L’Héroïne

Chapitre 15TRENCAVEL ET ANNAÏS

En cette même matinée, dans une chambre de la Belle Ferronnière,le prévôt Montariol achevait d’enduire d’un certain onguent lestrois ou quatre blessures que Trencavel avait reçues pendantl’affaire d’Étioles. Ils s’étaient terrés là, tous les trois.

Nul ne pouvait avoir l’idée de les chercher en l’une desauberges les plus fréquentées de Paris. Le matin du quatrième jour,Trencavel, s’étant habillé de pied en cap, annonça son départ. Ilprétendit qu’il étouffait.

« Il y a des moments, dit-il, où je me figure que nous noussommes embastillés.

– Oui, mais c’est ici une Bastille volontaire, dit Mauluys.Et puis, oubliez-vous que vous risquez d’être vu par Saint-Priac,qui, depuis trois jours, est installé dans la grandesalle ?

– J’oubliais ce drôle. S’il ne s’agissait que de l’expédierad patres… mais ce n’est pas un duel qu’il cherche.

– Vous voyez bien, reprit Mauluys. Il faut rester ici toutau moins jusqu’à ce que cet homme ait renoncé à…

– Il a renoncé ! dit Verdure en entrant à cemoment.

– Pourquoi ?

– Parce que, dit Verdure, il a maintenant ce qu’ilcherchait. »

Verdure !… C’était Verdure en chair et en os !… Ilétait étrangement pâle. Mais ses petits yeux clignotaient de maliceet ses lèvres blêmes ricanaient.

« Expliquez-vous, monsieur Verdure, dit Mauluys. Etd’abord, d’où venez-vous ?

– Du cabaret ! dit Verdure. J’étais avec quelqu’un quirégalait, bouteille sur bouteille, et du meilleur. Ah ! legénéreux convive que ce M. de Saint-Priac !

– Monsieur Verdure, il est temps de vousexpliquer. »

Le ton était tel que Verdure, qui, sans doute, connaissait bienle comte, répéta :

« Oui ! Je crois qu’il est temps ! Voici. En mêmetemps que nous prenions nos quartiers à cet étage, le noble baronprenait position dans la grande salle. Je passai mon temps à lesurveiller et je pus me convaincre qu’il ne vous cherchaitpas, messieurs. C’était moi qu’il cherchait – moi,messieurs ! Et ce qu’il voulait de moi, c’était lalettre… Hier, vers l’heure du couvre-feu,M. de Saint-Priac, m’ayant aperçu par hasard, m’abordagalamment, me conduisit en une fort honorable taverne, et là cedigne baron m’abreuva des vins les plus généreux, ou du moins enabreuva le plancher, car j’étais si ému d’avoir retrouvé mon ancienchef de compagnie que, je ne sais comment, le vin, au lieu decouler dans mon gosier, se répandait sous la table… Lorsqu’il mecrut ivre, M. de Saint-Priac me promit vingt écus d’or sije voulais lui remettre la lettre que, certain soir, aux abords dela place Royale, j’avais volée à frèreCorignan… »

Mauluys tressaillit. Les petits yeux de Verdure pétillèrent.

« Volée, reprit-il, avec l’aide d’un drôle comme moi quej’avais affublé du nom honorable de M. Trencavel afin qu’il nefût pas reconnu et qu’on pût croire que vous étiez parmi lesvoleurs, monsieur le maître en fait d’armes…

– Misérable ! rugit Montariol en levant le poing.

– Verdure, dit Mauluys, vous êtes sublime. »

Montariol fut stupéfait – d’autant que Trencavel lui-mêmeprenait la main de Verdure et disait : « Merci, Verdure.Je vous revaudrai cela.

– Eh bien, fit Verdure, j’acceptai les vingt écus d’or.

– Et la lettre ? palpita Trencavel.

– Je l’avais sur moi… »

Verdure regarda Mauluys en face et ajouta :

« Puisque vous ne l’eussiez jamais lue, puisqu’elle vousempêchait de dormir, puisqu’elle n’était pas à vous, je la jetaisur la table et Saint-Priac fondit sur elle… »

Il y eut un silence d’angoisse. Trencavel était soucieux,Mauluys pensif. Dans cette bataille contre le plus formidableadversaire, il leur apparut tout à coup qu’ils venaient deremporter une de ces victoires qu’on paye de sa vie…

« Vous avez bien fait, dit enfin le comte de Mauluys.

– Et les vingt écus d’or ? s’écria Montariol.

– Le baron de Saint-Priac est généreux, dit Verdure. Vingtécus d’or lui parurent insuffisants… Il me paya en me tuant raided’un seul coup bien assené, là où vous voyez cette déchirure à macasaque. Je tombai donc, mort, dans une flaque de sang… ou de vin…je ne sais plus au juste… et le généreux baron s’en alla. En sorteque, à cette heure, Son Éminence est bien certaine que nul au monden’a pu lire cette lettre, puisque celui qui l’avait volée l’arendue intacte et que celui-là est mort ! À votre santé,messieurs !

– Et comment es-tu ressuscité ?

– En me relevant, mon digne prévôt. Seulement, j’ai dûpasser une heure, cette nuit, à repriser solidement la doublecuirasse de buffle que j’ai la mauvaise habitude de porter sous macasaque.

