L’Homme qui revient de loin

Chapitre 31LA MÊME PENSÉE CONDUIT LES PAS DE JACQUES ET CEUX DE FANNY

 

Mais, en vérité, avait-elle eu peur d’uneombre ?

Voilà la question redoutable que Fanny seposait le lendemain matin de cette étrange expédition.

Comment, saine d’esprit comme elle était,n’ayant encore ressenti, et cela en aucune façon, et à aucunmoment, la maladive influence de Marthe ni celle de son mari,comment avait-elle pu, elle, Fanny, qui ne croyait pas àgrand-chose et qui n’était effrayée par rien, avoir unevision !

En y réfléchissant bien, elle jugeait la choseimpossible. Elle se rappelait, du reste, l’état d’esprit aveclequel elle était arrivée sur la berge. Il était des pluscriminels, mais des plus sensés. Comment, en une seconde, sa raisonavait-elle pu chavirer à ce point ?…

… Et si André n’était pas mort ?

Car enfin, puisqu’elle l’avait formellementreconnu, il était moins absurde de penser qu’elle s’étaitréellement trouvée en face de lui qu’en face de son fantôme.

Si André n’était pas mort, bien des choses setrouvaient alors expliquées et, en particulier, la précision desrenseignements donnés a Marthe sur le crime du rond-point de laFresnaie…

D’autre part, si André n’était pas mort, biendes choses restaient inexplicables : où était-il ?…Comment vivait-il ?… Pourquoi n’était-il pas revenu chasserson frère et la famille de son frère du château ?… Pourquoirestait-il séparé de ses enfants ?… Que signifiaient sesapparitions nocturnes ?

Le mystère s’éclaircissait d’un côté ets’épaississait singulièrement de l’autre !

Enfin, comment n’eût-il pas été mort après ceque Jacques lui avait raconté du drame ? Jacques avait enferméà clef le cadavre de son frère dans la malle ; et la malleavait été immédiatement enterrée par Jacques au fond de la cave deHéron ! Alors ?…

Alors, elle ne pensa plus qu’à la malle, et,avec son esprit pratique, ennemi de toute fantasmagorie, ellerésolut d’aller voir elle-même si le cadavre était biendedans !

Jacques devait partir dans la matinée et elledevait le rejoindre, le soir, à Paris, avec le petit Jacques. Ilconvenait, tout de même, en l’occurrence, de savoir ce qu’ilslaissaient derrière eux ! Des fantômes ou une victimeencore vivante qui préparait dans l’ombre une bien singulière eteffrayante revanche ?…

Toute la question était là. Fanny nequitterait point la Roseraie avant de l’avoir résolue.

Jacques partit pour Héron, à 9 heures, au brasde son valet de chambre. Il avait désiré cette promenade à pieddans la belle matinée un peu froide.

Il se trouvait bien, déjà solide, et heureuxde faire un tour à l’usine, ce qui ne lui était pas arrivé depuisquelques semaines.

Il embrassa Fanny en la priant qu’elle netardât pas à le rejointe au Terminus où il descendrait sous un fauxnom pour déjouer la curiosité des journalistes. Il ajouta qu’ilpasserait deux heures environ à Héron pour prendre les dernièresdispositions avant le voyage ; à 11 heures, il monterait dansl’auto et déjeunerait à Paris.

Toute la matinée fut occupée par Fanny àdonner des ordres pour les bagages, à régler la situation de sesgens pendant son absence, à recevoir une vieille demoiselle deJuvisy qui devait prendre auprès de Germaine et du petit Françoisla place de Mlle Hélier et qui, tout en protestantqu’elle était d’esprit sain et qu’elle n’avait jamais cru auxfantômes et qu’elle n’avait jamais fait tourner de tables,regardait toutes choses autour d’elle avec un air d’égarement commesi elle redoutait de voir sortir du plancher ou des murs le diableen personne.

