Le Monsieur au parapluie

Chapitre 8ACCORDS MATRIMONIAUX

 

Il est, à peu près, inutile de dire queBengali manqua à la presque promesse qui lui avait été arrachée,d’accompagner sa tante au dîner offert à cette riche parente ;il s’était mis en tête de découvrir Georgette dont la pensée ne lequittait pas. La découvrir ! Comment ? C’est ce qui lepréoccupait autrement que l’invitation de l’obséquieux trio.

Jujube avait bien fait les choses, car si,certains jours, on en était réduit au simple miroton et au fromage,quand on avait des convives on sortait la porcelaine de Saxe, lescouteaux en vermeil, les verres de baccarat et le seau à glace, eton commandait le repas à Potel et Chabot qui envoyaient, avec lemenu, un garçon en habit noir, cravate blanche et gants de mêmecouleur, pour le service de la table.

On exprima à mademoiselle Piédevache les vifsregrets causés par l’absence de son neveu, dont on exalta l’espritet la belle humeur, et Jujube qui, dans ses déceptions fréquentes,trouvait toujours une contrepartie consolante, pensa qu’après tout,la présence de Bengali aurait rendu difficiles les allusions aumariage désiré.

La tante était fort irritée contrelui :

– Voilà quinze jours que je ne l’ai vu,le chenapan, dit-elle.

On l’excusa ; mademoiselle Piédevachehabite Saint-Mandé, c’est un peu loin pour l’aller voir souvent. Lavieille demoiselle répliqua que son vaurien de neveu avait toujoursde bonnes raisons à lui donner. – Je vais chez lui, dit-elle, je nele trouve jamais ; je lui écris, il me répond des lettrescharmantes, mais il ne vient pas. Cependant, ajouta-t-elle, il m’aformellement promis de venir samedi ; c’est ma fête… Oh !il sait que ce jour-là, je ne le tancerai pas.

– Il faut le marier, dit Jujube.

La ligne était jetée, la femme à moustachesmordrait-elle à l’hameçon ? L’artiste pensa que la présenced’Athalie pourrait le gêner pour continuer ses petites manœuvresmatrimoniales et, suivant son habitude quand il voulait l’éloigner,il l’envoya étudier son piano.

– Il faut le marier ! répéta-t-ildès qu’elle eut disparu.

– Oui, il n’y a que cela pour faire seranger un jeune homme, ajouta la mère.

– J’y ai bien pensé, répondit latante ; mais il n’est guère mariable.

– Il aime la vie de garçon, c’est de sonâge ; mais l’amour peut changer ses idées.

– Changer ses idées ?… Changer sesmaîtresses, oui, trois par semaine, autant que de chemises.Parbleu ! le marier ; je ne demande pas mieux… ça neserait pas difficile ; je ne tiens pas à la fortune ; lajeune fille n’aurait pas un sou de dot, ça me serait égal.

– Ah ! vous avez bien raison,s’écrièrent les deux époux.

Mademoiselle Piédevache continua :

– Je donnerai à mon neveu une dotsuffisante pour qu’il puisse se marier à son goût, par amour, àcondition cependant que l’absence de fortune de la demoiselle seracompensée par l’honneur, pour lui, d’entrer dans une familledistinguée.

Madame Jujube jeta une sonde :

– Une famille d’artistes, par exemple,dit-elle.

– De grands artistes, d’artistesrenommés, ajouta le mari.

– Oui, j’aime beaucoup les artistes,répondit la tante qui, on le voit, mordait à l’hameçon ; ceque voyant, Jujube lança cette deuxième sonde qu’il jugea devoirêtre triomphante :

– Un beau-père chevalier de la Légiond’honneur ?

Et il ne s’était pas trompé :

– Une jeune fille artiste, un pèredécoré, dit mademoiselle Piédevache, mais nous avons tout celaici.

L’entente se fit donc promptement ; lesauteurs des jours d’Athalie se portèrent garants de sonconsentement et il fut convenu que la famille irait dîner àSaint-Mandé, le samedi suivant, pour faire se trouver ensemble lesdeux jeunes gens qu’on voulait marier.