– Mauluys, fit Trencavel, j’ignore ce qu’était cettefameuse dépêche dont vous m’avez parlé deux ou trois fois. Je nesais ce qu’elle contenait. Je ne puis dire s’il eût été utile oudangereux de la garder. Mais puisque vous dites que Verdure a bienfait de là rendre…

– La dépêche est rendue, bien rendue ! » ditVerdure.

Au son de cette voix étrangement narquoise, Trencaveltressaillit et se tourna vivement vers le valet du comte. MaisVerdure, à ce moment, vidait son septième ou huitième verre avecune grimace d’intense jubilation.

« Mon cher comte, reprit Trencavel, je sais que ce que vousdites est toujours bien dit. Et maintenant que la route est libre,rien ne m’empêchera de sortir. J’étouffe ici.

– Et puis, vous voulez savoir ce que le cardinal a faitd’elle…

– Eh bien, oui, fit Trencavel d’une voix sombre.Cette pensée me tue qu’elle est aux mains de l’implacable cardinal.La délivrer, si elle est prisonnière, assurer sa fuite, si elleveut quitter Paris… il le faut ! Prévôt !…

– Présent ! rugit Montariol.

– Tu vas tâcher de mettre la main sur ce Corignan ou ceRascasse qui doivent savoir en quelle geôle le cardinal l’aenvoyée. Dès que tu en auras trouvé un, amène-le-moi par l’oreilleà l’hôtel du comte qui devient notre quartier général.

– J’y vais ! » dit Montariol.

Et il sortit, escorté de Verdure.

« J’ai quelques amis dans Paris, dit alors le comte deMauluys. Je puis, par eux, savoir… Adieu, Trencavel. À demain, enmon hôtel. »

 

Dame Brigitte est un si infime personnage dans ce récit que noslecteurs ont le droit de l’avoir oubliée. Nous devons une visite àla vénérable propriétaire de cette maison dont l’entrée se trouvaitrue Sainte-Avoye, et dont le derrière donnait sur les jardinsattenants aux hôtels de la rue Courteau. C’est là, tout en haut,que se trouvait le logis de Trencavel.

Ce jour-là, vers trois heures, dame Brigitte vit entrer Rascassequi portait une longue et forte corde enroulée en sautoir. Ilentra, et de sa voix la plus mielleuse :

« Bonjour, dame Brigitte, bonjour. Je viens vous demandersi vous savez ce que c’est que la maison des Filles de laMadeleine, que, parmi le populaire, on nomme les Madelonnettes.

– Mais je ne vous connais pas, fit-elle à tout hasard.

– Il ne s’agit pas de cela, dit Rascasse qui jubilait, etd’ailleurs je vous connais. Donc, je vois que vous ignorez lesMadelonnettes. C’est un tort, dame Brigitte. Les Madelonnettes sontune maison très agréable, fondée il y a quelque quinze ans par unbrave marchand pour recueillir les filles de joie qui se repententd’avoir été trop joyeuses… »

Dame Brigitte se voila la face et parvint à rougir.

« Or, Son Éminence a institué dans cette maison quelquescachots qui, je vous assure, sont très raisonnablementhorribles : on y meurt tout à la douce. Son Éminence ne metpas seulement dans les cachots des Madelonnettes les jolies fillesrepenties ou non, l’illustre cardinal y met aussi les vieillesbourgeoises comme vous dont rien ne saurait excuser larébellion…

– La rébellion ! Moi ! gémit la vieille.

– Dame, fit Rascasse, très bénin, vous serez en état derébellion si vous ne me remettez pas à l’instant la clef que SonÉminence m’a commandé de prendre chez vous.

– Quelle clef, doux Jésus ? Quelle clef ?

– Il y a une heure que je me tue à vous le dire :celle du logis de Trencavel !

– La voici ! dit la vieille en présentant la clef àRascasse. Et, surtout, dites bien à Son Éminence…

– Écoutez, interrompit Rascasse, essayez de dire à qui quece soit que je suis venu ici, et vous verrez comment est faite laclef de ces cachots où l’on meurt dans le salpêtre… »

Là-dessus, Rascasse s’éclipsa, laissant dame Brigitteeffondrée.

Rascasse pénétra donc dans le logis de Trencavel et courut à lafenêtre qui donnait sur l’hôtel de la rue Courteau.

« Pardieu ! s’écria-t-il in petto, voilà bience que je pensais ! J’ai vue sur l’hôtel de la nobledemoiselle. Il ne me reste qu’à me glisser dans ce beau jardin, etje ne suis plus Rascasse, le premier espion du cardinal, si jen’arrive à mettre le nez sur un indice quelconque… »

Rascasse établit au bout de sa corde un nœud coulant destiné àle saisir sous les aisselles. Puis il laissa filer la cordejusqu’au sol, le nœud coulant en haut par-dessus l’appui-main,faisant office de poulie ; de cette façon. Rascassedescendrait par son propre poids en modérant à son gré lavitesse.

