Le Monsieur au parapluie

Chapitre 3UNE CONQUÊTE DIFFICILE

 

Bengali, pourtant, avait eu, ce jour-là même,une déception qui aurait pu influer sur son humeur, naturellementjoyeuse ; l’acceptation de son bras et de son parapluie, parla gentille Georgette, lui avait fait concevoir des espérances,sinon d’une réalisation immédiate, du moins à délai plus ou moinsbref ; sa conversation avait amusé la jeune fille, il vitqu’elle aimait à rire et il se savait en fond pour la mettre engaîté ; aujourd’hui, dans sa chambrette où elle luipermettrait d’aller se reposer, il soutiendrait son rôle de jeunehomme sentimental, rêvant d’une épouse adorée et de bébés jolis etblonds comme leur mère ; à la deuxième visite (car elleconsentirait sans nul doute à ce qu’il allât s’informer si ellen’aurait pas attrapé un refroidissement sous la porte cochère), àcette deuxième visite, il s’enhardirait à prendre quelques petiteslibertés et, si elle se fâchait, il connaît le proverbe sur le rirequi désarme la colère.

Le voyage, d’ailleurs, n’avait été qu’unesuccession d’incidents et de rencontres qui avaient entretenu labelle humeur du jeune couple ; – tout était matière àréflexions cocasses, pour Bengali, particulièrement les grincheuxmouillés jusqu’aux os, dont sa gaîté, provoquée par l’étatlamentable des infortunés, augmentait encore l’irritation.

Quoique tout à ses espérances de conquête, lejoyeux garçon ne pouvait résister à son admiration des joliesjambes féminines, et les exclamations que lui arrachaient les beauxmollets lui avaient valu des plaisanteries de la part de sacompagne ; il protestait, bien entendu, contre les réflexionsenjouées de Georgette, qu’il qualifiait de simples taquineries,affirmant qu’il n’était occupé que d’elle seule, que du soin del’abriter, de la préserver des éclaboussures…

– Voici où je vais, dit-elle en désignantun magasin, et elle quitta le bras de son cavalier, le remercia duservice qu’il lui avait rendu et lui dit adieu.

– Adieu ?… répondit-il, pasencore ; votre éventail livré et votre compte réglé, il vousfaudra retourner chez vous, et l’averse continue.

– On me prêtera un parapluie aumagasin…

– Un parapluie !… mais si quelqu’unde la maison est sorti avec ?… Y en eût-il plusieurs, qu’ilspeuvent n’être pas disponibles ; permettez-moi de vousattendre. Je tiens à vous accompagner jusqu’à votre porte.

Georgette refusa : – J’attendrai que lapluie ait cessé, dit-elle.

– Cessé ! s’écria Bengali ;mais voyez donc comme le ciel est gris ; le temps est tout àfait gâté, regardez sur les toits ; toutes les girouettes sontà l’eau ; nous en avons peut-être pour plusieurs jours…

La jeune fille résista, renouvela sesremercîments et entra dans le magasin, en envoyant à Bengali undernier adieu, exprimé par un gracieux mouvement de tête et unsourire.

Notre Don Juan de la pluie n’était pas homme àabandonner une idée fixe pour si peu ; il entra dans une alléefaisant face au magasin et attendit.

Il n’attendit pas longtemps ; uneéclaircie s’était subitement produite : Georgette en profita,reparut et hâta le pas sans avoir remarqué l’obligeant jeune homme,qu’elle croyait bien loin. Elle se retourna brusquement à savoix : – Je savais bien, lui dit-il, qu’on n’aurait pas deparapluie à vous prêter et j’avais raison d’attendre votresortie.

– Mais, monsieur, répondit Georgette, lapluie a cessé.

– Cessé, mademoiselle ? Pour deuxminutes… et encore ! Vous ne voyez donc pas comme les nuagescourent ?… Tenez… J’ai reçu des gouttes… Ça va recommencer… çarecommence.

Et il ouvrit son parapluie : – Votrechapeau serait perdu, dit-il, si je ne m’étais pas trouvé là…

Une nouvelle averse, en effet, venaitd’éclater ; Bengali offrit son bras, la jeune fille l’acceptade nouveau, en riant de la persévérance obstinée de son compagnonde voyage et tous deux recommencèrent leur marche à travers lesrues, égayée par les saillies du porteur de parapluie.

– Me voici à ma porte, dit enfinGeorgette, en quittant le bras de son cavalier ; cette fois,monsieur, je vous dis définitivement adieu, et je vous renouvellemes remercîments.

– Vous me permettrez bien, au moins,mademoiselle, d’aller me reposer quelques instants chez vous.

Ici, la jeune fille devint sérieuse, etrepoussa net la demande de Bengali.

– Mais je suis brisé, dit-il, cettelongue course sur les pointes… Car je n’ai pas cessé de marcher surles pointes, comme les danseuses de l’Opéra… mais elles y ont étédressées toutes jeunes et cependant elles vous diront que c’estl’exercice le plus fatigant… Jugez ce que ce doit être pour moi,qui n’ai pas été élevé à cela… Je vous en prie, permettez-moi…

– Mais non, monsieur, je n’ai pas enviede me faire remarquer par mon concierge et mes voisins ; je nereçois jamais personne… que des amies, et ma marraine, madameMarocain, qui doit venir me voir précisément aujourd’hui, à moinsque son mari, qui n’est pas la grâce même…

– Marocain ! s’écria le jeunehomme ; une espèce de porc-épic ?

– Oui, dit Georgette surprise, vous leconnaissez ?

