Les Mille et une nuits

HISTOIRE RACONTÉE PAR LE POURVOYEUR DUSULTAN DE CASGAR.

« Sire, une personne de considérationm’invita hier aux noces d’une de ses filles. Je ne manquai pas deme rendre chez lui, sur le soir, à l’heure marquée, et je metrouvai dans une assemblée de docteurs, d’officiers de justice etd’autres personnes des plus distinguées de cette ville. Après lescérémonies on servit un festin magnifique, on se mit à table, etchacun mangea de ce qu’il trouva le plus à son goût. Il y avaitentre autres choses une entrée accommodée avec de l’ail, qui étaitexcellente et dont tout le monde voulait avoir, et, comme nousremarquâmes qu’un des convives ne s’empressait pas d’en manger,quoiqu’elle fût devant lui, nous l’invitâmes à mettre la main auplat et à nous imiter. Il nous conjura de ne le point presserlà-dessus. « Je me garderai bien, nous dit-il, de toucher à unragoût où il y aura de l’ail ; je n’ai point oublié ce qu’ilm’en coûte pour en avoir goûté autrefois. » Nous le priâmes denous raconter ce qui lui avait causé une si grande aversion pourl’ail ; mais sans lui donner le temps de nous répondre :« Est-ce ainsi, lui dit le maître de la maison, que vousfaites honneur à ma table ? Ce ragoût est délicieux ; neprétendez pas vous exempter d’en manger : il faut que vous mefassiez cette grâce comme les autres. – Seigneur, lui repartit leconvive, qui était un marchand de Bagdad, ne croyez pas que j’enuse ainsi par une fausse délicatesse ; je veux bien vous obéirsi vous le voulez absolument ; mais ce sera à conditionqu’après en avoir mangé je me laverai, s’il vous plaît, les mainsquarante fois avec de l’alcali, quarante autres fois avec de lacendre de la même plante et autant de fois avec du savon :vous ne trouverez pas mauvais que j’en use ainsi, pour ne pascontrevenir au serment que j’ai fait de ne manger jamais ragoût àl’ail qu’à cette condition. »

En achevant ces paroles, Scheherazade, voyantparaître le jour, se tut, et Schahriar se leva fort curieux desavoir pourquoi ce marchand avait juré de se laver six-vingts foisaprès avoir mangé d’un ragoût à l’ail. La sultane contenta sacuriosité de cette sorte sur la fin de la nuit suivante :

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