L’Homme qui revient de loin

Chapitre 4IL Y A DES GENS SÉRIEUX QUI CROIENT AUX FANTÔMES

 

– J’avoue que je n’en ai jamais vu, réponditle docteur, mais je me garderai bien d’en nier l’existence.D’autres, qui sont plus savants que moi, en ont vu et, ma foi, jene comprendrais pas pourquoi on ne les croirait pas, quand ils ontla valeur expérimentale d’un William Crookes, parexemple !… Je vous cite celui-là parce que c’est un des plusillustres. Il n’est pas une science qui ne doive une découverte àcet esprit sagace. Les travaux de Crookes sur l’or et sur l’argent,son application du sodium au procédé d’amalgamation sont utilisésdans tous les placers d’Amérique et d’Australie. À l’aide del’héliomètre de l’Observatoire de Greenwich, il a pu, le premier,photographier les corps célestes, et ses reproductions de la Lunesont célèbres ainsi que ses études sur le phénomène de la lumièrepolaire, sur la spectroscopie.

« Crookes a aussi trouvé le thalium, sanscompter la plus formidable découverte de toutes : le quatrièmeétat de la matière, ce n’est donc pas un hurluberlu ! Eh bien,ce savant a aussi photographié des fantômes !

– Non ! vous voulez rire ! s’exclamaJacques.

– Le docteur s’amuse de nous !… fitFanny.

– Mais pas le moins du monde ! osaprotester Mlle Hélier… c’est bien connu !…

– C’est historique ! exprima Moutier, etje ne me moque de personne !… William Crookes s’est livrépendant dix ans à l’étude des manifestations spirites, construisantpour les contrôler scientifiquement des instruments d’une précisionet d’une délicatesse inouïes ! Assisté d’autres savants aussirigoureusement méthodiques que lui-même, il opérait dans son proprelaboratoire, entouré d’appareils électriques qui eussent renduimpossible ou mortelle toute tentative desupercherie ! Dans son ouvrage : Recherches sur lespiritualisme, Crookes analysa les divers genres de phénomènesobservés : Mouvements du corps pesant, Exécution d’airs demusique sans contact humain, Écriture directe, Apparition de mainsen pleine lumière, Apparition déformes et de figures, et, enfin, laPhotographie de l’esprit de Katic King !

– Mais est-ce qu’il a photographié NapoléonIer ? grinça encore la crécelle deSaint-Firmin.

– Oh ! assez ! assez ! luicria-t-on, mais il insistait si drôlement que Fanny elle-même neput que lui pardonner. Vous comprenez, moi, parmi les morts, il n’ya que Napoléon Ier qui m’intéresse ! Je voudraissavoir ce qu’il fait là-haut, entre ses deux femmes, Joséphine etMarie-Louise ! Mademoiselle Hélier, je vous en prie, laprochaine fois que vous aurez l’occasion de vous trouver seule aveclui, demandez-lui un peu comment il s’arrange !…

– Alors William Crookes a photographié desfantômes ?… reprit soudain la lointaine voix blanche de lapâle Mme Saint-Firmin.

– Mais oui, madame, répliqua simplement le DrMoutier… et il n’y a pas que lui !…

– Mais comment peut-on photographier de pursesprits ? demanda une vieille dame intéressée, maissceptique.

– C’est que ces purs esprits, madame, réponditle docteur avec une conviction tranquille, et je vous cite làl’opinion et l’explication de gens qui n’ont jamais passé pour desimbéciles, c’est que ces purs esprits ne sont point dénuésentièrement de forme !… Il leur reste une formegénéralement invisible à nos yeux, impalpable dans les conditionsordinaires, mais qui n’en existe pas moins, et que l’on appelle leperesprit.

– C’est trop d’esprit pour moi, déclara lenotaire. Mais on le fit taire encore, et tout le monde fut d’accordpour réclamer du docteur des renseignements sérieux sur leperesprit.

– Eh ! mon Dieu ! qu’est-ce qui neconnaît pas, à notre époque, le peresprit ? osaencore faire entendre, outrée à la fin de tant d’ignorance, latimide Mlle Hélier.

– Moi ! moi ! moi ! luirépliqua-t-on en riant, d’un bout à l’autre de la table.

– Mademoiselle Hélier a bien raison des’étonner, reprit le docteur. Le peresprit est aujourd’huià la base de toute science psychologique, et la religion elle-même,qui en a besoin pour expliquer ses apparitions, se garde bien de lenier. C’est une substance infiniment ténue, intermédiaire entre lamatière et qui suit après la mort, en conservant la forme dernièreque lui a conservée la matière. D’où la reconnaissance possible,dans certaines conditions d’exaltation magnétique, des morts, parles vivants ! Y êtes-vous ?

– Comme c’est simple ! s’écria-t-on, enforçant un peu les rires ; mais ces rires se turent tout àcoup, car il se passait un petit incident là-bas au bout de latable. La petite Mme Saint-Firmin venait tout simplementde glisser sur le parquet.

On se précipita, on la releva, on voulut latransporter dans une chambre, mais revenue presque aussitôt à elle,elle manifesta avec une étrange énergie la volonté de ne pointquitter la salle.

– Mon Dieu ! j’ai eu un petitétourdissement !… N’en parlons plus et excusez-moi !…

Et elle reprit sa place à table. On était,naturellement, assez ému autour d’elle, et comme le docteurs’empressait :

– Ah ! vous pouvez la soigner, lui lançaFanny… c’est vous qui êtes cause de tout avec vos histoires detrépassés !

– Mais c’est vous qui me les avez demandées,madame !… et, se tournant vers la pauvre Marthe… et puis c’estmadame qui a insisté (mais la regardant avec attention) :Pourquoi vous attarder, mon enfant, à un sujet de conversation quivous est sans doute désagréable ?

– Il ne m’est pas désagréable du tout, je vousassure.

Et Marthe disait cela d’un certain air égaré,en regardant son mari qui paraissait furieux de l’incident et netrouvait pas de termes assez accablants pour sa femme dans lesexcuses qu’il fournissait à Mme de la Bossière et àJacques.

– On ne sait pas ce qu’elle a !… Parinstants, on dirait qu’elle rêve… Et puis, elle passe des heures enprière… Elle devient bigote, ma parole !… Elle ferait bienmieux de prendre ses jus de viande !

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