Le valet de pied, la femme de chambre anglaiseet l’aide de cuisine devaient s’en aller, eux, dès le soir. Ilprétendaient avoir vu, la nuit précédente, le fantôme se glisserdans le parc et pénétrer dans le château par la porte basse de laTour Isabelle.

La cuisinière et Lydia haussaient les épaulesen entendant de pareilles sornettes et elles avaient avec ellestous les esprits forts de la domesticité.

Fanny déjeuna seule, à midi, en lisant lesjournaux de Paris, qui ne parlaient que du « monsieur quirevient de chez les morts ».

Le petit Darbois d’Excelsior avaittenu parole. Il publiait une excellente interview, remettant touteschoses au point et dépeignant la châtelaine de la Roseraie sous lesplus agréables couleurs : elle était belle et intelligente,mais c’était une maîtresse femme qui n’aimait point les mauvaisesplaisanteries. Aussi mettait-elle en fuite les fantômes, et à laporte Mlle Hélier…

Après déjeuner, Fanny entra dans le bureau deson mari et passa une grande partie de l’après-midi à ranger despapiers d’affaires et de famille, et à chercher, dans les tiroirs,la grosse clef du garage qu’elle ne trouva pas.

Jacques l’avait emportée, comme il avaitemporté la clef de la cave de Héron. Mais Fanny était bien décidéeà faire sauter la serrure de cette cave et à la remplacer ensortant par un cadenas dont elle s’était déjà munie. Quant à laporte du garage, elle décida qu’elle demanderait à Ferrand (legardien de Héron) de lui trouver une clef qui l’ouvrirait.

Un peu avant 4 heures, elle se fit atteler lapetite charrette anglaise, et conduisant elle-même, elle se dirigeasur Héron en faisant le tour du parc pour dépister les curieux oules reporters qui pouvaient se trouver devant la grille…

Elle était enveloppée d’un gros manteau d’autoet coiffée d’une casquette retenue par une gaze.

Sous son manteau, elle emportait uncache-poussière avec lequel elle devait « travailler »dans la cave !… Elle se rappelait qu’il y avait là-bas unepioche, une pelle… sans doute celles qui avaient serviautrefois…

Sitôt qu’elle fut arrivée à Héron, elle jetales guides à Ferrand.

– Eh bien, mon brave Ferrand, vous avez vuMonsieur ?

– Oui, madame, et nous avons été tous biencontents de le voir si bien portant !… Monsieur est parti àParis avec M. de la Marinière…

– M. de la Marinière est donc venu cematin ?

– Ma foi oui !… Il savait bien queMonsieur devait s’absenter et comme il passait par là avec sonauto, se rendant à Paris, il est venu lui dire bonjour et l’aemmené, de sorte que le chauffeur que Monsieur avait commandé n’aeu qu’à rentrer…

– Dites-donc, Ferrand, j’aurai besoin depénétrer dans l’ancien garage pour prendre des objets qui me sontutiles et Monsieur a emporté la clef… Vous ne pourriez pas m’entrouver une qui ouvrirait la porte ?… Ça ne doit pas être biendifficile.

– Mon Dieu, madame… j’ai là des tas de clefs,on va toujours essayer… je crois bien que Monsieur y est allé aussice matin à l’ancien garage… je l’ai rencontré par là, il devait ensortir, il avait justement la clef à la main… si j’avais su…

Fanny pensa tout de suite :« Lui aussi n’a pas voulu quitter le pays sans avoirvu la malle et constaté que le cadavre est toujours dans lamalle !… »

Elle sauta de la charrette assez rassurée. SiJacques, après une visite pareille, était parti sans lui donner deses nouvelles, c’est évidemment que tout s’était normalementpassé.

Un quart d’heure plus tard, la porte de garageétait ouverte par les soins de Ferrand qui avait fini par trouverune vieille clef rouillée ne servant plus à rien et qui s’adaptaitparfaitement à cette serrure.

– Je la garde, dit Fanny.

