Le Voyage de Monsieur Perrichon

Scène cinquième

 

Daniel, Perrichon; puis L’Aubergiste

Perrichon, entrant et parlant à lacantonade. – Mais certainement il m’a sauvé! certainement ilm’a sauvé, et, tant qu’il battra, le cœur de Perrichon… je lui aidit…

Daniel. – Eh bien, monsieur Perrichon… voussentez-vous mieux?

Perrichon. – Ah! je suis tout à fait remis… jeviens de boire trois gouttes de rhum dans un verre d’eau et dans unquart d’heure, je compte gambader sur la mer de Glace. Tiens, votreami n’est plus là?

Daniel. – Il vient de sortir.

Perrichon. – C’est un brave jeune homme!… cesdames l’aiment beaucoup.

Daniel. – Oh! quand elles le connaîtrontdavantage!… un cœur d’or! obligeant, dévoué, et d’une modestie!

Perrichon. – Oh! c’est rare.

Daniel. – Et puis il est banquier… c’est unbanquier!…

Perrichon. – Ah!

Daniel. – Associé de la maison TurnepsDesroches et Cie! Dites donc, c’est assez flatteur d’être repêchépar un banquier… car, enfin, il vous a sauvé!… Hein?… sanslui!…

Perrichon. – Certainement… certainement. C’esttrès gentil, ce qu’il a fait là!

Daniel, étonné. – Comment, gentil?

Perrichon. – Est-ce que vous allez vouloiratténuer le mérite de son action?

Daniel. – Par exemple!

Perrichon. – Ma reconnaissance ne finiraqu’avec ma vie… Cà!… tant que le cœur de Perrichon battra. Mais,entre nous, le service qu’il m’a rendu n’est pas aussi grand que mafemme et ma fille veulent bien le dire.

Daniel, étonné. – Ah bah!

Perrichon. – Oui. Elles se montent la tête.Mais, vous savez, les femmes!…

Daniel. – Cependant, quand Armand vous aarrêté, vous rouliez.

Perrichon. – Je roulais, c’est vrai… Mais, avecune présence d’esprit étonnante… j’avais aperçu un petit sapinaprès lequel j’allais me cramponner; je le tenais déjà quand votreami est arrivé.

Daniel, à part. – Tiens, tiens! vousallez voir qu’il s’est sauvé tout seul.

Perrichon. – Au reste, je ne lui sais pas moinsgré de sa bonne intention… Je compte le revoir… lui réitérer mesremerciements.. je l’inviterai même cet hiver.

Daniel, à part. – Une tasse dethé!

Perrichon. – Il paraît que ce n’est pas lapremière fois qu’un pareil accident arrive à cet endroit-là… c’estun mauvais pas… L’Aubergiste vient de me raconter que, l’andernier, un Russe… un prince… très bon cavalier!… car ma femme abeau dire, ça ne tient pas à mes éperons! avait roulé dans le mêmetrou.

Daniel. – En vérité?

Perrichon. – Son guide l’a retiré… Vous voyezqu’on s’en retire parfaitement… Eh bien, le Russe lui a donné centfrancs!

Daniel. – C’est très bien payé!

Perrichon. – Je le crois bien!… Pourtant c’estce que ça vaut!…

Daniel. – Pas un sou de plus. (Apart.) Oh mais! je ne pars pas.

Perrichon, remontant. – Ah çà! ceguide n’arrive pas.

Daniel. – Est-ce que ces dames sont prêtes?

Perrichon. – Non… elles ne viennent pas… vouscomprenez? mais je compte sur vous…

Daniel. – Et sur Armand?

Perrichon. – S’il veut être des nôtres, je nerefuserai certainement pas la compagnie de M. Desroches.

Daniel, à part. – M. Desroches! Encoreun peu il va le prendre en grippe.

L’Aubergiste, entrant par la droite. -Monsieur!…

Perrichon. – Eh bien, ce guide?

L’Aubergiste. – Il est à la porte… Voici voschaussons.

Perrichon. – Ah! oui! il paraît qu’on glissedans les crevasses là-bas… et, comme je ne veux avoir d’obligationà personne…

L’Aubergiste, lui présentant leregistre. – Monsieur écrit-il sur le livre des voyageurs?

Perrichon. – Certainement… mais je ne voudraispas écrire quelque chose d’ordinaire… il me faudrait là… unepensée… une jolie pensée… (Rendant le livre àl’aubergiste.) Je vais y rêver en mettant mes chaussons.(A Daniel.) Je suis à vous dans la minute.

Il entre à droite, suivi de l’aubergiste.

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