Il était à quelques pieds de la fenêtre lorsqu’il suspendit netson mouvement de descente. Quelqu’un venait d’entrer dans le logisde Trencavel et parlait à haute voix…

 

À peine sa porte refermée depuis quelques minutes, à peineremise de son émotion, dame Brigitte vit entrer chez elle unpersonnage que, cette fois, elle reconnut aussitôt.

« Vous, mon révérend !

– Moi-même Ipsissimus. Frère Corignan vous salue,ma bonne dame. Je viens, de même qu’il y a quelque temps, faire unepetite visite au logis de ce traître de Trencavel.

– Vous aussi ! cria éperdument la vieille.

– Quelqu’un serait-il déjà venu ? fit vivementCorignan.

– Non, non, personne, je le jure, je ne sais rien, dites-lebien à Son Éminence, mon révérend !

– Et bien vous en prend de ne rien savoir, et surtout de nerien dire, car si vous révéliez la visite que je fais, n’oubliezpas qu’il y a au Temple et au Châtelet des fossés et des oubliettespour les gens convaincus de haute trahison. »

Corignan pénétra dans le logis.

Activement, il commença la visite. Il venait de fouiller unepièce et, passant dans celle où se trouvait la fameuse fenêtre,était tombé en arrêt devant un objet accroché au mur.

« C’est bien cela, dit-il enfin à haute voix, en hochantdouloureusement la tête, c’est bien lui, c’est…

– L’outil à saint Labre ! » fit une voix.

En même temps, par-dessus l’épaule de Corignan pétrifié, unemain saisit le martinet aux lanières plombées et le décrocha.Corignan se retourna et demeura saisi de stupeur.

« Monsieur Trencavel ! murmura-t-il enfin.

– Ipsissimus ! fit Trencavel en éclatant derire. Bonjour, frocard. Que viens-tu faire céans ?

– Monsieur Trencavel, je vous jure… je passais… »

Frère Corignan éprouva soudain une douleur qui lui fit pousserun hurlement. L’outil à saint Labre entrait en danse !

« Le reconnais-tu ? criait Trencavel. C’estlui ! »

Corignan ne le reconnaissait que trop. Il y eut poursuite,bousculade de meubles, et, finalement, Corignan se trouva acculé àla fenêtre. Trencavel, d’un mouvement rapide, le saisit par lesjambes et le fit basculer sur l’appui-main.

Disons-le : il ne voulait pas le précipiter, mais acheverde lui inspirer une terreur salutaire en le suspendant dans levide. Seulement, à cet instant les regards de Trencavel seportèrent sur le jardin – et il poussa un cri : Annaïs étaitlà.

Le maître en fait d’armes éprouva une violente émotion… sesmains s’ouvrirent… il lâcha prise. Frère Corignan tomba dans levide, la tête la première.

 

C’était elle… Elle se trouvait derrière un massif d’arbustes,derrière lequel elle venait de disparaître au moment même oùTrencavel venait de l’apercevoir. À quelques pas d’Annaïs, engroupe, Fontrailles, Liverdan, Chevers et Bussière. Près d’elle, uncavalier de haute taille, tout costumé pour le voyage :c’était Louis de Richelieu.

« Adieu donc, mon enfant, disait à ce moment Louis deRichelieu. En me conférant la dignité de cardinal, le roi m’aordonné de me rendre à Lyon ; et depuis trois jours déjà, jedevrais être en route ; il me sépare donc de vous. Cependant,prenez ceci. »

Il présentait à la jeune fille une bague en argent.

« Dès que vous aurez un doute sérieux sur les intentions demon frère, faites-moi parvenir cet anneau ; j’accourrai. Ets’il le faut, alors j’en appellerai à la justice du filsd’Henri IV. Adieu, mon enfant, je vous bénis.

– Adieu, mon père. »

Annaïs, alors, se rapprocha vivement du groupe des quatrechevaliers qui avaient assisté à cette scène.

« Messieurs, dit-elle, cette dignité de cardinal peut êtreun appât. Cette nécessité d’un prompt retour peut être un piège.Puis-je compter sur vous ?

– Madame, dit Bussière, nous avions déjà convenu de veillersur M. de Richelieu ; s’il y a un piège, il a dûêtre établi aux environs de Paris ; sans nous laisser voir, età distance, nous escorterons le voyageur jusqu’à Sens. »

Les choses ainsi arrangées, nos quatre chevaliers allèrent seposter hors de Paris, non loin de la porte Bordet, par où Louis deRichelieu devait sortir. Une heure plus tard, le nouveau cardinal,accompagné d’un seul serviteur, franchissait cette porte etcommençait son voyage, sans se douter qu’il était escorté etprotégé par quatre dévoués compagnons.

Rascasse, donc, s’était arrêté dans sa descente : unejoyeuse voix de basse taille éveillait de fantaisistes échos dansle logis de Trencavel.

« Qu’est ceci ? grogna Rascasse. Un rival ? Unami ? »

Une autre voix, soudain, se mêla à la première. Il y eut deséclats de rire, puis des cris, des gémissements, et, tout à coup,comme Rascasse, ébahi, levait la tête, il vit un grand corps noirfranchir la fenêtre et tomber dans le vide. Ce corps, dans un gested’instinct, se raccrocha à la partie de la corde qui filaitjusqu’au pied du mur, et Rascasse, entraîné par ce contrepoids pluslourd que lui, se sentit enlever dans les airs et remontermajestueusement vers la fenêtre. Un moment vint où Rascasse et legrand corps noir, l’un remontant et l’autre descendant, setrouvèrent face à face. Rascasse empoigna l’inconnu. Le mouvements’arrêta.

