À L’HÔTEL BERTRAM d’ Agatha Christie

— Pourrais-je voir Mr Bollard ?

— Mr Bollard. Quel nom dois-je annoncer ?

— Miss Elvira Blake.

Le gentilhomme disparut et Elvira s’approcha d’un comptoir où, sous les plaques de verre, miroitaient des broches, des bagues et des bracelets étalés sur du velours. Un instant plus tard, Mr Bollard fit son apparition. Il était l’associé principal de la firme, un homme d’environ soixante ans, qui accueillit Elvira avec une paternelle bienveillance.

— Miss Blake ! Vous êtes donc à Londres ? C’est un grand plaisir de vous revoir ! Voyons, que puis-je pour vous ?

Elvira présenta une délicate montre du soir.

— Ma montre ne marche pas très bien. Pourriez-vous me l’arranger ?

— Bien entendu. À quelle adresse dois-je vous l’envoyer ?

La jeune fille lui donna son adresse et enchaîna :

— Il y a autre chose. Le colonel Luscombe, mon tuteur que vous connaissez…

— En effet.

— … m’a demandé ce que j’aimerais comme cadeau de Noël. Il m’a suggéré de me rendre chez vous pour regarder différentes choses. Il voulait m’accompagner, mais j’ai préféré venir seule d’abord, parce que je trouve que c’est toujours embarrassant, vous comprenez ? à cause des prix…

— Je comprends très bien. Voyons, à quoi avez-vous pensé, Miss Blake ? Une broche, un bracelet, une bague, peut-être ?

— Je crois qu’une broche me serait plus utile, mais je me demande… Pourrais-je voir plusieurs bijoux ?

— Évidemment ! On n’éprouve aucun plaisir à se décider trop vite, n’est-ce pas ?

Les quelques minutes suivantes se passèrent très agréablement.

Faisant preuve d’une patience sans défaut, Mr Bollard sortit des bijoux de différentes étagères pour les étaler sur un morceau de velours sous les yeux d’Elvira. De temps à autre, cette dernière tournait la tête vers un miroir pour juger de l’effet d’une broche ou d’une pendeloque. Finalement, bien qu’encore hésitante, la jeune fille choisit une ravissante petite bague, une montre miniature ornée de diamants et deux broches.

— Nous allons noter tout ceci, s’empressa Mr Bollard, et lors de sa prochaine visite à Londres, le colonel Luscombe viendra peut-être nous confier ce qu’il aimerait vous offrir et… nous guiderons son choix.

— Ce sera beaucoup mieux ainsi, je crois, et il aura quand même l’impression d’avoir choisi lui-même mon cadeau.

Les yeux bleu limpide d’Elvira étaient fixés sur le visage du bijoutier. Ces mêmes yeux bleus venaient de remarquer qu’il était exactement l’heure fixée avec Bridget.

Arrivant du dehors, on entendit le grincement des freins d’une voiture bloqués à fond et le cri effrayé d’une femme. Inévitablement, tous les regards se portèrent vers la rue et le geste d’Elvira, dont la main alla de la table à sa poche, fut si rapide et si discret que même si quelqu’un l’avait observé à ce moment-là, il lui aurait été impossible de deviner ce qu’il signifiait.

— Oh ! s’exclama Mr Bollard. J’ai bien cru qu’elle se ferait écraser ! L’imprudente ! Se précipiter ainsi à travers la rue !

Elvira se dirigeait déjà vers la porte après avoir jeté un coup d’œil à sa montre.

— Mon Dieu, je suis restée bien trop longtemps ! Je vais manquer mon train pour la campagne. Merci beaucoup, Mr Bollard. Vous n’oublierez pas les quatre bijoux choisis, n’est-ce pas ?

Une minute plus tard, elle se retrouvait sur le trottoir, tournait rapidement dans une rue transversale, puis une autre, et s’arrêtait sous une arcade de magasin de chaussures, où Bridget, plutôt essoufflée, la rejoignit en s’exclamant :

— Seigneur ! que j’ai eu peur ! J’ai bien cru que j’allais être tuée. Et j’ai un grand trou dans mon bas.

— Aucune importance ! commenta égoïstement Elvira en entraînant son amie. Venez vite !

— Est-ce que… ça s’est bien passé ?

Elvira montra dans la paume de sa main un bracelet de diamants et de saphirs.

— Oh ! Elvira ! Comment avez-vous osé ?

— À présent, Bridget, il faut que vous alliez chez ce prêteur sur gages dont nous avons noté l’adresse. Essayez de vous faire verser une centaine de livres.

— Pensez-vous, supposons qu’ils disent… Peut-être ce bracelet est-il sur une liste de bijoux volés ?

— Ne soyez pas stupide. Comment serait-il déjà sur une liste ? Ils n’ont même pas encore remarqué sa disparition !

— Mais, Elvira, quand ils s’en apercevront, ils penseront peut-être… saurons-ils que vous l’avez pris ?

— Probablement s’ils s’en aperçoivent à temps.

— Mais alors ils iront à la police.

Elle s’interrompit alors qu’Elvira hochait lentement la tête et qu’un sourire ambigu lui retroussait le coin des lèvres.

— Ils n’iront pas à la police, Bridget. Certainement pas s’ils pensent que c’est moi qui l’ai pris.

— Pourquoi ? Que voulez-vous dire ?

— Comme je vous l’ai appris, je vais avoir un tas d’argent à ma majorité. Je pourrai alors m’offrir plusieurs de leurs bijoux. Croyez-moi, ils ne feront pas de scandale. Allez vite changer ce bracelet et ensuite vous me retiendrez une place d’avion à Aer Lingus. Il faut que je prenne un taxi à présent, je suis déjà en retard de dix minutes. Je vous verrai demain à dix heures trente.

— Oh, Elvira ! Je souhaiterais que vous arrêtiez de prendre de tels risques, gémit Bridget.

Mais Elvira s’engouffrait déjà dans un taxi.

Miss Marple passa quelques moments très agréables chez Robinson et Cleaver où, après s’être laissé aller à acheter des draps, coûteux mais de si bonne qualité, elle avait commandé des torchons bordés d’une rayure rouge.

Ayant laissé son adresse à St. Mary Mead, Miss Marple prit un bus qui la déposa aux magasins Army et Navy.

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