Le Monsieur au parapluie

Chapitre 16DÉCEPTIONS DE LA FAMILLE JUJUBE

 

Les jours, les semaines s’écoulaient et rienne faisait prévoir à l’affligée Athalie et à ses parents l’époquedu rétablissement complet du futur époux, par conséquent la date dumariage convenu. Quand Jujube se présentait chez le blessé, iln’était jamais reçu, et mademoiselle Piédevache, toute à soninquiétude pour son neveu qu’elle adorait, ne pouvait que répéter àla famille impatiente : « C’est l’ordre formel dumédecin ; le pauvre enfant ne peut pas recevoir devisites ; moi-même, quand je vais le voir, je ne fais qu’uneapparition, mais le docteur m’écrit tous les jours quelquesmots ; la guérison est certaine, mais ça sera long ; ilfaut attendre ».

On attendait depuis un mois quand mademoisellePiédevache arriva chez les Jujube, l’air fort satisfait.

– Enfin, dit-elle, le cher enfant peutrecevoir des visites, il se lève et entre en convalescence.

Grande joie d’Athalie à cette bonnenouvelle :

– Qu’est-ce que peut durer laconvalescence ? un mois ? demanda-t-elle.

– Oh ! pas plus, je pense, réponditla tante.

– J’aurais grand plaisir à le voir, cebrave garçon, dit Jujube.

– Je viens vous prendre pour vous menerchez lui, répondit la vieille demoiselle ; ma voiture est enbas ; êtes-vous prêt ?

Jujube, qui était toujours prêt à sortir,n’eut que son chapeau à mettre : – Je suis à vos ordres,dit-il.

– Mille bonnes choses de notre part,papa, dit Athalie ; dis-lui que nous sommes bien heureuses deson rétablissement.

Bengali, occupé à dévorer deux côtelettes, futdésagréablement surpris en voyant sa tante accompagnée du futurbeau-père qu’elle voulait lui colloquer.

– Bravo ! s’écria celui-ci, je voustrouve en bonnes dispositions, mon gaillard.

– Peuh ! fit Bengali, je mâchonne,je suce du jus de côtelettes.

– Mais vous avalez la viande avec, les ossont décharnés. Ah ! nous avons été tous bien heureuxd’apprendre votre entrée en convalescence ; votre pauvreAthalie en pleurait de joie.

– Chère demoiselle, répondit Bengali,sans enthousiasme ; dites-lui que j’ai été bien sensible…

– Je vais même lui annoncer que vousviendrez lui dire cela de vive voix dans une huitaine de jours,répondit Jujube…

– Oh ! certainement, ajoutamademoiselle Piédevache, dans huit jours.

– Huit jours, fit Bengali avec un pâlesourire ; comme vous y allez, ma tante !

– Elle a raison, et nous causerons dumariage… j’espère que nous pourrons le fixer à un mois.

Bengali se récria d’une voixlanguissante :

– Oh ! oh !… un mois !…faible comme je le suis.

– Aujourd’hui, oui ; mais dans unmois.

– Certainement, ajouta la tante ; unmois de convalescence… à ton âge… Tu verras.

– J’en doute, ma tante… Ainsi tenez, lepeu que j’ai causé… eh bien ! je me suis fatigué… je vais meremettre au lit.

– Il a raison, dit mademoisellePiédevache, il faut le laisser se reposer…

– Voulez-vous que je vous envoie Athalieavec sa mère ? demanda Jujube…

– Oh non !… ça ne serait pasconvenable… une demoiselle chez un garçon… malade.

– Chez son futur…

– Oui, sans doute ; mais quand jeserai tout à fait bien… nous arrangerons cela ; je vousdemande pardon, je vais me recoucher.

Les deux visiteurs se retirèrent et Jujube sedisait : « Je trouve qu’il n’est guère pressé de voir mafille. »

Et dès qu’ils furent partis, Bengali demandale fromage à la crème et les fruits préparés pour le dessert de sonrepas interrompu.

– Eh bien ! s’écrièrent Athalie etsa mère, à l’arrivée de Jujube dont la figure était soucieuse.

– Eh bien ! Eh bien !… je l’aitrouvé mangeant deux côtelettes.

– Ah ! exclamèrent joyeusement lesdeux femmes.

– Oui, ah ! ah ! tant que vousvoudrez, mais pour moi, le mariage n’est pas fait.

– Comment ! fit la pauvre Athaliedéconcertée, qu’est-ce qu’il y a ?