– C’est comme Madame voudra. Si Madame abesoin de moi ?…

– Oh ! j’ai des recherches à faire parmices bibelots… allumez-moi la lanterne de la charrette, elle meservira… là… merci… et retournez à votre ouvrage, mon bon Ferrand…je vous appellerai si j’ai besoin de vous…

Elle referma sur elle la porte du garage,sérieusement, cette fois, à clef… elle écouta s’éloigner les pas dugardien… puis courut à la porte de la cave. C’était une porte àclaire-voie faite de grosses planches. La serrure avait été choisiepar Jacques d’un modèle assez compliqué, mais était par cela mêmeassez délicate… Elle ne résista pas à la pesée de la pince queFanny avait apportée dans la poche intérieure de son manteau d’autoavec le cadenas et les pitons.

Et Mme de la Bossière descendit,tendant sa lanterne allumée devant elle.

Au bas de l’escalier tournant, elle se heurtapresque tout de suite à un grand désordre. C’étaient des caissesqui encombraient le chemin. Une grosse barrique avait été déplacée.Décidément, elle avait bien fait de venir ; Jacques n’avaitpas eu le temps de remettre les choses en place… sans douteavait-il été dérangé par un appel… avait-il eu peur d’être surprispar Ferrand ou encore La Marinière était-il venu le chercher jusquedans la cour, frappant à la porte du hangar…

Elle avança encore, elle était dans ce coin dela cave que n’éclairait pas encore le soupirail et elle se trouvatout de suite sur le bord d’un trou dont la terre fraîchementenlevée avait été entassée sur l’autre bord… Une partie de cetteterre avait été rejetée au fond du trou et recouvrait déjà la malledont on apercevait encore cependant, çà et là, le cuir fauve et lesboutons de cuivre terni…

Jacques n’avait même pas eu le temps de finirde rejeter la terre dans le trou ! C’était bien cela !…On était venu le déranger en pleine besogne ! Mais elle auraitla force de l’achever, se disait-elle…

Elle enleva, d’un geste rapide et décidé, sonmanteau, qu’elle mit à l’abri de toute souillure ; puis, àgenoux sur son cache-poussière… elle se pencha au-dessus de cettetombe, au fond de laquelle il y avait une malle. Elle avait plantésa lanterne dans le terreau près d’elle.

Elle retira d’abord la pelle du trou.

Puis, elle se pencha à nouveau. Il n’y avaitpoint tant de terre sur cette malle que la main de Fanny ne pût seglisser jusqu’à la serrure… C’est donc à la serrure que la main deFanny alla !

Jacques avait-il pris le temps de refermer lamalle à clef ?…

Fanny se rendit compte tout de suite qu’iln’avait pas pris ce temps-là…

Alors, elle n’avait plus, pour savoir, qu’àfaire un dernier effort, qu’à se pencher davantage et à tirer àelle le couvercle… le lourd couvercle, recouvert en partie deterre, de l’énorme malle…

Et le couvercle fut soulevé…

Et, quand Fanny laissa retomber le couvercle,elle avait vu le cadavre !…

En revenant au château dans la petitecharrette anglaise, Fanny, contente de la bonne besogne« terminée » et l’esprit débarrassé d’un douteformidable, réfléchissait à cet étrange état psychique qui, à decertaines minutes et dans de certaines conditions, vous fait voirles fantômes de votre propre imagination.

Ainsi, elle en avait été victime elle-même,pensait-elle.

Pour trouver quelque excuse à une faiblessedont elle se serait crue incapable et qui la ravalait à ses propresyeux au rang de cette névropathe de Marthe, elle se rappelait quecette minute de défaillance avait failli être la minute d’un crime.Toutefois cette défaillance-là, elle la regretterait. Ah ! sielle ne l’avait pas eue, le fantôme ne serait plus apparu àpersonne ! Que ne l’avait-elle noyé dans le fleuve avec sonredoutable médium !…

Dès qu’elle eut franchi la grille ellepressentit quelque nouveau malheur !…

Tous les domestiques, la Fräulein et lesenfants et la vieille institutrice étaient groupés sur le perron,faisant des gestes incompréhensibles et i’interpellant avec la plusgrande agitation.

