L’Héroïne

Chapitre 25MARCHE DE LOUVIGNI

Le lendemain fut levé le camp de La Madeleine et le roi se miten route pour sa ville de Nantes. Revenons à cette auberge du Dieud’Amour où Marine attendait en vain le retour de Corignan, où lechevalier de Louvigni, avec des soins fraternels, achevait deguérir le comte de Chalais.

Nous avons dit que Marine était libre dans l’auberge.

Cette vaillante soubrette s’était mis dans la tête de servirencore sa maîtresse et ses amours, en sauvant le comte deChalais.

Un matin de bonne heure, Marine vit Louvigni dans la cour del’auberge. Il avait fait sortir son cheval de l’écurie etl’inspectait avec soin. Lorsque l’inspection fut terminée, oncommença à harnacher la bête. Louvigni, après quelquesrecommandations à maître Panard, sortit de l’auberge. Marinecomprit que ce départ en précipitation allait sûrement modifier lasituation du comte de Chalais. C’était le moment où jamaisd’essayer de le sauver.

Marine descendit dans la cour et fit harnacher la haquenée aveclaquelle elle était venue de Blois.

Voyant une pince luire au soleil, elle la saisit et monta droità la chambre de Chalais. Elle tira d’abord les deux forts verrousque Louvigni avait fait placer à l’extérieur. Puis, à haute voix,elle dit :

« Monsieur le comte, c’est moi. Je vais tenter de vousdélivrer. Aidez-moi si vous pouvez ! »

Louvigni, vers le milieu du bourg, s’arrêta devant une belle etsolide maison carrée qu’on appelait l’hôtel du gouvernement, bienqu’il n’y eût pas, en réalité, de gouverneur à Beaugency, maissimplement un officier royal qui relevait du château de Blois.Louvigni tendit à l’officier un parchemin :

« Lisez, monsieur. »

Le parchemin, signé de Richelieu, fut lu scrupuleusement parl’officier du roi qui, le rendant à Louvigni, dit alors :

« C’est bien, monsieur, que faut-il faire ? Etd’abord, où est le comte de Chalais qu’il s’agitd’arrêter ?

– À l’auberge du Dieu d’Amour.

– Très bien. Je vais envoyer…

– Inutile. Il s’agit simplement d’amener un bon carrossedevant l’auberge et de me donner huit hommes d’escorte pourconduire le prisonnier.

– Pour quand le carrosse ?

– Tout de suite, dit Louvigni, d’un ton bref. Un carrossefermant bien. Huit hommes d’escorte bien armés. Je vais attendredevant l’auberge. »

Il s’éloigna sans saluer, de son pas très calme. L’officierdemeura pétrifié. Puis il se hâta d’aller donner les ordresnécessaires.

Louvigni, sans hâte, se dirigea vers l’auberge.

Au bout d’une demi-heure, il vit le carrosse qui arrivait au pasde ses deux chevaux. Huit cavaliers suivaient.

« Enfin ! » gronda Louvigni.

Il fit mettre pied à terre à quatre des cavaliers et leurdit :

« Vous saisirez l’homme et lui lierez les mains. S’ilrésiste, défense de le frapper. »

Il monta le premier le sombre escalier de bois. Vers la sixièmemarche, Louvigni heurta du pied quelque chose de mou. Il baissamachinalement la tête et vit là quelqu’un de couché entravers : un ivrogne ? Il se baissa davantage et,soudain, reconnut Panard. L’aubergiste était mort ou évanoui,perdant le sang par une large blessure près de la gorge.L’épouvante s’abattit sur Louvigni. Brusquement, il fut dans lecouloir et vit la porte de la chambre-prison, la porte grandeouverte. D’un bond, il fut à l’intérieur.

Il n’y avait plus de Chalais.

Louvigni, à ce moment, eut comme un lamentable gémissement. Sonregard fixe jaillit de ses prunelles arrondies, élargies. Il yavait de la folie dans ce regard. Les hommes d’armes qui arrivaientà ce moment le virent s’affaisser sur le bord du lit de Chalais etentendirent un sanglot qui les fit reculer.

Lorsqu’il eut retrouvé son calme, Louvigni descendit etinterrogea la servante. Celle-ci, d’abord affolée, raconta ce quis’était passé et comment maître Panard avait reçu un coup de dagueen voulant s’opposer à la fuite de Chalais.

Quand elle eut terminé, Louvigni lui demanda quelle directionChalais avait prise.

« Route de Blois, mon gentilhomme, route deBlois !… »

Louvigni, alors, sans un mot, prit un des chevaux des cavaliers,car Chalais était parti avec le sien, et sauta en selle.

Louvigni s’arrêta une heure à Blois. Il y apprit que le roi etle cardinal étaient partis directement pour Tours et Nantes ;à cette heure, ils avaient atteint probablement le but de leurvoyage. Il y apprit aussi l’arrestation du duc de Vendôme et duGrand-Prieur, la dispersion des conjurés.

Il ne demanda pas ce qu’était devenue la duchesse de Chevreuse.Il brûlait de désir de prononcer son nom, de savoir où elle était,ce qu’elle faisait. Mais il n’osa.

