L’Héroïne

Chapitre 3TRENCAVEL

Rue Des Bons-Enfants, une vaste salle élégamment décorée, avec,à mi-hauteur, une galerie à rampe de bois sculpté, au long delaquelle des fauteuils attendent des spectateurs. Tentures develours. Aux murs, des gants, des masques, des plastrons, desfleurets, des épées en bel ordre. Une magnifique salled’escrime.

La journée avait été rude. Les prévôts étaient partis depuislongtemps. Vers dix heures, Trencavel se reposait en buvant unflacon de vin d’Espagne avec Montariol et le comte de Mauluys. Unhomme, portant costume d’enseigne aux gardes, entra, se dirigeavers le groupe étonné.

« Monsieur Trencavel, dit-il en saluant, j’ai eu l’honneurd’être chargé de vous informer que Son Éminence Monseigneur lecardinal de Richelieu désire vous voir.

– Moi ! » dit Trencavel en se levant, toutému.

Le visage de Montariol resplendit d’orgueil… Mauluys demeuraimpassible.

« Vous-même, reprit l’envoyé. Son Éminence a fort entenduparler de vous. Elle prise vos talents et veut vous le direelle-même. Quand pourrai-je vous apporter votre lettred’audience ?

– Mais, balbutia timidement Trencavel en quis’échafaudaient déjà des rêves de grandeur, dès demain, si vous levoulez bien…

– Voilà donc qui va bien. Voulez-vous me dire où vouslogez ? »

Trencavel ouvrait la bouche…

« M. Trencavel loge ici même, au-dessus de sonacadémie », interrompit froidement Mauluys.

Le jeune officier, après force politesses, se retira, escortéjusqu’à la rue par le maître en fait d’armes, qui revint toutrayonnant. Mauluys haussa les épaules.

« Je vois, dit-il, que vous en avez assez du bonheur.Alors, il vous faut, coûte que coûte, vous précipiter vers lesennuis, les périls, ce qui s’appelle les honneurs.

– C’est, répondit Trencavel en serrant nerveusement la maindu comte, c’est que ces honneurs me rapprochent d’Annaïs !…Pauvre, sans naissance, n’ayant pour moi que mon fleuret, qui saitsi la protection du cardinal ne comblera pas l’abîme qui me sépared’elle… Qui sait ?… Qui sait ?… »

Ils s’étaient mis en route pour rentrer chez eux :Montariol logeait avec Trencavel, rue Sainte-Avoye ; Mauluys,non loin de là, rue des Quatre-Fils, en face les jardins de l’hôtelde Guise. Un cri d’appel et de détresse les fit tressaillir.

Tous trois, sans un mot, s’élancèrent et tombèrent, l’épée auvent, sur les quatre chevaliers d’Annaïs, au moment même où frèreCorignan s’affaissait, l’épaule traversée. La bagarre fut courte.Bussière et Fontrailles furent désarmés dès le premier choc.Chevers était blessé. Annaïs, d’un coup d’œil jugea la positionmauvaise. D’un geste désespéré, elle rengaina le poignard qu’elleavait tiré, fit un signe à ses fidèles, et la bande battit enretraite, disparut. Seulement, dans la première seconde, Trencavel,s’était trouvé menacé par-derrière par l’épée de Bussière.

« À vous, Trencavel ! » avait crié Montariol endésarmant le gentilhomme.

« Trencavel ! murmura le moine. C’est Trencavel quim’a attaqué avec ses spadassins ! Ohé ! Ce n’étaient pasdes tireurs de manteaux ! C’étaient des ennemis ducardinal !… »

« Trencavel ! gronda Annaïs de Lespars. Sans doutequelque séide du cardinal qui escortait le moine ! »

Après l’action, Mauluys se pencha sur Corignan, défit sonpourpoint, l’examina assez longuement. Puis ce fut Trencavel. PuisMontariol allait étudier la blessure à son tour… À ce moment, lemoine revint à lui, se releva, jeta dans la nuit des yeux hagardset, rassemblant toutes ses forces, d’un bond, se mit horsd’atteinte et s’enfuit…

« Singulière façon de remercier les gens ! »grommela Montariol.

Mauluys ne dit rien… Ils s’enfoncèrent dans la rue Sainte-Avoye.Au bout de deux cents pas, le moine s’arrêta, hors d’haleine, setâta, s’ausculta, se mit à rire.

« L’épaule déchirée… Une misère ! Ah ! Voyons, lalettre… la lettre… »

Une terrible, une déchirante clameur d’épouvante : lalettre avait disparu !… Perdue ?… Prise ?… Dixminutes plus tard, Corignan se ruait, malgré les gardes, dans lecabinet de Richelieu.

« Monseigneur !… Ah ! monseigneur !…Attaqué !… Blessé !… Évanoui !… La lettre !…Prise sur moi !… Volée !…

– Volée ! hurla Richelieu, blanc comme un mort.

– Par Trencavel ! » rugit le moine.

Le cardinal, quelques minutes, demeura écrasé par l’effroyablenouvelle. Il était perdu !…

« Va-t’en ! » dit Richelieu.

