Clitandre

Scène VI

 

Doriseachevant de vêtir l’habit de Géronte qu’elle avait trouvédans le bois.

Achève, malheureuse, achève de vêtir

Ce que ton mauvais sort laisse à tegarantir.

Si de tes trahisons la jalouse impuissance

Sut donner un faux crime à la mêmeinnocence,

Recherche maintenant, par un plus justeeffet,

Une fausse innocence à cacher ton forfait.

Quelle honte importune au visage te monte

Pour un sexe quitté dont tu n’es que dehonte ?

Il t’abhorre lui-même ; et cedéguisement,

En le désavouant, l’oblige pleinement.

Après avoir perdu sa douceur naturelle,

Dépouille sa pudeur, qui te messied sanselle ;

Dérobe tout d’un temps, par ce crimenouveau,

Et l’autre aux yeux du monde, et ta tête aubourreau.

Si tu veux empêcher ta perte inévitable,

Deviens plus criminelle, et parais moinscoupable.

Par une fausseté tu tombes en danger,

Par une fausseté sache t’en dégager.

Fausseté détestable, où me viens-turéduire ?

Honteux déguisement, où me vas-tuconduire ?

Ici de tous côtés l’effroi suit monerreur,

Et j’y suis à moi-même une nouvellehorreur :

L’image de Caliste à ma fureur soustraite

Y brave fièrement ma timide retraite,

Encor si son trépas, secondant mon désir,

Mêlait à mes douleurs l’ombre d’un fauxplaisir !

Mais tels sont les excès du malheur quim’opprime,

Qu’il ne m’est pas permis de jouir de moncrime ;

Dans l’état pitoyable où le sort meréduit,

J’en mérite la peine et n’en ai pas lefruit ;

Et tout ce que j’ai fait contre monennemie

Sert à croître sa gloire avec mon infamie.

N’importe, Rosidor de mes cruels destins

Tient de quoi repousser ses lâchesassassins.

Sa valeur, inutile en sa main désarmée,

Sans moi ne vivrait plus que chez larenommée :

Ainsi rien désormais ne pourraitm’enflammer ;

N’ayant plus que haïr, je n’aurais plusqu’aimer.

Fâcheuse loi du sort qui s’obstine à mapeine,

Je sauve mon amour, et je manque à mahaine.

Ces contraires succès, demeurant sanseffet,

Font naître mon malheur de mon heurimparfait.

Toutefois l’orgueilleux pour qui mon cœursoupire

De moi seule aujourd’hui tient le jour qu’ilrespire :

Il m’en est redevable, et peut-être à sontour

Cette obligation produira quelque amour.

Dorise, à quels pensers ton espoir seravale !

S’il vit par ton moyen, c’est pour unerivale.

N’attends plus, n’attends plus que haine de sapart ;

L’offense vint de toi, le secours, duhasard.

Malgré les vains efforts de ta rusetraîtresse,

Le hasard, par tes mains, le rend à samaîtresse.

Ce péril mutuel qui conserve leurs jours

D’un contre-coup égal va croître leursamours.

Heureux couple d’amants que le destinassemble,

Qu’il expose en péril, qu’il en retireensemble !

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