Les Mille et une nuits

LX NUIT.

Dinarzade, sur la fin de la nuit suivante, nemanqua pas d’adresser ces paroles à la sultane : Si vous nedormez pas, ma sœur, je vous prie de nous raconter la suite de lamerveilleuse histoire du troisième calender. – Très-volontiers,répondit Scheherazade ; voici de quelle manière le prince enreprit le fil :

« J’avais, dit-il, à peine achevé dem’habiller le lendemain, que les trente-neuf autres dames vinrentdans mon appartement, toutes parées autrement que le jourprécédent. Elles me souhaitèrent le bonjour et me demandèrent desnouvelles de ma santé. Ensuite elles me conduisirent au bain, oùelles me lavèrent elles-mêmes et me rendirent malgré moi tous lesservices dont on y a besoin, et lorsque j’en sortis, elles mefirent prendre un autre habit, qui était encore plus magnifique quele premier.

« Nous passâmes la journée presquetoujours à table, et quand l’heure de se coucher fut venue, ellesme prièrent encore de choisir une d’entre elles pour me tenircompagnie. Enfin, madame, pour ne vous point ennuyer en répétanttoujours la même chose, je vous dirai que je passai une annéeentière avec les quarante dames, en les recevant dans mon lit l’uneaprès l’autre, et que pendant tout ce temps-là, cette vievoluptueuse ne fut point interrompue par le moindre chagrin.

« Au bout de l’année (rien ne pouvait mesurprendre davantage), les quarante dames, au lieu de se présenterà moi avec leur gaieté ordinaire et de me demander comment je meportais, entrèrent un matin dans mon appartement, les jouesbaignées de pleurs. Elles vinrent m’embrasser tendrement l’uneaprès l’autre, en me disant : « Adieu ! cher prince,adieu ! il faut que nous vous quittions. »

« Leurs larmes m’attendrirent ; jeles suppliai de me dire le sujet de leur affliction et de cetteséparation dont elles me parlaient : « Au nom de Dieu,mes belles dames, ajoutai-je, apprenez-moi s’il est en mon pouvoirde vous consoler ou si mon secours vous est inutile ! »Au lieu de me répondre précisément : « Plût à Dieu,dirent-elles, que nous ne vous eussions jamais vu ni connu !Plusieurs cavaliers, avant vous, nous ont fait l’honneur de nousvisiter, mais pas un n’avait cette grâce, cette douceur, cetenjouement et ce mérite que vous avez. Nous ne savons comment nouspourrons vivre sans vous. » En achevant ces paroles, ellesrecommencèrent à pleurer amèrement. « Mes aimables dames,repris-je, de grâce, ne me faites pas languir davantage, dites-moila cause de votre douleur. – Hélas ! répondirent-elles, quelautre sujet serait capable de nous affliger, que la nécessité denous séparer de vous ? Peut-être ne vous reverrons-nousjamais ! Si pourtant vous le vouliez bien et si vous aviezassez de pouvoir sur vous pour cela, il ne serait pas impossible denous rejoindre. – Mesdames, repartis-je, je ne comprends rien à ceque vous dites ; je vous prie de me parler plusclairement. »

« – Eh bien ! dit l’une d’elles,pour vous satisfaire, nous vous dirons que nous sommes toutesprincesses, filles de rois. Nous vivons ici ensemble avecl’agrément que vous avez vu, mais au bout de chaque année, noussommes obligées de nous absenter pendant quarante jours pour desdevoirs indispensables, ce qu’il ne nous est pas permis derévéler ; après quoi nous revenons dans ce château. L’annéefinit hier, il faut que nous vous quittions aujourd’hui ;c’est ce qui fait le sujet de notre affliction. Avant que departir, nous vous laisserons les clefs de toutes choses,particulièrement celles des cent portes, où vous trouverez de quoicontenter votre curiosité et adoucir votre solitude pendant notreabsence ; mais pour votre bien et pour notre intérêtparticulier, nous vous recommandons de vous abstenir d’ouvrir laporte d’or. Si vous l’ouvrez, nous ne vous reverrons jamais, et lacrainte que nous en avons augmente notre douleur. Nous espérons quevous profiterez de l’avis que nous vous donnons. Il y va de votrerepos et du bonheur de votre vie ; prenez-y garde, si vouscédiez à votre indiscrète curiosité, vous vous feriez un tortconsidérable. Nous vous conjurons donc de ne pas commettre cettefaute et de nous donner la consolation de vous retrouver ici dansquarante jours. Nous emporterions bien la clef de la porte d’oravec nous ; mais ce serait faire une offense à un prince telque vous, que de douter de sa discrétion et de saretenue. »

Scheherazade voulait continuer, mais elle vitparaître le jour. Le sultan, curieux de savoir ce que ferait lecalender seul dans le château, après le départ des quarante dames,remit au jour suivant à s’en éclaircir.

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