Une fois seul, pendant une heure, debout, immobile, les yeuxfixes, il médita. Quand il sortit de cette méditation sinistre, ilfrappa un coup violent sur son timbre. Et, sans se retourner,sachant que le valet avait dû accourir :

« Qu’un officier aille me chercher le lieutenantcriminel ! »

Il allait tenter un effort. Peut-être ce Trencavel n’irait-il auLouvre que le lendemain ! Peut-être avait-il encore la lettresur lui !

À trois heures du matin arriva le lieutenant criminel,personnage placé, avec le lieutenant civil, sous les ordres duprévôt de Paris. Le grand prévôt n’était pas sûr ; il avaitété reçu le jour, même à la table de Gaston d’Anjou[1].

« Monsieur, dit le cardinal, vous allez vous rendre rue desBons-Enfants chez le maître en fait d’armes Trencavel. Il loge enson académie. Vous le saisirez au nom du roi, vous le conduirez àla Bastille et le ferez mettre au secret. Vous fouillerezl’académie et le logis. Vous prendrez tous les papiers que voustrouverez, sans exception. Vous les mettrez sous cachet et me lesapporterez. Sans les lire ! Il y va de latête !… »

Le lieutenant criminel tourna les talons et s’en alla.

 

À huit heures du matin, Trencavel s’accouda à la lucarne de sachambre…

À ce moment, il oubliait l’algarade de la nuit et que lemagnanime cardinal lui voulait du bien, et toutes ses idées de belavenir doré. Sa vie se concentra sur cette allée de jardin où unbanc de marbre s’adossait à des arbustes dont les jeunesfrondaisons pâles commençaient à percer.

Soudain, un coup de tonnerre… La porte s’ouvrit avec fracas.Montariol entra, bouleversé. Il rugissait :

« Ventrebleu ! Têtebleu ! Ah ! lescoupe-jarrets ! Ah ! les tire-laine ! Tant pis, cefut plus fort que moi ! Je crois que j’en ai assommé deux outrois !… Maître, on ferme votre académie ! »

Trencavel reçut le coup en pleine poitrine.

« On… ferme… l’académie !…

– On la saccage. Tout est bouleversé, éventré,ravagé ! Par les gens de loi ! Au nom du roi ! – Jesuis arrivé, j’ai vu les commères rassemblées devant la porte etqui ont dit en me voyant : « Voici l’un desscélérats ! » – Un coup d’œil dans l’académie et le sangm’a sauté aux yeux. Je bondis. – « Le voilà ! »hurla un des hommes noirs. – On veut m’empoigner. C’est moi quiempoigne. Je frappe, je pille, j’assomme. Devant le nombre, je batsen retraite. On me poursuit. Je détale. Je dépiste la meute enragéeà mes trousses et me voici pour vous crier : « Maître, ontue notre académie ! »

Trencavel tremblait.

« Il faut pourtant faire quelque chose… Au nom du roi. Ehbien !… il y a quelqu’un de plus puissant que le roi. Je vaisle trouver… lui dire… ne bouge pas d’ici, prévôt… Il me veut dubien, tu as entendu… je lui dirai…

– Où courez-vous, maître ?

– Chez le cardinal ! »

La course folle apaisa Trencavel. La place Royale était pleinede gentilshommes. Trencavel la traversa, se glissa, fendit le flotdans l’escalier et, parvenu dans l’antichambre, hagard :

« Je veux voir le cardinal !

– Votre lettre d’audience », dit un huissier.

Trencavel se frappa le front. Et l’huissier, sévère :

« Sans lettre d’audience, vous n’entrerezpas ! »

Trencavel tourna le dos et redescendit, la tête vide. À cemoment, un autre huissier criait dans la foule :

« Monsieur le baron de Saint-Priac !… »

Trencavel s’enfuit, grondant :

« Il va entrer ! Il était attendu,lui ! »

Devant la porte, sur la place, il se heurta à une splendeur desoie, costume bleu d’azur, aiguillettes d’or, manteau de satin,plumes blanches, bottes à entonnoir.

« Trencavel !…

– Saint-Priac !

– Deuxième insulte. C’est trop ! Je n’attendrai pasjusqu’à ce soir pour vous couper les oreilles…

– Soit ! dit Trencavel. Venez ! »

Ils marchèrent. Hors la place Royale, en cinq minutes, ilsjoignirent la ligne des remparts. À leur droite, ils avaient laBastille, silencieuse menace. Au premier bastion, ils s’arrêtèrent.Personne aux alentours. L’instant d’après, ils étaient en garde.Saint-Priac porta botte sur botte.

« Pare celle-ci !

– Elle est parée ! » dit Trencavel.

Haletant, Saint-Priac rompit d’un bond, étonné de voir sonadversaire debout. Une seconde, et il revint en ligne.

« Pare celle-là ! » dit Trencavel.

Saint-Priac s’affaissa sur les genoux, tandis que le maître enfait d’armes essuyait sa lame sur l’herbe. Il jeta un regard sanshaine sur l’adversaire vaincu.

