Scène V
Chloris
Mon frère… Il s’est sauvé ; son désespoirl’emporte :
Me préserve le ciel d’en user de lasorte !
Un volage me quitte, et je le quitteaussi ;
Je l’obligerais trop de m’en mettre ensouci.
Pour perdre des amants, celles qui s’enaffligent
Donnent trop d’avantage à ceux qui lesnégligent :
Il n’est lors que la joie ; elle nousvenge mieux ;
Et la fit-on à faux éclater par les yeux,
C’est montrer par bravade à leur vaineinconstance
Qu’elle est pour nous toucher de trop peud’importance.
Que Philandre à son gré rende ses vœuxcontents ;
S’il attend que j’en pleure, il attendralongtemps.
Son cœur est un trésor dont j’aime qu’ildispose ;
Le larcin qu’il m’en fait me vole peu dechose ;
Et l’amour qui pour lui m’éprit sifollement
M’avait fait bonne part de sonaveuglement.
On enchérit pourtant sur ma fautepassée ;
Dans la même folie une autre embarrassée
Le rend encor parjure, et sans âme, et sansfoi,
Pour se donner l’honneur de faillir aprèsmoi.
Je meure, s’il n’est vrai que la moitié dumonde
Sur l’exemple d’autrui se conduit et sefonde !
À cause qu’il parut quelque tempsm’enflammer,
La pauvre fille a cru qu’il valait bienl’aimer,
Et sur cette croyance elle en a prisenvie :
Lui pût-elle durer jusqu’au bout de savie !
Si Mélite a failli me l’ayant débauché,
Dieux, par là seulement punissez sonpéché !
Elle verra bientôt que sa digne conquête
N’est pas une aventure à me rompre latête :
Un si plaisant malheur m’en console àl’instant.
Ah ! si mon fou de frère en pouvait faireautant,
Que j’en aurais de joie, et que j’en feraisgloire !
Si je puis le rejoindre, et qu’il me veuillecroire,
Nous leur ferons bien voir que leur changeindiscret
Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas unregret.
Je me veux toutefois en venger par malice,
Me divertir une heure à m’en fairejustice ;
Ces lettres fourniront assez d’occasion
D’un peu de défiance et de division.
Si je prends bien mon temps, j’aurai pleinematière
À les jouer tous deux d’une belle manière.
En voici déjà l’un qui craint dem’aborder.