Bengali ne se doutait guère qu’on disposait delui, absorbé qu’il était par son idée fixe de retrouver soninhumaine ; assis devant un café, il regardait, avec soin,toutes les femmes qui passaient ; parcourant, au hasard, lesrues, les boulevards, les passages, il se livrait au même examen,bousculant les passants s’il apercevait au loin une taille, unedémarche, une chevelure blonde lui rappelant Georgette, et cen’était qu’une éternelle illusion. Avant la rencontre sous la portecochère, peu lui eût importé son erreur ; si la passante eûtété jeune et jolie, il aurait tenté l’aventure ; maintenant ils’arrêtait tout déçu : ce n’était pas elle !

Elle hantait même ses rêves, et, exaspéré parcette vision obsédante :

– Ah ça ! est-ce qu’elle ne va pasme laisser tranquille ? se disait-il ; on n’est pas serincomme moi… tout ça pour une question d’amour-propre… Parce que jesuis vexé qu’elle n’ait pas voulu m’écouter… Si elle en aime unautre… un autre pour le mariage ; oh ! le mariage,merci !… Eh bien, et cette belle jeunesse, commentl’emploierait-on ? et la liberté de faire tout ce qui passepar la tête. Elle m’a déjà fait oublier un tas de rendez-vous… departies de plaisir… Ah ! À propos ; la fête de ma tanteque j’allais oublier… ça, ce n’est pas une partie de plaisir, mais…Ah ! et puis…

Et puis, tout en marchant, Bengali retombaitdans ses incessantes rêveries.

– Oh ! c’est elle ! cria-t-iltout à coup ; et, en s’élançant pour se mettre à la poursuitede celle qu’il venait d’envoyer au diable, il se heurta dans unpassant qui le repoussa brusquement en accompagnant sa voie de faitd’un juron énergique. Bengali se prépara à bousculer lemalencontreux personnage : c’était Marocain.

Notre jeune homme se rappela immédiatement queGeorgette lui avait dit être la filleule de madame Marocain ;peut-être venait-elle de quitter le mari de sa marraine, ce n’étaitpas le moment de la poursuivre ; mais il pensa qu’eninterrogeant adroitement l’homme que le hasard plaçait sous sespas, il pourrait connaître le nouveau domicile de celle qu’il avaitvainement cherchée… Il ignorait que Marocain savait tout et que lechangement de domicile, c’est lui qui l’avait exigé.

– Eh mais, dit notre amoureux, je ne metrompe pas, c’est M. Marocain, commanditaire…

– Moi-même, répondit celui-ci, d’un tonamer : monsieur Bengali, marchand de pièges àtortues ?

– Ah ! une plaisanterie, dit-il enriant. Puis lui tendant la main : – Enchanté de vousrevoir.

Marocain répondit froidement à ce chaleureuxaccueil et Bengali se demanda comment amener la conversation sur unterrain propice au but qu’il se proposait. Il y en avait unexcellent qui lui revint en mémoire :

– Le jour de cette fameuse averse,dit-il, vous alliez tenir, sur les fonts, un petit citoyenfrançais.

– Oui, monsieur.

– Alors, vous êtes parrain ?

– Oui, monsieur.

– Et, comment va-t-il, votrefilleul ?

– Très bien, monsieur.

– Et… c’est madame qui était marrainepeut-être ?

– Non, monsieur.

– Ah !… c’est qu’elle a peut-êtredéjà un filleul, ou une filleule…

– Oui, monsieur, une filleule, surlaquelle elle veille… nous veillons, veux-je dire, avec le plusgrand soin… – Je vous demande pardon de vous quitter, je suisattendu… J’ai bien l’honneur…

Et Marocain s’éloigna :

– C’est un four ! se ditBengali ; il m’en veut encore de ma blague des pièges àtortues ; il faut trouver autre chose… autre chose… maisquoi ?

Tout à coup, il se frappa le front : –Ah ! suis-je assez bête ! dit-il, une chose si simple,comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?… Elle est peintre suréventails ; en allant chez tous les éventaillistes…Parbleu ! c’est ça.

Et il entra dans un café, se fit servir uneconsommation et demanda l’almanach Bottin.

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