« Pauvre diable ! Il se bat bien… Voyons, l’ai-jevraiment tué ? (Il se mit à genoux, défit le beau pourpoint oùserpentait un filet rouge.) Non. Tant mieux !… Heu ! cene sera rien… »

Il allait se relever, tout joyeux : sa main froissa unpapier sur la poitrine sanglante… il le saisit, l’ouvrit… leparcourut… c’était la lettre d’audience de Saint-Priac !

Trencavel frémit, plia le papier, le mit dans sa poche,s’élança. Tout courant, il arrive au palais Cardinal, montel’escalier, entre dans l’antichambre au moment où la voiximpatiente d’un huissier criait :

« M. de Saint-Priac est-il arrivé ?

– Me voici ! dit Trencavel, sa lettre tendue.

– Enfin !… Voici la dixième fois que Son Éminence…entrez vite, monsieur le baron !… »

Trencavel, une fois dans le cabinet et en présence du cardinalde Richelieu, recouvra instantanément sa présence d’esprit.Quelques minutes, le cardinal l’étudia, le pesa, pour ainsi dire,du regard. Trencavel, de son côté, cherchait des mots.

« Monsieur de Saint-Priac, dit à ce moment le cardinal,voulez-vous épouser Annaïs de Lespars ?… »

Trencavel baissa la tête et ploya les épaules, assommé par lecoup. Alors, dangers, pillage de son académie, risque de mort quelui créaient son duel et sa supercherie, tout cela s’effondra,s’évanouit. Il voulut savoir comment Saint-Priac pouvait épouserAnnaïs. Et, venu pour dire au cardinal : « Je suisTrencavel », il s’incarna, se transposa en Saint-Priac !Et il releva sur Richelieu un visage étincelant.

« Voilà l’homme qu’il me fallait ! » songea lecardinal.

« Monseigneur, dit Trencavel, pour obtenir cette immensefaveur, je suis prêt à tout.

– Monsieur de Saint-Priac, je suis charmé de connaîtrevotre personne et vous remercie de vous être si promptement rendu àl’invitation que je vous ai fait parvenir à Angers. Mais je doisvous dire que, depuis longtemps, je connais vos faits et gestes.Votre bravoure, votre force, votre habileté à l’épée vous ont faitune réputation dont je vous félicite… »

Sous cette avalanche de fleurs, Trencavel ne broncha pas.

« Il est très fort, pensa le cardinal. Écrasons-le d’uncoup. »

« Monsieur, reprit-il avec un sourire féroce, vous avezd’autres qualités. Pauvre, vous passez pour riche. Sans sou nimaille, vous menez grand train. J’ai voulu savoir d’où vousvenaient vos ressources. J’ai su que vous n’empruntez pas (lesourire se fit plus aigu), que vous ne jouez pas (la voix prit unedouceur terrible). Alors, j’ai cherché, monsieur de Saint-Priac… etj’ai trouvé… Voyons… faut-il vous dire ?

– Dites, monseigneur ! » fit Trencavel,imperturbable.

« Hum ! songea Richelieu. Voilà un rudegaillard ! » « Monsieur, fit-il, j’ai trouvé quel’argent que vous prodiguez est de l’argent… volé.

– Oh ! cria Trencavel, frémissant de joie, voilà undétail que je suis heureux d’apprendre !… »

Saint-Priac voleur ! Indigne !… Trencavelrayonnait.

« Monsieur, reprit Richelieu avec une sorte de sévérité nonexempte d’admiration, ne songez pas à nier. J’ai là vingt rapportsde police. Je puis vous envoyer au gibet.

– Monseigneur, dit Trencavel avec le même accent desincérité, je n’ai rien à avouer, rien à nier…

– Bien. Tel que vous êtes, vous me plaisez et je vousprends à mon service. Je vous indiquerai, selon les circonstances,en quoi consistera ce service. Pour le moment, je veux que vousépousiez Mlle de Lespars. Vous savez sansdoute où la trouver ?

– Oui, monseigneur. Je sais son logis et l’ai vueaujourd’hui même.

– Donc, vous l’épousez. Je vous dote. Je vous donne unemploi à la cour. En revanche… Ah ! j’oubliais : il vasans dire que je détruis les preuves de vos… prouesses de grandchemin ; en revanche, donc, vous m’apportez une cassette quepossède Mlle de Lespars…

« Cette cassette contient des parchemins inutiles pourvous, dangereux pour celle que vous aimez. Cette cassette,figurez-vous que c’est une mine toute chargée. Si quelqu’un ymettait le feu (le cardinal frissonna),Mlle de Lespars serait tuée du coup… Vouschargez-vous de trouver cette cassette ?

– Oui, monseigneur, répondit intrépidement Trencavel.