« Holà ! compère, hurla Rascasse, êtes-vous doncenragé, de vous jeter ainsi par les fenêtres ?

– Et vous-même, grogna la voix de basse taille, êtes-vousfol de vous promener dans les airs in aeribusnatans ?

– C’est Corignan !

– C’est Rascasse ! »

Rascasse soutenu aux aisselles par le nœud coulant de la cordemontante, se balançait dans les airs les mains libres. Corignan, aucontraire, ne se maintenait qu’en s’accrochant énergiquement à lacorde descendante. Se voyant le plus fort, Rascasse résolutd’infliger une défaite à son ennemi ! De toutes ses forces, illaissa tomber ses deux poings sur la tête de Corignan, et soudainil s’exclama :

« Tiens ! où est-il ?… Il fuit, lelâche ! »

Corignan ne fuyait pas : simplement, les coups reçusavaient remis en route le mouvement de bascule ; Corignandescendait – et Rascasse, naturellement, remontait d’autant.

« Puisses-tu descendre jusqu’au profond del’enfer !

– Ma vengeance m’attend là-haut ! hurla Corignan.Monte, monte jusqu’à l’outil de saint Labre ! »

« Le pauvre hère perd la tête ! » songeaRascasse.

 

Trencavel, donc, hypnotisé soudain par la vue d’Annaïs, avaitlâché Corignan dans le vide. Il vit partir Louis de Richelieu. Puisles quatre chevaliers, à leur tour, s’éloignèrent.

Demeurée seule, Annaïs, toute pensive, s’assit sur un banc – etelle disparut alors aux yeux de Trencavel. Alors se produisit dansson esprit l’irruption d’un irrésistible sentiment. Elle le prenaitpour un espion. Après l’affaire d’Étioles, que pouvait-ellepenser ? Il voulut le savoir à tout prix.

« Comment descendre ? murmura-t-il. Unecorde ! »

À ce moment, comme s’il eût été exaucé à point nommé ses yeuxtombèrent sur la corde passée sur la barre.

« Merci, hasard, mon ami ! fit-il, tout joyeux…Hasard ! Est-ce bien le hasard ? Ne serait-ce pas plutôtmessire Corignan ?… Oui, ma foi ! ajouta-t-il en sepenchant. C’est ce drôle lui-même qui avait placé cette corde. Ils’est raccroché… Le voici qui remonte… Holà ! hâtez-vous…

– Qui me parle ? » dit l’individu qui remontait,en atteignant le rebord de la fenêtre.

Trencavel, apercevant cette tête, recula d’un pas.

« Par tous les diables, c’est Corignan qui est descendu, etc’est Rascasse qui remonte ! Que signifie ?

– Je vais vous expliquer, monsieur, bégaya Rascasse ensautant dans la chambre.

« Eh bien, qu’est-il devenu ?… ho ! luiaussi !… par la corde !… »

Trencavel, en effet, avait enjambé la fenêtre et se laissaitrapidement descendre. Un instant, Rascasse demeura effaré, puis seremettant :

« Trencavel ! songea-t-il, et Annaïs ! Quel coupde maître, de les prendre ensemble ! L’infernal frocard y apensé, lui ! Je comprends maintenant. Cela ne serapas ! »

Et, se précipitant à son tour, Rascasse recommença la descente…Corignan était arrivé depuis deux minutes. En touchant le sol, sapremière idée fut de se glisser jusqu’à un bouquet de sureaux parmilesquels il se tapit. Frère Corignan prit à deux mains son vastefront et songea :

« Examinons les lieux, locos examinabos, diraitl’Évangile. Voici là-bas l’hôtel où gîte l’aventurière. Bon. Jetiens l’aventurière et le maître d’armes. Eh ! eh ! voiciquelqu’un descendant l’échelle. Et c’est le sacripant deTrencavel ! fit-il en tressaillant de joie.Bene ! Le voici à terre… Benissime ! Levoilà qui se dirige vers l’hôtel… Sûrement, le drôle va seconcerter avec la donzelle, j’ai une heure devant moi, je lestiens !… »

Trencavel passa à dix pas de Corignan et disparut à un tournantd’allée. Frère Corignan, alors, s’élança vers une porte basse qu’ilavait aperçue, et, en quelques instants, il fut dehors.

« La charité, mon révérend, pour l’amour de Dieu, de laVierge et des saints, la charité ! » nasilla unmendiant.

Corignan s’approcha et murmura :

« Que l’hôtel soit cerné. Que l’on suive quiconque sortira.Je reviens dans une demi-heure. »

Frère Corignan gagna aussitôt la rue Sainte-Avoye et, fila àtoute vitesse vers la place Royale.

Rascasse toucha le sol deux minutes après Trencavel, vers lemoment où frère Corignan crochetait la porte basse.

