L’Héroïne

Chapitre 16LE ROI LOUIS XIII

À la pointe du jour, le cardinal de Richelieu était debout. Leroi devait aller à Fontainebleau et l’avait mandé pour huit heuresdu matin : Son Éminence, toute la nuit, avait attendu leretour de Saint-Priac. Ni Saint-Priac, ni Rascasse, ni Corignan.Vers sept heures, le cardinal se rendit au Louvre.

Anne d’Autriche était déjà arrivée, ayant quitté le Val-de-Grâceà six heures pour se rendre aux ordres de son royal et tyranniqueépoux.

Dans les antichambres, les femmes de la reine attendaient. L’unede ces femmes, jeune, belle, guettait l’arrivée du cardinal.C’était Mme de Givray. Elle s’approcha de luiet, tandis qu’elle s’inclinait sous sa bénédiction, d’une voixbasse :

« La reine a eu encore une entrevue avec Monsieur.

– Monsieur était-il seul ?

– Le maréchal d’Ornano l’accompagnait… »

Et l’espionne, d’un pas léger, rejoignit les dames, aveclesquelles elle se mit à rire.

Richelieu fut introduit dans les appartements du roi. Au mêmemoment, Anne d’Autriche y entrait par une autre porte.

Richelieu, qui avait vu toutes les têtes se courber sur sonpassage, courba la tête à son tour.

« Sire, dit-il, je me rends aux ordres de Votre Majesté et,en même temps, j’ai l’honneur de lui annoncer que je m’installeaujourd’hui dans mon nouveau palais. »

La reine ne broncha pas.

« Sire, dit-elle froidement, je venais demander à VotreMajesté la permission de ne pas l’accompagner à Fontainebleau et derester en mon pauvre logis du Val-de-Grâce… »

Déjà, la colère montait au front de Louis XIII. Richelieu luifit un signe imperceptible. Le roi demeura un instant étonné, maisle cardinal ayant répété ce signe :

« Faites donc à… votre guise, madame. »

Anne d’Autriche fit une révérence au roi et sortit sans tournerles yeux vers le cardinal, livide d’amour et de rage.

« Sire, dit alors le cardinal, il est bon d’inspirerconfiance à la reine. C’est pourquoi j’ai prié Votre Majesté de luilaisser toute latitude. Mais je suis là, et je veille. »

Louis XIII jeta sur son ministre un regard noir de haine etpeut-être aussi de désespoir.

« Je suis las, dit-il de ce ton morne qu’il perdait bienrarement. Tout cela m’épouvante et me déchire le cœur. Ainsi donc,Gaston… mon frère ! oui, mon frère, aurait osé… Ah !monsieur, quel terrible veilleur vous êtes !… J’eusse aimémieux ne pas savoir ! »

Louis XIII, pendant quelques minutes, demeura silencieux.

« Voyons, reprit-il, vous dites donc qu’il est question dem’enfermer dans un couvent ou une tombe, et que la reine épouseraitalors mon frère, devenu roi à son tour ?

– Oh ! sire, dit enfin Richelieu avec une tranquillitésinistre, n’exagérons rien. Le Ciel en soit loué, ni la reine niMonsieur n’ont formé d’aussi exécrables projets. Il a été ditseulement que, si le roi venait à mourir, son frère monterait toutnaturellement sur le trône et qu’alors ce serait presque un devoirpour lui que de ne pas renvoyer la reine en Espagne… Voilàtout !

– Dans ma famille ! continua Louis XIII. Mon proprefrère !

– Sire, dit Richelieu en s’inclinant, j’ai l’honneur devous demander l’arrestation de mon frère Louis deRichelieu. »

Louis XIII releva vivement la tête.

« Oui, dit-il lentement. Je vous comprends, monsieur. Iln’y a plus de famille, plus de frère, plus d’épouse, n’est-ce pas,dès qu’il s’agit de politique ?

– Dès qu’il s’agit du salut de l’État, Sire.

– Soit. Qu’a fait le nouveau cardinal contre le salut del’État, voyons… dites-moi cela, vous, son frère.

– Il a désobéi au roi et n’est sorti de Paris que cettenuit. Or, si je vous ai demandé le chapeau pour mon frère, c’étaitpour l’éloigner de Paris. Et si j’ai voulu l’éloigner de Paris,c’est qu’il soutient les prétentions de cette aventurière…

– La fille de cette pauvre Lespars ?

– Oui, sire. Elle a trouvé en mon frère le plus ardentdéfenseur…

– Mais si c’était vrai, pourtant ? SiMlle de Lespars était réellement la fille demon père ?