– Il y a, il y a… il n’y a rien… que desimpressions, mais qui sont mauvaises.

Et Jujube raconta son arrivée au moment oùBengali était attablé et paraissait manger avec appétit ; sonair contraint en le voyant, la froideur de son accueil, sa fatiguesubite, son refus de recevoir la visite de sa future, etc.,etc.

Athalie trouva, pour le justifier, les bonnesraisons fournies par les gens à illusions, toujours disposés àcroire ce qu’ils désirent ; sa mère, femme à illusions, elleaussi, exprima un avis semblable :

– Tant mieux si je me suis trompé, dit lechef de la famille, mais, règle générale, je ne me trompejamais.

– Tu verras, papa, que tu te trompescette fois, dit Athalie sans conviction.

– Bon, bon, je veux bien, nous verrons,ricana-t-il avec ironie.

Quatre jours après cette scène, il recevait,de la tante Piédevache, une lettre dont les premiers mots luifirent pousser une exclamation ; il appela à haute voix lesdeux femmes :

– Voilà du nouveau, venez vite !

Elles accoururent à son appel et leurs regardsl’avaient avidement questionné avant que leur bouche eût prononcéun mot.

– Il est parti pour Nice !dit-il.

Et il jouit amèrement de la stupeur causée parcette nouvelle.

– Parti… comment, pourquoi ? demandaAthalie accablée.

– Son médecin, paraît-il, l’envoie là-baspour achever sa guérison.

– Eh bien, papa, si c’est le médecin quil’a ordonné…

– Sans doute, ajouta la mère, si lemédecin a jugé nécessaire…

– Nécessaire aussi, répondit Jujube, departir sans nous faire une visite, sans nous exprimer par unelettre son désir de nous voir, sans même nous informerpersonnellement de son départ, puisque c’est sa tante qui nousl’apprend.

Athalie, cette fois, ne répondit que par deslarmes.

– Un pareil manque d’égards, dit madameJujube, est sans excuse.

– Sans excuse, appuya Jujube.

Bengali, cependant, en avait une excellentepour ne pas annoncer son départ. Il n’était pas parti et ne devaitmême pas partir ; il avait exprimé le désir d’aller achever saconvalescence à Nice, à son médecin ; celui-ci avait fortapprouvé cette excellente idée. Le lendemain, le prétendu voyageurinformait sa tante de ce qu’il appelait l’ordre du docteur ;la brave femme pleura fort, mais enfin, cette séparation étaitnécessaire ; elle se résigna, donna quelques billets de banqueà celui qu’elle appelait son cher enfant, retourna à Saint-Mandé,et Bengali aussitôt de faire faire ses malles, d’envoyer chercherune voiture et d’aller s’installer dans un petit appartement d’unquartier éloigné, appartement qu’il fit meubler.

Le résultat des visites de Georgette avait étéce qu’on pouvait prévoir, et, chose moins facile à supposer, lapossession, loin de refroidir les sentiments de l’heureux amant,n’avait fait qu’accroître son amour pour l’adorable fille quis’était donnée à lui ; c’était pour la voir tous les jours,sans gêne, sans contrainte, qu’il avait imaginé le besoin d’allerse rétablir à Nice.

Il avait, d’ailleurs, tout prévu. Un de sesamis, installé dans cette ville pour plusieurs mois, et avec qui ils’était entendu, lui avait indiqué son hôtel ; Bengali enavait donné le nom et l’adresse à sa tante, comme devant être ledomicile où elle lui écrirait ; l’ami lui renverrait leslettres. Bengali y répondrait, enverrait ses réponses à l’obligeantintermédiaire qui n’aurait plus qu’à les jeter à la poste.

Et il fut fait comme il avait été convenu.

– Tu verras, papa, dit Athalie à sonpère, tu verras que M. Bengali…

Jujube l’interrompit : – Partir sans nousen aviser, sans adieux, sans lettre explicative !…

– Je t’assure, papa, qu’il a eu pour celaune cause majeure ; je suis sûre que, dès son arrivée à Nice,il t’écrira.

– Il ne lui manquerait plus que de ne pasnous écrire, répondit le père.

– Athalie a raison, mon ami, dit madameJujube, il nous écrira et tu verras qu’il lui est arrivé je ne saisquel empêchement.

L’artiste, dont la vanité se refusait à croirequ’il en pût être autrement, ne répliqua rien et se borna àdire :

– Avec tout cela, pour combien de tempsest-il à Nice ? Deux mois, quatre mois, six moispeut-être.

