Le Monsieur au parapluie

Chapitre 19UN COUP DE THÉÂTRE

 

Une heure après, il dit d’un air narquois àGeorgette qui était venue voir sa marraine :

– Eh bien, le monsieur au parapluie quidevait venir demander ta main ?

– Qu’a-t-il fait ? demanda la jeunefille anxieuse.

– Il se marie prochainement… avec tonamie Athalie Jujubès ; crois-tu que nous avons été prudents ente faisant changer de quartier ?

Georgette eut la force de dissimuler sadouleur, feignit l’indifférence à cette nouvelle qui lui brisait lecœur et ne donna carrière à son désespoir qu’à sa rentrée chezelle, où elle se jeta sur son lit en se tordant dans les cris etdans les larmes.

Deux coups frappés à la porte la firent seredresser brusquement ; elle essuya ses yeux et se préparait àdemander qui frappait, lorsque la voix de Bengali se fitentendre :

– C’est moi, dit-il, ouvre.

– Lui ! s’écria-t-elle… luiici !

– Ouvre-moi donc, mon cher amour, insistale jeune homme.

– Que vient-il faire ici ? sedemanda la désespérée.

Et elle ouvrit, pâle, tremblante, lespaupières gonflées et rougies et la bouche crispée.

Bengali eut un mouvement d’effroi en lavoyant.

– Qu’as-tu donc ? fit-il éperdu…

Elle fixa sur lui ses regards pleins d’uneinexprimable angoisse, et ses lèvres blêmes s’agitèrent sanspouvoir articuler un mot.

– Mais qu’as-tu, mon cher angeadoré ? dit-il en l’enlaçant.

Elle s’échappa de ses bras, s’éloigna delui :

– Allez-vous-en ! cria-t-elle ;nous ne devons plus nous voir.

Il la regardait sans comprendre :

– Ah ! s’écria-t-il tout à coup, tusais… ?

– Tout !… vous vous mariez… quevenez-vous faire ici ?… m’offrir de l’argent, me promettre dene pas m’abandonner, d’assurer le sort du pauvre petit être qui…Non… non… je n’ai pas besoin de vous… Mon enfant, je l’élèveraiseule…

Bengali se jeta à ses genoux, lui saisit etretint de force ses mains qu’elle voulait lui retirer.

– Écoute-moi, je t’en supplie,implorait-il ; tu ne peux pas me condamner sansm’entendre…

Et il lui énuméra toutes les circonstances quiavaient abouti à cette situation terrible et sans issue.

Dans l’état où à son arrivée il avait vuGeorgette, Bengali, tout à l’émotion causée par l’apparition de samaîtresse, n’avait pas songé à fermer la porte.

Soudain, Georgette jeta un cri, les yeux fixésvers cette porte ouverte ; Bengali se retourna et restaterrifié en voyant Athalie pâle et immobile.

Après un silence qu’aucun des troispersonnages n’osait rompre, le jeune homme agita ses lèvres commepour parler.

– Ne me donnez pas d’explications, ditdoucement Athalie, j’étais là, j’ai tout entendu.

Puis, essayant de sourire :

– D’ailleurs, continua-t-elle, je neregrette pas d’avoir acquis la preuve de ce que je soupçonnais bienun peu…

Puis, souriant de nouveau :

– Je n’ai jamais été bien certaine devotre amour, dit-elle à Bengali… votre gaîté naturelle quel’approche d’une union désirée aurait dû augmenter, cette gaîté,vous l’aviez perdue ; vos airs rêveurs, préoccupés, vossoupirs mal dissimulés, rien ne m’échappait.

Puis, après un silence :

– Pourquoi ne m’avoir pas confiéfranchement que votre cœur était à une autre ?

Et, sur ces mots, regardant Georgette qui nesavait que penser et que dire, elle lui sauta au cou :

– Une autre dont je ne suis pas jalouse,va.

Un sanglot contenu étrangla sa voix, et lesdeux jeunes filles enlacées mêlèrent leurs larmes.

– Écoutez-moi, mademoiselle, ditBengali.

– Je sais ce que vous allez medire : cette rencontre de Georgette après votre demande de mamain, de Georgette que vous aimiez déjà, ce duel pour elle, lessoins qu’elle vous a prodigués, ses veilles à votre chevet… etpuis… une faute… une faute qu’il faut réparer… pourquoi nem’avez-vous pas confié tout cela ?

– Votre père, votre mère me disaient quevous m’aimiez et je n’osais pas…

– En vous épousant sans répugnance, maissans amour… car j’aimais ailleurs, mes parents le savaient,j’obéissais aux désirs de mon père ; je suis adorée de celuique je désespère et que je sacrifiais en me sacrifiantmoi-même ; vous avez pu être trompé par mon humeur qui n’étaitpas celle d’une femme qui se sacrifie…, mais vous savez, dans mafamille…, on a des satisfactions qui l’emportent sur celles ducœur. J’ai été élevée comme cela ; mais si j’ai toujours cédéaux volontés de mon père, je lui résisterai pour ne pas épouser unhomme dont je ne suis pas aimée.

Et embrassant de nouveau Georgette :

– Ma pauvre Georgette…, c’est toi qu’ilépousera…, qu’il doit épouser, il le faut.

Les deux jeunes gens lui avaient saisi chacunune main et balbutiaient des paroles de reconnaissance.

– Ne me remerciez pas, dit-elle…

Puis, gaîment et tirant sonéventail :

– Je t’apportais cela, comme c’étaitconvenu, dit-elle à Georgette ; vois donc le dessin de papacomme il est joli ; c’est moins pressé maintenant, parce quemon autre mariage ne sera pas aussi prochain ; mais, c’estégal, peins-moi cela le plus tôt possible, je suis impatiente de levoir, de le montrer… Allons, adieu !… Voulez-vous m’embrasser,monsieur Bengali ?

– Oh ! avec bonheur, s’écria lejeune homme, en lui couvrant les joues de baisers.

– Allons, dit-elle, ce sont des baisersde bonne amitié… Au revoir !

Et Athalie, remontée dans sa voiture, versa untorrent de larmes.

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