Scène neuvième
Les Mêmes, Jean, Le Commandant
Jean, annonçant. – M. le commandantMathieu!
Perrichon, étonné. – Qu’est-ce quec’est que ça?
Le Commandant, entrant. – Pardon,messieurs, je vous dérange peut-être.
Perrichon. – Du tout.
Le Commandant, à Daniel. – Est-ce à M.Perrichon que j’ai l’honneur de parler?
Perrichon. – C’est moi, monsieur.
Le Commandant. – Ah!… (A Perrichon.)Monsieur, voilà douze jours que je vous cherche. Il y a beaucoup dePerrichon à Paris… j’en ai déjà visité une douzaine… mais je suistenace…
Perrichon, lui indiquant un siège à gauchedu guéridon. – Vous avez quelque chose à me communiquer?
Il s’assied sur le canapé. Daniel remonte.
Le Commandant, s’asseyant. – Je n’ensais rien encore… Permettez-moi d’abord de vous adresser unequestion: Est-ce vous qui avez fait, il y a un mois, un voyage à lamer de Glace!
Perrichon. – Oui, monsieur, c’est moi-même! jecrois avoir le droit de m’en vanter!
Le Commandant. – Alors, c’est vous qui avezécrit sur le registre des voyageurs: « Le Commandant est unpaltoquet. »
Perrichon. – Comment! vous êtes?…
Le Commandant. – Oui, monsieur… c’est moi!
Perrichon. – Enchanté!
Ils se font plusieurs petits saluts.
Daniel, à part, en descendant. -Diable! l’horizon s’obscurcit!…
Le Commandant. – Monsieur, je ne suis niquerelleur ni ferrailleur, mais je n’aime pas à laisser traîner surles livres d’auberge de pareilles appréciations à côté de monnom…
Perrichon. – Mais vous avez écrit le premierune note… plus que vive!
Le Commandant. – Moi? je me suis borné àconstater que mer de Glace ne prenait pas d’e à la fin: voyez ledictionnaire…
Perrichon. – Eh! monsieur, vous n’êtes paschargé de corriger mes… prétendues fautes d’orthographe! De quoivous mêlez-vous?
Ils se lèvent.
Le Commandant. – Pardon!… Pour moi, la languefrançaise est une compatriote aimée… une dame de bonne maison,élégante, mais un peu cruelle… vous le savez mieux quepersonne.
Perrichon. – Moi?…
Le Commandant. – Et, quand j’ai l’honneur de larencontrer à l’étranger… je ne permets pas qu’on éclabousse sarobe. C’est une question de chevalerie et de nationalité.
Perrichon. – Ah çà! monsieur, auriez-vous laprétention de me donner une leçon!
Le Commandant. – Loin de moi cette pensée…
Perrichon. – Ah! ce n’est pas malheureux!(A part.) Il recule.
Le Commandant. – Mais, sans vouloir vous donnerune leçon, je viens vous demander poliment… une explication.
Perrichon, à part. – Mathieu!… c’estun faux commandant.
Le Commandant. – De deux choses l’une: ou vouspersistez…
Perrichon. – Je n’ai pas besoin de tous cesraisonnements. Vous croyez peut-être m’intimider? Monsieur… j’aifait mes preuves de courage, entendez-vous! et je vous les feraivoir…
Le Commandant. – Où çà?
Perrichon. – A l’Exposition… l’annéeprochaine…
Le Commandant. – Oh! permettez!… Il me seraimpossible d’attendre jusque-là… Pour abréger, je vais au fait;retirez-vous, oui ou non?…
Perrichon. – Rien du tout!
Le Commandant. – Prenez garde!
Daniel. – Monsieur Perrichon!
Perrichon. – Rien du tout! (A part.)Il n’a pas seulement de moustaches!
Le Commandant. – Alors, monsieur Perrichon,j’aurai l’honneur de vous attendre demain, à midi, avec mestémoins, dans les bois de la Malmaison…
Daniel. – Commandant, un mot!
Le Commandant, remontant. – Nous vousattendrons chez le garde!
Daniel. – Mais, commandant…
Le Commandant. – Mille pardons… j’airendez-vous avec un tapissier pour choisir des étoffes, desmeubles… A demain… midi… (Saluant.) Messieurs… j’ai bienl’honneur.
Il sort.