Fanny pressa le trot du poulain et perçutbientôt des exclamations, des cris :« Allons-nous-en !… Allons-nous-en !… »

On était à la fin du jour : cette sorted’assemblée de fous sur les degrés de ce château blême, auxfenêtres closes, qui paraissait déjà une grande triste choseabandonnée, avait un aspect fantastique qui déplut singulièrement àMme de la Bossière, laquelle s’était juré à elle-même dene plus jamais se laisser troubler ni influencer par l’apparenceplus ou moins bizarre des formes et des sons.

Aussitôt qu’ils l’aperçurent, les enfantscoururent à elle, suivis de toute la domesticité.

Le petit Jacques pleurait, disant :

– Le fantôme !… maman !… le fantômeest encore là !…

Quant à Germaine et à François, ilsaffirmaient avoir vu « papa » assis dans le grandfauteuil de la penderie… Et ils s’étaient sauvés tant ils avaienteu peur… Ils racontaient que le fantôme leur avait parlé et leuravait dit tristement : « Pourquoi voussauvez-vous ?… Vous ne me reconnaissez doncpas ? »

Ils l’avaient bien reconnu, mais leur papamort leur faisait trop peur…

Exaspérée par cette nouvelle« imbécillité » (ce fut le terme dont elle se servit pourqualifier l’événement), Mme de la Bossière sauta de lavoiture et questionna posément Germaine qui était déjà assezraisonnable pour ne plus croire à de pareilles sornettes. Germainequi tenait son petit frère sanglotant dans ses bras, et quipleurait presque aussi fort que lui, ne put que répéter :

– Nous avons vu papa !… Nous avons vupapa dans la penderie… il nous a parlé !…

Mais la colère de Fanny trouvaparticulièrement à se manifester quand, s’étant retournée vers lesdomestiques, elle apprit d’eux qu’ils n’avaient pas osé allereux-mêmes dans la penderie pour rassurer les enfants et leurprouver qu’il n’y avait pas de fantôme du tout !…

La nouvelle institutrice, elle-même, ne savaitque répondre : « Mon Dieu ! mon Dieu ! »…en joignant les mains, et, cependant, elle était bien connue pourses sentiments « laïques ».

Et tous les autres, montrant la fenêtre auxvolets clos de la penderie, disaient : « Oh !madame, il n’y a plus de doute… il est là… il estlà !… »

Même ceux qui ne croyaient pas aux fantômes,c’est-à-dire les esprits forts, déclaraient qu’ils ne voulaientpoint se mêler de cette affaire-là !…

Alors, Mme de la Bossière, prised’une nouvelle indignation, écarta tous ces pauvres gens etdit :

– Eh bien, je vais y aller moi, dans lapenderie, tas de lâches… tas d’imbéciles !…

– Prenez garde, madame !… Prenezgarde !…

– Maman ! maman ! criait le petitJacques. N’y va pas, maman !…

Elle était tellement énervée qu’elle luiflanqua une gifle.

Fanny fut vite au premier et pénétra dans sonappartement dont les portes étaient restées ouvertes, sans doute,après la fuite des enfants.

La peur avait si peu de prise sur elle(surtout depuis qu’elle avait vu le cadavre dans la malle) qu’ellene recula point devant l’obscurité qui régnait dans sa chambre. Etelle s’en fut tout de suite à la cheminée pour faire « de lalumière ».

Mais, comme elle s’avançait ainsi dansl’ombre, voilà que cette ombre fut éclairée d’un rayon, d’un traitlumineux qui, brusquement, s’en vint établir une oblique partant dutrou d’une serrure et rejoignant le parquet de la chambre.

Cette fois, Fanny recula suffoquée par lasurprise…

La serrure était celle de la porte de lapenderie. Il y avait donc quelqu’un dans la penderie ;quelqu’un qui, dans la penderie, avait fait de lalumière !…

« Eh bien ! pourquoi n’y aurait-ilpas eu quelqu’un dans la penderie ? Les portes n’en étaientplus fermées à clef… et pourquoi ce quelqu’un n’aurait-il pas faitde la lumière ?… »

Courageusement, ayant repris une fois de plusson sang-froid, elle avança et, d’une main ferme, ouvrit la porteet regarda.

