Les Mille et une nuits

LIV NUIT.

Au nom de Dieu, ma sœur, s’écria le lendemainDinarzade, si vous ne dormez pas, continuez, je vous en conjure,l’histoire du troisième calender. – Ma chère sœur, réponditScheherazade, voici comment ce prince la reprit :

« À la vue de ces degrés, dit-il, car iln’y avait pas de terrain à droite ni à gauche où l’on pût mettre lepied et par conséquent se sauver, je remerciai Dieu et invoquai sonsaint nom en commençant à monter. L’escalier était si étroit, siraide et si difficile, que pour peu que le vent eût eu de violence,il m’aurait renversé et précipité dans la mer. Mais enfin,j’arrivai jusqu’au haut sans accident : j’entrai sous le dôme,et, me prosternant contre terre, je remerciai Dieu de la grâcequ’il m’avait faite.

« Je passai la nuit sous ce dôme ;pendant que je dormais, un vénérable vieillard s’apparut à moi etme dit : « Écoute, Agib, lorsque tu seras éveillé, creusela terre sous tes pieds ; tu y trouveras un arc de bronze, ettrois flèches de plomb fabriquées sous certaines constellationspour délivrer le genre humain de tant de maux qui le menacent. Tireles trois flèches contre la statue : le cavalier tombera dansla mer et le cheval de ton côté, que tu enterreras au même endroitd’où tu auras tiré l’arc et les flèches. Cela fait, la mers’enflera et montera jusqu’au pied du dôme, à la hauteur de lamontagne. Lorsqu’elle y sera montée, tu verras aborder unechaloupe, où il n’y aura qu’un seul homme avec une rame à chaquemain. Cet homme sera de bronze, mais différent de celui que tuauras renversé. Embarque-toi avec lui sans prononcer le nom deDieu, et te laisse conduire. Il te conduira en dix jours dans uneautre mer, où tu trouveras le moyen de retourner chez toi sain etsauf, pourvu que, comme je te l’ai dit, tu ne prononces pas le nomde Dieu pendant le voyage. »

« Tel fut le discours du vieillard.D’abord que je fus éveillé, je me levai extrêmement consolé decette vision, et je ne manquai pas de faire ce que le vieillardm’avait commandé. Je déterrai l’arc et les flèches, et les tiraicontre le cavalier. À la troisième flèche, je le renversai dans lamer, et le cheval tomba de mon côté. Je l’enterrai à la place del’arc et des flèches, et dans cet intervalle, la mer s’enfla peu àpeu. Lorsqu’elle fut arrivée au pied du dôme, à la hauteur de lamontagne, je vis de loin, sur la mer, une chaloupe qui venait àmoi. Je bénis Dieu, voyant que les choses succédaient conformémentau songe que j’avais eu.

« Enfin la chaloupe aborda, et j’y visl’homme de bronze tel qu’il m’avait été dépeint. Je m’embarquai etme gardai bien de prononcer le nom de Dieu ; je ne dis pasmême un seul autre mot. Je m’assis, et l’homme de bronze recommençade ramer en s’éloignant de la montagne. Il vogua sans discontinuerjusqu’au neuvième jour, que je vis des îles qui me firent espérerque je serais bientôt hors du danger que j’avais à craindre.L’excès de ma joie me fit oublier la défense qui m’avait été faite.Dieu soit béni ! dis-je alors, Dieu soit loué !

« Je n’eus pas achevé ces paroles, que lachaloupe s’enfonça dans la mer avec l’homme de bronze. Je demeuraisur l’eau et je nageai, le reste du jour, du côté de la terre quime parut la plus voisine. Une nuit fort obscure succéda, et commeje ne savais plus où j’étais, je nageais à l’aventure. Mes forcess’épuisèrent à la fin, et je commençais à désespérer de me sauver,lorsque le vent venant à se fortifier, une vague plus grosse qu’unemontagne me jeta sur une plage, où elle me laissa en se retirant.Je me hâtai aussitôt de prendre terre, de crainte qu’une autrevague ne me reprît, et la première chose que je fis fut de medépouiller, d’exprimer l’eau de mon habit, et de l’étendre pour lefaire sécher sur le sable, qui était encore échauffé de la chaleurdu jour.

