Lettre LXVII
Je ne voulais plus vous répondre, monsieur, et peut-être l’embarras que j’éprouve en ce moment est-il lui-même une preuve qu’en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi ; je veux vous convaincre que j’ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire.
Je vous ai permis de m’écrire, dites-vous ? J’en conviens ; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j’oublie à quelles conditions elle vous fut donnée ? Si j’y eusse été aussi fidèle que vous l’avez été peu, auriez-vous reçu une seule réponse de moi ? Voilà pourtant la troisième ; et quand vous faites tout ce qu’il faut pour m’obliger à rompre cette correspondance, c’est moi qui m’occupe des moyens de l’entretenir. Il en est un, mais c’est le seul ; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix.
Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre ; renoncez à un sentiment qui m’offense et m’effraye, et auquel, peut-être, vous devriez être moins attaché en songeant qu’il est l’obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaître et l’amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d’exclure l’amitié ? Vous-même auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres ? Je ne veux pas le croire : cette idée humiliante me révolterait, m’éloignerait de vous sans retour.
En vous offrant mon amitié, monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage ? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cœur, je n’attends que votre aveu ; et la parole, que j’exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J’oublierai tout ce qu’on a pu me dire ; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix
Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance ; il ne tiendra qu’à vous de l’augmenter encore : mais je vous préviens que le premier mot d’amour la détruit à jamais et me rend toutes mes craintes ; que, surtout, il deviendra pour moi le signal d’un silence éternel vis-à-vis de vous.
Si, comme vous le dites, vous êtes revenu de vos erreurs, n’aimerez-vous pas mieux être l’objet de l’amitié d’une femme honnête que celui des remords d’une femme coupable ? Adieu, monsieur ; vous sentez qu’après avoir parlé ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m’ayez répondu.
De…, ce 9 septembre 17**.