Les Mille et une nuits

XXXI NUIT.

Dinarzade, le lendemain, ne manqua pas deréveiller la sultane à l’heure ordinaire et de lui dire : Machère sœur, si vous ne dormez pas, je vous prie, en attendant lejour, qui paraîtra bientôt, de poursuivre le merveilleux conte quevous avez commencé. Scheherazade prit alors la parole, ets’adressant au sultan : Sire, dit-elle, je vais, avec votrepermission, contenter la curiosité de ma sœur. En même temps ellereprit ainsi l’histoire des trois calenders :

Zobéide ne voulut donc point reprendrel’argent du porteur : « Mais mon ami, lui dit-elle, enconsentant que vous demeuriez avec nous, je vous avertis que cen’est pas seulement à condition que vous garderez le secret quenous avons exigé de vous ; nous prétendons encore que vousobserviez exactement les règles de la bienséance et del’honnêteté. » Pendant qu’elle tenait ce discours, lacharmante Amine quitta son habillement de ville, attacha sa robe àsa ceinture pour agir avec plus de liberté, et prépara la table.Elle servit plusieurs sortes de mets, et mit sur un buffet desbouteilles de vin[15] et destasses d’or. Après cela, les dames se placèrent et firent asseoir àleurs côtés le porteur, qui était satisfait au delà de tout cequ’on peut dire, de se voir à table avec trois personnes d’unebeauté si extraordinaire.

Après les premiers morceaux, Amine, quis’était placée près du buffet, prit une bouteille et une tasse, seversa à boire, et but la première, suivant la coutume des Arabes.Elle versa ensuite à ses sœurs, qui burent l’une aprèsl’autre ; puis remplissant pour la quatrième fois la mêmetasse, elle la présenta au porteur, lequel, en la recevant, baisala main d’Amine, et chanta, avant que de boire, une chanson dont lesens était que, comme le vent emporte avec lui la bonne odeur deslieux parfumés par où il passe, de même le vin qu’il allait boire,venant de sa main, en recevait un goût plus exquis que celui qu’ilavait naturellement. Cette chanson réjouit les dames, quichantèrent à leur tour. Enfin, la compagnie fut de très-bonnehumeur pendant le repas, qui dura fort longtemps, et fut accompagnéde tout ce qui pouvait le rendre agréable.

Le jour allait bientôt finir, lorsque Safie,prenant la parole au nom des trois dames, dit au porteur :« Levez-vous, partez : il est temps de vousretirer. » Le porteur, ne pouvant se résoudre à les quitter,répondit ; « Eh ! mesdames, où me commandez-vousd’aller en l’état où je me trouve ? je suis hors de moi-même àforce de vous voir et de boire ; je ne retrouverais jamais lechemin de ma maison. Donnez-moi la nuit pour me reconnaître ;je la passerai où il vous plaira ; mais il ne me faut pasmoins de temps pour me remettre dans le même état où j’étaislorsque je suis entré chez vous : avec cela, je doute encoreque je n’y laisse la meilleure partie de moi-même. »

Amine prit une seconde fois le parti duporteur : « Mes sœurs, dit-elle, il a raison ; jelui sais bon gré de la demande qu’il nous fait. Il nous a assezbien diverties ; si vous voulez m’en croire, ou plutôt si vousm’aimez autant que j’en suis persuadée, nous le retiendrons pourpasser la soirée avec nous. – Ma sœur, dit Zobéide, nous ne pouvonsrien refuser à votre prière. Porteur, continua-t-elle ens’adressant à lui, nous voulons bien encore vous faire cettegrâce ; mais nous y mettons une nouvelle condition. Quoi quenous puissions faire en votre présence, par rapport à nous ou àautre chose, gardez-vous bien d’ouvrir seulement la bouche pournous en demander la raison : car en nous faisant des questionssur des choses qui ne vous regardent nullement, vous pourriezentendre ce qui ne vous plairait pas : prenez-y garde, et nevous avisez pas d’être trop curieux en voulant trop approfondir lesmotifs de nos actions.

« – Madame, repartit le porteur, je vouspromets d’observer cette condition avec tant d’exactitude que vousn’aurez pas lieu de me reprocher d’y avoir contrevenu, et encoremoins de punir mon indiscrétion : ma langue, en cetteoccasion, sera immobile, et mes yeux seront comme un miroir qui neconserve rien des objets qu’il a reçus. – Pour vous faire voir,reprit Zobéide d’un air très-sérieux, que ce que nous vousdemandons n’est pas nouvellement établi parmi nous, levez-vous etallez lire ce qui est écrit au-dessus de notre porte endedans. »

Le porteur alla jusque là, et y lut ces mots,qui étaient écrits en gros caractères d’or : Qui parle dechoses qui ne le regardent point entend ce qui ne lui plaît pas. Ilrevint ensuite trouver les trois sœurs : « Mesdames, leurdit-il, je vous jure que vous ne m’entendrez parler d’aucune chosequi ne me regardera pas et où vous puissiez avoirintérêt. »

Cette convention faite, Amine apporta lesouper, et quand elle eut éclairé la salle d’un grand nombre debougies préparées avec le bois d’aloès et l’ambre gris, quirépandirent une odeur agréable et firent une belle illumination,elle s’assit à table avec ses sœurs et le porteur. Ilsrecommencèrent à manger, à boire, à chanter et à réciter des vers.Les dames prenaient plaisir à enivrer le porteur, sous prétexte dele faire boire à leur santé. Les bons mots ne furent pointépargnés : enfin ils étaient tous dans la meilleure humeur dumonde lorsqu’ils ouïrent frapper à la porte… Scheherazade futobligée en cet endroit d’interrompre son récit, parce qu’elle vitparaître le jour.

Le sultan, ne doutant point que la suite decette histoire ne méritât d’être entendue, la remit au lendemain,et se leva.

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