– Je me charge, moi, d’arracher la mèche, dit Richelieu,toujours paisible. Si c’est possible, ayez-la-moi avant le mariage.Et tenez, ceci est indispensable : queMlle de Lespars vous aime ou non, veuille ounon vous épouser, il faut qu’elle vous remette cettecassette. »

Trencavel entrevit une sombre machination. La réalité était plusterrible encore…

« Que j’aie les parchemins, songeait Richelieu, et alors jela tiens. Je l’oblige à accepter le nom du misérable qui est devantmoi. Huit jours après, son mari est arrêté, pendu. Et elle demeureécrasée à jamais sous l’infamie… À moins que, d’ici là, je n’arriveà la saisir ! À moins que Rascasse ne parvienne à acheverl’œuvre commencée à Angers ! À moins que Saint-Priac ne medénonce tout à l’heure son gîte !… »

« Oh ! songeait de son côté Trencavel, la préveniraujourd’hui même, tout de suite ! Lui révéler l’effroyabledanger qui la menace ! La protéger, ladéfendre !… »

À ce moment, un homme entra et annonça :

« M. le lieutenant criminel !…

– Faites entrer ! » dit vivement Richelieu.

Il faut dire que le cardinal, en s’occupant avec une pareillelucidité de Mlle de Lespars, faisait preuved’une réelle force d’âme. Tandis qu’il jouait ainsiavec Saint-Priac, il avait l’oreille aux aguets,l’esprit tendu. En ce moment peut-être, la lettre voléepar Trencavel était sous les yeux du roi !…Cependant, plus le temps s’écoulait et plus il se rassurait.

Le lieutenant criminel entra. Il jeta un regard sur Trencavel etinterrogea le cardinal du regard.

« Vous pouvez parler devant le baron de Saint-Priac.

– Monseigneur, dit le lieutenant criminel, je me suis rendurue des Bons-Enfants, à l’académie du maître en fait d’armesTrencavel et j’y ai fait une fouille complète. (Trencavel serra lespoings.) Malheureusement, nous n’avons rien trouvé ; pas lemoindre chiffon de papier. Quant à Trencavel, il n’habite nullementen son académie, comme le rapport en avait été fait à VotreÉminence. (Ô mon brave Mauluys, je dois la liberté à taprévoyance !) Nous l’avons vainement attendu et n’ai pul’arrêter, ni par conséquent le conduire à la Bastille(ouf !), ainsi que vous m’en aviez donné l’ordre. »

Chose étrange, ce rapport rassura plutôt Richelieu. Il admettaitde moins en moins une conspiration partie du Louvre. Par contre,l’idée qu’il avait en Trencavel un ennemi personnel jusque-làinconnu se fortifia dans son esprit.

« C’est bien, dit-il. Faites battre Paris par vosespions. »

Richelieu, d’un geste, renvoya le lieutenant criminel. Trencavels’essuya le front.

À ce moment, la porte se rouvrit ! Devant Trencavelpétrifié, devant Richelieu stupéfié, apparut un homme livide etsanglant que deux valets soutenaient ! Et comme tout àl’heure, l’huissier, mais d’une voix forte qui retentit en coup decymbale, annonça :

« M. le baron de Saint-Priac !… »

Saint-Priac fit deux pas dans le cabinet. Trencavel se redressade toute sa hauteur, le regard de travers, et se croisa les bras.Sans doute, une explication avait dû avoir lieu dans l’antichambre,car l’huissier avait laissé la porte ouverte et, derrière leblessé, on voyait le lieutenant criminel.

Le cardinal, centre de cette scène, demeurait immobile, muet,statue de la stupeur. Saint-Priac, disons-nous, s’avança de deuxpas ; son bras, secoué d’un tremblement convulsif, s’allongea,sa main désigna Trencavel, il ouvrit la bouche et tout à coups’affaissa sur le tapis.

« Monseigneur, dit le lieutenant criminel dans ungrognement de joie féroce, nous tenons le maître en faitd’armes ! Le voici !… »

Richelieu jeta sur Trencavel des yeux agrandis par la terreur.Et Richelieu recula !

« Monseigneur, reprit le lieutenant criminel, M. lebaron de Saint-Priac a été provoqué sur la place Royale par cethomme qui l’a entraîné jusqu’au bastion le plus proche, l’a chargé,lui a fourni un coup d’épée, lui a pris sa lettre d’audience et apu ainsi pénétrer chez Votre Éminence… »

Richelieu frissonna. La vérité lui apparutdans une aveuglante clarté : Trencavel lui avait été dépêchépour le tuer !

« Rendez votre épée ! »

Trencavel tira son épée et en fouetta le silence.

« Monseigneur, dit-il, un Trencavel ne peut rendre sonépée. Qu’on me la prenne, si on peut !… »

En même temps, il repoussa violemment deux ou trois fauteuils,s’accula à un angle du cabinet, tomba en garde.

« Prenez-le ! » rugit Richelieu.

Ce furent de sourds grognements enchevêtrés, des soupirsrauques, deux ou trois jurons féroces, deux ou trois plaintesdéchirantes. Puis, tout à coup, un cri de sauvagetriomphe :

« Ça y est ! »

Ça y était : dans l’angle du cabinet, un amas de corpspesant de toute leur frénésie sur quelque chose, des bras raidis,des mains crispées, et, sous tout cela, Trencavel.

Le cardinal donna un ordre. Deux minutes plus tard, Trencavelétait jeté dans un carrosse ; un quart d’heure après, il étaità la Bastille.

