Clitandre

Scène première

Alcandre,Rosidor,Caliste, unPrévôt

 

Alcandre

L’admirable rencontre a mon âme ravie

De voir que deux amants s’entre-doivent lavie,

De voir que ton péril la tire de danger,

Que le sien te fournit de quoi t’endégager,

Qu’à deux desseins divers la même heurechoisie

Assemble en même lieu pareille jalousie,

Et que l’heureux malheur qui vous amenacés

Avec tant de justesse a ses tempscompassés !

Rosidor

Sire, ajoutez du ciel l’occulteprovidence :

Sur deux amants il verse une mêmeinfluence ;

Et comme l’un par l’autre il a su noussauver,

Il semble l’un pour l’autre exprès nousconserver.

Alcandre

Je t’entends, Rosidor ; par là tu me veuxdire

Qu’il faut qu’avec le ciel ma volontéconspire,

Et ne s’oppose pas à ses justes décrets,

Qu’il vient de témoigner par tant d’avissecrets.

Eh bien ! je veux moi-même en parler à lareine ;

Elle se fléchira, ne t’en mets pas enpeine.

Achève seulement de me rendre raison

De ce qui t’arriva depuis sa pâmoison.

Rosidor

Sire, un mot désormais suffit pour ce quireste.

Lysarque et vos archers depuis ce lieufuneste

Se laissèrent conduire aux traces de monsang,

Qui, durant le chemin, me dégouttait duflanc ;

Et me trouvant enfin dessous un toitrustique,

Ranimé par les soins de son amour pudique,

Leurs bras officieux m’ont ici rapporté,

Pour en faire ma plainte à Votre Majesté.

Non pas que je soupire après une vengeance

Qui ne peut me donner qu’une fausseallégeance :

Le prince aime Clitandre, et mon respectconsent

Que son affection le déclareinnocent ;

Mais si quelque pitié d’une telleinfortune

Peut souffrir aujourd’hui que je vousimportune,

Ôtant par un hymen l’espoir à mes rivaux,

Sire, vous taririez la source de nos maux.

Alcandre

Tu fuis à te venger ; l’objet de tamaîtresse

Fait qu’un tel désir cède à l’amour qui tepresse ;

Aussi n’est-ce qu’à moi de punir cesforfaits,

Et de montrer à tous par de puissantseffets

Qu’attaquer Rosidor c’est se prendre àmoi-même :

Tant je veux que chacun respecte ce quej’aime !

Je le ferai bien voir. Quand ce perfidetour

Aurait eu pour objet le moindre de macour,

Je devrais au public, par un honteuxsupplice,

De telles trahisons l’exemplaire justice.

Mais Rosidor surpris, et blessé comme ill’est,

Au devoir d’un vrai roi joint mon propreintérêt.

Je lui ferai sentir, à ce traîtreClitandre,

Quelque part que le prince y puisse ou veuilleprendre,

Combien mal à propos sa folle vanité

Croyait dans sa faveur trouver l’impunité.

Je tiens cet assassin ; un soupçonvéritable,

Que m’ont donné les corps d’un coupledétestable,

De son lâche attentat m’avait si bieninstruit,

Que déjà dans les fers il en reçoit lefruit.

Toi, qu’avec Rosidor le bonheur a sauvée,

Tu te peux assurer que, Dorise trouvée,

Comme ils avaient choisi même heure à votremort,

En même heure tous deux auront un mêmesort.

Caliste

Sire, ne songez pas à cettemisérable ;

Rosidor garanti me rend saredevable ;

Et je me sens forcée à lui vouloir du bien

D’avoir à votre État conservé ce soutien.

Alcandre

Le généreux orgueil des âmes magnanimes

Par un noble dédain sait pardonner lescrimes ;

Mais votre aspect m’emporte à d’autressentiments,

Dont je ne puis cacher les justesmouvements ;

Ce teint pâle à tous deux me rougit decolère,

Et vouloir m’adoucir, c’est vouloir medéplaire.

Rosidor

Mais, sire, que sait-on ? peut-être cerival,

Qui m’a fait, après tout, plus de bien que demal,

Sitôt qu’il vous plaira d’écouter sadéfense,

Saura de ce forfait purger son innocence.

Alcandre

Et par où la purger ? Sa main d’un traitmortel

A signé son arrêt en signant ce cartel.

Peut-il désavouer ce qu’assure un telgage,

Envoyé de [sa] part, et rendu par sonpage ?

Peut-il désavouer que ses gens déguisés

De son commandement ne soientautorisés ?

Les deux, tout morts qu’ils sont, qu’on lestraîne à la boue,

L’autre, aussitôt que pris, se verra sur laroue ;

Et pour le scélérat que je tiensprisonnier,

Ce jour que nous voyons lui sera ledernier.

Qu’on l’amène au conseil ; par forme ilfaut l’entendre,

Et voir par quelle adresse il pourra sedéfendre.

Toi, pense à te guérir, et crois que pour lemieux,

Je ne veux pas montrer ce perfide à tesyeux :

Sans doute qu’aussitôt qu’il se feraitparaître,

Ton sang rejaillirait au visage dutraître.

Rosidor

L’apparence déçoit, et souvent on a vu

Sortir la vérité d’un moyen imprévu,

Bien que la conjecture y fût encor plusforte ;

Du moins, sire, apaisez l’ardeur qui voustransporte ;

Que, l’âme plus tranquille et l’esprit plusremis,

Le seul pouvoir des lois perde nosennemis.

Alcandre

Sans plus m’importuner, ne songe qu’à tesplaies.

Non, il ne fut jamais d’apparences sivraies.

Douter de ce forfait, c’est manquer deraison.

Derechef, ne prends soin que de taguérison.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer