Les Mille et une nuits

CI NUIT.

Le médecin et sa femme délibérèrent ensemblesur le moyen de se délivrer du corps mort pendant la nuit. Lemédecin eut beau rêver, il ne trouva nul stratagème pour sortird’embarras ; mais sa femme, plus fertile en inventions,dit : « Il me vient une pensée ; portons ce cadavresur la terrasse de notre logis, et le jetons, par la cheminée, dansla maison du musulman notre voisin. »

Ce musulman était un des pourvoyeurs dusultan : il était chargé du soin de fournir l’huile, le beurreet toute sorte de graisses. Il avait chez lui son magasin, où lesrats et les souris faisaient un grand dégât.

Le médecin juif ayant approuvé l’expédientproposé, sa femme et lui prirent le bossu, le portèrent sur le toitde leur maison, et après lui avoir passé des cordes sous lesaisselles, Ils le descendirent par la cheminée dans la chambre dupourvoyeur, si doucement qu’il demeura planté sur ses pieds contrele mur, comme s’il eût été vivant. Lorsqu’ils le sentirent en bas,ils retirèrent les cordes et le laissèrent dans l’attitude que jeviens de dire. Ils étaient à peine descendus et rentrés dans leurchambre, quand le pourvoyeur entra dans la sienne. Il revenait d’unfestin de noces auquel il avait été invité ce soir-là, et il avaitune lanterne à la main. Il fut assez surpris de voir, à la faveurde sa lumière, un homme debout dans sa cheminée ; mais commeil était naturellement courageux et qu’il s’imagina que c’était unvoleur, il se saisit d’un gros bâton, avec quoi courant droit aubossu : « Ah ! ah ! lui dit-il, je m’imaginaisque c’étaient les rats et les souris qui mangeaient mon beurre etmes graisses, et c’est toi qui descends par la cheminée pour mevoler ! Je ne crois pas qu’il te reprenne jamais envie d’yrevenir. » En achevant ces mots, il frappe le bossu et luidonne plusieurs coups de bâton. Le cadavre tombe le nez contreterre. Le pourvoyeur redouble ses coups ; mais remarquantenfin que le corps qu’il frappe est sans mouvement, il s’arrêtepour le considérer. Alors voyant que c’était un cadavre, la craintecommença de succéder à la colère. « Qu’ai-je fait,misérable ! dit-il : je viens d’assommer un homme.Ah ! j’ai porté trop loin ma vengeance ! Grand Dieu, sivous n’avez pitié de moi, c’est fait de ma vie. Maudites soientmille fois les graisses et les huiles qui sont cause que j’aicommis une action si criminelle ! » Il demeura pâle etdéfait. Il croyait déjà voir les ministres de la justice qui letraînaient au supplice, et il ne savait quelle résolution il devaitprendre.

L’aurore, qui paraissait, obligea Scheherazadeà mettre fin à son discours ; mais elle en reprit le fil surla fin de la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :

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