Athalie se récria :

– Oh ! papa… quinze jours, troissemaines au plus.

– Enfin, conclut Jujube, nous parlonspour ne rien dire, attendons sa lettre.

Le lendemain, pas de lettre !

Les deux dames firent observer que Bengaliavait eu, au plus, le temps d’arriver, qu’à peine entré enconvalescence, la fatigue du voyage avait dû l’obliger à un reposbien naturel.

– Parfait ! attendons à demain,répondit ironiquement le père incrédule.

Deux jours, trois jours, huit jourss’écoulèrent et toujours pas de lettre ; la tante Piédevacheétait allée passer un mois en Auvergne, chez des amis, impossibled’aller lui demander une explication ; écrire à Nice, auprétendu convalescent, on ignorait son adresse, et l’infortunéeAthalie ne cessait pas d’inonder de ses larmes son piano que,malgré sa douleur, elle était obligée de travailler pour obéir auxinjonctions paternelles.

Jujube, convaincu que c’était encore unmariage raté, résolut de prendre l’initiative d’un affront à sonsingulier futur gendre, pour que celui-ci ne le lui fît pas, et ilse décida à donner sa fille à Pistache si ce jeune homme consentaità abandonner la pharmacie ; il était riche, adoraitAthalie ; la condition serait donc acceptée sansdifficulté.

La réception d’une lettre montée par leconcierge et timbrée de Nice vint interrompre le cours de sesréflexions :

– Une lettre de Nice !cria-t-il.

Les deux femmes accoururent :

– Tu vois bien, papa, dit Athaliesuffoquée par l’émotion. Et comme il éprouvait quelques difficultésà défaire l’enveloppe :

– Oh ! dépêche-toi, papa !ajouta-t-elle.

– Tu vas voir qu’il se justifie, ditmadame Jujube.

Enfin, la lettre fut dégagée de sa prison,ouverte, et Jujube en donna lecture, à la grande impatienced’Athalie qui attendait toujours ce qui ne venait jamais.

Dans cette lettre, Bengali expliquait que ledépart d’un ami pour Monaco, le jour même ou le médecin avaitordonné Nice comme lieu de convalescence, l’avait obligé à partirimmédiatement, la société d’un compagnon de voyage pouvant lui êtred’un grand secours.

– Ah ! je te le disais bien,papa ; et après, qu’est-ce qu’il y a ?

Il y avait une relation du voyage, la mentiondes arrêts dans les principales villes du trajet, arrêts nécessitéspar le besoin de repos, la description de Lyon, de Marseille, de saCanebière, de son port, etc., etc., puis la description de Nice oùles orangers poussent en pleine terre, des renseignements surMonaco dont on aperçoit les remparts et où le chemin de fer conduiten une demi-heure. Enfin la lettre se termina par les salutsd’usage, suivis de mille choses à ces dames.

Cette lecture finie, Jujube regarda Athaliequi était terrifiée :

– Voilà ! dit-il amèrement :mille choses à ces dames… drôle… polisson… il attend huit jourspour nous dire cela… mille choses à ces dames !

– Mais, papa, risqua timidement et sansconviction la pauvre fille, il ne peut pas nous dire autre chosedans une première lettre ; écris-lui, il répondra, et cettefois…

– Lui écrire ! où ? il ne donnemême pas l’adresse de son hôtel.

– Il l’a oubliée, il l’enverra dans saprochaine lettre.

Un mois s’écoula pendant lequel on reçutquatre lettres remplies de choses indifférentes, sans la moindreallusion au mariage convenu, et toutes se terminant constamment parla formule : mille choses à ces dames.

Jujube n’hésita plus : Pistache seraitson gendre ; il était seul, au moment où il prenait cetterésolution, un rhume l’ayant retenu dans sa chambre, et les deuxfemmes étaient au Conservatoire où Athalie prenait des leçonsd’harmonie.

La bonne annonça Pistache. Jujube se leva et,de la porte entr’ouverte, les mains tendues, il cria :

– Entrez donc, cher monsieur !

Pistache, qu’il n’avait pas habitué à cetaccueil chaleureux, en était tout confus.

– Vous voyez un pauvre malade, continual’artiste.

– Oh ! vraiment, monsieur Jujubès,fit le pharmacien avec sollicitude ; si j’avais su cela, jeserais venu prendre de vos nouvelles. Oh ! que je regrettedonc…

– Vous êtes bien aimable, ce n’est rien,un rhume.

