Le Voyage de Monsieur Perrichon

Scène huitième

 

Perrichon, Daniel

Daniel, à part, en descendant. – Ilest évident que mes actions baissent… Si je pouvais…

Il va au canapé.

Perrichon, à part, au fond. – Ce bravejeune homme… ça me fait de la peine… Allons, il le faut!(Haut.) Mon cher Daniel… mon bon Daniel… j’ai unecommunication pénible à vous faire.

Daniel, à part. – Nous y voilà!

Ils s’asseyent sur le canapé.

Perrichon. – Vous m’avez fait l’honneur de medemander la main de ma fille… Je caressais ce projet, mais lescirconstances… les événements… votre ami, M. Armand, m’a rendu detels services…

Daniel. – Je comprends.

Perrichon. – Car on a beau dire, il m’a sauvéla vie, cet homme!

Daniel. – Eh bien, et le petit sapin auquelvous vous êtes cramponné?

Perrichon. – Certainement… le petit sapin… maisil était bien petit… il pouvait casser… et puis je ne le tenais pasencore.

Daniel. – Ah!

Perrichon. – Non… mais ce n’est pas tout… dansce moment, cet excellent jeune homme brûle le pavé pour me tirerdes cachots… Je lui devrai l’honneur… l’honneur!

Daniel. – Monsieur Perrichon, le sentiment quivous fait agir est trop noble pour que je cherche à lecombattre…

Perrichon. – Vrai! vous ne m’en voulez pas?

Daniel. – Je ne me souviens que de votrecourage… de votre dévouement pour moi…

Perrichon, lui prenant la main. – Ah!Daniel! (A part.) C’est étonnant comme j’aime cegarçon-là!

Daniel, se levant. – Aussi, avant departir…

Perrichon. – Hein?

Daniel. – Avant de vous quitter…

Perrichon, se levant. – Comment! mequitter? vous? Et pourquoi?

Daniel. – Je ne puis continuer des visites quiseraient compromettantes pour mademoiselle votre fille… etdouloureuses pour moi.

Perrichon. – Allons, bien! Le seul homme quej’aie sauvé!

Daniel. – Oh! mais votre image ne me quitterapas!… J’ai formé un projet… c’est de fixer sur la toile, comme ellel’est déjà dans mon cœur, l’héroïque scène de la mer de Glace.

Perrichon. – Un tableau! Il veut me mettre dansun tableau!

Daniel. – Je me suis adressé à un de nospeintres les plus illustres… un de ceux qui travaillent pour lapostérité!…

Perrichon. – La postérité! Ah! Daniel! (Apart.) C’est extraordinaire comme j’aime ce garçon là!

Daniel. – Je tiens surtout à laressemblance…

Perrichon. – Je crois bien! moi aussi!

Daniel. – Mais il sera nécessaire que vous nousdonniez cinq ou six séances…

Perrichon. – Comment donc, mon ami! quinze!vingt! trente! ça ne m’ennuiera pas… nous poserons ensemble!

Daniel, vivement. – Ah! non… pasmoi!

Perrichon. – Pourquoi?

Daniel. – Parce que… voici comment nous avonsconçu le tableau… on ne verra sur la toile que le mont Blanc…

Perrichon, inquiet. – Eh bien, etmoi?

Daniel. – Le mont Blanc et vous!

Perrichon. – C’est ça… moi et le mont Blanc…tranquille et majestueux!… Ah çà! et vous, où serez-vous?

Daniel. – Dans le trou… tout au fond… onn’apercevra que mes deux mains crispées et suppliantes…

Perrichon. – Quel magnifique tableau!

Daniel. – Nous le mettrons au musée…

Perrichon. – De Versailles?

Daniel. – Non, de Paris…

Perrichon. – Ah! oui… à l’Exposition!…

Daniel. – Et nous inscrirons sur le livre cettenotice…

Perrichon. – Non! pas de banque! pas deréclame! Nous mettrons tout simplement l’article de mon journal… »On nous écrit de Chamouny…  »

Daniel. – C’est un peu sec.

Perrichon. – Oui… mais nous l’arrangerons!(Avec effusion.) Ah! Daniel, mon ami!… mon enfant!

Daniel. – Adieu, monsieur Perrichon!… nous nedevons plus nous revoir…

Perrichon. – Non! c’est impossible! c’estimpossible! Ce mariage… rien n’est encore décidé…

Daniel. – Mais…

Perrichon. – Restez! je le veux!

Daniel, à part. – Allons donc!

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