Il raisonnait cependant et avec une grande lucidité. Ils’affirma que sa trahison n’était guère connue que de Chalais, quin’avait sûrement pas eu le temps d’en informer les conjurés. Il serendit à l’hôtel de Cheverny, où il trouva M. de Droué,lequel l’accueillit en ami et lui dit ces seuls mots :

« Tout est perdu pour le moment, mais tout va recommencer àNantes. Le rendez-vous général est là où va Richelieu. Moi-même, jepars demain pour rejoindre Nantes.

– Et moi, je pars tout de suite », dit Louvigni.

Il reprit sa course, faisant rendre à sa monture tout ce qu’ellepouvait donner et la ménageant pourtant, avec sa profonde sciencede cavalier.

Louvigni suivait le cours de la Loire. C’était la routenaturelle. Au-delà de Saumur, à une bifurcation de route surThouars, il rejoignit deux escortes. L’une comprenait cinq ou sixcarrosses, plusieurs chariots de bagages, le tout précédé et suivid’une demi-compagnie de gardes. Cette imposante escorteaccompagnait la reine Anne d’Autriche qui, sur l’ordre de LouisXIII, se rendait à Nantes à marches forcées. Quelquefois, la reinese levait et regardait au loin l’autre escorte qui semblait êtreson avant-garde et avec laquelle, pourtant, il n’y avait, depuisParis, aucune communication. Alors l’œil de la reine se chargeaitd’éclairs.

C’est que cette toute petite escorte qui, elle aussi, se hâtaitvers Nantes, entourait Mlle de Montpensier, lafiancée de Gaston d’Anjou !

Les deux troupes, prirent le chemin de traverse dans ladirection de Thouars et bientôt disparurent au loin.

Louvigni arriva près de Nantes le lendemain du jour où le roientra dans cette ville. Il avait parcouru en cinquante heures,repos compris, la distance qui sépare Beaugency de Nantes.

Louvigni s’était arrêté à une lieue de Nantes, environ, dans uneauberge placée au bord du chemin, non loin du village deSainte-Luce. Là, il avait éprouvé une lassitude terrible quil’avait forcé de mettre pied à terre. Il mangea et but sans savoirce qu’on lui servait. Il songeait :

« À Blois, rien. À Tours, rien. À Saumur, rien. Je connaisbien mon cheval, je pense. Avec la bête que je montais, j’eusse dûle rejoindre. Il avait à peine une bonne heure d’avance sur moi.Pourquoi ne l’ai-je pas rejoint ? »

Louvigni se frappa le front.

« Triple sot ! grogna-t-il. Ah ! fou que jesuis ! Mais, je ne sais donc plus raisonner ?… Si je n’aipas vu Chalais, c’est que, depuis Blois, il est non pas devant maisderrière moi ! Je l’ai dépassé par là quelque part. Et,maintenant, il vient…

Une heure se passa. Il faisait jour encore. Tout à coup, sur lechemin, Louvigni vit Chalais. Il se mit à rire silencieusement, etgrommela joyeusement :

« Il a dû courir : mon cheval est fourbu. »

Chalais s’en venait au pas, montant le cheval de Louvigni qu’ilavait trouvé tout harnaché, tout prêt à partir, dans la cour del’auberge de Beaugency. Et en effet, la pauvre bête n’avançait plusque péniblement.

« Tiens ! continua Louvigni, qu’est-ce queceux-là ? »

C’étaient trois gentilshommes qui avaient dû voyager de conserveavec Chalais, car leurs montures semblaient tout aussifatiguées : sans doute de ceux que nous avons entrevus auchâteau de Cheverny. Les quatre jeunes gens devisaient gaiement ens’avançant vers les portes de Nantes. Chalais semblait insoucieuxet de belle humeur : il avait eu assurance, à Blois, que laduchesse avait dû être prévenue du rendez-vous général, et ilcomptait la voir à Nantes. Il était bien loin de se douter que laduchesse avait été prisonnière à Marchenoir. En effet, au moment oùMarine lui ouvrit la porte, il n’avait eu qu’une idée : cellede fuir au plus tôt, certain que Louvigni allait revenir avec durenfort ; et Marine elle-même n’avait guère songé qu’à leconduire, à le pousser plutôt jusque dans la cour. Quelquesinstants plus tard, Chalais s’était élancé sur la route de Blois,tandis que Marine activait sa haquenée dans la directiond’Orléans.

À Blois, comme Louvigni avait fini par l’admettre, Chalaiss’était arrêté plusieurs heures. Lui aussi avait apprisl’arrestation des deux chefs et la marche du roi vers Nantes. Ils’était donc mis en route avec trois gentilshommes qui allaient àun rendez-vous de conspiration.