Le pharmacien, que ce mot plaçait sur sonterrain, lui donna force détails sur les rhumes, leurs moyens deguérison, offrit tous les sirops et toutes les pâtes efficaces enpareil cas. Jujube le remercia avec effusion, ajouta que son rhumeétait à peu près passé et qu’il ne gardait la chambre que commedernière précaution :

– Ne parlons plus de moi, dit-il ;quoi de nouveau ?

– Mais… pas grand’chose…

Une idée vint à Jujube : – Et votre amiBengali, avez-vous de ses nouvelles ? demanda-t-il.

– De ses nouvelles ? est-ce qu’il aété malade ?

– Comment ? Vous ne savez pas qu’ila été gravement blessé en duel ?

– Non, je ne savais pas ça.

– Il a été deux mois au lit et on l’aenvoyé à Nice pour achever de se rétablir.

– Oh ! mais alors, il est tout àfait rétabli ; je l’ai vu il y a trois semaines.

– Où cela ?

– À Paris… un soir.

– À Paris ?… vous êtes sûr quec’était lui ?

– Oh ! parfaitement sûr, nous noussommes trouvés presque nez à nez.

– Vous lui avez parlé ?

– Non, il avait une demoiselle à sonbras ; et comme, en me voyant, il a vivement tourné la tête,j’ai pensé qu’il voulait m’éviter. Alors… vous comprenez… pardiscrétion…

– Parfaitement.

– Ça m’a contrarié, parce que je luiaurais annoncé mon héritage, ça lui aurait fait plaisir.

Ici, Pistache trouva le joint pour faireconnaître ses intentions.

– Et puis, dit-il, je l’aurais consultésur mes idées de mariage.

Jujube, tout à la révélation qui venait de luiêtre faite, ne répondit pas. Pistache, alors, continua :

– Oui… dès que mon deuil sera fini (etappuyant), je m’occuperai de me marier. Et il répéta : – Jeveux absolument me marier.

Et Jujube, toujours la tête ailleurs, nerépondait pas encore.

Pistache l’interpella :

– N’est-ce pas, monsieur Jujubès, quej’ai raison ?

– Raison ?… sur quoi ?

– Sur mon idée de me marier ?

– Ah !… vous songez à vousmarier ?

– Oui, après mon deuil… le deuil d’unoncle, ça n’est pas bien long, trois mois au plus.

– Vous avez raison, mon jeune ami.

– Son jeune ami ! pensa notreamoureux que cette appellation combla d’espoir, et ilcontinua :

– Il y a une demoiselle… que j’adore… etqui m’aime aussi…

– Bravo ?

– Et si vous voulez, monsieurJujubès…

– Moi ?

– Oui, monsieur Jujubès, ça dépend devous.

Et il allait lâcher le grand mot, quandmesdames Jujube entrèrent. Il courut au devant d’elles :

– Ah ! madame, ah !mademoiselle, balbutia-t-il, suffoqué d’émotion, si vous saviezcombien je…

Athalie le salua de la tête et sortitvivement, laissant le pauvre garçon son sourire figé sur sa bouchebéante. Il allait demander une explication, mais la mère ignorantla résolution prise par son mari, celui-ci pensa que reprendre ence moment la conversation interrompue, serait provoquer chez madameJujube un étonnement et un embarras de nature à dérouterPistache ; Jujube prétexta sa palette à préparer pour la posed’un modèle qu’il attendait, engagea vivement le jeune homme àrevenir le plus tôt possible, et le nouveau futur gendre se retirasans s’expliquer l’accueil d’Athalie, mais transporté de joie parles dispositions du père.

– J’ai du nouveau à t’apprendre, ditaussitôt celui-ci à sa femme, et surtout à apprendre àAthalie ; appelle-la !

Athalie, qui avait guetté le départ de sonamoureux, rentra à ce moment :

– J’annonçais à ta mère qu’il y a dunouveau, reprit Jujube, et j’allais t’appeler pour entendre cettenouvelle intéressante.

À l’air ironique de son père, la pauvre filledevina que la nouvelle était mauvaise pour elle.

Le père continua sur le même tonsarcastique :

– Il est retombé, ce cher malade, unerechute qui l’a forcé à reprendre le lit, dont l’état est tellementgrave qu’il ne peut ni nous écrire, ni charger quelqu’un de nousinformer de sa rechute.

– Mais qu’y a-t-il donc, papa ?demanda la pauvre Athalie avec inquiétude.

