L’Homme qui revient de loin

Chapitre 30FUITE

 

Elle le reconnut à sa blessure à la tempe etaussi à toute sa figure visible dans le rayon de lune qui passait àtravers les branches. C’était André. C’était bien ses beaux yeuxqui semblaient encore avoir grandi et qui regardaient Marthe avecune tristesse infinie, c’était sa pâle et belle figure, si pâle, etqu’une souffrance surnaturelle semblait avoir encore allongée, bienqu’elle n’en distinguât point les contours perdus dans le flou dela nuit toujours humide et toujours brumeuse sur les bords.

Il paraissait vêtu d’une sorte de manteauvague ou plutôt d’une loque incolore qui lui tombait des épaules etse continuait dans la vapeur du fleuve. Et il était assis sur lebord du vieux canot. Il ne voyait que Marthe.

Si Fanny, en apercevant le fantôme d’André,n’avait pas hurlé d’épouvante c’est que de sa bouche ouverte le sons’était refusé à sortir. Le cri d’horreur des vivants à l’aspectdes morts resta dans sa gorge contractée ; et, après avoirreculé en chancelant comme si elle avait subi un choc dont laviolence l’eût étourdie, elle tourna sur elle-même et s’enfuit,éperdue.

Elle traversa d’abord le petit bois detrembles, remonta en courant dans la boulaie, et courut, courutencore quand elle eût atteint la lisière de la forêt. Elle n’osaitse retourner pour savoir si elle était suivie par la terribleapparition, et, cependant, il lui semblait parfois entendrederrière elle le bruit fantastique des chaînes secouées…

Un instant, elle dut s’arrêter, s’appuyer autronc d’un arbre pour y reposer – un instant, un instant – tout sonpauvre corps haletant, tout son être misérable en déroute…

Mais elle repartit aussitôt, plus folle quejamais dans sa fuite, et telle qu’une bête traquée par les chiens,car elle avait entendu près d’elle, derrière elle, autour d’elle,les chaînes, les chaînes qui sautaient, qui grinçaient,tintinnabulaient au pied des morts !…

Et quand elle arriva tout en haut du plateau,au coin du mur du parc, elle eut encore un sursaut de terreur, carle chemin était traversé par une forme étrange qui faisait desgestes immenses sous la lune…

Cependant, ce fut cette forme-là qui la ramenades limites de la folie. Elle reconnut Prosper le bancal, quiagitait sa béquille.

Elle l’appela, heureuse de se trouver en faced’un corps vivant… de quelqu’un qui n’était pas encore allé chezles morts !…

Mais il la regarda comme s’il ne laconnaissait pas et s éloigna rapidement dans un déhanchementmonstrueux et grotesque toujours agitant au-dessus de sa tête l’unede ses béquilles et faisant entendre ce son sinistre, le seul quepût proférer sa bouche informe, son bec de lièvre hideux :« Hou ! Hou ! Hou ! Hou ! »

Elle toucha le mur du parc ; elle étaitpresque chez elle. Elle venait de reconnaître cet être misérable,ce pauvre idiot, qu’elle avait fait soigner chez elle ; ellese souvenait qu’il n’avait pas attendu le lendemain de son accidentpour se sauver comme s’il avait peur qu’on lui fît du mal… Enfin,ses oreilles ne lui chantaient plus la stupéfiante chanson deschaînes…

Elle se reprenait à raisonner et elle retrouvala petite porte, rentra dans le parc et regagna sa chambre par laporte basse de la Tour Isabelle…

Alors, quand elle fut dans sa chambre etqu’elle eut fait autour d’elle de la lumière, et qu’elle se rappelatous ses gestes et… et ce qu’elle avait vu… elle se dit qu’elleavait eu peur d’une ombre…

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