Les Mille et une nuits

CXXI NUIT.

« Je fis bien des amitiés à l’eunuque,dit le marchand de Bagdad, et je lui demandai des nouvelles de lasanté de sa maîtresse. « Vous êtes, me répondit-il, l’amant dumonde le plus heureux ; elle est malade d’amour ; on nepeut avoir plus d’envie de vous voir qu’elle en a, et si elledisposait de ses actions elle viendrait vous chercher, et passeraitvolontiers avec vous tous les moments de sa vie. – À son air nobleet à ses manières honnêtes, lui dis-je, j’ai jugé que c’étaitquelque dame de considération. – Vous ne vous êtes pas trompé dansce jugement, répliqua l’eunuque : elle est favorite deZobéide, épouse du calife, laquelle l’aime d’autant plus chèrementqu’elle l’a élevée dès son enfance, et qu’elle se repose sur elledes emplettes qu’elle a à faire. Dans le dessein qu’elle a de semarier, elle a déclaré à l’épouse du commandeur des croyants,qu’elle avait jeté les yeux sur vous, et lui a demandé sonconsentement. Zobéide lui a dit qu’elle y consentait, mais qu’ellevoulait vous voir auparavant, afin de juger si elle avait fait unbon choix, et qu’en ce cas-là elle ferait les frais des noces.C’est pourquoi vous voyez que votre bonheur est certain. Si vousavez plu à la favorite, vous ne plairez pas moins à la maîtresse,qui ne cherche qu’à lui faire plaisir et qui ne voudrait pascontraindre son inclination. Il ne s’agit donc plus que de venir aupalais, et c’est pour cela que vous me voyez ici : c’est àvous de prendre votre résolution. – Elle est toute prise,repartis-je, et je suis prêt à vous suivre partout où vous voudrezme conduire. – Voilà qui est bien, reprit l’eunuque ; maisvous savez que les hommes n’entrent pas dans les appartements desdames du palais, et qu’on ne peut vous y introduire qu’en prenantdes mesures qui demandent un grand secret. La favorite en a pris dejustes : de votre côté, faites tout ce qui dépendra devous ; mais surtout soyez discret, car il y va de votrevie. »

« Je l’assurai que je ferais exactementtout ce qui me serait ordonné. « Il faut donc, me dit-il, quece soir, à l’entrée de la nuit, vous vous rendiez à la mosquée queZobéide, épouse du calife, a fait bâtir sur le bord du Tigre, etque là vous attendiez qu’on vous vienne chercher. » Jeconsentis à tout ce qu’il voulut ; j’attendis la fin du jouravec impatience, et quand elle fut venue, je partis. J’assistai àla prière d’une heure et demie, après le soleil couché, dans lamosquée, où je demeurai le dernier.

« Je vis bientôt aborder un bateau donttous les rameurs étaient eunuques. Ils débarquèrent et apportèrentdans la mosquée plusieurs grands coffres, après quoi ils seretirèrent. Il n’en resta qu’un seul, que je reconnus pour celuiqui avait toujours accompagné la dame, et qui m’avait parlé lematin. Je vis entrer aussi la dame ; j’allai au-devant d’elle,en lui témoignant que j’étais prêt à exécuter ses ordres.« Nous n’avons pas de temps à perdre, me dit-elle. » Endisant cela, elle ouvrit un des coffres et m’ordonna de me mettrededans. « C’est une chose, ajouta-t-elle, nécessaire pourvotre sûreté et pour la mienne. Ne craignez rien, et laissez-moidisposer du reste. » J’en avais trop fait pour reculer, je fisce qu’elle désirait, et aussitôt elle referma le coffre à la clef.Ensuite, l’eunuque qui était dans sa confidence appela les autreseunuques qui avaient apporté les coffres, et les leur fit tousreporter dans le bateau ; puis, la dame et son eunuque s’étantrembarqués, on commença de ramer pour me mener à l’appartement deZobéide.

« Pendant ce temps-là, je faisais desérieuses réflexions, et considérant le danger où j’étais, je merepentis de m’y être exposé ; je fis des vœux et des prièresqui n’étaient guère de saison.

« Le bateau aborda devant la porte dupalais du calife, on déchargea les coffres, qui furent portés àl’appartement de l’officier des eunuques qui garde la clef de celuides dames, et n’y laisse rien entrer sans l’avoir bien visitéauparavant. Cet officier était couché, il fallut l’éveiller et lefaire lever… » Mais, sire, dit Scheherazade en cet endroit, jevois le jour qui commence à paraître. Schahriar se leva pour allertenir son conseil, et dans la résolution d’entendre, le lendemain,la suite d’une histoire qu’il avait écoutée jusque là avecplaisir.

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