– Il y a que ton soi-disant adorateur seporte comme le Pont-Neuf, et qu’il a été vu à Paris, il y a troissemaines, avec une belle jeune fille à son bras.

– Hein ? fit madame Jujube.

Athalie était restée anéantie :

– Eh bien, fit Jujube, es-tuconvaincue ?

Elle balbutia, pâle et tremblante :

– Comment sais-tu cela, papa ?

– Par celui que tu dédaignes, qui sortd’ici ; il l’a vu, de ses yeux vu.

– Il a pu se tromper.

– Je lui ai posé la question.

Et Jujube répéta les paroles de Pistache.

– C’est un mensonge qu’il t’a fait,papa.

– Dans quel but ?

– Pour évincer son rival.

– Il ignore cette rivalité, je ne lui enai pas soufflé mot, et, s’il la connaît ! qui la lui auraitapprise ?

– Ton père a raison, ma fille, dit madameJujube.

Lui, continue :

– Si, comme tu le croyais, ton adoréétait retombé malade, sa tante le saurait et nous en auraitinformés.

– Elle est en Auvergne.

– Elle en serait revenue en toute hâte,nous aurait mis au courant, aurait avisé au moyen de faire revenirle malade ; au besoin, serait allée à Nice ; enfin noussaurions quelque chose. Et tu te figures que nous allons attendrece monsieur qui se fiche de toi, de nous ; qui ne t’épouserajamais, quand nous avons un brave garçon, riche, prêt à te conduireà la mairie ?

– Jamais ! dit énergiquementAthalie.

– Hein ! fit le père à qui, dans sonintérieur, nul n’avait jamais résisté.

Elle répéta :

– Jamais je n’épouserai ce monsieur.Jamais ! jamais !

– Qu’est-ce que c’est que ceton-là ? s’écria le père en s’avançant la main levée.

Athalie ne recula pas : « Bats-moi,dit-elle ; tue-moi si tu veux, je ne l’épouseraipas ».

Il n’y a tel que la timidité subitementrésolue, pour imposer à ceux devant qui elle s’est jusqu’alorsinclinée. Jujube resta donc muet d’étonnement, à cette résistanceénergique qu’il rencontrait pour la première fois :

– C’est ma fille, dit-il, les lèvresblêmes et agitées par la colère, c’est ma fille qui me parleainsi !

– Papa, je ne te manque pas de respect,je t’ai toujours obéi et je t’obéirai toujours ; mais pourcela, non, non, non.

– J’ai donné ma parole à ce jeune homme,dit-il, espérant par ce mensonge obtenir la soumissiond’Athalie.

– Je ne lui ai pas donné la mienne,répondit-elle, je ne l’aime pas.

– Belle raison ! Ta mère non plus nem’aimait pas quand je l’ai épousée ; maintenant c’est dudélire.

– Oh ! du délire, murmura madameJujube… avec un léger mouvement de tête…

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Je dis : oui, du délire.

– Tu entends, ma fille ? Je ne lefais pas dire à ta mère.

Comme sa mère ne l’avait pas dit, elleapprouva : – En tout cas, mon ami, dit-elle, nous ne pouvonspas rompre des projets bien arrêtés sans prévenir mademoisellePiédevache.

– Et, avant de la prévenir, ajoutaAthalie, avoir la preuve que c’est bien lui qui a été vu àParis.

À ce moment, une visite vint couper court à ladiscussion et jeter dans la vaniteuse famille une joie de nature àlui faire oublier toute autre chose : une riche dame, cellequi donnait à Athalie les fleurs, les plumes et les rubans quiavaient cessé de lui plaire, une de ces connaissances dont ondisait : « nous n’avons que des amis commecela ; » cette dame venait annoncer qu’elle partait envoyage pour plusieurs mois et elle mettait sa maison de campagne àla disposition des Jujube, et même à leurs ordres ses domestiquesqu’elle n’emmenait pas ; ajoutant qu’ils pourraient s’yinstaller dès le surlendemain et y rester jusqu’à son retour ;c’est-à-dire la plus grande partie de la belle saison.

La famille, radieuse, la remercia aveceffusion ; on l’embrassa, on lui fit tous les souhaitspossibles d’heureux voyage et, la dame partie, il ne fut plusquestion que de la prise immédiate de possession de la splendidedemeure, des amis et connaissances qu’on y inviterait, du richemobilier au milieu duquel on se pavanerait, et on s’occupaimmédiatement des invitations à faire.

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