 

C’était un cachot situé au rez-de-chaussée de la tour duCoin ; on y interrogeait les prisonniers qui n’y restaientjamais plus de deux ou trois jours. L’endroit était assez clair. Ily avait une table, un escabeau, un lit étroit.

Trencavel, délivré de ses liens, jeta autour de lui des yeuxhagards. Il sentit la folie envahir son cerveau :

« Perdue ! Moi seul pouvais la sauver, et je vaismourir !… »

 

Trencavel, qui sanglotait parce qu’il ne pouvait courir prévenirAnnaïs de Lespars de ce qu’il avait entendu, Trencavel, placé entête-à-tête avec le gibet ou l’échafaud, vit soudain se lever dansses souvenirs une figure d’homme fatigué, pâle, poussiéreux, et quiportait sur ses épaules un enfant de cinq ans. L’homme entrait dansParis par la porte Bordet et, presque aussitôt, s’affaissait sur lachaussée. Des gens s’approchaient et disaient : « Pauvrehomme, il est mort ! – Il porte la casaque, c’est unreître ! – À son épée, à son air, on voit assez que c’est ungentilhomme ! Qui cela peut-il être ? » Et l’enfantpleurait toutes les larmes de ses jolis yeux…

Cet enfant, c’était lui, Trencavel. Ce voyageur harassé quisuccombait en entrant dans Paris, c’était son père…

Ni gentilhomme, ni reître. Voilà ce que Trencavel finit parétablir plus tard grâce à des papiers trouvés sur le mort. Mais sessouvenirs évoquaient, dans une cité lointaine, un bel atelier quenobles et riches bourgeois venaient visiter en témoignant beaucoupde respect au maître sous la direction duquel se forgeaient descasques, des cuirasses et, surtout, des dagues, des épées, dessabres, des estramaçons, des colichemardes, des rapières,magnifiques lames ornées d’arabesques, de ciselures qu’eût admiréesun Benvenuto Cellini. Quelle catastrophe s’était abattue surl’opulente et artistique maison du maître armurier ? Quelépisode de guerre civile ou religieuse ? Quelledénonciation ?… Rien pour reconstituer le drame. Mais l’enfantvoyait le logis en flammes et le vaste atelier mis au pillage. Ilvoyait des soldats dans une chambre pleine de sang, une femmeégorgée… sa mère !… Il se voyait dans les bras de son père quise défendait et, enfin, fuyait dans la nuit. Puis on marchait desjours et des semaines – et, au bout du voyage, le père tombait, tuésans doute par le désespoir… Une femme avait pris l’enfant par lamain et l’avait emmené… Deux ou trois ans plus tard, cette femmeelle-même était morte ! Et alors, qui avait pris soin del’enfant ? Comment avait-il grandi, poussé ?… À la grâcede Dieu ! comme on disait parmi le pauvre peuple.

Nous le retrouvons à quinze ans, dépenaillé, en loques, malpeigné, mais l’œil vif, la main leste, muni d’une immense rapièrequ’il s’est procurée le diable sait comme. Nous le retrouvons, dansla campagne, non loin des marais de la Grange-Batelière, où ils’aligne avec un grand benêt de jeune baron. Que s’est-ilpassé ? Le grand benêt a battu son valet, vieillard à barbegrise qui l’accompagne. Trencavel s’est élancé. Il a commis soncrime : il a tiré les oreilles au petit baron. Et comme ilssont du même âge, à peu près, ils ont dégainé, se sont porté defurieuses bottes. En somme, donc, Trencavel risquait sa peau pourvenger un vieux grison qu’il ne connaissait pas, et à une époque oùbattre ses domestiques était chose légitime et naturelle.Cependant, le jeune pendard s’escrimait à outrance, sans avoirjamais appris l’escrime, contre un adversaire qui, de touteévidence, connaissait le maniement de l’épée. Il le pressait,l’obligeait à rompre et, finalement, allait lui porter un mauvaiscoup lorsqu’un homme, s’élançant d’une guinguette voisine, d’où ilexaminait toute l’algarade, releva les épées, sépara lescombattants et remit sur son cheval le petit baron, qui s’en allaen maugréant :

« Ventrebleu ! Tirer les oreilles à unSaint-Priac ! Je reviendrai à Paris et je ne les lui tireraipas, moi ! Je les lui couperai !…

– De quoi vous mêlez-vous ? rageait cependantTrencavel en toisant l’inconnu si heureusement survenu.

– Mon petit ami, si vous voulez venir avec moi, je ferai devous le premier maître en fait d’armes de ce temps. Vous avez plusde jarret, d’œil et de poignet qu’un vieux prévôt. »

Les yeux de Trencavel étincelèrent. La connaissance ébauchées’acheva. L’adolescent dit son histoire et l’inconnu le mena àl’académie de la rue des Bons-Enfants, où Trencavel trouva le gîte,le couvert, des leçons d’escrime et des leçons d’honneur. Cetinconnu, c’était l’illustre Barvillars !…

Il fut pour Trencavel, dans toute la profonde et majestueuseacception du mot, un père, c’est-à-dire un ami, un éducateur, unexemple vivant. Trencavel conçut pour lui une sorte d’adoration, etlorsque, cinq ans plus tard, le vieux maître, à son tour, disparutde la scène du monde, le jeune homme sut pour la première fois ceque c’est que la douleur.

