Clitandre

Scène II

 

Pymante

Où s’est-elle cachée ? où l’emporte safuite ?

Où faut-il que ma rage adresse mapoursuite ?

La tigresse m’échappe, et, telle qu’unéclair,

En me frappant les yeux, elle se perd enl’air ;

Ou plutôt, l’un perdu, l’autre m’estinutile ;

L’un s’offusque du sang qui de l’autredistille.

Coule, coule, mon sang : en de si grandsmalheurs,

Tu dois avec raison me tenir lieu depleurs :

Ne verser désormais que des larmescommunes,

C’est pleurer lâchement de tellesinfortunes.

Je vois de tous côtés mon suppliceapprocher ;

N’osant me découvrir, je ne me puiscacher.

Mon forfait avorté se lit dans madisgrâce,

Et ces gouttes de sang me font suivre à latrace.

Miraculeux effet ! Pour traître que jesois,

Mon sang l’est encor plus, et sert tout à lafois

De pleurs à ma douleur, d’indices à maprise,

De peine à mon forfait, de vengeance àDorise.

Ô toi qui, secondant son courage inhumain,

Loin d’orner ses cheveux, déshonores samain,

Exécrable instrument de sa brutale rage,

Tu devais pour le moins respecter sonimage ;

Ce portrait accompli d’un chef-d’œuvre descieux,

Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mesyeux,

Quoi que te commandât une âme si cruelle,

Devait être adoré de ta pointe rebelle.

Honteux restes d’amour qui brouillez moncerveau !

Quoi ! puis-je en ma maîtresse adorer monbourreau ?

Remettez-vous, mes sens ; rassure-toi, marage ;

Reviens, mais reviens seule animer moncourage ;

Tu n’as plus à débattre avec mes passions

L’empire souverain dessus mesactions ;

L’amour vient d’expirer, et ses flammeséteintes

Ne t’imposeront plus leurs infâmescontraintes.

Dorise ne tient plus dedans mon souvenir

Que ce qu’il faut de place à l’ardeur depunir :

Je n’ai plus rien en moi qui n’en veuille à savie.

Sus donc, qui me la rend ? Destins, sivotre envie,

Si votre haine encor s’obstine à mestourments,

Jusqu’à me réserver à d’autres châtiments,

Faites que je mérite, en trouvantl’inhumaine,

Par un nouveau forfait, une nouvellepeine,

Et ne me traitez pas avec tant de rigueur

Que mon feu ni mon fer ne touchent point soncœur.

Mais ma fureur se joue, etdemi-languissante,

S’amuse au vain éclat d’une voiximpuissante.

Recourons aux effets, cherchons de toutesparts ;

Prenons dorénavant pour guides leshasards.

Quiconque ne pourra me montrer la cruelle,

Que son sang aussitôt me réponde pourelle ;

Et ne suivant ainsi qu’une incertaineerreur,

Remplissons tous ces lieux de carnage etd’horreur.

(Une tempêtesurvient.)

Mes menaces déjà font trembler tout lemonde :

Le vent fuit d’épouvante, et le tonnerre engronde ;

L’œil du ciel s’en retire, et par un voilenoir,

N’y pouvant résister, se défend d’en rienvoir ;

Cent nuages épais se distillant en larmes,

À force de pitié, veulent m’ôter lesarmes,

La nature étonnée embrasse mon courroux,

Et veut m’offrir Dorise, ou devancer mescoups.

Tout est de mon parti : le ciel mêmen’envoie

Tant d’éclairs redoublés qu’afin que je lavoie.

Quelques lieux où l’effroi porte ses paserrants,

Ils sont entrecoupés de mille grostorrents.

Que je serais heureux, si cet éclat defoudre,

Pour m’en faire raison, l’avait réduite enpoudre !

Allons voir ce miracle, et désarmer nosmains,

Si le ciel a daigné prévenir nos desseins.

Destins, soyez enfin de mon intelligence,

Et vengez mon affront, ou souffrez mavengeance !

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