— Est-ce que vous voudriez me faire croire que ce galimatias a un sens ?

— J’espère y parvenir… d’ici demain, répliqua Poirot de son ton le plus suave.

11

L’aube venait de poindre quand Poirot se réveilla le lendemain. On lui avait attribué une chambre orientée à l’est.

Il sortit du lit, tira le rideau et constata avec satisfaction que le soleil était levé et que la matinée s’annonçait belle.

Il entreprit de s’habiller avec la méticulosité qu’il mettait en tout. Sa toilette terminée, il s’enveloppa d’un épais manteau et s’enroula une écharpe autour du cou.

Puis il sortit de sa chambre sur la pointe des pieds, et descendit dans le silence jusqu’au salon. Là, il ouvrit sans bruit la porte-fenêtre et passa dans le jardin.

Le soleil brillait à peine. L’air était encore chargé de brume, de cette brume annonciatrice de beau temps. Hercule Poirot suivit jusqu’aux fenêtres du bureau de sir Gervase la terrasse qui faisait le tour de la maison. Là, il s’arrêta et examina les alentours.

Juste devant les fenêtres courait une bande de gazon parallèle à la maison. Venait ensuite une double plate-bande d’herbacées. Les asters d’automne y faisaient encore bonne figure. Partant de la pelouse, une bande de gazon partageait la plate-bande en deux. Poirot l’examina avec un grand soin, secoua la tête, et tourna son attention vers les deux côtés de la plate-bande.

Lentement, il hocha la tête. Dans la plate-bande de droite, très nettes sur le terreau humide, il y avait des empreintes de pas.

Comme il les examinait, sourcils froncés, un bruit lui fit relever brusquement la tête.

Une fenêtre s’était ouverte au-dessus de lui. Il aperçut une chevelure rousse. Puis, auréolé de ce flamboiement, le visage intelligent de Susan Cardwell.

— Que diable faites-vous à une heure aussi indue, monsieur Poirot ? Un brin d’enquête ?

Poirot s’inclina de l’air le plus galant du monde.

— Bonjour, mademoiselle. Oui, comme vous dites. Vous êtes en train de contempler un détective – un grand détective, oserai-je préciser – en train de détecter.

La déclaration était un peu ostentatoire. Susan pencha la tête de côté.

— Il faudra que je pense à en parler dans mes mémoires, dit-elle. Dois-je venir vous aider ?

— J’en serais enchanté.

— Je vous avais pris pour un cambrioleur. Par où êtes-vous sorti ?

— Par la porte-fenêtre du salon.

— Une minute et je suis à vous.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Pour autant qu’elle put en juger, Poirot n’avait pas bougé d’un pouce depuis qu’elle l’avait aperçu de sa fenêtre.

— Vous êtes bien matinale, mademoiselle.

— Je n’ai pas bien dormi. Je commençais juste à éprouver ce sentiment de désespoir qui vous guette sur le coup des 5 heures du matin.

— Il n’est pas si tôt que ça !

— C’est tout comme ! Alors, super-détective, qu’est-ce que vous regardez comme ça ?

— Voyez vous-même, mademoiselle. Des traces de pas.

— En effet.

— Il y en a quatre, poursuivit Poirot. Je vous les montre : deux qui se dirigent vers la fenêtre, deux qui en reviennent.

— À qui appartiennent-elles ? Au jardinier ?

— Mademoiselle, mademoiselle ! Ces empreintes ont été faites par les fragiles petites chaussures à talon d’une femme. Regardez. Pour vous en convaincre, vous n’avez qu’à poser votre pied sur la terre, à côté.

Susan hésita un instant, puis posa son pied avec précaution à l’endroit indiqué par Poirot. Elle portait de petites mules de cuir marron à talons hauts.

— Vous voyez, les vôtres sont presque de la même taille. Presque, mais pas tout à fait. Les autres sont plus longues. Ce sont celles de miss Chevenix-Gore, peut-être, ou de miss Lingard… ou encore de lady Chevenix-Gore.

— Non, lady Chevenix-Gore a le pied très menu. À l’époque on y arrivait – à se faire de petits pieds, j’entends. Et miss Lingard porte de drôles de machins à talons plats.

— Alors, ce sont les empreintes de miss Chevenix-Gore. Ah, oui, je me rappelle, elle m’a dit qu’elle était sortie dans le jardin hier soir !

Il fit mine d’entraîner Susan vers la maison.

— Nous enquêtons toujours ? lui demanda-t-elle.

— Mais bien entendu. Nous allons dans le bureau de sir Gervase, à présent.

Susan Cardwell lui emboîta le pas.

La porte pendait toujours lamentablement. La pièce était comme ils l’avaient laissée la nuit dernière. Poirot tira les rideaux pour faire entrer le jour.

Il resta un moment à contempler la plate-bande. Puis il dit :

— J’imagine, mademoiselle, que vous n’avez pas beaucoup de relations chez les cambrioleurs ?

Susan Cardwell secoua la tête d’un air de regret.

— Hélas, non, monsieur Poirot.

— Le chef de la police non plus n’entretient guère de relations amicales avec eux. Il n’a jamais, avec la gent criminelle, que des rapports strictement officiels. Moi, ce n’est pas mon cas. J’ai un jour eu une très agréable conversation avec un cambrioleur. Il m’a appris une chose très intéressante sur les portes-fenêtres… un truc qu’on peut employer parfois, quand la fermeture a assez de jeu.

En parlant, il abaissa la poignée de la porte-fenêtre de gauche. La crémone sortit de son orifice dans le sol, de sorte que Poirot put tirer les deux battants vers lui. Il les ouvrit en grand, puis les referma sans relever la poignée pour ne pas faire descendre la crémone dans son trou. Il lâcha ensuite la poignée, attendit un instant, et donna un petit coup sec dans le centre de la crémone. La secousse la fit rentrer dans le sol – et la poignée se releva d’elle-même.

— Vous voyez, mademoiselle ?

— Je crois, oui.

Susan avait pâli.

— La porte-fenêtre est maintenant fermée. Il est impossible d’entrer dans une pièce quand la porte-fenêtre est fermée, mais il est parfaitement possible d’en sortir, de tirer les battants à soi de l’extérieur, de frapper ensuite comme je viens de le faire, et la crémone va se ficher dans le sol en entraînant la poignée. La porte-fenêtre est alors bien fermée et quiconque l’examine dira qu’elle a été fermée de l’intérieur.

— Est-ce… est-ce… ce qui s’est passé hier soir ? demanda Susan d’une voix un peu tremblante.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer