Le Voyage de Monsieur Perrichon

Scène cinquième

 

Perrichon, Armand; puis Jean et LeCommandant

Perrichon, à part. – Je suis trèscontrarié… très contrarié!… j’ai passé une partie de la nuit àécrire à mes amis que je me battais… je vais être ridicule.

Armand, à part. – il doit être biendisposé… Essayons. (Haut.) Mon cher monsieurPerrichon…

Perrichon, sèchement. – Monsieur?

Armand. – Je suis plus heureux que je ne puisle dire d’avoir pu terminer cette désagréable affaire…

Perrichon, à part. – Toujours monpetit air protecteur! (Haut,) Quant à moi, monsieur, jeregrette que vous m’ayez privé du plaisir de donner une leçon à ceprofesseur de grammaire!

Armand. – Comment! mais vous ignorez donc quevotre adversaire…

Perrichon. – Est un ex-commandant au 2ezouaves… Eh bien, après? J’estime l’armée, mais je suis de ceux quisavent la regarder en face.

Il passe fièrement devant lui.

Jean, paraissant et annonçant. – LeCommandant Mathieu.

Perrichon. – Hein?

Armand. – Lui?

Perrichon. – Vous me disiez qu’il était enprison!

Le Commandant, entrant. – J’y étais,en effet, mais j’en suis sorti. (Apercevant Armand.) Ah!monsieur Armand, je viens de consigner le montant du billet que jevous dois plus les frais…

Armand. – Très bien, commandant… Je pense quevous ne me gardez pas rancune… vous paraissiez si désireux d’allerà Clichy.

Le Commandant. – Oui, j’aime Clichy… mais pasles jours où je dois me battre. (A Perrichon.) Je suisdésolé, monsieur, de vous avoir fait attendre… Je suis à vosordres.

Jean, à part. – Oh! ce pauvrebourgeois!

Perrichon. – Je pense, monsieur, que vous merendrez la justice de croire que je suis tout à fait étranger àl’incident qui vient de se produire?

Armand. – Tout à fait! car, à l’instant mêmeMonsieur me manifestait ses regrets de ne pouvoir se rencontreravec vous.

Le Commandant, à Perrichon. – Je n’aijamais douté, monsieur, que vous ne fussiez un loyaladversaire.

Perrichon, avec hauteur. – Je me plaisà l’espérer, monsieur.

Jean, à part. – Il est très solide, lebourgeois.

Le Commandant. – Mes témoins sont à la porte…Partons.

Perrichon. – Partons!

Le Commandant, tirant sa montre. – Il estmidi.

Perrichon, à part. – Midi!… déjà!

Le Commandant. – Nous serons là-bas à deuxheures.

Perrichon, à part. – Deux heures! ilsseront partis.

Armand. – Qu’avez-vous donc?

Perrichon. – J’ai… j’ai.. Messieurs, j’aitoujours pensé qu’il y avait quelque noblesse à reconnaître sestorts.

Le Commandant et Jean, étonnés. -Hein?

Armand. – Que dit-il?

Perrichon. – Jean… laisse-nous!

Armand. – Je me retire aussi…

Le Commandant. – Oh! pardon! je désire que toutceci se passe devant témoins.

Armand. – Mais…

Le Commandant. – Je vous prie de rester.

Perrichon. – Commandant… vous êtes un bravemilitaire… et moi… j’aime les militaires! Je reconnais que j’ai eudes torts envers vous… et je vous prie de croire que… (Apart.) Sapristi! devant mon domestique! (Haut.) Jevous prie de croire qu’il n’était ni dans mes intentions… (Ilfait signe de sortir à Jean, qui a l’air de ne pas comprendre. Apart.) Ca m’est égal, je le mettrai à la porte ce soir…(Haut.)… ni dans ma pensée… d’offenser un homme quej’estime et que j’honore!

Jean, à part. – Il cane, lepatron!

Le Commandant. – Alors, monsieur, ce sont desexcuses?

Armand, vivement. – Oh! desregrets!…

Perrichon. – N’envenimez pas! n’envenimez pas!Laissez parler le commandant.

Le Commandant. – Sont-ce des regrets ou desexcuses?

Perrichon, hésitant. – Mais… moitiél’un… . moitié l’autre…

Le Commandant. – Monsieur, vous avez écrit entoutes lettres sur le livre de Montanvert: « Le Commandant est un… »

Perrichon, vivement. – Je retire lemot! il est retiré!

Le Commandant. – Il est retiré… ici… maislà-bas! il s’épanouit au beau milieu d’une page que tous lesvoyageurs peuvent lire.

Perrichon. – Ah! dame, pour ça! à moins que jene retourne moi-même l’effacer.

Le Commandant. – Je n’osais pas vous ledemander, mais, puisque vous me l’offrez…

Perrichon. – Moi?

Le Commandant. – J’accepte.

Perrichon. – Permettez…

Le Commandant. – Oh! je ne vous demande pas derepartir aujourd’hui… non!… mais demain.

Perrichon et Armand. – Comment?

Le Commandant. – Comment? Par le premierconvoi, et vous bifferez vous-même, de bonne grâce, les deuxméchantes lignes échappées à votre improvisation… çam’obligera.

Perrichon. – Oui… comme ça… il faut que jeretourne en Suisse?

Le Commandant. – D’abord, le Montanvert étaiten Savoie… Maintenant c’est la France!

Perrichon. – La France, reine des nations.

Jean. – C’est bien moins loin!

Le Commandant, ironiquement. – Il neme reste plus qu’à rendre hommage à vos sentiments deconciliation.

Perrichon. – Je n’aime pas à verser lesang!

Le Commandant, riant. – Je me déclarecomplètement satisfait. (A Armand.) Monsieur Desroches,j’ai encore quelques billets en circulation. S’il vous en passe unpar les mains, je me recommande toujours à vous!(Saluant.) Messieurs, j’ai bien l’honneur de voussaluer!

Perrichon, saluant. – Commandant!

Le Commandant sort.

Jean, à Perricbon, tristement. – Ehbien, monsieur… voilà votre affaire arrangée.

Perrichon, éclatant. – Toi, je tedonne ton compte! va faire tes paquets, animal.

Jean, stupéfait. – Ah, bah! qu’est-ceque j’ai fait!

Il sort par la droite.

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