Soudain, le prisonnier entendit que le geôlier, toujours à sonposte, ouvrait la porte et que quelqu’un entrait. Trencavel vit uncapucin qui s’approchait.

« Que me voulez-vous, mon révérend ? Et quiêtes-vous ?

– Mon fils, on m’appelle frère Corignan, je suis capucin demon état et je viens vous confesser.

– Me confesser ! gronda Trencavel. Etpourquoi ?

– Parce que, selon les ordres de Mgr le cardinal deRichelieu, vous allez, dans une heure, être pendu dans la cour dela Bastille !

– Dans une heure ! frissonna Trencavel.

– Dans une heure ! dit frère Corignan qui se tournavers le geôlier et lui dit :

– Laissez-nous, mon frère. Ce pauvre pécheur n’en sera queplus à son aise pour avouer ses forfaits in silentiumcabinettibus (dans le silence du cabinet) », ajoutale moine, qui ne savait pas un mot de latin.

Le geôlier s’éclipsa. Le digne capucin alla fermer la porte avecsoin, revint à la couchette, s’assit sur l’escabeau et, baissant lavoix :

« Si vous voulez avoir la vie sauve, rendez-nous lalettre.

– La lettre ? fit Trencavel, étonné.

– Elle-même, mon fils. La lettre que vous m’avez prise.

– Je vous ai pris une lettre, moi ?

– La lettre ! fit rudement le moine. Où est lalettre ? Ou gare le chanvre !…

– Révérend spadassin, dit-il, serai-je pendu si je vousrends la lettre ?

– Non pas ! s’écria Corignan, tout joyeux. Récompensé,au contraire !

– Eh bien, fit résolument Trencavel, si vous me faitessortir d’ici, je vous mènerai tout droit à la maison et à l’armoireoù se cache la précieuse lettre. »

Corignan éclata de rire.

« Et, en chemin, vous me planteriez là ! On ne se jouepas de frère Corignan, morbleu ! »

Trencavel essuya son front. Il se vit perdu. Le moine tirait sonpoignard. Sa main gauche s’abattit sur l’épaule de Trencavel. Samain droite se leva. L’acier jeta une lueur dans l’obscurité.

« La lettre ! gronda Corignan. La lettre ! ou jete tue ! »

Au même instant, le moine voulut pousser un cri, mais sa gorgene laissa passer qu’un râle sourd : une tenaille vivanteserrait cette gorge. Souple comme une anguille, Trencavel avaitglissé, échappé à l’étreinte, et sa main, à lui, s’était incrustéesous le menton de Corignan. Le moine, en secousses violentes, sedébattit, mais la tenaille se resserrait, les doigts entraient dansles chairs ; la figure devint violette, et, tout à coup,Corignan demeura immobile, en travers du lit… Vivement, Trencavelramassa le poignard tombé sur les dalles et le passa à saceinture.

Quelques secondes, il fixa ses yeux effarés sur Corignan. Lasueur ruissela sur son front. Tout à coup, il éclata derire :

« Capucin ? Ce sera drôle… Et pourquoi pas ? Cemoine est entré ici… Il faut bien qu’il sorte !… »

En un tournemain, il eut dépouillé Corignan de son froc et, toutfrémissant, il s’en revêtit !… Alors, il allongea le moine surle lit, lui tourna le visage au mur et jeta sur lui la couverture.Puis, ramenant le capuchon sur son visage, la main convulsivementcrispée au manche du poignard, il se plaça près de la porte etcria :

« Ah ! pécheur endurci ! Ah ! damné bélîtrequi ne veut pas se confesser ! Confiteor belitrus,belitra, belitrum ! Eh bien ! tu seras doncpendu en état de péché mortel ! Tant pis pourtoi ! »

La porte s’ouvrit. Le geôlier parut.

« Est-ce fait, mon révérend ?

– Oui, mon fils. Je m’en vais. Je quitte ce lieu deperdition. Pendez-moi ce gaillard-là puisqu’il ne veut rienentendre. Adieu, mon fils !… »

En parlant ainsi, bénissant le geôlier, il avait traversé lasalle qui précédait le cachot, on lui ouvrait une porte, et là,dans l’obscurité épaissie de la cour, il distinguait uncarrosse.

« Hâtez-vous de monter, nous sommes en retard », ditune voix.

Trencavel, sans hésitation, monta dans le carrosse. Aussitôt, laportière se referma. Le véhicule se mit en route. Trencavel setenait les côtes.

« Libre ! fit-il. Pardieu ! qui donc m’a assuréqu’on ne sort pas de la Bastille ! Je n’ai qu’à ouvrir laporte de ce vénérable carrosse, me laisser tomber sur la chausséeet… »

Et Trencavel jeta un furieux juron de désespoir ; manteletsrabattus, la portière était fermée à clef ! Ce carrossen’était qu’une prison roulante !