« Voyons ce que devient le frocard… Si Trencavel et Annaïsdoivent être pris, il faut que je sois seul à profiter… »

Rascasse, intensément, songeait à ce qu’il devait faire poursuivre Corignan à la piste, le paralyser, le rejeter au dernierplan de l’action, et s’emparer de tout le bénéfice que pourraitrapporter l’arrestation de Trencavel et d’Annaïs.

 

De la place Royale s’élançaient une vingtaine de gardes. À leurtête courait Saint-Priac. Corignan près de lui. Une joie terribledéferlait dans le cœur de Saint-Priac.

 

Trencavel aborda hardiment Annaïs. Le chapeau à la main, ilmarcha jusqu’au banc d’où elle le voyait venir sans étonnement…Sans étonnement… Pourquoi eût-elle été surprise de le voir,puisqu’elle l’attendait ?… Elle savait qu’il viendrait.

« S’il ne vient pas, c’est qu’il est mort de sesblessures. »

Il s’arrêta devant le banc et s’inclina.

« Comment êtes-vous entré ?

– Par la fenêtre, dit-il. Oh ! rassurez-vous, pas parune des vôtres. Mais par la mienne, là, celle que vous voyez sur cetoit. Je vous ai vue. J’ai eu grande envie de vous parler. Et, mafoi, je me suis laissé glisser. »

Annaïs hocha la tête, sourit, et dit :

« Puisque vous avez eu envie de me parler et que vousvoici, je voudrais bien savoir ce que vous avez à medire ?

– Écoutez ceci : mon père était un ferronnier ;moi, je suis maître en fait d’armes ; il n’y a pas de Parisienplus pauvre que moi. De plus, je m’appelle Trencavel, sansplus : pas la moindre terre, pas le moindre quartier denoblesse. Vous êtes, vous, la fille d’un roi. Mais je vousdis : Madame, j’ai voulu me faire tuer sous vos yeux parce quevous m’avez cru espion. Je suis venu vous prier… vous demander,ajouta-t-il dans un grondement furieux, vous demander de me dire, àmoi, Trencavel : « Ce que j’ai cru, monsieur, je ne lecrois plus ! » Parlez, madame, parlez, par le Ciel, ou cequi n’a pas eu lieu à Étioles… là… tout de suite… »

Sa voix s’étrangla. Son visage avait pâli. Ses lèvrestremblaient. Annaïs, alors, se leva. Il répéta :

« Dites que vous ne le croyez plus !Dites-le !…

– Je ne vous ai jamais cru », dit Annaïs.

Et elle comprit aussitôt que ce qu’elle venait de dire étaitdécisif. Il lui était facile de simplement répéter la paroledemandée par Trencavel : c’était une suffisante réparation. Saparole, à elle, était un geste de signification profonde, de portéelointaine.

« Madame, dit Trencavel d’une voix tremblante, toute parolede remerciement serait indigne de la parole généreuse que vousvenez de prononcer. Madame, laissez-moi mettre mon corps, mon cœur,mon âme entre vos ennemis et vous. Le jour où vous serez vraimentdélivrée, je m’écarterai… je vous le jure. »

Annaïs était bouleversée.

« Monsieur Trencavel, dit-elle doucement, vous m’avez unjour donné ici une leçon d’escrime que je n’ai pas oubliée, que jen’oublierai jamais… Vous venez de me donner une leçon de générositédont, toute ma vie, je me souviendrai… À mon tour, monsieur. Votreépée, votre sang, le secours que vous m’offrez, je les accepteraissi j’étais menacée, et je me croirais alors mieux protégée que nepeut l’être une reine… Si j’étais menacée ! Maisl’intervention de l’archevêque de Lyon, plus en faveur que jamais,puisque le roi l’a nommé cardinal, les instances de ce digneseigneur auprès de son frère et de Sa Majesté ont détourné de moitout danger… »

Elle hésita deux secondes. Peut-être que se levait en elle unlointain et inconscient regret…

« Monsieur Trencavel, soyons amis, dit-elle tout à coup, sarésolution prise. Effacez de votre esprit le souvenir de nosprécédentes rencontres, et, comme moi, gardez seulement celui decette soirée. Adieu, monsieur Trencavel. »

Elle se tourna vers la sombre masse de l’hôtel, maintenant àpeine distincte dans la nuit, comme si elle eût signifié au maîtreen fait d’armes que l’audience était terminée. Soudain… ungémissement, là, dans l’ombre… puis un cri… puis une forme noire sedessina, chancelante… une voix râla :

« Alerte !… »

Annaïs bondit. Trencavel se redressa, l’oreille tendue… La formenoire s’affaissa en répétant :

« Alerte !…

– Toi, Lancelot ! » cria Annaïs en se penchantsur l’homme.

C’était un vieux serviteur qui, seul, assurait le service de lamaison avec une fille de chambre. Le sang coulait à flots par unelarge blessure qui ouvrait la gorge.

« Ils sont là… plus de trente, prononça-t-il dans unsouffle. Fuyez… Saint-Priac… il… »

L’homme n’en dit pas plus long. Il exhala un soupir et demeuraimmobile pour toujours… Une larme brûlante jaillit des yeuxd’Annaïs : elle aimait ce vieillard.

