L’Homme qui revient de loin

Chapitre 24REPRENONS NOS ESPRITS

 

Quelle aubaine qu’une histoire pareille pourles reporters : une vraie disparition, un crime possible, unchâteau hanté, une dame qui a des visions, une opérationabracadabrante, un enfant qui voit le fantôme de son père, unmonsieur qui revient de chez les morts, une institutrice qui faittourner des tables, le tout se passant dans un monde très chic etenfin, pour conclusion momentanée, ce scandale à la conférence duprofesseur Jaloux !

La bande joyeuse débarqua à Juvisy et se fitconduire dans des voitures au château de la Roseraie.

Mais là, elle se heurta à des grilles ferméeset à un concierge impitoyable.

Mme de la Bossière avait déjà prisses précautions, instruite et avertie par les premièresindiscrétions des journaux de la localité et aussi par la curiositédéplacée de quelques promeneurs audacieux qui, le dimancheprécédent, n’avaient pas craint de franchir les portes du parc dansl’espoir de rencontrer ou d’apercevoir à une fenêtre le« monsieur qui revenait de chez les morts ».

Après avoir en vain essayé de faire parler leconcierge, les reporters s’en furent vers le plus proche village,dans le dessein d’interviewer les paysans, les fournisseurs, sipossible. Ils désiraient aussi se faire indiquer la petite maisondu bord de l’eau où habitait la « femme du notaire » quiavait des apparitions.

Pas une seconde, il ne leur venait à l’espritqu’ils pourraient retourner à Paris bredouilles.

Quant au petit Darbois, d’Excelsior,il quitta à l’anglaise l’« orphéon », comme il disait,c’est-à-dire la troupe bruyante de ses confrères, fit le tour duparc, sauta par-dessus un mur, se glissa derrière des haies, sejeta dans une douve pour éviter un jardinier, en sortit à la nuittombante, poussa la porte basse de la Tour Isabelle, circula auhasard dans quelques corridors et se trouva tout à coup dans unepièce en face de Mme Jacques de la Bossière qui poussaun cri.

– Ah ! madame, fit le petit Darbois, ens’inclinant de la façon la plus galante, je vous jure que ce n’estpas moi le fantôme ! Je ne suis que le petit Darbois,d’Excelsior et je vous présente toutes mes excuses pour ladésinvolture avec laquelle je viens vous proposer mes services.

Fanny le toisa des pieds à la tête,puis :

– J’avais dit à mes gens que je n’y étaispoint pour les journalistes, déclara-t-elle d’un ton sec. Elle serendait compte qu’elle était maladroite, mais l’audace tranquilleavec laquelle ce petit blanc-bec venait de forcer sa portel’exaspérait.

– Comme vous avez eu raison, madame, repritl’autre sans se troubler. Si vous n’aviez pris cette excellenteprécaution nous aurions été là cinquante qui n’aurions pu faire quede la mauvaise besogne, tandis que seuls tous les deux, nous allonspouvoir nous entendre sur les termes d’une interview qui remettrales choses au point et fera cesser, j’en suis sûr, ces bruitsextravagants…

– De quels bruits extravagants parlez-vous,monsieur ? Je vous assure que je ne sais point ce que vousvoulez dire, et que je n’ai rien à vous dire !

– Madame, je sors de la conférence duprofesseur Jaloux… où il s’est dit, je vous assure, des chosesabsurdes et qu’il est dans votre intérêt de démentir avant qu’ellesn’aient fait le tour de la presse mondiale. Cette affaire, madame,aura, si vous n’y prenez garde, un retentissement immense…

Du coup, elle comprit que c’était sérieux etne pensa plus qu’à tirer profit, autant que possible, de ladémarche du reporter.

– Ah ! Jaloux a parlé !… Il m’avaitpromis de se taire, s’écria-t-elle… Ce monsieur est unpaltoquet ! un charlatan !… Eh bien, moi aussi, monsieur,je parlerai. Asseyez-vous, monsieur, il faut que tout celafinisse !…

– Madame, je suis un honnête homme, fitentendre le petit Darbois, et la plus élémentaire honnêtetém’oblige à vous dire que si le professeur Jaloux, dans saconférence d’aujourd’hui, a rapporté les événements extraordinairesqui se sont déroulés autour d’une opération chirurgicale tout àfait exceptionnelle, il n’a pas cependant prononcé un nom, pas unseul !…

– Alors, comment êtes-vous ici !…

– C’est qu’à cette conférence se trouvait unedemoiselle Hélier, qui a fait du scandale, qui a été expulsée, cedont elle a conçu une irritation assez naturelle, irritation quilui a délié la langue…