« Le lendemain le soleil eut bientôtachevé de sécher mon habit. Je le repris et m’avançai pourreconnaître où j’étais. Je n’eus pas marché longtemps que je connusque j’étais dans une petite île déserte fort agréable, où il yavait plusieurs sortes d’arbres fruitiers et sauvages. Mais jeremarquai qu’elle était considérablement éloignée de terre, ce quidiminua fort la joie que j’avais d’être échappé à la mer. Néanmoinsje me remettais à Dieu du soin de disposer de mon sort selon savolonté, quand j’aperçus un petit bâtiment qui venait de terreferme à pleines voiles et avait la proue sur l’île où j’étais.

« Comme je ne doutais pas qu’il n’y vîntmouiller, et que j’ignorais si les gens qui étaient dessus seraientamis ou ennemis, je crus ne devoir pas me montrer d’abord. Jemontai sur un arbre fort touffu, d’où je pouvais impunémentexaminer leur contenance. Le bâtiment vint se ranger dans unepetite anse, où débarquèrent dix esclaves qui portaient une pelleet d’autres instruments propres à remuer la terre. Ils marchèrentvers le milieu de l’île, où je les vis s’arrêter et remuer la terrequelque temps, et à leur action il me parut qu’ils levèrent unetrappe. Ils retournèrent ensuite au bâtiment, débarquèrentplusieurs sortes de provisions et de meubles, et en firent chacunune charge qu’ils portèrent à l’endroit où ils avaient remué laterre, et ils y descendirent, ce qui me fit comprendre qu’il yavait là un lieu souterrain. Je les vis encore une fois aller auvaisseau, et en ressortir peu de temps après avec un vieillard quimenait avec lui un jeune homme de quatorze ou quinze ans, très-bienfait. Ils descendirent tous où la trappe avait été levée, et quandils furent remontés, qu’ils eurent abaissé la trappe qu’ilsl’eurent recouverte de terre et qu’ils reprirent le chemin del’anse où était le navire, je remarquai que le jeune homme n’étaitpas avec eux ; d’où je conclus qu’il était resté dans le lieusouterrain, circonstance qui me causa un extrême étonnement.

« Le vieillard et les esclaves serembarquèrent, et le bâtiment, remis à la voile, reprit la route dela terre ferme. Quand je le vis si éloigné que je ne pouvais êtreaperçu de l’équipage, je descendis de l’arbre et me rendispromptement à l’endroit où j’avais vu remuer la terre. Je la remuaià mon tour jusqu’à ce que, trouvant une pierre de deux ou troispieds en carré, je la levai, et je vis qu’elle couvrait l’entréed’un escalier aussi de pierre. Je le descendis, et me trouvai aubas dans une grande chambre où il y avait un tapis de pied et unsofa garni d’un autre tapis et de coussins d’une riche étoffe, oùle jeune homme était assis avec un éventail à la main. Jedistinguai toutes ces choses à la clarté de deux bougies, aussibien que des fruits et des pots de fleurs qu’il avait près delui.

« Le jeune homme fut effrayé de ma vue.Mais, pour le rassurer, je lui dis en entrant : « Qui quevous soyez, seigneur, ne craignez rien ; un roi et un fils deroi tel que je suis n’est pas capable de vous faire la moindreinjure. C’est, au contraire, votre bonne destinée qui a vouluapparemment que je me trouvasse ici pour vous tirer de ce tombeau,où il semble qu’on vous ait enterré tout vivant pour des raisonsque j’ignore. Mais ce qui m’embarrasse et ce que je ne puisconcevoir (car je vous dirai que j’ai été témoin de tout ce quis’est passé depuis que vous êtes arrivé dans cette île), c’estqu’il m’a paru que vous vous êtes laissé ensevelir dans ce lieusans résistance…… » Scheherazade se tut en cet endroit, et lesultan se leva très-impatient d’apprendre pourquoi ce jeune hommeavait ainsi été abandonné dans une île déserte, ce qu’il se promitd’entendre la nuit suivante.

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