« Ah ! cria Trencavel, vous voyez bien que j’ai encorele droit de me faire tuer pour vous !… Cette épée, cette vie,ce sang qui sont à vous, voulez-vous les prendre ?

– Je les prends ! dit Annaïs éperdue.

– Eh bien, en avant ! » rugit Trencavel.

 

La troupe de Saint-Priac était arrivée rue Courteau. Dix hommesfurent placés devant la porte. Au pied de chaque fenêtre, il y eutun groupe de trois gardes. Puis, dirigé par Corignan, Saint-Priacmarcha sur la porte basse que le capucin avait laissée entrouverteen s’en allant. Il avait avec lui huit de ses hommes les plusrésolus et les plus habiles.

 

Nous avons laissé Rascasse méditant sur les moyens qu’ilpourrait employer pour s’emparer à lui seul d’Annaïs et deTrencavel.

Lorsque Rascasse revint à la réalité pratique, il faisait nuit.Retrouver la piste de Corignan fut sa première idée. C’était un jeupour lui. Cette piste le conduisit jusqu’à la porte basse restéeentrouverte.

« Il est clair que le misérable frocard est passé là,grommela Rascasse, en examinant la serrure. Il a tiré les verrouset crocheté la fermeture. Puis il s’est élancé chez lecardinal ; or, s’il est sorti par cette porte, c’est aussi parlà qu’il voudra rentrer. Donc, c’est ici même que je doisl’attendre. »

Bientôt, son oreille exercée perçut dans le profond silence dela rue des bruits vagues qui, pour lui, avaient une signification.Il se redressa et murmura :

« Ils placent des postes… ils vont venir… Tiens, qu’estceci ?… »

Une petite lumière s’avançait dans le jardin. Le vieux Lancelot,lui aussi, venait d’entendre ! En un instant, il fut à laporte.

Dans la rue, Corignan marchait en tête. Il poussa la porte d’uncoup de genou ; elle résista. En même temps, il entendit,derrière, une respiration courte et haletante.

Il poussa plus violemment. La porte s’entrebâilla largement.Saint-Priac, par-dessus l’épaule de Corignan courbé, passa son brasarmé d’un poignard et frappa d’un seul coup rude. Il y eut un criétouffé, un bruit de pas chancelants.

« Victoire ! grogna le moine en se ruant dans lejardin. En avant ! » fit-il en se retournant.

Et il demeura hébété. Ni Saint-Priac, ni ses hommes lesuivaient. La porte, violemment, s’était refermée… Corignanentendit qu’on poussait le double verrou.

« Ouvre ! criait Saint-Priac.Hâte-toi ! »

Corignan, effaré, s’avança sur la porte. Mais, au moment del’atteindre, il fut renvoyé à quatre pas en arrière par un chocviolent dans l’estomac.

« Monsieur de Saint-Priac, le diable m’empêche de…

– Le diable t’emporte ! vociféra Saint-Priac. Tupayeras cher ta trahison… À la grande porte, vousautres ! »

Toute la troupe se précipita vers la porte de l’hôtel.

« Au nom du roi ! » tonna Saint-Priac enmanœuvrant le marteau à tour de bras.

Et comme nul ne répondait de l’intérieur :

« Enfoncez-moi cela ! »

« Ma trahison ! rugit Corignan épouvanté. Quoi !la prise de Trencavel devait être mon chef-d’œuvre, et ce seraitici ma perte ! Et le cardinal me croirait traître à safortune ! »

Il dit, et, de nouveau, il marcha sur la porte diabolique. Lemême coup terrible, au même endroit, l’atteignit à toute volée.Corignan, cette fois, fut renversé.

« Je reconnais ce boulet de canon, cria-t-il furieusement.C’est la tête de Rascasse !

– Elle-même, fit Rascasse. Écoute bien, frocard, leSaint-Priac va te dénoncer au cardinal, qui croira que tu l’astrahi. Tu es perdu.

– Je me rends !

– Bon. Et moi, je te donne merci. Non content de cela, jete sauve aux yeux du cardinal si tu veux partager avec moi lebénéfice de la prise de Trencavel.

– Ah ! ah !… dit Corignan. C’est donc cela qui tetient au cœur ?… Eh bien, j’accepte !

– Oui, fit Rascasse, en présentant toujours la pointe d’unpoignard, mais ce larron de Saint-Priac va tirer à lui toute lacouverture. Il faut ici, compère, montrer que nous avons du génie,faire un peu enrager ce matamore, lui jouer un tour de notre façonet paraître devant le cardinal comme les seuls artisans de la ruinede Trencavel et de Lespars.

– Ordonne, Rascasse, et j’obéirai.

– Eh bien, en route ! » dit Rascasse en serelevant.

À l’instant même, Corignan fut debout, et, au jugé, levabrusquement son genou, dont il se servait aussi bien que du poing.Rascasse fut atteint à la mâchoire.

« Combien de dents, cette fois ? dit le capucin.