Louvigni avait laissé passer les quatre amis. Puis il avaitpaisiblement ordonné qu’on lui sellât son cheval et avait payé sonécot. Il se mit en selle et, d’un temps de trot, rattrapa Chalaiset ses compagnons de voyage, au moment où ceux-ci arrivaient en vuedes portes de Nantes. C’était aussi le moment où les soldats duposte qui gardait la porte se préparaient à manœuvrer lepont-levis. Chalais, apercevant les soldats qui se préparaient àmanœuvrer les chaînes du pont-levis, cria :

– Holà ! Attendez, que diable ! Nous allonsentrer.

– Messieurs, répondit le sergent du poste, hâtez-vous.

À ce moment, Louvigni mit pied à terre et abandonna son chevalsur la route. Il s’avança rapidement et atteignit le pont en mêmetemps que les quatre. Chalais marchait en tête ; ses troisamis venaient derrière lui. Louvigni les dépassa tous. CommeChalais entrait dans la rue, il cria :

« Quel diable d’enragé est-ce là ?… Au large,l’ami !… »

Un homme venait de saisir la bride de son cheval. C’étaitLouvigni.

« Comte de Chalais, dit-il, de par le roi et ma haine, jevous arrête !

– Louvigni, hurla Chalais. À moi,messieurs ! »

En même temps, il enfonça ses éperons dans les flancs de soncheval qui, rudement maintenu, se cabra en hennissant de douleur.Louvigni était cramponné aux rênes de bride. Tout à coup, le chevalde Chalais s’abattit ; Louvigni venait de lui plonger sonpoignard dans le poitrail. Chalais sauta de côté et se retrouvadebout. Il leva sa rapière. Dans cette seconde, deux bras nerveuxle saisirent, l’étreignirent d’une sauvage et puissanteétreinte.

« À moi ! À moi ! » râla Chalais.

À deux doigts de son visage, il voyait le visage sanglant deLouvigni ; deux yeux flamboyants, striés de rouge, lefascinaient. Pendant ces quelques secondes, il fut paralysé,stupéfié. Brusquement, il se sentit soulevé, enlevé de terre.

Alors, toutes les énergies vitales se réveillèrent ensemble,bouillonnèrent en tumulte ; ses nerfs se tendirent à sebriser. Il râla encore : « À moi ! Àmoi ! » Et, tout à coup, il mordit Louvigni à la gorge, àcoups de dents furieux.

Mais Louvigni se laissa mordre ! Louvigni reçut, sanstrébucher, les coups des trois gentilshommes acharnés sur lui. Ilmarchait, blessé, sanglant, le visage rouge ; frénétique ilmarchait, il emportait dans ses bras Chalais tout pantelant. Celaavait peut-être duré une minute.

Les soldats du poste, d’abord effarés de la soudaine bagarre,s’élancèrent lorsqu’ils virent Louvigni venir à eux, semblant leurapporter un blessé.

« De par le roi ! » tonna Louvigni.

Et, dans un cri furieux, il ajouta :

« Arrêtez tout ! »

Il y eut choc entre les soldats et les gentilshommes amis deChalais ; la lutte fut brève ; ces trois jeunes gens,venus à Nantes pour des intérêts supérieurs à leur vie, se direntsans doute que la capture d’un seul conjuré serait une défaitemoins terrible que la capture de quatre ; ils battirent enretraite et bientôt disparurent au fond d’une ruelle.

Les soldats, alors, s’emparèrent de Chalais. Louvigni mit sousles yeux du sergent le parchemin de Richelieu. Et Chalais futligoté… Alors Louvigni, tranquillement, se mit à essuyer sonvisage. Il regardait Chalais.

« Hé ! Louvigni, fit Chalais, inutile de t’essuyer,va. Jamais tu n’effaceras mes crachats sur ta face de traître.

– C’était vrai tout à l’heure. Plus maintenant.

– Bah ! Tu n’es plus traître ? Et quoi,alors ?

– Bourreau », dit Louvigni.

Chalais eut le courage d’éclater de rire. Mais il sentit unfroid mortel se glisser dans ses veines. Louvigni se tourna vers lesergent du poste et donna des ordres. On se procura une charretteattelée d’une mule et Chalais, tout ligoté, y fut déposé. Sixgardes furent placés derrière et sur les côtés ; deuxmontèrent sur la charrette ; Louvigni lui-même y pritplace.

La nuit était venue.

On se mit en route à travers les rues étroites et tortueuses deNantes. Bientôt, les tours massives de l’énorme château seprofilèrent sur l’écran de la nuit, bientôt le pont-levis futfranchi.

Dix minutes plus tard, Chalais était enfermé dans un cachot dessouterrains et Louvigni fut introduit chez le cardinal deRichelieu. Mais, comme il ouvrait la bouche pour commencer sonrapport, il s’abattit tout d’une pièce, foudroyé par la joie. Ce nefut que le lendemain qu’il reprit connaissance.

Le procès du comte de Chalais fut commencé le surlendemain. Cemême jour, tandis que se réunissaient les juges, eut lieu, dans lachapelle du château de Nantes, une cérémonie que nous aurons àraconter. Du fond de son cachot, le malheureux Chalais entenditpeut-être les chants de bénédiction et les grondements des orguescomme un lointain tumulte de joie, de bonheur et de triomphe.

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