Acte deuxième
Scène première
Armand, Daniel, L’Aubergiste, Un Guide
Daniel et Armand sont assis à une table, etdéjeunent.
L’Aubergiste. – Ces messieursprendront-ils autre chose?
Daniel. – Tout à l’heure… du café…
Armand. – Faites manger le guide; après, nouspartirons pour la mer de Glace.
L’Aubergiste. – Venez, guide.
Il sort, suivi du guide, par la droite.
Daniel. – Eh bien, mon cher Armand?
Armand. – Eh bien, mon cher Daniel?
Daniel. – Les opérations sont engagées, nousavons commencé l’attaque.
Armand. – Notre premier soin a été de nousintroduire dans le même wagon que la famille Perrichon; le papaavait déjà mis sa calotte.
Daniel. – Nous les avons bombardés deprévenances, de petits soins.
Armand. – Vous avez prêté votre journal à M.Perrichon, qui a dormi dessus… En échange, ils vous a offert lesBords de la Saône… un livre avec des images.
Daniel. – Et vous, à partir de Dijon, vous aveztenu un store dont la mécanique était dérangée; ça a dû vousfatiguer.
Armand. – Oui, mais la maman m’a comblé depastilles de chocolat.
Daniel. – Gourmand!… vous vous êtes faitnourrir.
Armand. – A Lyon, nous descendons au mêmehôtel…
Daniel. – Et le papa, en nous retrouvant,s’écrie: « Ah! quel heureux hasard!… »
Armand. – A Genève, même rencontre…imprévue…
Daniel. – A Chamouny, même situation; et lePerrichon de s’écrier toujours: « Ah! quel heureux hasard! »
Armand. – Hier soir, vous apprenez que lafamille se dispose à venir voir la mer de Glace, et vous venez mechercher dans ma chambre… dès l’aurore… c’est un trait degentilhomme!
Daniel. – C’est dans notre programme… lutteloyale!… Voulez-vous de l’omelette?
Armand. – Merci… Mon cher, je dois vousprévenir… loyalement… que, de Chalon à Lyon, mademoiselle Perrichonm’a regardé trois fois.
Daniel. – Et moi, quatre!
Armand. – Diable! c’est sérieux!
Daniel. – Ca le sera bien davantage quand ellene nous regardera plus… Je crois qu’en ce moment elle nous préfèretous les deux… ça peut durer longtemps comme ça; heureusement noussommes gens de loisir.
Armand. – Ah çà! expliquez-moi comment vousavez pu vous éloigner de Paris, étant le gérant d’une société depaquebots?…
Daniel. – Les Remorqueurs sur la Seine… capitalsocial, deux millions. C’est bien simple; je me suis demandé unpetit congé, et je n’ai pas hésité à me l’accorder… J’ai de bonsemployés; les paquebots vont tout seuls, et, pourvu que je sois àParis le 8 du mois prochain pour le payement du dividende… Ah çà!et vous?… un banquier… Il me semble que vous pérégrinezbeaucoup!
Armand. – Oh! ma maison de banque ne m’occupeguère… J’ai associé mes capitaux en réservant la liberté de mapersonne, je suis banquier…
Daniel. – Amateur!
Armand. – Je n’ai, comme vous, affaire à Parisque vers le 8 du mois prochain.
Daniel. – Et, d’ici là, nous allons nous faireune guerre à outrance…
Armand. – A outrance! comme deux bons amis…J’ai eu un moment la pensée de vous céder la place; mais j’aimesérieusement Henriette…
Daniel. – C’est Singulier.. je voulais vousfaire le même sacrifice… Sans rire… A Chalon, j’avais envie dedécamper mais je l’ai regardée.
Armand. – Elle est si jolie!
Daniel. – Si douce!
Armand. – Si blonde!
Daniel. – Il n’y a presque plus de blondes; etdes yeux!
Armand. – Comme nous les aimons.
Daniel. – Alors je suis resté!
Armand. – Ah! je vous comprends!
Daniel. – A la bonne heure! C’est un plaisir devous avoir pour ennemi! (Lui serrant la main.) CherArmand!
Armand, de même. – Bon Daniel! Ah çà!M. Perrichon n’arrive pas. Est-ce qu’il aurait changé sonitinéraire? si nous allions les perdre?
Daniel. – Diable! c’est qu’il est capricieux,le bonhomme… Avant-hier, il nous a envoyé nous promener à Ferney,où nous comptions le retrouver…
Armand. – Et, pendant ce temps, il était allé àLausanne.
Daniel. – Eh bien c’est drôle de voyager commecela! (Voyant Armand qui se lève.) Où allez-vous donc?
Armand. – Je ne tiens pas en place, j’ai envied’aller au-devant de ces dames.
Daniel. – Et le café?
Armand. – Je n’en prendrai pas… Au revoir!
Il sort vivement par le fond.