Elle ne vit personne. Non ! Il n’y avaitpersonne dans la petite pièce… L’autre porte était fermée… et ellen’entendait aucun bruit de pas… Cependant… il se pouvait fort bienque la personne qui avait allumé la bougie qui se trouvait sur latable eût pris le temps de s’éloigner… l’autre porte n’était pasfermée à clef…

Mais, tout de même, qu’est-ce que signifiaitcette bougie allumée ?…

Cette bougie, dans un petit bougeoir d’argent,finissait par être effrayante même pour Fanny qui ne s’effrayait derien… effrayante avec cette façon qu’elle avait de s’éteindre et des’allumer, histoire d’épouvanter les gens… les gens au cerveau leplus solide, les femmes de tête même… n’était-ce point « lemystère du petit casque d’argent » qui recommençait etpour elle, cette fois ?…

Elle en eut tout de suite l’affreuxpressentiment à certain souffle qui lui passa dans les cheveux, quilui glissa sur la nuque, à un certain air frais et fade quil’enveloppa comme un vent de tombeau. Le mort ne devait pasêtre loin !…

Et voilà qu’elle vit, cependant qu’elleregardait la bougie allumée… voilà qu’elle vit s’allonger à côtéd’elle un bras de spectre, une main longue, longue, aux doigtspâles et desséchés qui s’approcha de la bougie, saisit le petitcasque d’argent et en coiffa la bougie qui s’éteignit.

Fanny poussa un cri horrible !…

Elle voulut s’enfuir, mais les jambes luimanquèrent, et, s’étant élancée, elle glissa dans les bras duspectre… du spectre d’André qu’elle avait eu le temps dereconnaître avant de s’évanouir… car les spectres qui ne sont pasvisibles dans la lumière… sont quelquefois visibles dansl’ombre…

Les domestiques avaient entendu le cridésespéré de Fanny ; ils n’avaient pas été les seuls àl’entendre… Une petite troupe de journalistes conduite par le jeuneDarbois était parvenue à pénétrer dans le parc et débouchait devantle château quand la clameur atroce les avait un instant arrêtés. Etpuis ils se précipitèrent.

Les domestiques leur expliquaient :« C’est Madame… Madame qui a voulu voir le fantôme dans lapenderie… » et, rendus braves par la présence des reporters,ils guidèrent les recherches…

Mais toutes les recherches furent vaines…

… On ne retrouva pas Mme de laBossière…

On se doute de l’immense stupeur quiaccueillit au lendemain de ces événements extraordinaires lesdéclarations des témoins, contrôlées par les journalistes de lagrande presse.

Le fantôme de M. André de la Bossière avaitemporté sa belle-sœur !…

Cette nouvelle n’était point nécessaire pourbouleverser un pays qui possédait déjà un monsieur vivant revenu dechez les morts !… Toutes les cervelles un peu faibles de larégion commencèrent à « se déranger » sérieusement et ily eut, dans la vallée, comme une épidémie de visionnaires. Onvoyait des fantômes partout, et des gens qui, jusqu’alors, avaientmontré beaucoup de bon sens prétendirent entendre à chaque instantdans leur buffet ou dans leur table de nuit des bruitsinexplicables…

On ne retrouva Mme de la Bossièreque le matin qui suivit le jour de sa disparition, étendue sansconnaissance au beau milieu d’un sentier de la forêt de Sénart, nonloin de la petite porte qui faisait communiquer le parc avec cetteforêt.

On parvint à faire reprendre ses sens à lamalheureuse femme, mais ce qu’elle raconta, quand elle parla,n’était pas encore fait pour calmer les esprits.

Elle, qui était appréciée de tous ses amis etde toute la société qui fréquentaient la Roseraie pour le parfaitéquilibre de ses facultés, semblait « déménager »complètement.