– Elle n’en serait que plus dangereuse. Mais c’est uneimagination de celle que vous daignez appeler cette pauvre Lesparset qui était bien la plus redoutable coureuse d’aventures… Sire,ces chimériques prétentions peuvent porter le trouble dans notrenoblesse, déjà peu disposée à la discipline que nous devons luiimposer. Je vous demande l’arrestation de mon frère…

– Monsieur le cardinal, j’ai beaucoup d’amitié pour votrefrère. Je ne veux pas…

– Mais, sire ! interrompit Richelieu.

– Lorsque le roi a dit : « Je veux ou je ne veuxpas », dit Louis XIII, il ne reste qu’à obéir. Je veux que monnouveau cardinal regagne paisiblement sa ville de Lyon…

– Les désirs de mon roi sont des ordres pour moi.

– Vous pouvez dire ma volonté, cardinal. Et, maintenant,achevez. »

Richelieu eut un geste imperceptible de colère.

« Sire, reprit-il, il faut hâter l’union de Monsieur avecMlle de Montpensier. Ainsi s’étoufferont lesbruits, tomberont les suppositions et s’écrouleront les espoirs.Ainsi Monsieur sera séparé de Sa Majesté la reine mieux encore quepar les murs d’une prison. Ainsi nous l’aurons arraché aux conseilsperfides de ceux qui l’entourent.

– Nommez-les, dit le roi d’une voix altérée.

– La duchesse de Chevreuse, la princesse de Condé,M. de Vendôme, son frère le grand-prieur, tous ennemis deVotre Majesté ; j’en aurai bientôt les preuves.

– Et en attendant ces preuves ?

– Frapper un coup pour avertir les audacieux que la foudreest là, toute prête à les pulvériser ! Saisir le plus actif deces mauvais conseillers, celui-là même qui a le plus d’ascendantsur le faible esprit du duc d’Anjou…

– Le maréchal d’Ornano ?

– Oui, sire, celui qui a été le gouverneur du prince en estdevenu l’âme damnée. Je viens d’apprendre qu’Ornano a eu encore uneentrevue secrète avec… la reine, sire ! »

Louis XIII était livide.

« Vous pouvez vous retirer, monsieur lecardinal. »

Richelieu s’inclina et, sans bruit, quitta l’appartement royal.Le soir même, Ornano était enfermé dans un carrosse qui partaitaussitôt. Dans la nuit, la prison roulante s’arrêta dans la cour duchâteau de Vincennes et, bientôt, la porte d’un cachot se refermaitsur le prisonnier.

Le lendemain matin, l’arrestation d’Ornano faisait grand bruit àla ville et à la cour. Une foule de gentilshommes exprimaient touthaut leur indignation. La reine était accourue au Louvre, sedemandant si ce coup de tonnerre ne présageait pas quelque terribleorage pour elle. Monsieur était là aussi, jurant, tempêtant, criantqu’il allait faire relâcher le maréchal.

Seule, la princesse de Condé, pour l’amour de qui Ornano avaitrisqué sa liberté et sa vie, était absente.

Le roi, dans ses appartements, entendit les murmures de toutecette foule qui encombrait les antichambres. Le duc d’Anjou pénétrachez son frère. Dans le salon privé qui précédait le cabinet royal,il trouva la reine. Le roi parut sur la porte de son cabinet. Enmême temps, à l’autre bout du salon, apparaissait Richelieu, entrésans bruit. Gaston fit deux pas vers le cardinal.

« Est-ce vous ? Dites ! Est-ce vous qui avezarrêté mon ami, mon gouverneur, mon père !

– C’est moi !

– Holà ! Holà ! cria le roi en saisissant Gastonpar le bras. Entrez là, mon frère ! »

Et il le poussa dans le cabinet où il rentra lui-même en mêmetemps que la reine.

« Sire, dit la reine, j’étais venue supplier Votre Majestéd’adoucir ses rigueurs contre un homme qui est de mes fidèles.

– C’est moi, madame, gronda Louis XIII, qui ai fait saisirvotre Ornano. Avant d’être de vos fidèles, j’entends qu’on soitfidèle à l’État, au roi ! Vos fidèles conspirent, madame, etpuisque vous les soutenez, c’est que vous-même…

– Sire, dit Anne d’Autriche avec ce suprême dédain quiseyait merveilleusement à sa hautaine beauté, je crois que vousallez insulter la reine de France. Adieu, sire ! Il convient àma dignité de ne pas en entendre davantage. Mais l’Europe seraétonnée quand elle apprendra comment on ose traiter à la cour deFrance une fille de la maison d’Autriche. »

Avant que Louis XIII eût pu relever cette menace à peinedéguisée, Anne avait quitté le champ de bataille. Gaston tremblait.Louis XIII se promenait avec agitation.