À vive allure, il atteignit la rue Saint-Honoré ; enfin, ils’arrêta devant un immense portail en chêne tout neuf orné debelles têtes de clous disposées en croix. Une croix encoresurmontait le portail. À droite et à gauche s’étendaient de hautesmurailles. C’était le couvent des capucins.

C’est donc là que s’arrêta le carrosse qui, après avoir conduitfrère Corignan à la Bastille, l’en ramenait – ou croyait l’enramener – sous clef ; en effet, le moine était puni de huitjoursd’in-pace pour avoir été vu dans un cabaret avecune fille sur les genoux. Or, on lui tolérait tous les péchésvéniels ou mortels, à condition de ne pas s’afficher dansl’exercice de ses péchés. Chargé de la mission délicate deconfesser Trencavel, Corignan avait promesse de mille livrescomptant s’il réussissait à remettre la main sur la terriblelettre ; en outre, il devait être, bien entendu, gracié de sapunition.

Le portail du couvent fut ouvert, le carrosse entra dans unecour.

« Venez, mon frère, le révérend prieur a hâte de vousvoir… »

Sans mot dire, Trencavel suivit le moine qui lui parlait ainsiet qui le conduisit à la chapelle.

« Notre révérend père est dans la crypte avec Mgrl’archevêque de Lyon, reprit alors le capucin. Attendez-les ici,c’est son ordre. »

Là-dessus, le moine se retira, et Trencavel entendit la porte serefermer à clef.

« Ho ! je ne heurte aujourd’hui que gens enragés à merenfermer ! Mais comment notre révérend prieur sortira-t-illui-même ? Et que fait-il dans la crypte ? Maisl’archevêque de Lyon… c’est un Richelieu !… C’est le proprefrère de la magnanime Éminence qui me veut tant de bien !Pourquoi le Père Joseph, conseiller du cardinal, s’enferme-t-ildans un souterrain avec le frère du même cardinal ? »

Et Trencavel s’avança vers le chœur !

Il franchit la grille et contourna l’autel. Là, un murmure sefit distinct. Trencavel regarda à ses pieds. Et, confusément tracépar une lumière venue du fond de la crypte, il aperçut le trourectangulaire où commençait l’escalier qui s’enfonçait dans lessous-sols. Alors, une irrésistible curiosité s’empara de lui. Àtout prix, il voulut entendre… Il descendit trois ou quatre marchesde l’escalier tournant – et, alors, il entendit !

Voici ce que disait au Père Joseph le frère du cardinal deRichelieu :

« Vous allez savoir, messire, pourquoi j’ai quitté monarchevêché pour me rendre à Angers ! Pourquoi j’ai fui cetteville pour accourir à Paris ! Pourquoi il y va de l’honneur oude l’infamie du nom de Richelieu ! Car je vais vous dire dequelle maladie est morte Mme de Lespars !Et puis, alors, je vous dirai qui est la fille de la morte, qui estAnnaïs de Lespars !…

– Je sais que nous avons tuéMme de Lespars, interrompit le prieur desCapucins. Sa mort était nécessaire. Intrigante, audacieuse, cettefemme devenait dangereuse pour l’État – pour votre frère. Nousavons dû la sacrifier. C’est bien assez d’avoir à combattre lesenfants de Gabrielle d’Estrées. Le roi Henri IV nous a laissé unhéritage lourd à porter… Qu’importe la vie ou la mort d’un être sila communauté est sauvée ! Monseigneur, le jour où jem’apercevrai que je puis être un danger pour la société du Christ,je me supprimerai moi-même – oui, au risque de damner mon âme.

– Oh ! quel homme êtes-vous donc ?

– Je suis un moine. Un couvent, c’est une tombe. Lorsqu’ilarrive que l’un de nous en sort, c’est qu’il a une mission àremplir ; c’est qu’il a reçu un ordre.

– De qui ? demanda sourdement l’archevêque.

– De Dieu ! répondit le prieur. Ma mission, à moi,c’est de conduire votre frère dans la voie qui m’a été désignée, delui montrer sa route, une torche dans une main pour éclairer oubrûler, un poignard en croix dans l’autre pour bénir ou frapper.Mme de Lespars s’est trouvée sur lechemin ; elle a été frappée… Vous pleurez,monseigneur ? »

Louis Duplessis de Richelieu releva la tête et, avec unedouloureuse simplicité :

« J’aimais Louise de Lespars… »

Trencavel frissonna de pitié. Mais sur les plis rigides de larobe monacale rien ne frémit. Louis de Richelieu, une minute,demeura pensif, le regard perdu dans le vague.