– J’ai fait sa connaissance sous la portecochère où j’ai eu le plaisir infiniment plus grand de faire lavôtre… J’ai failli avoir un duel avec lui…

– Comment, un duel ?

– Oh ! toute une histoire qui seraittrop longue à vous raconter ici… Oh ! c’est trèsamusant ; montons chez vous et…

Georgette ne le laissa pas achever :

– Adieu, monsieur, dit-elle… et elledisparut dans l’allée de sa maison, laissant l’amoureux toutdéconcerté : – C’est une vertu, se dit-il ; puis, aprèsréflexion : – Une vertu !… Je dis ça parce que… Mais çan’est pas une raison…

Tirant alors son carnet, il lut le numéro dela maison, l’inscrivit, ainsi que le nom de la rue et s’éloigna enmurmurant :

– La vertu ! ce n’est qu’un mot, adit Caton ; il faudra voir… Je m’y suis mal pris.

Le lendemain, il alla guetter Georgette,l’aborda sous prétexte de s’informer si son séjour sous la portecochère, après avoir reçu l’averse, ne lui avait pas causé unrefroidissement et une indisposition ; puis s’extasiant sur safraîcheur et sa belle mine de santé, il reconnut en riantl’inutilité de sa question ; il revint alors sur sa proprejustification.

– Vous m’avez bien mal jugé, lui dit-il,et malgré la défense de la jeune fille, il l’accompagna jusqu’à saporte en la faisant rire par ses propos. Cette fois encore, elleopposa un refus formel à sa demande de monter chez elle.

Plusieurs jours de suite, il fit les mêmes etvaines tentatives et Georgette le menaça même de le signaler à desgardiens de la paix, s’il persistait à l’accoster et à lasuivre.

Le jour suivant, elle le trouva encore sur sonchemin ; elle tourna la tête et passa sur le trottoiropposé ; il exécuta la même évolution et aborda la jeunefille.

– Oh ! monsieur, fit-elle, avec unmouvement d’humeur, je vous ai prié de me laisser tranquille…

– Un seul mot, mademoiselle, et je vousjure de vous obéir, si, après m’avoir entendu, vous m’ordonnezencore de vous fuir.

– Quel mot, monsieur ?

– Celui-ci : Je crois avoir eu lemalheur de jouer avec vous à ce jeu appelé les proposdiscordants.

– Je ne comprends pas, monsieur.

– C’est précisément cela,mademoiselle : vous ne m’avez jamais compris, sans doute parceque je me suis mal expliqué. Je vous aime d’un amour honnête ;que dis-je, je vous aime ! je vous adore, je ne pense qu’àvous jour et nuit ; mais c’est pour le bon motif ; dès lepremier jour que j’ai eu le bonheur de vous rencontrer, le jour oùcette bienheureuse averse m’a permis de causer longuement avecvous, ne vous ai-je pas dit que vous me jugiez mal, que mesapparences vous donnaient, de moi, une opinion fausse ; quemes vœux étaient de devenir l’époux fortuné d’une petite femmejolie comme vous, d’avoir des chérubins blonds et jolis comme leurmère ? Voilà ce que je vous ai dit et ce que je pensais, voilàce que je vous répète avec encore plus d’ardeur et de convictionque le premier jour, car maintenant je vous connais, je sais quevous êtes une honnête jeune fille, l’épouse que je cherche, ouplutôt que je ne cherche plus, puisque je l’ai trouvée en vous.

Georgette, devenue grave, luirépondit :

– En effet, monsieur, je n’avais pascompris et il m’était difficile de voir, dans les discoursplaisants que vous me teniez, la pensée que vous venez dem’exprimer nettement.

Bengali voulut protester de sa sincérité, ellel’interrompit : – Jusqu’ici, dit-elle, je ne vous avais paspris au sérieux.

– Et aujourd’hui ? s’écria le jeunehomme.

– Aujourd’hui, monsieur, vous voyez queje ne ris pas de vos paroles.

– Alors, vous me permettez d’aller vousrendre mes visites ?

– Non, monsieur.

– Des fiancés !

– Avant de se fiancer, il faut seconnaître mieux que par quelques rencontres dans la rue et quelquesparoles échangées. Ces rencontres et ces paroles m’ont montré (bienà tort, je veux le croire) le coureur d’aventures…

– Oh ! mademoiselle…

– N’ai-je pas fait mes réserves ?dit Georgette en souriant ; Bengali voulut parler : –Laissez-moi achever, dit-elle, et elle poursuivit : – Quandnous serons fiancés, c’est que nous connaîtrons bien noscaractères ; alors…

Bengali l’interrompit :

– Mais… fiancés… on l’est quand on s’estpromis de s’épouser, et, quant à moi, je vous fais cettepromesse.

– Moi, répondit Georgette, j’attendraipour vous faire la mienne.

– Qu’attendrez-vous ? vous êtesorpheline, libre.

– J’attendrai que la demande de ma mainait été adressée à ma marraine qui me tient lieu de famille ;cette demande, vous la lui ferez adresser par votre seule parente,cette tante dont vous m’avez parlé, après quoi on me consultera et,alors seulement, j’accepterai peut-être vos visites, en présence dema marraine.

– Mais… dit Bengali, dérouté… fairedemander votre main sans savoir si vous m’aimez…

À ce moment, Georgette eut un mouvementd’effroi : – Monsieur Marocain ! s’écria-t-elle.

Et elle entra précipitamment dans samaison.

Bengali se retourna, aperçut en effet Marocainqui s’était arrêté à la vue du jeune couple et s’éloigna après ladisparition de la jeune fille.

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