Elle restait persuadée qu’elle avait étéenlevée, à travers les muraille du château, par le fantômede son beau-frère !…

Enfin, ce jour-là, comme pour mettre le combleà la fantasmagorie des événements qui se déroulaient à la Roseraieet à Héron, on vit apparaître M. de la Marinière qui déclaran’avoir point emmené dans son auto, ainsi qu’il avait été dit, M.Jacques de la Bossière. M. de la Marinière affirmait être revenuseul à Paris et le prouvait.

Où était donc passé le monsieur qui étaitrevenu de chez les morts ?…

L’énigme ne faisait qu’augmenter.

Le Parquet demanda à la Sûreté de mettre enchasse ses plus fins limiers, mais ce furent les journalistes qui,encore là, arrivèrent bons premiers…

Le jeune Darbois avait « travaillé »ferme. En somme, la dernière fois qu’on avait vu M. Jacques de laBossière, ç’avait été devant la porte de l’ancien garage. Lereporter parvint à pénétrer dans le garage, et là, constatal’effraction toute fraîche de la serrure de la cave.

Il n’hésita pas à prendre l’initiative hardiede faire sauter le cadenas et il descendit dans la cave. La pelle,la pioche, la terre fraîchement remuée, le désordre des caisses etdes barriques, tout lui disait : « le secret estlà ». Et il creusa. Et il trouva la malle…

Et dans la malle, le cadavre de M. Jacques dela Bossière !

M. Jacques de la Bossière, l’homme quirevenait de chez les morts et qui y était si vite retourné, nes’était pas enterré tout seul !…

On sut que Fanny, quelques heures après ladisparition de Jacques, s’était enfermée dans le garage. On lasoupçonna immédiatement d’avoir tué son mari.

Chose extraordinaire : le cadavre deJacques de la Bossière ne portait aucune trace de violence, aucuneblessure. La victime semblait être morte étouffée… et cependantil y avait de nombreuses traces de sang dans la malle…

Alors, il fallut bien que Fanny quicomprenait tout, maintenant, expliquât au juge que son mariétait mort suffoqué de ne point trouver dans cette malle un cadavrequ’il y avait mis.

Le coup avait été trop fort pour un homme dontle cœur avait été recousu récemment et, foudroyé par l’anévrisme,il avait glissé dans la fosse qu’il venait de creuser, puis, dumême mouvement, dans la malle, dont le couvercle, sous l’effet dela secousse était retombé, se recouvrant en partie de la terre etde la pelle entraînées par la chute du corps.

Ainsi Fanny avait-elle, en apercevant lecadavre de Jacques de la Bossière sous le couvercle hâtivementsoulevé, cru reconnaître le cadavre d’André !…

Le certain, pour le moment, était que M. Andréde la Bossière, frappé à la tempe et enfermé par son frère dans lamalle derrière l’automobile (Fanny pour écarter d’elle tout soupçonde complicité avait tout raconté en détail), s’était échappé decette malle…

Comment ?… La chose n’avait pu se passerque d’une façon. Étourdi par le coup il était revenu vite à luidans la malle emportée par l’auto, n’ayant point trop perdu de sangà cause, sans doute, de la sorte de bandeau que Jacques lui avaitfait avec son mouchoir, mouchoir retenu encore par la casquetteprécautionneusement enfoncée sur le front.

André s’était soulevé et avait, dans l’instantmême, soulevé le couvercle de la malle qui pesait sur lui !Pour cela, il était nécessaire que la malle n’eût pas été fermée àclef comme Jacques l’avait pensé !… Elle avait étémal fermée !

André sort donc à moitié de la malle, soulèvela bâche, aperçoit son frère qui n’est occupé que de conduire lavoiture, et aussitôt, ne pense qu’à lui échapper, car il ne faitplus de doute que si l’autre se retourne il n’hésitera pas àachever la besogne commencée…

Et Jacques roule sur la route… sur la route dela forêt de Sénart…

Et c’est ici que recommence le grand mystère…Qu’a-t-il fait pendant cinq ans dans la forêt de Sénart, pourquoin’en est-il sorti que si tard et dans des conditions aussiétranges ?