« Pourquoi j’ai cédé mon droit d’aînesse à mon frèreArmand, vous allez le savoir : pourquoi j’ai brusquementabandonné le monde pour m’ensevelir à la Grande-Chartreuse, vousallez le comprendre… Nous nous aimions. Nous nous étionssecrètement fiancés. Elle était tout pour moi. J’étais tout pourelle. Orpheline, maîtresse à dix-huit ans de sa vie et de safortune, elle habitait son domaine de Lespars à trois lieues deRichelieu. On la tenait en suspicion à cause de ses allures libreset fières. Seul, je savais quelle âme timide et pure se cachait enelle. Tout à coup il y eut un grand mouvement en notre château.Honneur et gloire au château de Richelieu. Le roi Henri IV,visitant la Touraine et l’Anjou, était à Chinon ! Le roi Henriacceptait pour deux jours l’hospitalité de Richelieu !… Lesdeux jours s’écoulèrent et le roi ne partit pas ; il ne quittale château qu’au bout du douzième jour. Pendant cette période, jen’avais pu voir Louise une seule fois. Lorsque le roi fut parti, jecourus à Lespars : je trouvais Louise abattue par un désespoircruel : le malheur était passé par là… »

Le Père Joseph ne bronchait pas. Louis de Richelieu avait ungeste violent.

« Pendant trois mois, continua-t-il. Louise dépérit sousmes yeux, et je ne pus lui arracher le secret de cette immensedouleur qui la tuait. Un soir, je lui criai que j’allais toutdisposer pour notre mariage. Alors, elle se leva, toute droite, etme saisit la main. Et elle me dit ceci : « Je ne puisêtre une Richelieu !… » Et brusquement, l’abominablevérité jaillit de ses lèvres blanches ; une nuit, elle avaitentendu des coups violents à la porte de sa chambre, et la voix demon frère lui criait : « Vite ! Vite ! Louisest là. Il faut qu’il vous parle à l’instant !… »Affolée, elle avait ouvert. Un homme s’était jeté dans sa chambre.Il y avait eu une lutte hideuse et elle avait perdu connaissance.Quand elle se réveilla, il faisait jour. L’homme avait disparu…mais elle l’avait reconnu dès son entrée : c’était Henri IV,roi de France.

– Après ? demanda sèchement le prieur desCapucins.

– Louise, en me faisant ce récit, ne versa pas une larme,et ce fut d’une voix de morte qu’elle me dit : « Adieu,Louis. Notre beau rêve n’est plus. J’ai espéré mourir et me voicivivante encore. J’ai voulu me tuer, et j’ai compris… Oh !Louis, j’ai compris que j’allais tuer le pauvre petit être quipalpite dans mon sein. Adieu, Louis ! Ni amante, ni épouse, jeserai mère… et mère, je vivrai pour l’innocente créature… »J’essayai vainement de revoir Louise, mais elle avait disparu dupays. Dieu soit béni ! ajouta l’archevêque dans sa piétésincère et profonde. Je pus résister à la furieuse tentation dumeurtre qui, pendant trois mois, me fit rechercherArmand. »

L’archevêque leva ses deux bras tremblants vers le Christ que,tout à l’heure, avait désigné le Père Joseph.

« J’entrai à la Grande-Chartreuse, continua Louis deRichelieu. Les ans cicatrisèrent la blessure. J’acceptail’archevêché d’Aix, puis celui de Lyon ; je voulais, denouveau, me mêler au monde, et peut-être me rapprocher de Louisepour la secourir au besoin. Je sus que le roi Henri IV lui avaitécrit plusieurs lettres et lui avait envoyé des parchemins,attestant les droits de sa fille Annaïs… Louise ne répondit jamais…De loin, je veillais sur elle… et sur l’enfant. »

Trencavel baissa la tête et murmura tristement :

« Fille de roi !… »

« Après ? demanda le Père Joseph.

– Après ? gronda l’archevêque. Je ne puis me retrouveren présence de mon frère le cardinal. Nous aurions trop de choses ànous dire. C’est donc vous que je suis venu trouver, vous qui leguidez ! Vous lui direz que je suis arrivé trop tard poursauver Louise, mais que je suis là pour défendreAnnaïs ! »

L’archevêque se tut. Trencavel était haletant et se mordait leslèvres jusqu’au sang.

Le Père Joseph, quelques minutes, parut se plonger dans uneméditation profonde.

Il reprit :

« Monseigneur, vous avouez vous-même que cette fillepossède des parchemins dangereux. Vous l’avez dit : il y va del’honneur ou de l’infamie du nom de Richelieu… Cette fille estcondamnée, monseigneur !

– Par les puissances du Ciel ! tonna Trencavel à toutevolée, monsieur l’archevêque, nous serons deux pour ladéfendre ! Et vous, frocard, je me charge de vous faire passerle goût de… »

De quoi Trencavel devait-il faire passer le goût au PèreJoseph ? On ne put le savoir. En effet, tandis que Louis deRichelieu demeurait immobile de stupeur, le prieur s’était jeté surune corde, qui, sans doute, aboutissait à quelque cloche d’alarme,et il la secouait frénétiquement. Aussitôt, le hurlement lointaind’un tocsin traversa l’espace. Mais, avant même qu’eût retenti lepremier son de cloche, une rumeur s’enfla, s’approcha.

« Oh ! diable, fit Trencavel, voilà bien dutapage. »

En quelques bonds, il eut regagné la chapelle. Et, là, il ne puts’empêcher de frémir ! Les moines se ruaient sur le chœur enmasses serrées…

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