Le Monsieur au parapluie

Chapitre 15LA GARDE-MALADE

 

Depuis six jours, Bengali était en proie à unefièvre ardente et plongé dans un sommeil incessant et agité. Lemédecin, on le sait, avait, dès le premier examen de la blessure,déclaré sans hésitation qu’elle n’aurait pas de suites fatales, àmoins de complications imprévues ; il avait donc fait toutesles recommandations de nature à prévenir ces accidents ;notamment, l’interdiction des visites et de tout ce qui pouvaittroubler le repos du malade.

– Vous tenez bien compte de mesprescriptions ? dit-il au domestique ; vous ne recevezpersonne autre que la tante de votre maître ?

À la mine embarrassée du domestique, ledocteur lui demanda : – Vous ne comprenez pas ? c’estpourtant bien clair.

– Si, si, monsieur le docteur… jecomprends bien, mais c’est que…

– C’est que quoi ?

– Il y a… cette demoiselle… qui étaitdans la voiture quand on a rapporté monsieur…

– Elle est venue demander de sesnouvelles ? vous lui en avez donné ? C’est bien, jen’interdis pas les demandes de nouvelles, ce ne sont pas desvisites, cela ; qu’on parle bas et qu’on n’entre pas dans lachambre du malade, voilà tout ce que j’exige.

– Bien, monsieur ; mais cettedemoiselle m’a tant prié, que je l’ai laissée regarder monsieur… Cequ’elle a pleuré en le voyant ! ça me fendait le cœur… à cemoment-là… Monsieur, tout en dormant, demandait à boire ;alors elle s’est assise au chevet du lit… j’ai soulevé monsieur etelle l’a fait boire… après, elle a tant pleuré pour que je lalaisse soigner monsieur… que je n’ai pas eu le courage…

– Je ne m’étais pas trompé, pensa ledocteur, il y a de l’amour là-dessous. Vous avez bien fait,répondit-il au domestique ; quand cette personne reviendravous la laisserez entrer.

– Bien, monsieur… Elle est revenue etelle revient tous les soirs… mais monsieur qui dort toujours en seremuant beaucoup, ne s’est même pas aperçu qu’elle était là, ilboit en dormant… Cette pauvre demoiselle passe la moitié des nuits…des fois plus… elle lui essuie la figure… qui est mouillée par lafièvre… elle ne le perd pas de vue… Faudra-t-il que je la laisserevenir ?

– Oui, répondit le médecin, certain quenulle autre garde ne soignerait son malade avec autant desollicitude.

Georgette continua donc à venir soigner soncher blessé.

Un soir, elle resta tout interdite en voyantentrer le médecin ; il lui sourit, lui imposa silence du gesteet lui dit à voix basse :

– Je savais vos visites, vos soins, et jeles ai approuvés… ça va mieux… Puis tâtant le pouls dumalade : – beaucoup mieux, ajouta-t-il.

– Entrez, madame, monsieur le docteur estlà, dit à demi-voix le domestique, en introduisant mademoisellePiédevache…

La vieille demoiselle eut un geste de surpriseà la vue de Georgette, et elle jeta, au médecin, un regardinterrogateur.

– C’est une garde-malade que j’ai placéeprès de lui, dit le médecin, pour éviter toute explication.

– Elle est bien jeune et bien jolie pourfaire ce métier-là, se dit la vieille demoiselle. Mais préoccupéede la santé de son neveu :

– Eh bien ? demanda-t-elle.

– La fièvre s’en va, répondit ledocteur ; je suis très content. Mais ne restons pas ici, notreprésence est inutile et il a encore besoin du repos le pluscomplet.

– Et vous me répondez… ?

– De sa guérison, oh !absolument ; elle sera longue, mais elle est certaine ;allons-nous-en.

Et Georgette resta seule avec celui qu’elleaimait, écoutant sa respiration devenue plus régulière et plusdouce, observant ses mouvements moins fréquents et moinsbrusques ; le médecin ne l’avait pas trompée : uneamélioration sensible s’était produite depuis la veille, lajeunesse triomphait du mal, et cette pensée : il vivra !lui arrachait un sourire ; à quelques mots confus qu’elleperçut : « Il parle, se disait-elle… il a soifpeut-être ; » et approchant son oreille des lèvres dumalade, elle écouta, puis eut un mouvement de joie :« Mon nom ! dit-elle, il rêve de moi ! » Levoyant promener sa langue sur ses lèvres desséchées, elle pensaqu’il avait soif ; elle entr’ouvrit la porte de la piècevoisine, pour dire au domestique de venir soulever sonmaître ; le domestique dormait profondément dans un fauteuil.La jeune fille alors prit la tasse contenant le breuvage ordonnépar le médecin, souleva la tête de son bien-aimé et présenta latasse à sa bouche entr’ouverte…

Il but d’abord avidement, avec l’inconscienceque donne le demi-sommeil, et puis ouvrit les yeux, regardaGeorgette… la regarda longtemps… « Ah ! je reprends monrêve interrompu, » murmura-t-il avec une expressionheureuse.

Georgette lui reposa la tête sur son oreilleret voulut s’enfuir.

– Ah ! ce n’est pas un rêve,s’écria-t-il ! oh ! Georgette, ne me quittezpas !

Elle s’arrêta au seuil de la porte et seretourna vers lui. Il se dressa, tendit ses bras vers la jeunefille et, d’une voix tremblante d’émotion :

– Vous ! fit-il, vous près demoi !

– Chut ! fit-elle, ne parlezpas ; il vous faut le repos le plus rigoureux.

– Ne vous en allez pas, je vous ensupplie… votre présence près de moi me guérira plus vite que lesremèdes du médecin.

Georgette revint vers lui : « Jeveux bien rester, dit-elle, mais sur votre promesse de garder lesilence… »

– Oui, Georgette, oui, je me tairai…

La jeune fille reprit sa place dans lefauteuil placé au chevet du lit. Bengali voulut parler.

– Ah ! fit-elle, vous m’avezpromis…

– Deux mots seulement, Georgette. Je vousen supplie.

– Bien bas, alors, dit-elle.

– À votre oreille, voulez-vous ?

Et il avança ses bras pour l’attirer àlui ; elle se recula vivement : « Chut !chut ! chut ! fit-elle, un doigt posé sur sa bouchesouriante, reposez votre tête sur l’oreiller et parlez-moid’ici. »

Bengali obéit…

– Est-ce la première fois que vous venezici, Georgette ? demanda-t-il.

– Je suis venue tous les jours.

– Ah ! fit-il joyeux, et vousviendrez encore ?

– Si cela doit hâter votre guérison…

– Oh ! oui… oui… je me sens déjàtout autre…

– Voyons, ne vous animez pas, soyez bientranquille, parlez peu et doucement, sinon je m’en vais…

– Non, non, restez, je vous obéirai.

Puis, après un silence : « On a faitune comédie là-dessus, je l’ai vue jouer : l’Amourmédecin… Georgette, il me semble que je serais si heureux detenir votre main dans la mienne… voulez-vous ?… ça me feraplus de bien que la tisane. »

Elle lui donna sa main : – À lacondition, dit-elle, que vous allez vous endormir comme cela.

– Oui Georgette, oui, je vais dormir.

Il ferma les yeux, et bientôt sa respirationcourte, précipitée, indiqua qu’un sommeil fiévreux avait vaincu lavolonté du jeune homme, de laisser ses yeux fixés sur ceux de sonadorée.

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