L’article suivant paru dans Excelsiorsous ce titre général : « Une étrangeséquestration », et avec le sous-titre : « Le fou etle bancal », devait, quelques jours plus tard, livrer aupublic haletant la solution bien simple d’un problème qui, dèsl’abord, avait paru impossible à résoudre !

Le jeune Darbois commençait par rappeler lesséquestrations les plus célèbres, celles qui, par leur audace,stupéfiaient la population des villes. N’avait-on pas, maintesfois, au cœur des cités, au centre du mouvement quotidien le plusactif, découvert, par hasard, la prison jusqu’à ce jourinsoupçonnée d’un pauvre débris d’humanité maintenu par la tyrannieou l’avarice d’un geôlier d’occasion dans la décrépitude morale etphysique la plus sordide !…

Il ne fallait donc point s’étonner outremesure de retrouver M. André de la Bossière au fond de la grotte durond-point de la Fresnaie où ce misérable idiot de Prosper, lesourd-muet, l’avait tenu enchaîné pendant cinq ans.

C’était là que le jeune Darbois était allé lechercher après avoir été frappé par la coïncidence des apparitionsde Prosper derrière les apparitions d’André ! Le bancalcourait alors après son prisonnier qui traînait a son pied lachaînette volée à un collier de chien avec laquelle Prosperl’attachait à son rocher… Sans doute, le pauvre fou, car M. Andréde la Bossière était fou, et comment après un traitement pareil nel’eût-il pas été ? avait trouvé le moyen, au bout de cinq ans,de se libérer de temps à autre… Mais avec quelle épouvante ilvoyait réapparaître son maître et comme, précipitamment, ilretournait à la niche !…

Prosper tenait à sa victime comme au seul êtrehumain qu’il lui était donné d’approcher. Est-ce que chacun nes’enfuyait pas, sitôt qu’il apparaissait dans le pays, comme s’ileût apporté la peste avec lui ?… Et n’apportait-il pas plusque la peste puisqu’il apportait le mauvais sort…

Avec quelle joie le misérable, en rentrant unjour dans son trou de bête, avait trouvé près de là cet homme quise traînait sans force, sur la route !…

Il l’avait emporté avec lui comme une proie,ce compagnon inespéré de sa solitude, et il ne l’avaitplus lâché !…

Ainsi le jeune Darbois se représentait-il ledrame… Ainsi l’avait-il expliqué aux magistrats qu’ilavait conduits lui-même dans ce trou de l’enfer où un idiot avaitenchaîné un fou !… Un fou qui se croyait mort !…un fou qui se croyait damné !…

D’où les déambulations nocturnes du pauvrecaptif, momentanément évadé, vers les lieux et les personnes quilui furent chers « pendant la vie »… vers Marthe et lapetite maison du bord de l’eau, vers le château où il essayait,sans se faire voir (car il sait que l’aspect des morts effraie lesenfants) d’apercevoir ses enfants !… d’où son errance dans lescorridors du château dont il connaissait les détours, d’où sonapparition dans cette penderie dont M. le juge d’instruction vientde découvrir la porte secrète qui conduisait par un couloir quel’on croyait condamné jusqu’à la Tour Isabelle, de là jusqu’auxvieilles douves…

Et maintenant que le pays de Sénart setranquillise, que les esprits, ceux des vivants et des mortss’apaisent ! que les enfants et les amis de M. André de laBossière espèrent !… les hommes de science, après avoirexaminé son pauvre front démoli, cette plaie atroce, encoresaignante de temps à autre sous la griffe du bancal, ont déclaréqu’après une opération du trépan qui s’impose, la raison pourrarevenir habiter ce crâne martyrisé ! Et surtout queMlle Hélier soit heureuse !… Si l’esprit ne luirépondait pas dans la table, c’est que l’esprit était encorevivant !

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