– Deux ! fit loyalement Rascasse. Il m’en restevingt-quatre. De quoi te manger le cœur, frocard, lorsque jen’aurai pas besoin de toi. Allons, viens. »

Quelques instants plus tard, ils étaient dans l’hôtel…

À peine y étaient-ils qu’ils entendirent dans le jardin desbruits de pas rapides et légers. C’étaient Trencavel et Annaïs quiarrivaient… À tout hasard, Rascasse ouvrit la porte située aumilieu du couloir, poussa Corignan dans l’escalier et s’y jetalui-même en refermant. À ce moment, Trencavel et Annaïs entraientdans le couloir. Trencavel barricada solidement la porte quidonnait sur le jardin.

« Avez-vous du monde dans l’hôtel ? demanda-t-il àAnnaïs.

– Le malheureux qui vient de mourir pour moi était ici monseul serviteur. – Mariette ! » appela-t-elle, dominant dela voix le tumulte de la rue.

La fille de chambre ne répondit pas : aux premiers coupsportés par les gens de Saint-Priac, prise de panique, elle avaitgrimpé jusqu’au grenier où elle s’enferma et tomba dans un coin ense bouchant les oreilles.

« Seul ! murmura Trencavel. Je suis seul à ladéfendre !… »

Les coups retentissaient. On entendait la voix de Saint-Priac,âpre, rauque, jetant des ordres furieux… À ce moment quelqu’undéboula de l’escalier.

« Mariette ! » cria Annaïs.

La fille de chambre n’entendit pas. Elle passa en courant etalla s’engouffrer dans l’escalier de la cave.

« Laissez, dit Trencavel à Annaïs qui s’élançait. Nousdevons choisir notre poste de combat.

– De combat, oui. Combat à mort. Je me ferais tuer plutôtque de tomber aux mains de Saint-Priac !

– Vous le haïssez, mais il vous aime, lui !

– C’est l’assassin de ma mère, dit sourdement Annaïs.

– Mademoiselle, dit-il, si nous sortons d’ici vivants, jevous jure que cet homme mourra de ma main.

– Je vous le défends. Saint-Priac m’appartient.

– Je vous obéirai donc. – Maintenant, montez, mademoiselle.– Je suis forcé de vous prier de me montrer votre hôtel. »

Au premier étage, il y avait un large escalier que Trencavelexamina d’un coup d’œil. Il piqua le tapis de la pointe de son épéeet dit :

« C’est ici que Trencavel vaincra ou mourra. »

Les gardes s’excitaient. La résistance de cette porte lesexaspérait. À demi éventrée, la porte se défendait encore. Tout àcoup, elle s’abattit. Dix, quinze gardes se ruèrent ensemble.

En un instant, le vaste vestibule s’emplit de lumière et debruit, les torches agitées jetèrent des lueurs d’un pourpre sombre,les bouches crispées jetèrent des vociférations :

« En haut ! En haut ! En avant !… Enav… »

Le cri ne s’acheva pas, ou plutôt il se transforma en clameur dedétresse et d’épouvante. De là-haut, une masse, une chosemonstrueuse tombait en avalanche, et, avec un fracas formidableroulait, bondissait, et, finalement, écrasait trois des plusavancés, puis la chose se disloquait, s’éparpillait en morceaux…C’était un coffre, un énorme coffre que Trencavel venait de poussersur les assaillants. Et comme la meute, une deuxième fois, selançait à l’assaut, Trencavel saisit un fauteuil, et, à toutevolée, le précipita. Un escabeau suivit. Puis un autre. Et uncandélabre décrivit sa trajectoire. Une grêle de projectiles. Unecervelle sauta. Des crânes furent défoncés…

Le vestibule était désert… Il n’y avait plus que les morts, lesagonisants, parmi des choses fracassées…

Les gardes, assemblés autour de Saint-Priac dans la rue,délibéraient. Annaïs se pencha sur la dévastation du vestibule.Puis elle se tourna vers Trencavel et lui jeta un regard étrange.Elle tenait son épée à la main. Elle semblait très calme.

« Les mousquets ! » dit Saint-Priac.

Les mousquets furent chargés. Sept de ses hommes étaient tués,cinq hors de combat. Les mousquets ! il n’avait pas voulu lesemployer d’abord : c’est vivante qu’il lui fallait Annaïs.

« Visez l’homme seul ! Malheur si elle estblessée !… »

Douze gardes entrèrent et se rangèrent en peloton dans levestibule, la mèche allumée. Trencavel pâlit.

« Feu ! » hurla Saint-Priac, ivre de rage.

Le tonnerre roula sous les voûtes du vestibule.

La bande entière s’élança, Saint-Priac en tête.

 

Rascasse et Corignan avaient descendu avec précipitationl’escalier de pierre au bas duquel une petite lampe en fer,accrochée à un pilier, éclairait vaguement une rotonde sablée.

« Oh ! Oh ! fit Corignan en jetant un regard dejubilation sur une pyramide de bouteilles dressée contre le mur.Voyons, compère, expliquez-moi votre plan.

– Eh bien, je vais remonter là-haut, attendre queSaint-Priac soit entré, et lui soutenir que Trencavel est ici,caché dans cette cave… il descend… nous l’enfermons… et… »

La porte de la cave, là-haut, s’ouvrit subitement, se refermaaussitôt, et les deux espions, stupéfaits, virent descendre à toutevitesse une femme, une jeune fille, qui poussait des crisinarticulés.