« Qu’on fasse entrer M. le cardinal ! »ordonna-t-il.

Puis, se retournant vers Monsieur :

« À nous deux, mon frère !

– Sire, dit Richelieu qui entrait et jugea d’un coup d’œill’état d’esprit de Gaston, sire, voulez-vous me permettre dedemander à son Altesse en quoi j’ai pu mériter sa colère ?

– Je l’avoue, dit Monsieur, je suis venu au Louvre toutfurieux contre vous, monsieur le cardinal… Eh ! poursuivit-ilen voyant le geste qu’esquissait son frère, ce n’est pas à cause devotre Ornano, Sire ! »

« Sublime ! » murmura Richelieu en lui-même.

Le votre était sublime, en effet, sublime delâcheté.

« Eh bien, fit le roi, dites-nous le vrai sujet de cettegrande colère.

– Sire, dit Gaston, j’ai été insulté et je ne suis pasencore vengé. Moi, votre frère, moi, fils d’Henri IV, je n’obtienspas les réparations qu’obtiendrait le dernier bourgeois deParis. »

Louis XIII fronçait le sourcil.

« Si j’avais su, continua Gaston triomphant, que lemaréchal était accusé d’entreprises contre l’État, je l’eussearrêté moi-même. En tout cas, je me fusse bien gardé de prendre ceprétexte pour laisser éclater ma légitime indignation. Car VotreMajesté le devine, ce n’était là qu’un prétexte. Est-il vrai,cardinal, qu’à deux reprises différentes, j’ai porté plainte contreun maître en fait d’armes du nom de Trencavel ? Cet homme, parses paroles, ses gestes, toute son attitude, a commis sur moi uncrime de lèse-majesté, car il n’ignorait pas qui j’étais.

– Est-ce vrai, cardinal ? gronda Louis XIII.

– Oui, sire. Et j’ai bien reçu les plaintes légitimes dontparle Son Altesse.

– Et Trencavel n’est pas encore arrêté ! criaGaston.

– Sire, dit Richelieu, des ordres ont été donnés augrand-prévôt. Si ce Trencavel n’est pas encore arrêté, c’est quec’est un diable à quatre…

– Ah ! vois-tu, Gaston, que le cardinal s’occupe de tevenger ?

– Oui, sire, fit Monsieur, feignant de bouder encore, et jeremercie Son Éminence. »

Le cardinal fit un signe à Louis XIII qui, sans doute, lecomprit.

« Monsieur mon frère, dit le roi avez-vous pris enfin unerésolution ? Êtes-vous enfin décidé à ce mariage qui nousagrée en tous points ?

– Que Votre Majesté me choisisse une femme à mon goût, ditGaston, et je suis prêt aux épousailles.

– Cardinal, fit Louis XIII, vite, une femme pour ce vieuxgarçon de dix-huit ans !

– Eh bien ! dit le cardinal en souriant, je ne voisque Mlle de Montpensier…

– Eh bien ! reprit le roi, qu’en dis-tu,Gaston ?

– Sire, puisque vous voulez mon avis, je n’aime pointMlle de Montpensier…

– Il ne s’agit pas d’amour. Il s’agit de politique. Voyons,mon bon frère, fais cela pour M. le cardinal… et pourmoi !

– Eh bien, sire, j’accepte ! Mais laissez-moi deux outrois mois pour m’habituer à l’idée de me marier avec lapolitique !… »

Gaston n’avait que dix-huit ans, mais il était passé maître enfourberie. Il affecta de se plaindre d’être forcé d’épouser lapolitique, et ses plaintes furent si comiques que le roi se mit àrire aux éclats.

« Monsieur le cardinal, dit tout à coup Gaston, puisquenous sommes maintenant d’accord, je veux vous rappeler une promesseque vous me fîtes…

– Laquelle, monseigneur…

– Celle de me montrer votre castel de Fleury.

– Votre Altesse Royale me comble…

– Non pas, ventre-saint-gris !… Je veux que tout lemonde voie bien combien nous sommes amis. Quel jour voulez-vous metraiter en votre Fleury avec quelques-uns des miens ?…

– Je prendrai le jour de Votre Altesse…

– Eh bien, dit Gaston, nous sommes aujourd’hui à vendredi.Je viendrai lundi.

– Gaston, dit Louis XIII avec émotion, tu es vraiment bonfrère ! »

« Lundi, songeait le duc d’Anjou, lundi, le cardinaltombera sous nos coups ! »

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