Mme de la Bossière ne s’attendaitpas à celle-là… Décidément, il lui fallait faire face à tous, detous les côtés à la fois !… Elle ne se laissa point abattrecependant, et prit les devants :

– Une domestique que j’ai remerciée… et vousfaites métier, monsieur, de recueillir de pareils propos !…Que vous a-t-elle dit ?… Racontez-moi tout, tout !…

Le petit Darbois ne se le fit pas demanderdeux fois. Fanny l’écoutait avec la plus grande attention. Quand ileut fini, elle dit :

– C’est tout ?…

– Mon Dieu, oui !…

– Eh bien, et Jaloux, qu’est-ce qu’il a dit,dans sa conférence, cette grande bringue de Jaloux ?…

– Mon Dieu, madame, il nous a dit que lepatient, aussitôt revenu de chez les morts, lui avait raconté avecforce détails ce qui se passait par là-bas !…

– Et le Dr Moutier ?

– Madame, il n’a rien dit, mais il y al’article de La Médecine astrale !…

– Oui, je l’ai lu, merci !… Et vous,monsieur l’interviewer, vous, qu’est-ce que vous pensez de toutcela ?

– Madame, je suis justement ici pour vousposer la même question !

– Sans doute, mais si vous étiez à ma place…qu’est-ce que vous répondriez ?…

Le petit Darbois regarda cette belle femmeirritée et chercha poliment une phrase qui pût lui faireplaisir.

– Je crois bien que je merépondrais : « Tout cela, c’est de lablague !… »

– Vous avez trouvé le mot, monsieur, toutcela, c’est de la blague !… c’est de la blague deprofesseur !… c’est de la blague de névropathe ! c’est dela blague de vieille fille qui passe son temps à interroger lesmorts parce que les vivants ne lui ont jamais rien dit !… Maissavez-vous bien, monsieur, que tout de même si on les écoutait troplongtemps, ils finiraient par nous rendre fous, ces gens-là !…Moi-même, il y a eu des moments où je me suis pris la tête à deuxmains et où je me suis dit : « Reprenons nosesprits ! reprenons nos esprits ! »

« Oui, monsieur, je crois que si jen’avais pas gardé tout mon sang-froid, nous serions tousaujourd’hui à Bicêtre, ma parole !…

« Heureusement, j’ai pris le dessus etj’ai chassé d’ici tous ceux qui parlaient du fantôme, ou quil’évoquaient ou qui y pensaient, et du même coup nous avons étédébarrassés du fantôme !…

« Il n’est plus apparu à personne, dumoins ici, et ça me suffit !…

« J’ai fait maison nette, monsieur, j’aifermé ma porte aux esprits malades, et le fantôme nous fiche lapaix !… et mon mari achève sa guérison dans le calme !…soigné par un brave praticien de la campagne, qui a l’esprit sainet qui ne lui raconte des histoires que pour le faire rire !…La première fois que mon mari a prétendu, devant lui, qu’il avaitété vraiment mort, ce brave homme a tellement ri, mais tellementri, que mon mari a fini par rire avec lui et que nous en étionstous malades, de rire !… Oui, monsieur !… Et la visiondes morts dans la vallée ! rapportée de son voyage chez lesmorts, par mon mari ? Ce fut le bouquet !… Ce bravedocteur s’est écrié : « Ça n’est pas possible, vousn’avez pas inventé ça tout seul ! Ça, c’est de lalittéracoméditure !… Vous avez lu ça quelquepart !… » Et il a voulu voir la bibliothèque, lebureau ; il a cherché jusque dans la chambre occupée avantl’accident par mon mari et il a fini par découvrir unedemi-douzaine d’ouvrages spirites où se trouvaient justementprécisées dans un style aussi biblique qu’impressionnant les lubiespseudo-scientifiques des Jaloux, des Moutier, des Crookes, est-ceque je sais ; moi ?…

« Oui, mon mari en était arrivé là, sousl’influence des discours extraordinaires du Dr Moutier, à selaisser influencer par des histoires pareilles, à les rechercher, às’en nourrir en secret !… Comment voulez-vous qu’à la sortied’une opération pareille en face d’un imbécile de savant qui abusede sa faiblesse pour le faire parler, il ne lui sorte pas toutesles calembredaines qu’on a retrouvées imprimées au fond du tiroirde sa table de nuit !… Mais c’est fini !… Mon mari estguéri… et du cœur… et du cerveau !… Ah ! reprenons nosesprits, monsieur !… Reprenons nos esprits !…

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