« Grâce, messieurs les gardes, ne me faites pas demal !

– Ma fille, dit Corignan, il faut vousconfesser. »

Cette Mariette était une Parisienne que la duchesse de Chevreuseavait donnée à Mlle de Lespars. Annaïs s’endéfiait un peu mais n’avait pas de reproche grave à lui adresser.C’était une assez fine mouche, nerveuse, évaporée. Au demeurant,bonne et honnête fille incapable de trahison.

« Que faut-il que je confesse ?

– Confessez d’abord où sont les jambons, dit Corignan.

– Mais, pour Dieu, mon révérend, pourquoi ces gardes,là-haut ? Pourquoi enfonce-t-on notre porte ?

– Les jambons ! » dit Corignan d’un tonpéremptoire. Mariette sourit et le conduisit à un caveau où, d’unjoli geste, elle montra tout un alignement de victuailles diverses.Corignan décrocha un jambon qu’il se mit à déchiqueter à l’aide deson poignard, en prenant place sur le sable.

« Merci, ma fille, dit-il. Ce n’est pas tout, il fautachever de vous confesser.

– Que faut-il que je confesse à cette heure ?

– Allons, ne fais pas la bête. Hâte-toi, car il est tempsque je remonte là-haut pour m’emparer de Trencavel, de la raffinéed’honneur, de ce sacripant de Saint-Priac. Viensça ! »

Au lieu de venir, Mariette recula de plusieurs pas, effrayée parles yeux flamboyants de l’espion, son rire, et les mainstremblantes qu’il allongeait. Corignan s’avança en grommelant.Mariette se sauva, affolée, poursuivie. Il y eut un grand bruit debouteilles s’effondrant, puis un cri de Mariette épouvantée, puisun rugissement de Corignan qui abattit sa poigne sur lapauvrette :

« Je la tiens !…

– En avant ! » hurla une voix en haut del’escalier. Rascasse l’avait remonté, cet escalier, laissant sonacolyte aux prises avec les démons de la gourmandise et de laluxure. Le petit espion referma la porte, mais sans tourner lagrosse clef dans la serrure. Il s’avança le long du couloir, versla bataille du vestibule.

À ce moment, il vit les mousquets se ranger en bataille.

« Feu ! » rugit Saint-Priac.

Quelques minutes d’un effroyable silence. La fumée se dissipait.Saint-Priac attendait, immobile, convulsé. Trencavel et Annaïsavaient disparu.

Où est Trencavel ?… Où est Annaïs ?… Morts ?…Non !… Les voici, là, dans le salon, tout près de la porte.Oui, à l’instant où les mèches enflammées se sont approchées desmousquets, à l’instant où le hurlement de « Feu ! »a retenti, c’est elle qui, dans un élan terrible de ses forcesdécuplées, de son âme transportée hors du réel, a soulevé Trencaveldans ses bras, et, d’un bond, s’est jetée dans la salle.

En bas, Saint-Priac et ses douze arquebusiers attendaient. Lepalier apparut peu à peu. Les gardes s’avancèrent. À ce moment,quelqu’un bondit jusqu’à Saint-Priac et dit :

« Venez ! Elle se sauve !… »

C’était Rascasse. Saint-Priac eut un hurlement dejoie :

« Où ?

– J’ai vu une femme se jeter là… C’est elle… Quivoulez-vous que ce soit ?… Corignan l’a suivie… Sans doute,une fois Trencavel tué, elle est redescendue par un autre escalier…Venez… Mais venez donc !… »

Rascasse ouvrit la porte de la cave. Saint-Priac se pencha, etalors un cri monta jusqu’à lui :

« Je la tiens !…

– En avant ! vociféra Saint-Priac. Tenez bon,Corignan !… »

Toute la bande dévala l’escalier de la cave. Une fois que ledernier garde se fut précipité, Rascasse ferma la porte et donna undouble tour de clef… Il rentra dans le vestibule et commença àmonter vivement.

« Ah ! misérable ! Ah ! traître !Ah ! c’est ainsi ! J’ai fait cela, moi, moi,Rascasse ! Et comment les arrêter, maintenant que je suisseul ?… Tant pis, je me risque à les arrêter à moi toutseul ! »

Tout à coup, il fut en présence de Trencavel et d’Annaïs.

« La route est libre, dit-il, fuyez.

– La route est libre ! frémit Trencavel. EtSaint-Priac ?

– Il arrête Mlle de Lespars dans lacave. Entendez-vous le vacarme ? »

Trencavel ne comprit pas. Mais il se rua sur le palier.Oui ! La route était libre !… Il saisit sa rapière ethaleta :

« Venez !… »

Annaïs s’avança, l’épée à la main, Trencavel jeta un profondregard à Rascasse et lui dit :

« Votre carrière est brisée. Venez avec moi. »

Rascasse secoua la tête et répondit :

« J’appartiens à Son Éminence. »

Le maître en fait d’armes salua l’avorton et descendit. Annaïsle suivait.

« Veuillez, monsieur, me conduire jusqu’à l’hôtel deChevreuse. »

Ils se mirent en route, sans un mot. Fini le songe héroïque…

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